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Décisions

Cass. 3e civ., 15 février 2024, n° 22-23.682

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

MAAF assurances (SA), Bageci expertise bâtiment génie civil expertise (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Brun

Avocats :

SARL Le Prado - Gilbert, SCP Duhamel, SCP Waquet, Farge et Hazan

Montpellier, du 29 sept. 2022

29 septembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Montpellier, 29 septembre 2022), en vue de la réalisation d'une maison d'habitation, M. et Mme [I] ont confié à M. [N], architecte, la mission de réaliser le dossier de permis de construire et de rédiger les documents de consultation des entreprises. La société Bageci est intervenue en qualité de bureau d'étude béton au stade de la conception.

2. Après obtention du permis de construire, M. et Mme [I] ont confié les travaux de gros oeuvre à la société Wil'Bat, assurée auprès de la société MAAF assurances.

3. Après achèvement des travaux, ils ont pris possession de la maison et réglé leur solde.

4. A la suite de l'apparition de fissures en façade, ils ont assigné, après expertise, les sociétés MAAF assurances, Wil'Bat, Bageci et M. [N], aux fins d'indemnisation.

5. En cours de procédure, M. et Mme [I] ont vendu l'immeuble en l'état, lequel a été détruit par l'acquéreur.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche, sur le quatrième moyen et sur le cinquième moyen, pris en sa seconde branche

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le premier moyen Enoncé du moyen

7. M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de mettre hors de cause M. [N], alors « que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; qu'en se fondant pour exclure la responsabilité de l'architecte à l'origine des fissures de nature décennale affectant la maison, sur la circonstance que les désordres ne seraient pas imputables à l'intervention de ce dernier puisqu'il avait conseillé aux maitres de l'ouvrage de faire réaliser l'étude de sol qui aurait permis d'éviter le sinistre, sans caractériser l'existence d'une cause étrangère exonératoire de la responsabilité de l'architecte, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

8. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, une telle responsabilité n'ayant point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

9. L'architecte, auteur d'un projet architectural et chargé d'établir les documents du permis de construire, doit proposer un projet réalisable, tenant compte des contraintes du sol (3e Civ, 21 novembre 2019, pourvoi n° 16-23.509, publié).

10. Pour mettre hors de cause M. [N], l'arrêt retient que celui-ci s'était vu confier la mission d'établir les avants-projets, ainsi que les dossiers de permis de construire et de consultation des entreprises, et avait conseillé aux maîtres de l'ouvrage de faire réaliser une étude de sol, puisque celle-ci était expressément mentionnée dans les documents préparés par l'architecte, étude qui aurait permis d'éviter le sinistre.

11. En statuant ainsi, alors que les désordres de fissures en façade tenant à l'absence de prise en compte des contraintes du sol étaient imputables à l'architecte, et sans caractériser l'acceptation délibérée des risques par les maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
12. M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de mettre hors de cause la société Bageci, alors :

« 1°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; qu'une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère ; qu'en se fondant pour exclure la responsabilité de la société Bageci, experte en génie civil, à l'origine des fissures de nature décennale affectant la maison, sur la circonstance que cette société qui a réalisé les plans de structures a averti les maitres de l'ouvrage de la nécessité d'une étude géotechnique, sans caractériser l'existence d'une cause étrangère exonératoire de la responsabilité du constructeur, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil.

2°/ que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ; c'est au constructeur chargé de l'établissement des plans de structures, qui entend échapper à sa responsabilité décennale qu'il incombe de démontrer que ses plans n'auraient pas été transmis à l'entrepreneur et n'auraient pas été utilisés pour édifier les ouvrages frappés de désordres ; qu'en faisant peser la charge de cette preuve sur les maitres de l'ouvrage, la cour d'appel a violé l'article 1792 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

13. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination, une telle responsabilité n'ayant point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

14. Il appartient au locateur d'ouvrage, dont la responsabilité de plein droit est engagée sur le fondement de l'article 1792 du code civil, de démontrer la cause étrangère, exonératoire de responsabilité.

