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Décisions

Cass. crim., 15 novembre 2023, n° 22-81.258

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bonnal

Rapporteur :

Mme Chafaï

Avocat général :

M. Petitprez

Avocats :

SCP Spinosi, SCP Foussard et Froger

Paris, ch. 2-12, du 13 déc. 2021

13 décembre 2021

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. A la suite d'un signalement de l'Autorité de contrôle prudentiel et d'une enquête préliminaire, une information judiciaire a été ouverte le 12 avril 2012, portant sur des faits relatifs à l'existence d'un système d'évasion fiscale entre les banques [3] et [4], supposant des opérations transfrontalières, réalisées grâce au démarchage de clients français par la banque suisse sur le territoire national et suivies par [3] à l'aide d'un outil manuel dénommé « carnets du lait », qui n'apparaissait pas dans la comptabilité officielle de la banque.

3. A l'issue de l'information judiciaire, la société [2], sa filiale française la société [3] et six personnes physiques ont été renvoyées devant le tribunal correctionnel.

4. La société de droit suisse [2] a été poursuivie pour avoir, à [Localité 1] et sur le territoire national, de 2004 à 2011, alors qu'elle n'était pas une entreprise habilitée à intervenir sur le territoire français, démarché illicitement des résidents fiscaux français pour notamment réceptionner leurs fonds et conserver ou gérer leurs instruments financiers, les actes de démarchage étant accomplis par des chargés d'affaires d'[2] agissant sous l'autorité de leur employeur et en utilisant un réseau d'intermédiaires financiers, apporteurs d'affaires.

5. Il lui était également reproché d'avoir, à [Localité 1], sur le territoire national et en Suisse, de 2004 jusqu'en 2012, apporté son concours, de manière habituelle et en utilisant les facilités que procure l'exercice de l'activité d'établissement bancaire, à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, en l'espèce du délit de fraude fiscale à l'impôt sur le revenu et à l'impôt de solidarité sur la fortune ou à l'impôt sur les sociétés, par l'ouverture clandestine de comptes bancaires en dehors de France et la mise en place pour ses clients résidents fiscaux français d'une série de services, de procédés ou de dispositifs destinés à dissimuler, à placer ou convertir sciemment les fonds non déclarés déposés par des clients commettant le délit de fraude fiscale (comptes dits numériques ou numérotés, constitution de personnes morales ou autres entités interposées (sociétés offshore, trusts, fondations, contrats d'assurance-vie), service banque restante, mise à la disposition des clients fraudeurs de moyens de paiement non nominatifs ou au nom de l'entité interposée), les avoirs sur lesquels portaient le blanchiment aggravé étant estimés à une somme de 10 600 000 000 euros au 1er juin 2006 et 8 500 000 000 euros au 30 novembre 2008.

6. Le tribunal correctionnel l'a déclarée coupable des faits et l'a condamnée à une amende de 3 700 000 000 euros. Sur l'action civile, il a condamné la société [2], solidairement avec quatre autres prévenus, à payer à l'Etat français en réparation de son préjudice la somme de 800 000 000 euros à titre de dommages et intérêts.

7. La société [2] a relevé appel de la décision, le ministère public et la partie civile ont formé appel incident.

Moyens

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa seconde branche, le deuxième moyen,

le troisième moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, le quatrième moyen, le cinquième moyen, le sixième moyen, le septième moyen, le huitième moyen, pris en ses première, deuxième, troisième, septième, huitième, dixième, onzième, douzième branches, le neuvième moyen, le onzième moyen, pris en ses quatrième et cinquième branches, et le douzième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Motivation

8. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable du délit de blanchiment aggravé de fraude fiscale, alors :

« 1°/ que d'une part, en mettant à la charge des banques établies en Suisse des obligations juridiques précises destinées à préserver, de manière transitoire le secret bancaire et l'anonymat des déposants vis-à-vis de l'administration fiscale de leur État de résidence, en leur donnant le choix d'opter pour la divulgation d'informations ou, par défaut, une retenue d'impôt reversée de manière anonyme à leur Etat de résidence, l'Accord du 26 octobre 2004 entre la Confédération Suisse et la Communauté européenne a défini, pendant sa période d'application, le comportement que les institutions financières suisses devaient adopter face à des capitaux étrangers, générateurs d'intérêts, détenus par des résidents fiscaux d'Etats membres de l'Union européenne, indépendamment de la situation déclarative de ces résidents, ce qu'exprimaient les déclarations précises, inconditionnelles et concordantes émanant de sources suisses et européennes autorisées et fiables ; que pour condamner [2], agent collecteur au sens de l'Accord, au titre de la détention et de la gestion de fonds, ainsi que de la fourniture corrélative de services permettant d'assurer le secret bancaire, la cour d'appel a reproché à la banque suisse, sans que celle-ci puisse raisonnablement l'anticiper, d'avoir volontairement permis à des contribuables français de blanchir le produit d'une fraude fiscale, et ce en accueillant dans ses comptes les avoirs de résidents fiscaux français en carence déclarative vis-à-vis de leur administration fiscale, ce que n'interdisait pourtant pas l'Accord précité ; qu'en se prononçant ainsi, la cour d'appel a violé ces stipulations, ensemble les principes de primauté du droit de l'Union européenne, de sécurité juridique et de confiance légitime. »

Motivation

Réponse de la Cour

10. Pour écarter le moyen tiré de la contrariété des poursuites du chef de blanchiment aggravé de fraude fiscale avec l'Accord du 26 octobre 2004 entre la Communauté européenne et la Confédération suisse prévoyant des mesures équivalentes à celles prévues dans la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts, l'arrêt énonce, notamment, que ladite directive, dite directive épargne sur l'imposition, s'appliquait à la Confédération helvétique à compter du 1er juillet 2005 en vertu dudit accord.

