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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 6 juin 2024, n° 22/01240

MONTPELLIER

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Époux

Défendeur :

Allianz (S.A), Société Acasta European Insurance Company LTD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. SOUBEYRAN

Conseillers :

M. BRUEY, Mme FRANCO

Avocats :

SELARL GFG Avocats, SCP CASCIO, CASCIO ORTAL, DOMMEE, MAR, Me GAVEN, SARL LK AVOCATS

TJ BEZIERS, du 31 janv. 2022

31 janvier 2022

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

La SCI [Y] N&K est propriétaire d'un immeuble situé [Adresse 3] à [Localité 6] qu'elle a acheté en vue de le rénover et d'en faire quatre logements destinés à la location.

Ses associés sont M. [X] [Y] et Mme [N] [V] épouse [Y] (ci-après époux [Y]).

Suivant contrat du 22 mars 2017, la SCI [Y] N&K a confié à la SAS Entreprise [S] des travaux de rénovation de l'immeuble, lots « démolition, plomberie, électricité, placo», moyennant le prix de 51 165,60 € TTC.

Suivant contrat du 9 mai 2017, la SAS Entreprise [S] a sous-traité à la SAS Construct Inov 66 les travaux de rénovation en quatre appartements moyennant le prix total HT de 37 000 €.

Constatant des retards dans l'exécution des travaux et des désordres en cours de chantier, la SCI [Y] N&K a sollicité une expertise privée amiable confiée à Mme [E] [T], qui a déposé son rapport le 26 août 2017.

 
 

Par courriers des 6 septembre et 2 octobre 2017, le maître d'ouvrage a vainement mis en demeure la SAS Entreprise [S] de reprendre les désordres constatés et de poursuivre le chantier confié.

Le 18 octobre 2017, la SAS Construct Inov 66 a été placée en liquidation judiciaire.

Par ordonnance du 5 décembre 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Béziers a ordonné une expertise judiciaire. Par la suite, les opérations d'expertise ont été rendues communes et opposables à la société Acasta European Insurance Company Ltd, en sa qualité d'assureur de la SAS Construct Inov 66, à Me [B] [D], mandataire- liquidateur de la SAS Construct Inov 66 et à la SA Allianz Iard, en sa qualité d'assureur de la SAS Entreprise [S].

Le 19 février 2019, M. [H] [G] [C], expert, a déposé son rapport.

Par acte du 29 avril 2019, la SCI [Y] N&K, M. [X] [Y] et Mme [N] [Y] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Béziers la SAS Entreprise [S], M. [L] [S], la SA Allianz Iard et la société Acasta European Insurance Company Ltd en réparation de leurs préjudices.

Par arrêt du 10 décembre 2020, la cour d'appel de Montpellier, statuant sur appel de l'ordonnance du juge de la mise en état de Béziers, a notamment condamné la SAS Entreprise [S] à payer à la SCI [Y] N&K une somme provisionnelle de
30 000 € à valoir sur le montant de l'indemnisation des travaux résultants de l'abandon de chantier et une somme provisionnelle de 1 500 € à valoir sur les frais de procédure.

Par jugement contradictoire du 31 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Béziers a :

Jugé qu'il n'y a pas eu de réception des travaux ;
Déclaré que la SAS Entreprise [S] a engagé sa responsabilité civile contractuelle ; Rejeté la demande de contre-expertise présentée par l'entreprise [S] ; Condamné la SAS Entreprise [S] à payer à la SCI [Y] N&K les sommes suivantes : 56 210,41 € au titre des travaux de reprise des désordres ;
28 982,33 € au titre des dommages-intérêts ;
480,69 € au titre des travaux urgents préconisés par l'expert judiciaire ;
4 800 € au titre du coût de la maîtrise d'oeuvre ;

 

20 000 € au titre de la perte de chance de mettre les appartements en location le tout assorti des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2019, avec capitalisation en application de l'article 1154 ancien du code civil ;

Dit que la provision allouée à hauteur de 30 000 € à la SCI [Y] N&K sera déduite des condamnations prononcées à l'encontre de la SAS Entreprise [S] ;

