Cass. 3e civ., 6 juin 2024, n° 22-24.047
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
MJPA (SELARL), Axa France IARD (SAS), Mutuelle des architectes français (MAF)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Vernimmen
Avocats :
SARL Gury et Maitre, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Pau, 4 octobre 2022), Mme [B] a acquis un hôtel afin de le transformer en appartements dont plusieurs ont été vendus par l'intermédiaire de la société Agence immobilière [B].
2. La réalisation de ces travaux a été confiée à la société IDBTP, assurée auprès de la société Axa France IARD (la société Axa), sous la maîtrise d'oeuvre de la société [W] [G], assurée auprès de la Mutuelle des architectes français (la MAF).
3. Mme [B] se plaignant de retards et d'un abandon de chantier, une mesure d'expertise a été ordonnée au contradictoire de la société IDBTP par un arrêt du 18 décembre 2006.
4. Par jugement du 1er décembre 2015, Mme [B] et la société Agence immobilière [B] ont été condamnées à indemniser le syndicat des copropriétaires et plusieurs copropriétaires de leurs préjudices matériels et de jouissance.
5. Par actes des 27 avril, 4 et 10 mai 2016, elles ont assigné les sociétés Axa, [W] [G], désormais en liquidation judicaire, et la MAF en garantie des condamnations prononcées à leur encontre.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en sa première branche Enoncé du moyen
6. Mme [B] fait grief à l'arrêt de la déclarer recevable mais mal fondée à agir en garantie décennale ou en responsabilité civile de droit commun pour dommages intermédiaires et de rejeter ses demandes indemnitaires, alors « que l'achèvement de l'ouvrage n'est pas une condition préalable de sa réception ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a retenu que la réception supposait « l'existence d'un ouvrage suffisamment avancé pour être utilisable conformément à l'objet pour lequel il avait été réalisé » et que « les réalisations étaient donc réduites et c'est d'ailleurs le sens des courriers adressés par Mme [B] aux copropriétaires et au syndicat des copropriétaires qui ne pouvaient entrer dans les lieux » ; qu'en subordonnant ainsi la réception de l'ouvrage à un état d'achèvement suffisant, la cour d'appel a violé l'article 1792-6 du code civil. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1792-6 du code civil :
7. Il résulte de ce texte que la réception de l'ouvrage peut être tacite si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage d'accepter cet ouvrage est établie.
8. L'achèvement de l'ouvrage n'étant pas une condition de la réception (3e Civ., 11 février 1998, pourvoi n° 96-13.142, publié), un ouvrage non achevé peut être réceptionné tacitement dès lors qu'est caractérisée la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux en l'état où ils se trouvaient à la suite d'un abandon de chantier.
9. Pour déclarer recevables les demandes indemnitaires du maître de l'ouvrage fondées sur la réception tacite et les rejeter, l'arrêt énonce que la reconnaissance de la réception d'un ouvrage inachevé suppose, soit un accord exprès passé sans fraude entre les parties, soit, à défaut, l'existence d'un ouvrage suffisamment avancé pour être utilisable conformément à l'objet pour lequel il avait été réalisé.
10. Puis, il relève que, selon le rapport d'expertise judiciaire, les réalisations de la société IDBTP étaient réduites par rapport aux sommes que celle-ci avait encaissées et que le syndicat des copropriétaires et les copropriétaires ne pouvaient pas entrer dans les lieux, de sorte que ces circonstances étaient incompatibles avec une réception par le maître de l'ouvrage.
11. En statuant ainsi, alors que la réception tacite par le maître de l'ouvrage d'un immeuble d'habitation n'est pas soumise à la constatation par le juge que cet immeuble est habitable, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
12. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt déclarant Mme [B] recevable mais mal fondée à agir en garantie décennale ou en responsabilité civile de droit commun pour dommages intermédiaires et rejetant ses demandes indemnitaires entraîne la cassation du chef de dispositif déclarant Mme [B] irrecevable à agir en responsabilité contractuelle de droit commun (hors dommages intermédiaires) contre les sociétés IDBTP et [W] [G], qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire. En effet, il y a lieu de déterminer au préalable le régime de responsabilité applicable aux constructeurs dont le choix dépend de l'existence d'une réception avant de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de Mme [B].
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare Mme [B] recevable mais mal fondée à agir en garantie décennale ou en responsabilité civile de droit commun pour dommages intermédiaires et rejette ses demandes indemnitaires ;
- déclare Mme [B] irrecevable à agir en responsabilité contractuelle de droit commun (hors dommages intermédiaires) contre les sociétés IDBTP et [W] [G] ;
- et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ;
l'arrêt rendu le 4 octobre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Pau ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne les sociétés Axa France IARD, Philae, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société [W] [G], et la Mutuelle des architectes français aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six juin deux mille vingt-quatre.