11. Les juges relèvent que cette directive organisait la mise en place par la Suisse d'un système inédit de retenue à la source sur les revenus de l'épargne des clients européens en préservant le secret bancaire, en ce qu'elle ouvrait une alternative aux détenteurs de fonds dans les livres des banques suisses entre un prélèvement forfaitaire fixé initialement à 15 % et porté à 20 % puis 35 % des intérêts générés, effectué par l'Administration fédérale des contributions (AFC) qui transmettait à l'administration fiscale de l'Etat d'origine de l'épargnant 75 % de la retenue réalisée, et la communication à l'AFC par la banque de son identité et de ses revenus financiers encaissés, à charge pour les services fiscaux suisses d'informer l'administration fiscale d'origine.

12. Ils en déduisent que certains produits financiers se trouvaient en-dehors du champ d'application de l'Accord, à savoir les dividendes et les plus-values de cession, le témoin n° 119 précisant ainsi qu'il suffisait pour échapper à l'Accord de choisir des produits composés d'au moins 50 % d'actions dans le portefeuille du client, et que le dispositif organisé par ledit Accord n'étant pas applicable aux personnes morales, il était aisé de faire obstacle au prélèvement sur les intérêts en interposant soit une société offshore, soit un trust ou toute autre entité dont le contribuable fraudeur était le bénéficiaire économique.

13. En l'état de ces énonciations, la cour d'appel n'a pas encouru le grief allégué pour les motifs qui suivent.

14. Afin de garantir l'effectivité de l'ensemble des dispositions du droit de l'Union européenne, le principe de primauté impose aux juridictions nationales d'interpréter, dans toute la mesure du possible, leur droit interne de manière conforme au droit de l'Union. A défaut de pouvoir procéder à une telle interprétation, le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet des dispositions du droit de l'Union en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il ait à demander ou à attendre l'élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (CJCE, arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal, 106/77).

15. En sa qualité d'accord international conclu par la Communauté européenne, l'Accord bénéficie du principe de primauté.

16. Il résulte de ses stipulations qu'il met à la charge des agents payeurs suisses, au rang desquels les banques, les obligations suivantes. D'une part, les agents payeurs doivent, après avoir établi l'identité du bénéficiaire effectif et déterminé son lieu de résidence fiscale, prélever une retenue d'impôts sur les paiements d'intérêts faits aux bénéficiaires effectifs, la Suisse transférant 75 % de la recette générée par la retenue d'impôts en un seul versement annuel à l'Etat de résidence du bénéficiaire. D'autre part, lorsque le bénéficiaire souhaite éviter ladite retenue, et sur son autorisation expresse, l'agent payeur communique aux autorités suisses compétentes les informations relatives aux paiements d'intérêts qu'il a reçus, à charge pour elles de les transmettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de résidence du bénéficiaire effectif.

17. Dès lors que l'Accord impose des obligations de résultat précises et qu'il est rédigé dans des termes clairs et inconditionnels, il est pourvu d'un effet direct.

18. La société [2] se voit reprocher d'avoir, sur le territoire national et en Suisse, apporté son concours, de manière habituelle et en utilisant les facilités que procure l'exercice de l'activité d'établissement bancaire, à des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect du délit de fraude fiscale.

19. Les poursuites dirigées contre la société [2] du chef de blanchiment aggravé de fraude fiscale sont fondées sur les dispositions des articles 324-1, alinéa 2, et 324-2 du code pénal.

20. Le moyen pose la question de la conformité à l'Accord de la législation française relative au blanchiment de fraude fiscale et des poursuites exercées sur son fondement.

21. Aux termes de l'article 324-1, alinéa 2, du code pénal, constitue un blanchiment le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit. La caractérisation du délit de blanchiment exige d'établir que l'auteur avait connaissance de l'origine frauduleuse des fonds (Crim., 18 janvier 2017, pourvoi n° 15.84.003).

22. La Cour de cassation juge que l'objet du blanchiment de fraude fiscale est le produit du délit de fraude fiscale, qui est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés (Crim., 11 septembre 2019, pourvoi n° 18-81.040, publié au Bulletin).

23. Aux termes de l'article 113-2 du code pénal, la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire.

24. La Cour de cassation juge que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître du délit de blanchiment commis à l'étranger concernant des fonds qui constituent le produit d'une infraction commise en France, laquelle caractérise un fait constitutif du délit de blanchiment au sens de l'article 113-2 précité (Crim., 21 octobre 2020, pourvoi n° 19-87.076).

25. Il résulte ensuite de la comparaison des termes de l'incrimination de blanchiment de fraude fiscale avec le champ d'application de l'Accord les conclusions suivantes.

26. En premier lieu, au regard des obligations instituées par l'Accord à la charge des agents payeurs suisses, les poursuites du chef de blanchiment aggravé de fraude fiscale entreraient en conflit avec le droit de l'Union si, en satisfaisant aux obligations de l'Accord, les agents payeurs commettaient des agissements constitutifs de ladite infraction ou si la satisfaction des obligations de l'Accord supposait qu'ils commettent l'infraction.

27. Les stipulations de l'Accord, en ce qu'elles sont relatives aux agents payeurs suisses, tendent exclusivement au prélèvement et au reversement d'un impôt sur le versement d'intérêts ou à la transmission à l'autorité suisse compétente d'informations relatives à ce même versement d'intérêts, sans établir de distinction selon la nature, licite ou illicite, des fonds les ayant générés.