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte ;

Condamné la SAS Entreprise [S] à payer à M. [Y] une somme de 2 500 € en réparation de son préjudice moral;

Condamné la SAS Entreprise [S] à payer à Mme [Y] une somme de 2 500 € en réparation de son préjudice moral;

Débouté la SCI [Y] N&K, M. et Mme [Y] de leur demande en responsabilité à l'encontre de M. [S] ;

Mis hors de cause la SA Allianz Iard et la société Acasta European Insurance Company Ltd ;

Condamné la SAS Entreprise [S] à payer à la SCI [Y] N&K, M. et Mme [Y] une somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la SCI [Y] N&K, M. et Mme [Y] du surplus de leurs demandes indemnitaires ;

Débouté la SA Allianz Iard et la société Acasta European Insurance Company Ltd de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamné la SAS Entreprise [S] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ; Ordonné l'exécution provisoire.

Le 3 mars 2022, la SCI [Y] N&K et les époux [Y] ont relevé appel de ce jugement.

Par dernières conclusions remises par voie électronique le 24 octobre 2022, la SCI [Y] N&K, Monsieur [X] [Y] et Madame [N] [V] épouse [Y] demandent à la cour, sur le fondement des articles 1103, 1231-1, 1240, 1343-2 et 1792 et suivants code civil, des articles L124-3, L241-1 et 2, L242-1 et A243-1 du code des assurances, de l'article 515 du code de procédure civile, de l'article L131-1 du code des procédures civiles d'exécution, de :

Infirmer le jugement sur les dispositions dont appel ;
Statuant à nouveau,
Recevoir l'appel de la SCI [Y] N&K, des époux [Y], en la forme et au fond la disant bien fondé ;

1 500 € au titre de la destruction des cheminées ;

Prononcer une réception expresse, à tout le moins tacite, des travaux le 4 août 2017 ;

Condamner solidairement les sociétés Entreprise [S], Acasta European Insurance et Allianz à régler à la SCI [Y] N&K les sommes suivantes :

166 571,14 € au titre des travaux de reprise évalués par l'expert augmenté de 50 % pour tenir compte de la hausse des prix dans le secteur du bâtiment ;

700 € en remboursement des frais relatifs à l'enlèvement des gravats ; 96 000 € au titre du préjudice de jouissance arrêté au 12 mai 2022 ;
4 000 € au titre de la consignation d'expertise ;
4 256 € au titre des frais d'assistance technique par expert ;

2 700 € au titre des frais d'avocat réglés avant l'instance au fond ;

3 000 € au titre du préjudice résultant de la destruction des cheminées ;

10 000 € de dommage et intérêts au titre de l'absence de proposition de souscrire une assurance dommage-ouvrage ;

5 000 € au titre du préjudice moral ;

Assortir les condamnations à intervenir des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure du 21 mars 2019, et jusqu'à parfait paiement ;

Ordonner la capitalisation des intérêts ;

Condamner la SAS Entreprise [S] à une astreinte de 200€ par jour de retard dans l'exécution des condamnations mises à sa charge, cette astreinte étant due tant que la totalité des sommes allouées à la SCI [Y] N&K n'aura pas été intégralement payée ;

Condamner solidairement les sociétés Entreprise [S], Acasta European Insurance et Allianz à régler à la SCI [Y] N&K, la somme mensuelle de 1 560 € au titre du préjudice de jouissance à compter du 12 mai 2022 et jusqu'à complet paiement des sommes dues pour reprendre et achever les travaux ;

Condamner solidairement les sociétés Entreprise [S], Acasta European Insurance et Allianz à régler aux époux [Y] la somme de 5 000 € chacun au titre de leur préjudice moral ;

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la cour estimerait qu'une partie des travaux n'est pas couverte par les contrats d'assurance décennale souscrits,

condamner M. [S] à garantir la SAS Entreprise [S] pour le paiement des sommes allouées non garanties par Acasta European Insurance et Allianz ;

 