15. Pour mettre hors de cause la société Bageci, l'arrêt retient que celle-ci a réalisé les plans de structures du dossier de consultation des entreprises mais a averti les maîtres de l'ouvrage de la nécessité de dimensionner les fondations après réalisation d'une étude de sol et que ceux-ci ne démontrent pas que ces plans ont été transmis à la société Wil'Bat et utilisés pour édifier les ouvrages frappés de désordres.

16. En statuant ainsi, alors qu'il appartient au locateur d'ouvrage de démontrer l'existence d'une cause étrangère l'exonérant de sa responsabilité et sans caractériser celle-ci, la cour d'appel, qui a inversé la charge de la preuve, a violé le texte susvisé.

Sur le troisième moyen, pris en sa deuxième branche Enoncé du moyen

17. M. et Mme [I] font grief à l'arrêt de limiter la condamnation de la société MAAF assurances à une certaine somme, alors « que le maitre de l'ouvrage ne peut accepter délibérément les risques de non réalisation d'une étude du sol que s'il a été informé de la nécessité de réaliser cette étude et qu'en outre son attention a été attirée sur les risques encourus en cas de non réalisation de cette étude ; en se fondant pour retenir une acceptation du risque par les maitres de l'ouvrage de nature à emporter une exonération partielle de la responsabilité de la société Wil'Bat, exclusivement sur l'existence d'une information concernant la nécessité de réaliser une campagne de sondage portée sur le CCTP établi par l'architecte et sur l'existence d'une mention « sous réserve de l'étude du sol » portée sur les plans de la société Bageci, quand ces informations et mentions n'ont pas pour objet d'informer les maitres de l'ouvrage sur le risque encouru en l'absence de réalisation de cette étude, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1792 du code civil. 

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792 du code civil :

18. En application de ce texte, le locateur d'ouvrage est exonéré, totalement ou partiellement, de sa responsabilité lorsque, ayant conseillé et mis en garde le maître de l'ouvrage sur les risques encourus par l'ouvrage à défaut de suivre ce conseil, le maître de l'ouvrage, parfaitement informé, passe outre et accepte ainsi délibérément ces risques.

19. Pour retenir l'acceptation délibérée des risques par les maîtres de l'ouvrage et limiter leur indemnisation, l'arrêt retient qu'ils ont été informés par l'architecte de la nécessité de faire procéder à une étude de sol indispensable à la conception de fondations adaptées aux contraintes de celui-ci, nécessité rappelée par le bureau d'études techniques sur ses plans portant la mention « sous réserve de l'étude de sol » et que M. [I] disposait des connaissances élémentaires de mécanique des sols et de résistance des matériaux pour comprendre aisément le danger d'effondrement inhérent à un bâtiment mal ancré dans le sol, de sorte qu'il était conscient des conséquences fâcheuses susceptibles de découler de l'absence d'une telle étude.

20. En se déterminant ainsi, sans caractériser en quoi les maîtres de l'ouvrage avaient été parfaitement mis en garde et informés, par les locateurs d'ouvrage, des risques encourus par l'ouvrage à défaut de suivre le conseil donné de réaliser une étude de sol, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

Portée et conséquences de la cassation

21. La cassation étant prononcée du chef de dispositif ayant limité à une certaine somme le préjudice subi par M. et Mme [I], il n'y a pas lieu de statuer sur le cinquième moyen, pris en sa première branche, relatif à l'évaluation du préjudice subi, évaluation qui devra nécessairement être réexaminée par la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il met hors de cause M. [N] et la société Bageci, limite la condamnation de la société MAAF assurances à payer à M. et Mme [I] la somme de 174 168 euros en réparation de leur préjudice matériel et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 29 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Nïmes ;

Condamne les sociétés MAAF assurances, Bacegi et M. [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société MAAF assurances et par M. [N] et les condamne in solidum avec la société Bageci à payer à M. et Mme [I] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-quatre.