28. D'une part, ces opérations, même lorsqu'elles sont relatives au paiement d'intérêts sur des fonds déposés par des clients résidents fiscaux français ayant commis une fraude fiscale, en ce qu'elles sont insusceptibles d'être analysées comme des opérations de placement, de dissimulation ou de conversion, n'entrent pas dans les prévisions de l'incrimination de blanchiment aggravé du produit de la fraude fiscale au sens de la législation française.

29. D'autre part, aucune des obligations prévues par l'Accord n'astreignant les agents payeurs suisses à déterminer si les fonds générateurs d'intérêts proviennent ou non d'une fraude fiscale, le respect de l'Accord n'est pas de nature à leur faire acquérir la connaissance de l'origine, le cas échéant, frauduleuse des fonds, et ne peut ainsi entraîner la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale.

30. En deuxième lieu, les stipulations de l'Accord ne sauraient être interprétées comme autorisant directement ou indirectement, sous réserve de leur respect, les agents payeurs suisses à fournir en connaissance de cause des services bancaires à des clients résidents fiscaux français ayant commis une fraude fiscale.

31. D'une part, la décision 2004/911/CE du Conseil du 2 juin 2004 concernant la signature et la conclusion de l'Accord a été prise sur la base juridique de l'article 94 du traité instituant la Communauté européenne, en liaison avec l'article 300, § 2, premier alinéa, § 3, premier alinéa, et § 4, ce dont il ressort que l'Accord intervient dans le domaine des règles communes sur la concurrence, la fiscalité et le rapprochement des législations. Il ne peut donc valoir engagement au nom des Etats membres, dont la France, à renonciation à l'exercice de poursuites pénales du chef de blanchiment de fraude fiscale.

32. D'autre part, aucune des stipulations de l'Accord n'autorise ni n'interdit la fourniture de services bancaires par les agents payeurs suisses, ni n'octroie à ces agents, en contrepartie de leur respect, une garantie concernant les conditions dans lesquelles ils pourront continuer à fournir des services bancaires aux résidents d'un Etat membre.

33. Enfin, l'Accord visant à établir des mesures équivalentes à celles de la directive 2003/48/CE du Conseil en matière de fiscalité des revenus de l'épargne sous forme de paiements d'intérêts du 26 octobre 2004, sa finalité, équivalente à celle que ladite directive énonce en son considérant 8, selon lequel elle « a pour objectif ultime à permettre que les revenus de l'épargne, sous forme de paiement d'intérêts effectué dans un État membre en faveur de bénéficiaires effectifs, qui sont des personnes physiques ayant leur résidence dans un autre État membre, soient effectivement imposés conformément aux dispositions législatives de ce dernier État membre », ne réside pas dans le maintien du secret fiscal suisse et de la possibilité pour les agents payeurs suisses d'accueillir les fonds de résidents fiscaux européens issus de la fraude fiscale.

34. Il en résulte que les dispositions nationales régissant le blanchiment de fraude fiscale et les poursuites exercées sur leur fondement ne sont pas contraires à l'Accord.

35. Par conséquent, la question préjudicielle portant sur le point de savoir si l'Accord doit être interprété en ce sens qu'il s'oppose à ce que, sur le fondement d'une réglementation pénale nationale visant à lutter contre le blanchiment de capitaux, une banque soit poursuivie et condamnée, le cas échéant de façon systémique, pour des faits de détention et de gestion de fonds et/ou pour la fourniture corrélative de services permettant notamment d'assurer le secret bancaire, n'est pas utile, dès lors que l'interprétation correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable.

36. Ainsi, le moyen, qui est inopérant en ce qu'il invoque l'application de l'Accord à des faits de blanchiment aggravé de fraude fiscale commis, d'une part, antérieurement à son entrée en vigueur le 1er juillet 2005, d'autre part, par interposition de personnes morales et de trusts ainsi qu'au moyen de la fourniture de contrats d'assurance-vie, dès lors que le périmètre de l'Accord est circonscrit par son article 4, § 1, aux personnes physiques déposantes et par son article 7 aux revenus de l'épargne sous forme de paiement d'intérêts, doit être écarté.

Moyens

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

37. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la prescription de l'action publique s'agissant des faits de démarchage illicite et de blanchiment de fraude fiscale aggravé, alors :

« 1°/ qu'il résulte de l'article 8 du code de procédure pénale que les infractions commencent à se prescrire au jour de leur réalisation, soit, s'agissant des infractions instantanées, à l'instant où elles sont commises ; que lorsque plusieurs de ces infractions se trouvent en concours réel, comme ici plusieurs démarchages bancaires illicites et plusieurs blanchiments, chacun de ces délits se prescrit, indépendamment des autres, selon cette même règle ; qu'en jugeant ici, par des motifs au demeurant totalement péremptoires, pour écarter l'exception de prescription, que « lorsque comme au cas d'espèce les faits (présumés) de démarchages et de blanchiment s'inscrivent dans le cadre d'une fraude complexe et se sont étendus sur une période de temps étendue sans discontinuité, la prescription ne débute qu'à compter du dernier acte de démarchage ou de blanchiment » (arrêt, p. 132 § 3), la cour d'appel s'est prononcée par des motifs erronés et inopérants, en violation des règles d'ordre public de la prescription. »

Motivation

Réponse de la Cour

38. Pour écarter le moyen de nullité tiré de la prescription de l'action publique concernant les délits de démarchage bancaire et de blanchiment aggravé de fraude fiscale, l'arrêt énonce que le premier acte interruptif de prescription à leur égard est le soit-transmis du 1er mars 2011.