A titre principal :

débouter les sociétés Entreprise [S], Acasta European Insurance et Allianz de leurs demandes,

condamner solidairement les sociétés Entreprise [S], Acasta European Insurance et Allianz aux dépens et à payer la somme de 11 593 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 2 août 2022, la SAS Entreprise [S] et Monsieur [L] [S] demandent à la cour, sur le fondement de l'article 1315 du code civil, de :

A titre principal :

Réformer le jugement en toutes ses dispositions,
Juger que la SCI [Y] N&K ne démontre pas que la responsabilité de la société Entreprise [S] est engagée; Débouter la SCI [Y] N&K de l'intégralité de ses demandes ;

A titre subsidiaire,

Désigner tel nouveau expert qu'il plaira à la cour d'appel de Montpellier de commettre avec pour mission de :

Se rendre sur les lieux, les parties dûment convoquées ;

Les entendre en leurs dires et explications ;

Se faire remettre tous documents en rapport avec le litige et notamment le rapport d'expertise déposé le 19 février 2019 ;

Examiner tous les devis de reprises des travaux qui lui seront transmis ; Chiffrer les travaux de reprises nécessaires par rapport aux travaux devisés ;

A titre très subsidiaire,

Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SCI [Y] N&K de ses demandes portant sur : L'augmentation de 50 % du coût des travaux de reprise et des travaux de finition ;
La facturation supplémentaire (enlèvement des gravats) ;
L'absence de souscription d'une assurance dommages-ouvrage ;

En tout état de cause,

La demande d'astreinte pour s'assurer du paiement effectif des condamnations ;
Infirmer le jugement en ses autres dispositions,
Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre extrêmement subsidiaire (au visa de l'article 1792 du code civil) :

Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SCI [Y] N&K de ses demandes portant sur : L'augmentation de 50 % du coût des travaux de reprise et des travaux de finition ;
La facturation supplémentaire (enlèvement de gravats) ;
L'absence de souscription d'une assurance dommages-ouvrage ;

La demande d'astreinte pour s'assurer du paiement effectif des condamnations ;

Infirmer le jugement déféré en ses autres dispositions ;

Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de leurs demandes, sauf à les ramener à de plus justes proportions ;

Déduire des réclamations de la SCI [Y] N&K la somme de 12 940,60 € TTC, soit 11 764,18 € HT au titre des sommes restant dues ;

Condamner solidairement les sociétés Acasta European Insurance et Allianz Iard à relever et garantir la société Entreprise [S] de l'intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

En toutes hypothèses :

Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de leurs demandes formées à titre subsidiaire contre M. [S], dirigeant de la société Entreprise [S] ;

Condamner solidairement la SCI [Y] N&K et les époux [Y] à verser au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

à la société Entreprise [S], la somme de 3 000 €; à M. [S], la somme de 3 000 € ;
Statuer ce que de droit concernant les dépens.

 
 

Fixer la part de responsabilité de la société [S], au minimum, à 60 % ;

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 11 août 2022, la société Acasta European Insurance Company Ltd demande à la cour, sur le fondement des articles 1134 [devenu l'article 1103] du code civil, 1792 et suivants du code civil, des articles L.113-1, L.241-1, L.242-1 et A.243-1 du code des assurances, de :

A titre principal,

Confirmer le jugement en ce qu'il a jugé qu'il n'y a pas eu réception des travaux et a mis hors de cause la SA Allianz Iard et la société Acasta European Insurance Company Ltd;

Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de l'ensemble de leurs demandes formées à son encontre ; A titre subsidiaire,

Ecarter l'inapplicabilité du contrat d'assurance souscrit par la SAS Construct Inov 66 auprès de la compagnie Acasta au titre du présent litige ;

Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de leurs demandes de condamnations telles que formulée à l'encontre de la compagnie Acasta ;

Déclarer que la garantie décennale de la compagnie Acasta n'est pas mobilisable en l'absence de réception des travaux, et en tout état de cause, en présence de désordres apparents;

Déclarer que la garantie responsabilité civile professionnelle de la compagnie Acasta n'est pas mobilisable au regard des conditions et exclusions contractuellement prévues ;

