Cass. 3e civ., 15 février 2024, n° 22-23.179
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
SEPPI (SCI)
Défendeur :
Redel (SAS), MMA IARD (SA), MMA IARD assurances mutuelles
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Zedda
Avocats :
SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SCP Boullez
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 21 septembre 2022), la société Redel a fait construire un immeuble à usage d'habitation dont elle a vendu des lots à la société civile immobilière SEPPI (la SCI) par acte authentique du 19 octobre 2011.
2. La réception de l'ouvrage a été prononcée par la société Redel les 2 et 7 février 2012. 3. La société Redel a été dissoute et M. [J] a été désigné en qualité de liquidateur amiable.
4. Se plaignant de différents désordres, la SCI a assigné en réparation, notamment, la société Redel et ses assureurs de responsabilité décennale, les sociétés MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième moyens
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen
6. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande formée au titre du préjudice de jouissance, alors « que tous les dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l'ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de l'article 1792 du code civil ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « deux désordres feront l'objet d'une indemnisation » ; que sur le désordre 40, concernant les WC, elle a retenu que « ce désordre n'était pas visible lors de la réception et qu'il rend l'ouvrage impropre à sa destination. Il y a par conséquent lieu de dire que la responsabilité de la société Redel est engagée sur le fondement de la garantie décennale » ; que sur le désordre 64, concernant le non-respect des règles relatives à la sécurité contre les risques incendies, elle a observé que « l'expert a relevé qu'un interrupteur avait été installé sur une gaine technique dans le séjour annulant l'effet coupe-feu », et que « dès lors qu'il engendre un risque pour la sécurité des personnes, il rend l'ouvrage impropre à sa destination. Son caractère décennal est par conséquent acquis, la société Redel engageant sa responsabilité sur ce fondement » ; qu'en retenant néanmoins, pour la débouter de sa demande d'indemnisation au titre du préjudice de jouissance, que « la Sci Seppi ne rapporte pas la preuve d'un trouble de jouissance, ni a fortiori d'une privation, fût-elle partielle, de l'appartement », et « qu'en tout état de cause et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1792 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792 du code civil :
7. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.
8. Il s'ensuit que tous dommages, matériels et immatériels, consécutifs aux désordres de l'ouvrage, doivent être réparés par le constructeur tenu à garantie en application de ce texte.
9. Pour rejeter la demande formée par la SCI au titre d'un préjudice de jouissance, résultant de l'impossibilité d'habiter ou de louer l'appartement, l'arrêt retient que seuls deux désordres font l'objet d'une indemnisation, que la SCI ne rapporte pas la preuve d'un trouble de jouissance, ni a fortiori d'une privation, fût-elle partielle, de l'appartement et qu'en tout état de cause, et en raison du caractère mineur des désordres, aucun trouble de jouissance ne peut en résulter.
10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait retenu que deux désordres rendaient l'ouvrage impropre à sa destination, dont un en raison d'un risque pour la sécurité des personnes, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.
Et sur le quatrième moyen
Enoncé du moyen
11. La SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande formée au titre des autres frais exposés, alors « que les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans analyser, même sommairement, les éléments qui leur sont soumis par les parties au soutien de leurs prétentions ; que dans ses conclusions d'appel, la Sci Seppi faisait valoir que « ces frais ne sont ni arbitraires ni fantaisistes mais résultent de la réalité de la situation à laquelle la Sci Seppi a dû faire face depuis l'acquisition du bien immobilier en octobre 2011. De nombreux désordres affectent l'appartement qui n'a pas pu être habité conformément à sa destination. La Sci Seppi a été contrainte de recourir à de nombreux professionnels afin de poursuivre la prise en charge des désordres par la société Redel son vendeur. Le temps passé et les complications matérielles auxquelles la Sci Seppi a été confrontée font partie intégrante du préjudice qu'elle a subi du fait des carences de son vendeur. Les postes de ces préjudices sont chiffrés et justifiés » ; qu'à l'appui de ces écritures, la Sci Seppi produisait la pièce n° 14, répertoriant les factures qu'elle avait réglées pour la prise en charge des désordres subis ; qu'en se bornant à affirmer que « ne justifiant pas de la nécessité de l'engagement de ces frais ni de leur lien avec les désordres subis, (la Sci Seppi) sera déboutée de cette demande » sans analyser, même sommairement, la pièce n° 14 dont la Sci Seppi se prévalait dans ses écritures pour justifier des frais annexes engagés en raison des désordres subis, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 455 du code de procédure civile :
12. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé.
13. Pour rejeter la demande formée au titre de ses frais annexes, l'arrêt retient que la SCI ne justifie pas de la nécessité de l'engagement de ces frais ni de leur lien avec les désordres subis.
14. En statuant ainsi, sans examiner, fût-ce sommairement, les pièces produites par la SCI au soutien de sa demande, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
15. La cassation des chefs de dispositif relatifs au préjudice de jouissance et aux frais annexes n'emporte pas celle des chefs de dispositif de l'arrêt relatifs aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes formées par la société civile immobilière SEPPI au titre du préjudice de jouissance et au titre des autres frais exposés, l'arrêt rendu le 21 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne les sociétés Redel, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par les sociétés Redel, MMA IARD et MMA IARD assurances mutuelles et condamne la société Redel à payer à la société civile immobilière SEPPI la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-quatre.