39. Les juges retiennent, après avoir constaté que le président de l'Autorité de contrôle prudentiel avait transmis un signalement au procureur de la République de Paris, le 22 février 2011, sur le fondement de l'article L. 612-28 du code monétaire et financier, que figurait dans cet acte de saisine ledit signalement, dénonçant un système d'évasion fiscale de la France vers la Suisse, conçu par la banque [2] avec la complicité de sa filiale.

40. Les juges ajoutent que la prescription régulièrement interrompue vis-à-vis d'une infraction interrompt aussi la prescription vis-à-vis des infractions qui lui sont connexes, si celles-ci ne sont pas elles-mêmes prescrites.

41. Ils soulignent que la notion d'indivisibilité a été exactement retenue par le tribunal, le blanchiment des fonds lié aux fraudes fiscales étant directement dépendant de la prospection préalable, présumée illicite, de résidents fiscaux français, et que ces faits sont dans un tel état de dépendance que l'existence des uns ne se comprend pas sans l'existence des autres, le blanchiment apparaissant comme la suite logique et nécessaire des actes de démarchage.

42. Ils relèvent que lorsque, comme au cas d'espèce, les faits de démarchage et de blanchiment s'inscrivent dans le cadre d'une fraude complexe, dont le caractère est établi par les descriptifs des schémas de fraude détaillés à la rubrique de l'arrêt consacrée au rappel des faits et de la procédure, et se sont étendus sur une période de temps étendue sans discontinuité, la prescription ne débute qu'à compter du dernier acte de démarchage ou de blanchiment.

43. Ils concluent que les faits de blanchiment dénoncés étant pour le dernier présumé avoir été commis courant 2012 et que s'agissant des démarchages il est daté du mois de juin 2011, la prescription n'était nécessairement pas acquise le 1er mars 2011.

44. C'est à tort que la cour d'appel s'est fondée sur le caractère indivisible des deux infractions, qui n'est pas de nature à reporter le point de départ de la prescription au jour du dernier acte de démarchage bancaire ou de blanchiment aggravé.

45. Cependant l'arrêt n'encourt pas la censure, pour les motifs qui suivent.

46. En premier lieu, dès lors que l'article L. 353-2 du code monétaire et financier réprime le fait, pour toute personne, de recourir à l'activité de démarchage bancaire ou financier et renvoie pour sa définition à l'article L. 341-1 du même code, qui énumère les comportements constitutifs d'actes de démarchage et conclut que l'activité de démarchage bancaire ou financier est exercée sans préjudice de l'application de dispositions particulières qu'il énonce, le délit suppose, pour sa caractérisation, une répétition d'actes constitutive d'une habitude.

47. Il en résulte que la prescription ne court qu'à compter du jour où le délit de démarchage bancaire a pris fin.

48. Dès lors que le premier acte interruptif de prescription est survenu le 1er mars 2011, et que les juges ont fixé le dernier fait commis au mois de juin 2011, la prescription de l'action publique du délit de démarchage bancaire n'est pas acquise.

49. En second lieu, le délai de prescription commence à courir du jour où l'infraction apparaît et peut être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique lorsque le blanchiment consiste à apporter un concours à une opération de dissimulation du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit, et qu'il constitue donc une infraction occulte par nature en ce qu'il a pour objet de masquer le bénéficiaire ou le caractère illicite des fonds ou des biens sur lesquels il porte.

50. Il résulte des termes de la prévention, qui reprochent à la société [2] de s'être livrée à des opérations consistant en l'ouverture clandestine de comptes bancaires en dehors de France et la mise en place pour ses clients résidents fiscaux français d'une série de services, de procédés ou de dispositifs destinés à dissimuler, à placer ou convertir sciemment les fonds non déclarés déposés par des clients commettant le délit de fraude fiscale, consistant en des comptes dits numériques ou numérotés, la constitution de personnes morales ou autres entités interposées (sociétés offshore, trusts, fondations, contrats d'assurance-vie), un service banque restante, et la mise à la disposition des clients fraudeurs de moyens de paiement non nominatifs ou au nom de l'entité interposée, que la prévenue est poursuivie pour des faits de concours à une opération de blanchiment par dissimulation, constitutifs d'une infraction occulte par nature.

51. Les juges ont souverainement retenu que les faits avaient été portés à la connaissance du procureur de la République par le signalement de l'Autorité de contrôle prudentiel en date du 22 février 2011.

52. Dès lors que l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique le 22 février 2011, et que les juges ont fixé le dernier acte commis dans le courant de l'année 2012, la prescription de l'action publique n'est acquise pour aucun des faits de blanchiment aggravé de fraude fiscale visés à la prévention.

53. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Moyens

Sur le huitième moyen, pris en ses quatrième, cinquième, sixième et neuvième branches

Enoncé du moyen

54. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré la société [2] coupable de faits de démarchage bancaire illicite, alors :

« 4°/ que l'article L. 341-2 du code monétaire et financier prévoit des situations non soumises aux règles concernant le démarchage bancaire ou financier ; que ce texte, qui déroge à la règlementation applicable en la matière, exclut toute poursuite pour démarchage bancaire illicite dans les cas limitatifs qu'il prévoit ; qu'en conséquence, une personne même non habilitée à démarcher en France peut néanmoins se livrer aux actes définis à l'article L. 341-1 du code monétaire et financier dans les situations décrites par ce texte ; qu'en soutenant que « le fait de se livrer à l'examen des situations non soumises aux règles concernant le démarchage bancaire ou financier prévues à l'article L. 341-2 du code monétaire et financier est inutile dès lors que toute activité de démarchage était interdite à [2] » (arrêt, p. 152), la cour d'appel a violé, par mauvaise interprétation, les articles L. 341-1, L. 341-2, L. 341-3 et L. 353-2 du code monétaire et financier ;

5°/ qu'il résulte de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier que les règles concernant le démarchage sont inapplicables lorsque la personne visée est déjà cliente de la personne pour le compte de laquelle la prise de contact a lieu dès lors que l'opération proposée correspond, à raison de ses caractéristiques, de ses risques ou des montants en cause, à une opération habituellement réalisée par cette personne ; qu'en se bornant à énoncer que les relations nouées « concernaient des ouvertures suivies de transferts de fonds en Suisse », sans autrement rechercher si les personnes démarchées n'étaient pas déjà clientes d'[2], la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;

6°/ qu'il résulte de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier que les règles concernant le démarchage sont inapplicables lorsque la personne visée est un investisseur qualifié ; qu'en jugeant que les actes reprochés à la société [2] n'entraient pas dans le champ des exceptions au démarchage prévues par l'article L. 341-2 du code monétaire et financier, sans rechercher si les personnes sollicitées étaient des investisseurs qualifiés au sens de cette disposition, lorsque les conclusions soulignaient que de très nombreux clients d'[2] correspondaient à cette définition (conclusions de relaxe, n° 189), la cour d'appel a privé sa décision de base légale, en violation de l'article précité ainsi que des articles L. 353-2 du code monétaire et financier et 593 du code de procédure pénale ;

9°/ que le juge répressif saisi d'un concours d'infractions doit caractériser chacune de celles-ci en tous ses éléments constitutifs ; qu'en se bornant, pour entrer en voie de condamnation du chef de démarchage illicite, infraction instantanée, sur une période de prévention allant de 2004 à 2011, à relever que « le dossier d'instruction contient ainsi de nombreux exemples de prospects ou clients d'UBS SA qui ont finalement ouvert des comptes ou effectués des opérations bancaires avec [2], quand bien même ils n'auraient pas sollicité cette relation », pour conclure à la démonstration d'une « activité au plan matériel sans contradiction ni invalidation par une base documentaire quelconque » (arrêt, p. 143), la cour d'appel n'a pas caractérisé les infractions dans leur individualité et a nécessairement méconnu son office et privé sa décision de base légale. »

Motivation

Réponse de la Cour

Moyens

Sur le moyen, pris en ses quatrième, cinquième et sixième branches

55. C'est à tort que la cour d'appel a écarté l'application des dispositions de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier au motif qu'elle constatait que la société [2] n'était pas habilitée à démarcher sur le territoire national.

56. En effet, si l'article L. 341-1 du code monétaire et financier définit les comportements constitutifs d'actes de démarchage bancaire ou financier, l'article L. 341-2 dudit code décrit les cas particuliers dans lesquels, bien que soit accompli un acte de démarchage tel que défini par l'article L. 341-1, les règles concernant le démarchage bancaire ou financier ne s'appliquent pas.

57. Il s'en déduit que l'article L. 341-3 du code monétaire et financier, qui autorise les personnes qu'il énumère à se livrer à l'activité de démarchage bancaire ou financier, cesse d'être applicable si l'acte de démarchage auquel il est procédé relève des situations spécifiques de l'article L. 341-2 dudit code.

58. En conséquence, lorsque l'activité de démarchage entre dans les prévisions de l'un des cas d'exclusion exposés à l'article L. 341-2 du code monétaire et financier, toute personne, même non habilitée, peut y recourir.

59. Cependant, l'arrêt n'encourt pas la censure.

60. En effet, la cour d'appel s'est prononcée par des motifs dont il ressort qu'elle a recherché, comme elle le devait et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions des parties, si les faits de démarchage bancaire reprochés à la société [2] entraient dans les prévisions de l'article L. 341-2 du code monétaire et financier.

61. Ainsi, les griefs doivent être écartés.

Sur le moyen, pris en sa neuvième branche

62. Pour confirmer la condamnation de la société [2] du chef de démarchage bancaire ou financier illicite, l'arrêt énonce, notamment, que les pratiques constantes, des années durant, telles que rapportées par la base documentaire saisie ou remise, les constats de la procédure administrative ayant donné lieu à l'ouverture des investigations judiciaires, les témoignages à charge recueillis considérés comme fiables à l'exception d'un seul, fondent l'intime conviction que sont réunies des charges suffisantes, autorisant à juger que la banque [2], qui ne disposait d'aucun document d'habilitation au sein de l'Union européenne en général et en France en particulier, a enfreint la loi française.

63. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision.

64. En effet, saisis d'une infraction unique de démarchage bancaire, les juges n'avaient pas à caractériser individuellement chacun des faits qui la constituent, dès lors qu'ils ont établi le caractère répété des actes la consommant.

65. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le onzième moyen, pris en ses première, deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

66. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement qui a condamné la personne morale [2] à payer la somme de 800 000 000 euros à titre de dommages et intérêts à la partie civile, alors :

« 1°/ que si l'Etat peut prétendre souffrir d'un préjudice réparable par suite de la commission du délit de blanchiment de fraude fiscale, c'est seulement lorsqu'il a été amené à conduire des investigations spécifiques générées par la recherche, par l'administration fiscale, des sommes sujettes à l'impôt en vue de son établissement, et que cette recherche a été rendue complexe en raison des opérations de blanchiment poursuivies ; qu'en énonçant que « les mécanismes de conversion mis en oeuvre en Suisse par la banque [2] l'ont contraint à un travail spécifique d'analyse et de recherche pour apprécier quelle était l'ampleur des faits de blanchiment commis » (arrêt, p. 176), la cour d'appel a indemnisé la recherche du blanchiment lui-même, en vue d'en déterminer l'objet, ce qui correspond uniquement au coût des investigations judiciaires consacrées à cette infraction principale et autonome ; que ce faisant, elle a violé les articles 2 et 800-1 du code de procédure pénale ;

2°/ qu'en tout état de cause, c'est uniquement l'éventuel surcroît d'effort d'investigation dans cette recherche, causé par le blanchiment poursuivi, qui peut être indemnisé ; qu'en n'expliquant pas en quoi les agissements imputés à [2] auraient rendu plus complexe la recherche des impôts éludés par les fraudes fiscales d'origine, lorsque le dossier ne repose que sur des estimations globales, et sur des « listes de régularisés » produites par la partie civile, obtenues dans le cadre de dispositifs de régularisation dépassant largement le cas des avoirs détenus auprès d'[2], et reposant sur un mécanisme d'autodénonciation, la cour d'appel n'a pas justifié l'existence d'un préjudice réparable au cas d'espèce, et méconnu les articles 2, 3 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la partie civile ne peut obtenir réparation que des préjudices personnellement subis et découlant directement de l'infraction dénoncée ; que la recherche par l'Administration fiscale des « actifs dissimulés à l'étranger », ou encore celle de « plusieurs milliers de comptes bancaires qui n'avaient pas été déclarés » (arrêt, p. 176), trouve sa cause dans la décision des contribuables d'y placer leur argent sans se soumettre à l'obligation déclarative prévue par la loi française, et dans la circonstance que l'état des législations française et suisse en matière d'échange d'informations n'offrait pas l'accès à ces données ; qu'en indemnisant un préjudice découlant de faits étrangers à l'infraction de blanchiment reprochée à [2] au cas d'espèce, la cour d'appel a violé les articles 2 et 3 du code de procédure pénale et 1240 du code civil. »

Motivation

Réponse de la Cour

67. Pour confirmer l'existence d'un préjudice indemnisable subi par l'Etat français au titre du blanchiment aggravé de fraude fiscale, l'arrêt attaqué relève, notamment, que la recevabilité de l'action de l'Etat français est acquise et qu'est exclue l'indemnisation de la partie civile à raison des impôts éludés.

68. Les juges exposent que les services de l'Etat, pour identifier les actifs dissimulés à l'étranger, ont accompli un nombre conséquent d'investigations et de recherches assumées par ses agents, ce qui a entraîné des frais de fonctionnement correspondant à l'accomplissement de ces tâches.

69. Ils rappellent que l'Etat français a dû, avec ses moyens propres, sans le concours de la banque [2], rechercher plusieurs milliers de comptes bancaires qui n'avaient pas été déclarés et que ceci l'a obligé à de nombreux recoupements à partir des situations de multiples ressortissants français ou résidents fiscaux français, soulignant qu'il a été contraint de mettre en œuvre les procédures dites de droit de communication, d'assistance administrative internationale et de coopération entre les administrations à de multiples reprises.

70. Les juges ajoutent que les agents de l'Etat ont dû être rétribués pour accomplir ces tâches, que le coût financier des services de l'Etat en a été augmenté et que les mécanismes de conversion mis en œuvre en Suisse par la banque [2] l'ont contraint à un travail spécifique d'analyse et de recherche pour apprécier quelle était l'ampleur des faits de blanchiment commis.

71. Ils retiennent qu'au cas particulier, les actes de dissimulation et de justifications mensongères inhérentes aux opérations de blanchiment ont rendu encore plus malaisés les mécanismes de vérification que l'administration est fondée à mettre en œuvre vis-à-vis des contribuables.

72. Ils concluent que les demandes de la partie civile sont la conséquence de la fraude systémique spécifiquement commise par la banque.

73. En se déterminant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les textes visés au moyen, pour les motifs qui suivent.

74. En premier lieu, elle a pris en considération, pour établir l'existence d'un préjudice subi par l'Etat français, l'accomplissement d'actes tendant à l'identification de comptes bancaires et la mise en œuvre de procédures d'entraide administrative qui, ayant pour finalité l'établissement de l'impôt éludé et son recouvrement, relèvent des investigations indemnisables au sens de l'article 2 du code de procédure pénale.

75. En second lieu, elle a établi que les manœuvres de dissimulation inhérentes aux actes de blanchiment aggravé visés à la prévention, qu'elle a par ailleurs caractérisés à la charge de la société [2], ont rendu plus complexe la recherche par l'administration fiscale des sommes sujettes à l'impôt.