Débouter la SCI [Y] N&K et les époux [Y] de leurs demandes de condamnations telles que formulée à l'encontre de la compagnie Acasta ;

Rejeter la demande de la SCI [Y] N&K et des époux [Y] sollicitant l'augmentation de 50 % de l'indemnisation au titre des coûts de reprise ;

Limiter le montant susceptible d'être pris en charge par la compagnie Acasta au titre des travaux de reprise à la somme totale de 6 710 € TTC ;

Limiter la condamnation de la compagnie Acasta au titre de préjudice de jouissance à la somme maximale de 1 560 €, correspondant à une perte de chance de 50 % sur 2 mois de pertes locatives ;

Rejeter les demandes de réformation de la SCI [Y] N&K et des époux [Y] au titre de la destruction de leur cheminée ;

Rejeter les demandes de réformation de la SCI [Y] N&K et des époux [Y] au titre de la souscription d'une assurance dommages-ouvrage ;

Rejeter les demandes de réformation des époux [Y] au titre de leur supposé préjudice moral ;

Rejeter les demandes de réformation de la SCI [Y] N&K et des époux [Y] au titre de la supposée facturation supplémentaire ;

Faire application des franchises contractuelles prévues au contrat souscrit par la SAS Construct Inov 66 auprès de la compagnie Acasta, à savoir :

2 000 € au titre de la garantie décennale ;

2 000 € au titre de la garantie « Responsabilité civile exploitation » pour les dommages matériels ;

2 000 € au titre de la garantie « Responsabilité civile exploitation » pour les dommages immatériels ;

Faire application des plafonds de garantie prévus au contrat souscrit par la SAS Construct Inov 66 auprès de la compagnie Acasta à savoir :

250 000 € au titre de la garantie « Responsabilité civile exploitation » pour les dommages matériels ; 25 000 € au titre de la garantie « Responsabilité civile exploitation » pour les dommages immatériels;

Débouter la SCI [Y] N&K et des époux [Y], la société [S], Monsieur [S] et la SA Allianz Iard de leurs demandes contraires aux présentes ;

Condamner in solidum la SCI [Y] N&K, les époux [Y] et tout succombant aux dépens de première instance et d'appel, lesquels seront directement recouvrés par Maître Virginie Bertran, avocat au barreau de Montpellier, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et à lui payer la somme de 4 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 8 août 2022, la SA Allianz Iard demande à la cour, sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, de :

confirmer le jugement sur sa mise hors de cause ;

condamner les appelants ou toute autre partie succombante aux dépens et au paiement de la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu l'ordonnance de clôture du 13 mars 2024.

A l'audience du 3 avril 2024, les parties ont été invitées à fournir leurs observations au sujet des difficultés suivantes :

il y a une erreur dans la déclaration d'appel où apparaît le faux nom de « [N] [X] », alors que son nom est : «[N] [V] épouse [Y] » (d'après sa carte nationale d'identité) ;

En tout état de cause,

L'appellation complète de l'assureur Acasta est : « Acasta European Insurance Company Limited », selon la police d'assurance versée au débat.

En réponse, les notes en délibéré suivantes ont été reçues :

Le 4 avril 2024, Me Bleicher Paly indique qu'il intervient dans l'intérêt de la compagnie « Acasta European Insurance Company Ltd » et qu'il ne s'oppose pas à la rectification d'erreur matérielle concernant Mme [N] [V] épouse [Y] ;

Le 4 avril 2024, Me Dommee aux intérêts de la société Allianz indique accepter la modification de l'erreur matérielle concernant Mme [N] [V] épouse [Y] ;

Le 15 avril 2024, Me Gaven a indiqué ne pas s'opposer à la modification de l'erreur matérielle concernant le nom de Mme [Y].

Au regard de ces réponses et des justificatifs fournis, la cour retiendra donc les véritables identités comme suit :

Le nom « [N] [X] » est remplacé par : « [N] [V] épouse [Y] » ;
L'assureur « Acasta » est en réalité : « Acasta European Insurance Company Ltd ».

Pour un plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

Rappel sur les intervenants à l'opération de construction

Il résulte des débats et des pièces produites que :

Par devis du 22 mars 2017, la SCI [Y] N&K, maître d'ouvrage, a confié des travaux de rénovation de l'immeuble litigieux à la SAS Entreprise [S] ;

 

Ces deux entreprises sont les seules à être intervenues ; aucun architecte ni aucun maître d'oeuvre n'a été désigné ;

Selon le rapport d'expertise judiciaire de M. [H] [G] [C], le démarrage des travaux est daté du 9 mai 2017 ;

L'expert a retenu que le chantier avait été abandonné en août 2017 ;

La SA Allianz Iard est recherchée comme assureur de la SAS Entreprise [S], entreprise principale ;

La société Acasta European Insurance Company Ltd est recherchée comme assureur de la SAS Construct Inov 66, sous- traitante.

Sur la réception des travaux

Le premier juge a estimé qu'il n'y avait pas eu de réception des travaux.

Aux termes de l'article 1792-6 du code civil, la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement.

La réception est le point de départ unique, selon l'article 1792-4-1 et suivants du code civil, des trois garanties légales (décennales, biennales ou de parfait achèvement).

En l'espèce, la SCI [Y] N&K soutient qu'il y a eu une réception expresse, et à défaut tacite, le 4 août 2017.

Toutefois, la cour adopte les motifs par lesquels le premier juge a retenu qu'il n'y a pu avoir de réception dans le présent dossier pour les raisons suivantes :

Aucune réception formelle des travaux n'a été prononcée ;

Il n'a jamais été question d'une réception lors de l'expertise privée de Madame [T] du 4 août 2017, dont le rapport liste l'ensemble des réclamations de la SCI [Y] N&K ;

Postérieurement à cette expertise amiable, le conseil de la SCI [Y] N&K a mis en demeure la SAS Entreprise [S], dans un courrier du 2 octobre 2017, de « reprendre le chantier », ce qui exclut que les travaux aient pu être réceptionnés auparavant ;

La SAS Entreprise [S] a sous-traité les travaux à la SAS Construct Inov 66, par contrat du 9 mai 2017 ;

Sur la mise hors de cause de la SA Allianz Iard

Il est de principe que l'assurance construction obligatoire ne couvre que la réparation des désordres de nature décennale.

En l'espèce, dès lors qu'il n'y a aucun désordre de ce type, la cour ne peut qu'adopter les motifs du premier juge s'agissant du rejet de l'action directe de la SCI [Y] N&K à l'encontre de la SA Allianz Iard en sa qualité d'assureur de responsabilité décennale de la SAS Entreprise [S].

Il en est de même au titre de l'assurance de responsabilité civile professionnelle, puisque le chantier a été abandonné par la SAS Entreprise [S] et que les conditions générales du contrat d'assurance versées au débat prévoient au titre des exclusions de garantie les dommages résultant de tout arrêt de travaux.

L'expert judiciaire, M. [H] [G] [C], a également conclu qu'il ne considérait pas « qu'il y a prise de possession du bien par la SCI [Y] N&K et donc [il] ne considér[ait] pas qu'il y a une réception tacite » (page 70 du rapport d'expertise judiciaire).

En conséquence, en l'absence de preuve d'une réception expresse ou tacite, la SCI [Y] N&K doit être déboutée de toutes ses prétentions fondées sur l'application des garanties légales prévues par les articles 1792 et suivants du code civil.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'il n'y a eu aucune réception des ouvrages inachevés, et que le maître d'ouvrage était irrecevable à agir sur le fondement de la garantie légale des constructeurs.

C'est donc également à bon droit que le premier juge a rejeté, en conséquence, la demande en garantie auprès des assureurs sur le fondement de la garantie décennale, étant observé que les désordres étaient de toute façon apparents dans leur ampleur et leurs conséquences à la date de l'expertise amiable de Mme [T], ce qui exclut de plus fort l'application de la garantie décennale.