76. Ainsi, les moyens doivent être écartés.

Moyens

Mais sur le dixième moyen

Enoncé du moyen

77. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné la société [2] à la peine de confiscation de « la somme de 1 000 000 000,00 euros, partie de la somme versée le 23 juillet 2014 à la régie du tribunal judiciaire de Paris au titre du cautionnement imposé par les juges d'instruction », alors :

« 1°/ que d'une part, il découle du principe de légalité des peines tel que consacré tant par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme que par l'article 111-3 du code pénal, ainsi que de l'article 112-1 alinéa 2 du code pénal, que peuvent être seules prononcées les peines applicables à la date à laquelle les faits reprochés ont été commis ; que la société [2], personne morale, est poursuivie pour des faits de blanchiment commis entre 2004 et 2012 ; que la peine de confiscation générale de patrimoine, définie à l'article 131-21 alinéa 6 du code pénal, n'est prévue par l'article 324-9 du code pénal, en répression du blanchiment à l'encontre des personnes morales, que depuis l'entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 ; qu'en prononçant à l'encontre d'[2] une peine de confiscation générale de patrimoine à hauteur d'un milliard d'euros, en « considérant que les articles 131-21 alinéa 6, 131-39 8° et 324-7 12° du code pénal habilitent le juge pénal à confisquer tout ou partie des biens d'une personne morale condamnée pour blanchiment » (Arrêt, p. 171), lorsque cette peine n'était pas prévue par la loi au moment de la commission des faits, la cour d'appel a violé les textes précités ;

2°/ que d'autre part, il résulte de l'article 142 du code de procédure pénale que le cautionnement n'a vocation qu'à garantir le paiement « de la réparation des dommages causés par l'infraction et des restitutions, ainsi que de la dette alimentaire lorsque la personne mise en examen est poursuivie pour le défaut de paiement de cette dette », ainsi que « des amendes » ; que seules des saisies de biens ou de droits peuvent poursuivre un tel but ; qu'en outre, selon l'article 142-3 du même code, le montant affecté à la deuxième partie du cautionnement est, en cas de condamnation, « employé conformément aux dispositions du 2° de l'article 142 » ; qu'en confisquant une partie de la somme versée à titre de cautionnement, la cour d'appel a violé les textes précités. »

Motivation

Réponse de la Cour

Moyens

Sur le moyen, pris en sa première branche

Vu les articles 111-3, 131-21, alinéa 6, 324-9, alinéa 1er, du code pénal, dans sa version antérieure à la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière :

78. Aux termes du premier de ces textes, nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi.

79. Il résulte du deuxième que la confiscation de tout ou partie du patrimoine de la personne condamnée ne peut être prononcée sans que la loi réprimant le crime ou le délit poursuivi ne la prévoit expressément.

80. Il ne résulte pas du troisième que la confiscation de patrimoine figure parmi les peines encourues par les personnes morales pour sanctionner le délit de blanchiment.

81. Pour condamner la société [2] à une peine de confiscation de son patrimoine à hauteur de 1 000 000 000 euros, l'arrêt énonce que les articles 131-21, alinéa 6, 131-39, 8°, et 324-7, 12°, du code pénal habilitent le juge pénal à confisquer tout ou partie des biens d'une personne morale condamnée pour blanchiment.

82. En statuant ainsi, et dès lors qu'à la date des faits visés par la prévention les personnes morales poursuivies du chef de blanchiment n'encouraient pas la peine de confiscation de tout ou partie de leur patrimoine, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

83. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Vu les articles 131-21 du code pénal et 142-2, 2°, du code de procédure pénale :

84. Il se déduit de ces textes que la confiscation ne peut porter sur le cautionnement fourni par la personne mise en examen dans le cadre du contrôle judiciaire, cette obligation ne garantissant le paiement que des dommages et intérêts, des restitutions, de la dette alimentaire et des amendes.

85. Pour ordonner le prélèvement de la somme de 1 000 000 000 euros confisquée à titre de peine complémentaire sur celle versée au titre du cautionnement, l'arrêt énonce que les fonds versés à hauteur de 1 100 000 000 euros par [2] entre les mains du régisseur d'avances et de recettes du tribunal judiciaire de Paris le 23 juillet 2014 au titre du cautionnement constituent un élément des biens de la banque suisse.

86. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

87. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

Et sur le douzième moyen, pris en ses première, quatrième, cinquième, sixième et huitième branches

Enoncé du moyen

88. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement qui a condamné la personne morale [2] à payer la somme de 800 000 000 euros à titre de dommages et intérêts à la partie civile, alors :

« 1°/ que le préjudice résultant d'une infraction doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties ; que l'étendue du préjudice doit être évaluée, et le montant alloué suffisamment justifié par les motifs de la décision ; qu'en énonçant de manière abstraite que « les agents de l'Etat ont du être rétribués », notamment pour « mettre en oeuvre les procédures dites de droit de communication, d'assistance administrative internationale et de coopération entre les administrations à de multiples reprises », et que ce faisant, « le coût financier des services de l'Etat a augmenté » (arrêt, p. 176), en s'abstenant de toute évaluation ou même d'une estimation du surcoût d'investigations correspondant au préjudice découlant des faits de blanchiment qu'elle entendait réparer, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision d'allouer la somme de 800 millions d'euros à la partie civile, en violation des articles 2, 3 et 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil ;

4°/ que l'impossibilité de recouvrer l'impôt prescrit trouve sa seule cause dans l'état de la législation fiscale ; qu'en jugeant que « compte tenu du temps écoulé, l'acquisition de la prescription fiscale est apparue caractérisée ; que de ce fait l'Etat a subi une perte de chance exactement décrite aux écritures d'appel en page 107 des écritures déposées », la cour d'appel a indemnisé un préjudice sans lien avec l'infraction poursuivie, et violé de nouveau l'article 2 du code de procédure pénale et l'article 1240 du code civil ;

5°/ qu'à titre encore subsidiaire, la cour d'appel s'est bornée à invoquer le principe de la perte de chance en renvoyant aux conclusions de la partie civile (conclusions de l'Etat français, p. 107), laquelle ne propose elle-même aucune évaluation de cette perte de chance ; qu'en conséquence, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et son évaluation du montant à allouer en conséquence, en violation des textes précités et de l'article 593 du code de procédure pénale ;

6°/ que selon l'article 515 alinéa 3 du code de procédure pénale, la partie civile ne peut former aucune demande nouvelle en cause d'appel ; qu'en indemnisant le préjudice moral tiré du « discrédit » jeté sur les dispositifs de lutte anti-blanchiment l'Etat français (arrêt, p. 176), lorsque cette demande était nouvelle et partant, irrecevable, ainsi que le relevaient les conclusions d'[2] (conclusions sur les intérêts civils, p. 18), la cour d'appel a méconnu le texte précité ;

8°/ que les juges doivent s'expliquer sur les éléments retenus afin de fixer le montant des dommages-intérêts dus au titre de la réparation du préjudice en lien avec le blanchiment de fraude fiscale (Crim. 30 juin 2021, n° 20-83.355) ; qu'en s'alignant sur le jugement en fixant globalement à 800 millions d'euros le montant des dommages-intérêts alloués à l'Etat français, sans aucune justification quant au choix de ce montant, et sans expliquer quelles sommes étaient allouées pour la réparation de chacun des préjudices qu'elle entendait réparer, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision, et méconnu les articles 2, 3, 593 du code de procédure pénale, et 1240 du code civil. »

Motivation

Réponse de la Cour

Moyens

Sur le douzième moyen, pris en sa sixième branche

Vu l'article 515, alinéa 3, du code de procédure pénale :

89. Selon ce texte la partie civile ne peut, en cause d'appel, former aucune demande nouvelle.

90. Pour confirmer la condamnation de la société [2] à payer à l'Etat français, partie civile, la somme de 800 000 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt intègre, dans les postes de préjudice dont il accorde réparation, le discrédit sur les dispositifs de l'Etat français qui tendent à prévenir l'apparition du phénomène du blanchiment.

91. En statuant ainsi, dès lors que la demande formée devant elle par la partie civile au titre du discrédit jeté par le comportement de la société [2] sur le dispositif national préventif de lutte contre le blanchiment tendait à la réparation d'un chef de préjudice distinct de celui invoqué devant les premiers juges, qu'elle présentait un caractère nouveau et était comme telle irrecevable, la cour d'appel a méconnu le texte ci-dessus visé et le principe ci-dessus rappelé.

92. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le grief formé à la septième branche.

Sur le douzième moyen, pris en ses première, quatrième, cinquième et huitième branches

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

93. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

94. Pour confirmer la condamnation de la société [2] à payer à l'Etat français, partie civile, la somme de 800 000 000 euros à titre de dommages et intérêts, l'arrêt énonce, notamment, que les faits de blanchiment ont été commis sur une période qui excède sept ans et que selon la documentation remise par la partie civile, les avoirs non déclarés avoisinent voire dépassent le montant de la somme mentionnée à l'ordonnance de renvoi, le chiffre avancé étant supérieur à 9 000 000 000 euros, ce qui permet de cerner l'importance quantitative des fonds blanchis.

95. Les juges retiennent que les services de l'Etat, pour identifier les actifs dissimulés à l'étranger, ont accompli un nombre conséquent d'investigations et de recherches assumées par ses agents, ce qui a entraîné des frais de fonctionnement correspondant à l'accomplissement de ces tâches.

96. Ils précisent qu'au cas particulier, les actes de dissimulation et de justifications mensongères inhérentes aux opérations de blanchiment ont rendu encore plus malaisés les mécanismes de vérification que l'administration est fondée à mettre en œuvre vis-à-vis des contribuables, que compte-tenu du temps écoulé, l'acquisition de la prescription fiscale est apparue caractérisée et que de ce fait l'Etat a subi une perte de chance comme il l'allègue.

97. Ils concluent que les demandes de la partie civile sont la conséquence de la fraude systémique spécifiquement commise par la banque et que la somme de 800 000 000 euros accordée par le tribunal doit être confirmée, aucun motif de droit ou moyen juridique pertinent n'étant opposé par la défense sur ce point essentiel : le blanchiment commis a nécessairement occasionné les préjudices dont la réparation est demandée compte tenu des pratiques constantes, étendues dans le temps, conçues, organisées et mises en œuvre.

98. En se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

99. En premier lieu, alors que seule constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, la cour d'appel n'a pas établi l'existence de celle-ci, constituée par la possibilité pour l'administration fiscale, compte tenu des caractéristiques des fraudes fiscales, de détecter, établir et recouvrer l'impôt éludé avant l'expiration des délais de reprise, dont le blanchiment l'aurait privée.

100. En second lieu, la cour d'appel n'a pas estimé les chances de succès de l'administration fiscale dans son action tendant au recouvrement des impôts éludés avant leur prescription, ni apprécié le préjudice final résultant de la prescription des impôts dus, de sorte qu'elle n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la réparation de la perte de chance avait été mesurée à la chance perdue.

101. Enfin, la cour d'appel ne pouvait, sans mieux justifier sa décision, fixer à 800 000 000 euros le montant global des dommages et intérêts.

102. La cassation est par conséquent de nouveau encourue de ce chef.

Motivation

Portée et conséquences de la cassation

La cassation à intervenir concerne toutes les dispositions relatives aux peines, afin que la situation de la société [2] puisse faire l'objet d'une appréciation d'ensemble. Elle porte également sur les dispositions relatives aux intérêts civils. Les autres dispositions seront donc maintenues.

Dispositif

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 13 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;