 

Sur la mise hors de cause de la société Acasta European Insurance Company Ltd

Le premier juge a estimé que la société Acasta European Insurance Company Ltd, assureur de la SAS Construct Inov 66, entreprise sous-traitante, devait également être mise hors de cause car les travaux ont démarré avant la souscription du contrat d'assurance.

Pour les mêmes raisons que la SA Allianz Iard, la société Acasta European Insurance Company Ltd ne saurait voir sa responsabilité engagée au titre de la garantie décennale en l'absence de désordres de nature décennale.

Concernant la garantie « Responsabilité civile professionnelle » de cette compagnie d'assurances, il ressort des conditions générales et particulières du contrat d'assurances que la SAS Construct Inov 66 est assurée auprès de la société Acasta European Insurance Company Ltd depuis le 15 mai 2017, de sorte que « les chantiers démarrés antérieurement à la date d'effet ne sont pas couverts ».

La SCI [Y] N&K conteste l'opposabilité de ces conditions générales et particulières au motif que ces documents ne sont pas signés. Toutefois, l'attestation d'assurance produite par l'entreprise comporte les mêmes références que les conditions particulières, ce qui manifeste la volonté de l'entreprise de souscrire à cette police avec toutes ses conditions d'application (Civ. 3ème, 17 octobre 2019, n°18-17.058).

La SCI [Y] N&K ne produit pas la déclaration d'ouverture du chantier. Elle échoue donc à rapporter la preuve d'un commencement effectif des travaux à la date de la souscription du contrat d'assurances par la SAS Construct Inov 66.

En outre, il ressort du contrat de sous-traitance et du rapport d'expertise judiciaire que les travaux ont démarré le 9 mai 2017 ce qui a été confirmé par Monsieur [Y] selon le rapport d'expertise judiciaire (page 33). Les travaux ayant démarré antérieurement à la date d'effet du contrat (15 mai 2017), ils ne peuvent être couverts par la société Acasta European Insurance Company Ltd.

A titre surabondant, il ressort des conditions générales du contrat d'assurances que sont exclus de la garantie les frais

Par voie de conséquence, la SA Allianz Iard a été, à juste titre, mise hors de cause.

24 désordres et non-conformités sont à déplorer, notamment:

 

engagés pour réparer, parachever ou refaire le travail (page 26/71), ce qui exclut toute prise en charge en l'espèce de travaux abandonnés en cours de chantier.

C'est donc à bon droit que le premier juge a dit que les garanties souscrites auprès de la compagnie Acasta ne sont pas mobilisables et qu'elle doit être mise hors de cause.

Sur la responsabilité personnelle de M. [L] [S]

La SCI [Y] N&K sollicite la condamnation de M. [L] [S] à garantir la SAS Entreprise [S] pour le paiement des sommes allouées non garantie par les assureurs, en raison de ce que, selon elle, il a sciemment accepté des travaux n'entrant pas dans l'objet social de la société et qui n'était pas couverts par une assurance décennale.

Toutefois, cette demande de condamnation personnelle de M. [S] ne peut aboutir pour les raisons suivantes :

M. [S] n'est pas le garant de la SAS Entreprise [S] qu'il dirige, cette société ayant une personne morale autonome ;

La circonstance alléguée de la non-souscription ou de la non-vérification de la souscription de l'assurance civile décennale par son sous-traitant est inopérante car les conditions de l'article 1792 du code civil ne sont pas réunies puisqu'il n'y a pas eu de réception de l'ouvrage. L'éventuel manquement du dirigeant n'a causé en l'espèce aucun dommage à la SCI [Y] N&K.

C'est donc à bon droit que le premier juge a rejeté la demande en condamnation de Monsieur [L] [S] en l'absence de préjudice et faute de rapporter la preuve d'une faute personnelle autre séparable de ses fonctions de dirigeant de la SAS entreprise [S].

Sur la responsabilité civile contractuelle de la SAS Entreprise [S]

L'expert judiciaire, M. [H] [G] [C], a constaté, dans un rapport clair et dépourvu d'ambiguïté dont il convient d'adopter les conclusions et avis techniques, que':

des désordres portant sur l'absence d'isolation thermique et acoustique du plafond de la salle d'eau du rez-de-chaussée et corrélativement du plancher de la salle de bain de l'étage, ladite isolation en cours d'exécution n'ayant pas été terminée ;

des désordres sur les menuiseries ;

des désordres sur le garde-corps de l'escalier qui bouge et est dangereux (page 38) ;

un dépassement au niveau du placoplâtre par rapport au cadre de porte ;

le réseau d'assainissement des appartements qui ne comprend aucune isolation phonique (page 41) ;

l'absence de colonnes montantes dans l'immeuble et la découverte de raccords électriques avec dominos derrière les plaques de placoplâtre démontées, ceci sans respect de la réglementation applicable (page 41) ;

l'absence de ventilation mécanique contrôlée (VMC) (page 42) ;
les travaux non terminés de placoplâtres au rez-de-chaussée en ce compris la salle de bains (pages 42 et 43) ;

La responsabilité de la SAS Entreprise [S] est engagée par l'absence du respect des règles de l'art, l'absence du respect du délai de livraison et l'abandon de chantier de la part de son sous-traitant qu'elle a pris sans le consentement du maître de l'ouvrage (page 72).

C'est à tort que la SAS Entreprise [S] tente de s'exonérer de sa responsabilité en expliquant que le chantier a été géré « à l'économie » par la SCI [Y] N&K et en ce qu'elle n'aurait eu qu'une mission limitée et n'était pas chargée du « gros
oeuvre ». En effet, il lui appartenait, en tant que professionnelle, de refuser le devis si elle estimait ne pas être en mesure de réaliser les travaux en l'état et en particulier sans maître d'oeuvre.

Quant à l'allégation selon laquelle, la SCI [Y] N&K lui aurait interdit l'accès au chantier, elle ne repose sur aucune des pièces versées au débat, étant observé qu'elle a été tout au contraire vainement mise en demeure de reprendre le chantier.

En conséquence, la SAS Entreprise [S], qui ne démontre pas l'existence d'une cause étrangère susceptible de l'exonérer de sa responsabilité, devra être déclarée responsable de l'ensemble des désordres constatés et de l'abandon du chantier à la date du 4 août 2017 au titre de sa responsabilité contractuelle de droit commun fondée sur l'article 1231-1 [article 1147 ancien] du code civil.

Sur les travaux de reprise

L'expert judiciaire a fait une description précise et motivée des travaux de reprise des désordres précités, ainsi qu'une estimation de leurs coûts qui ne sont pas contestés sérieusement par les parties et qui méritent d'être retenus (pages 75

 

à 78 du rapport). La demande d'une nouvelle expertise formulée par la SA Entreprise [S] qui ne repose sur aucun argument sérieux, doit être rejetée.

Le coût des travaux à entreprendre a été estimé par l'expert à une somme totale de 92 140,10 euros hors taxe soit une somme de 110 568,12 euros TTC (page 78 du rapport). Cette somme comprend le chiffrage des travaux de reprise des ouvrages déjà réalisés, soit une somme de 46 842,01 euros hors taxe et de 56 210,41 euros avec une TVA de 20 % et le coût des travaux restant à réaliser par suite de l'abandon de chantier en ce compris les travaux des colonnes montantes et de la VMC qui auraient dû être prévus au devis conformément à la réglementation obligatoire.

C'est à juste titre que le tribunal n'a pas retenu une somme supplémentaire de 960 euros pour le nettoyage du carrelage alors que le devis prévoyait déjà un le nettoyage de tous les sols.

C'est à juste titre que le tribunal a retenu la responsabilité de la SAS Entreprise [S] au regard d'un manquement à son devoir de conseil dès lors qu'en l'absence de maîtrise d'oeuvre, elle se devait de veiller au respect de la réglementation en matière d'immeuble collectif.

C'est à bon droit que le premier juge a condamné la SAS [S] à régler la somme de 28 982,33 euros à la SCI [Y] N&K au titre des dommages et intérêts s'agissant de la demande en paiement sur des travaux non réalisés au moment de l'abandon du chantier.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a retenu une somme de 480,69 euros au titre des travaux urgents préconisés par l'expert judiciaire.

Quant à la demande de la SCI [Y] N&K visant à majorer le montant de la condamnation de 50 % au titre de l'augmentation des prix dans le secteur du bâtiment depuis le dépôt du rapport en 2019, elle sera rejetée en l'absence de tout justificatif suffisamment solide versé au débat alors qu'elle se fonde notamment sur le contexte « actuel » tout en citant le « confinement en Chine » qui a été levé depuis 18 mois et alors que l'indice du BT01 versé au débat (mais non actualisé à la date où la cour statue) démontre une augmentation entre février 2019 et février 2022 de 10,8 %, ce qui est très en-deçà des 50 % sollicités.

Le jugement sera confirmé.

Sur les autres préjudices

 

S'agissant des préjudices immatériels et notamment du préjudice de jouissance dont les maîtres d'ouvrage sollicitent réparation, plutôt que de paraphraser les premiers juges qui ont procédé à une très exacte analyse des éléments de l'espèce, tant en fait qu'en droit, la cour en adoptera purement et simplement les motifs. C'est à bon droit que la perte de chance de louer les quatre appartements a été évaluée à une somme totale de 20 000 euros.

La SA Entreprise [S] justifie avoir versé la somme de 117 687,14 € entre mars et juin 2022 (pièces 10 et 11). Depuis lors, la SCI [Y] N&K ne justifie pas avoir mis à profit les deux années écoulées pour terminer le chantier et mettre ses appartements à la location. Elle ne saurait donc obtenir une quelconque indemnisation supplémentaire au titre du préjudice de jouissance.

En ce qui concerne la demande d'astreinte pour s'assurer du paiement effectif de l'ensemble des condamnations, il convient de ne pas y faire droit, la SAS Entreprise [S] ayant réglé les sommes dues au titre de l'exécution provisoire.

Le jugement sera également confirmé au sujet des demandes relatives au remboursement des frais relatifs à l'enlèvement des gravats, à la consignation d'expertise, aux frais d'assistance technique par expert, au frais d'avocat réglés avant l'instance au fond, au préjudice résultant de la destruction des cheminées, à l'absence de proposition de souscrire une assurance dommage-ouvrage et au préjudice moral.

C'est donc à juste titre que la SAS Entreprise [S] a été condamnée à payer à la SCI [Y] N&K les sommes suivantes :

56 210,41 € au titre des travaux de reprise des désordres ;
28 982,33 € au titre des dommages-intérêts ;
480,69 € au titre des travaux urgents préconisés par l'expert judiciaire ;
4 800 € au titre du coût de la maîtrise d'oeuvre ;
1 500 € au titre de la destruction des cheminées ;
20 000 € au titre de la perte de chance de mettre les appartements en location.

Ces condamnations ont à bon droit été assorties des intérêts au taux légal à compter du 21 mars 2019, avec capitalisation des intérêts.

Le jugement sera donc confirmé.

 
 

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu une somme de 2 500 euros pour chacun des époux [Y] au titre de leur préjudice moral.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

Parties perdantes au sens de l'article 696 du code de procédure civile, la SCI [Y] N&K, Monsieur [X] [Y] et Madame [N] [V] épouse [Y] supporteront solidairement les dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile par les avocats en ayant fait la demande.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Déboute la SCI [Y] N&K de sa demande complémentaire au titre du préjudice de jouissance ;

Condamne solidairement la SCI [Y] N&K, Monsieur [X] [Y] et Madame [N] [V] épouse [Y] aux dépens d'appel, distraits au profit des avocats en ayant fait la demande ;

Condamne solidairement la SCI [Y] N&K, Monsieur [X] [Y] et Madame [N] [V] épouse [Y] à payer à la SAS Entreprise [S], Monsieur [L] [S], la société Acasta European Insurance Company Ltd et la SA Allianz Iard une somme de 1 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel.