CA Chambéry, 1re ch., 25 juin 2024, n° 21/02514
CHAMBÉRY
Autre
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Francenergies (SARL)
Défendeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Pivet, Me Garnier
Faits et procédure
Suivant devis acceptés les 11 août 2017 et 21 octobre 2017, M. [I] [H] et Mme [C] [B] (ci-après les époux [H]) ont confié à la société Francenergies la fourniture et la pose de 16 panneaux photovoltaïques pour l'électricité et de quatre panneaux hybrides photovoltaïques et thermiques en remplacement de sept panneaux installés sur la toiture de leur maison d'habitation en 2003.
Les travaux ont été achevés en décembre 2017.
Reprochant les performances insuffisantes de leur nouvelle installation durant l'été et leur forte diminution de novembre à mars, une expertise amiable, diligentée à l'initiative de l'assurance défense-recours des époux [H], a été organisée le 2 janvier 2019.
Par ordonnance du 17 juin 2019, le président du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains, saisi sur assignation des époux [H], a ordonné une mesure d'expertise judiciaire et commis M. [S] pour y procéder.
L'expert a rendu son rapport le 9 octobre 2019.
Par acte d'huissier du 12 février 2020, les époux [H] ont assigné la société Francenergies et la société AJ UP devant le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains notamment aux pour obtenir la réparation de leurs préjudices.
Par jugement du 13 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, a :
- Condamné la société Francenergies à payer aux époux [H], pris ensemble, en réparation de leurs préjudices résultant des travaux réalisés par la société Francenergies:
- la somme de 9 900 euros TTC pour les travaux de réparation
- la somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance,
- la somme de 5 712 euros au titre de la perte de production photovoltaïque au regard du contrat d'obligation d'achat souscrit par les époux [H],
- la somme de 400 euros au titre de la privation de jouissance de leur piscine,
- la somme de 200 euros au titre de leur préjudice moral ;
- Débouté les époux [H] de leurs autres demandes ;
- Déclaré la décision opposable à la société AJ UP prise en sa qualité de commissaire à l'exécution au plan de continuation de la société Francenergies ;
- Condamné la société Francenergies à verser aux époux [H], pris ensemble, la somme de 2 500 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Francenergies aux dépens de l'expertise judiciaire et de l'instance au fond, dont distraction au profit de Me Garnier, avocat, pour les frais dont il aura fait l'avance, en vertu de l'article 699 du code de procédure civile
Au visa principalement des motifs suivants :
La nouvelle installation ne fournit pas le même service que celui assuré par l'installation antérieure alors même que les époux [H] n'avaient pas décidé d'en changer ;
Les solutions de réparation ont été discutées par les parties lors de l'expertise ;
Au regard des aléas que la solution n°2 présente, la solution n°1 qui permet aux époux [H] de disposer de l'installation qui était la leur avant l'intervention de la société Francenergies, d'un montant de 9 900 euros TTC, sera retenue.
Par déclaration au greffe du 29 décembre 2021, la société Francenergies a interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a débouté les époux [H] de leurs autres demandes.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 25 juillet 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Francenergies sollicite l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demande à la cour de :
- Débouter les époux [H] de toutes leurs demandes, fins et prétentions y compris en leur appel incident ;
- Condamner les époux [H] à lui verser la somme de 12 000 euros (soit 10 000 euros HT) au titre de l'article 700 code de procédure civile ;
- Condamner les époux [H] aux entiers dépens de la procédure, en ce compris les frais de l'expertise, les dépens liés à la signification et à l'exécution de la décision à intervenir.
Au soutien de ses prétentions, la société Francenergies fait valoir notamment que :
Le premier juge, se plaçant sur le terrain de la responsabilité délictuelle au fondement de l'article 1240 du code civil et non sur celui de la responsabilité contractuelle n'a pas tiré les conséquences de ses propres constatations quant à la conformité de son installation qui est conforme à l'usage auquel elle est destinée ;
La solution technique retenue est disproportionnée tant dans son coût que ses conséquences pour les parties ;
Les époux [H] opposent des préjudices non établis.
Par dernières écritures du 3 mai 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les époux [H] demandent à la cour de :
- Dire et juger irrecevable et à défaut mal fondée l'intégralité des demandes de la société Francenergies devant la Cour ;
- Infirmer la décision entreprise pour les quantums en ce qu'elle a :
- Condamné la société Francenergies à leur payer, pris ensemble, en réparation de leur préjudice :
- La somme de 200 euros au titre du préjudice de jouissance,
- La somme de 5 712 euros au titre de la perte de production photovoltaïque au regard du contrat d'obligation d'achat souscrit par eux,
- La somme de 400 euros au titre de la privation de jouissance de leur piscine,
- La somme de 200 euros au titre du préjudice moral ;
- Les a débouté de leurs autres demandes ;
- Confirmer la décision entreprise pour le surplus ;
- Condamner la société Francenergie à leur verser indivisément les sommes de :
- 1 000 euros au titre du préjudice de jouissance correspondant à la durée des travaux soit 5 jours,
- 6 426 euros au titre de la perte de de production sur la durée du contrat de d'obligation d'achat,
- 1 000 euros au titre de la privation de la jouissance de leur piscine dans les conditions antérieures au changement des panneaux depuis 2018,
- 5 000 euros au titre de leur préjudice moral ;
Et, y ajoutant,
- Condamner la société Francenergies à leur verser indivisément la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour d'appel ;
- Condamner la société Francenergies aux dépens d'appel, avec distraction au profit de Me Garnier, avocat, conformément aux dispositions des articles 699 et suivants du code de procédure civile sur son affirmation de droit.
Au soutien de leurs prétentions, les époux [H] font valoir notamment que :
L'installation antérieure était dimensionnée non seulement pour l'usage de la maison, mais aussi pour assurer le besoin de la piscine ;
Il appartenait à la société Francenergies, qui était tenue d'une obligation d'information précontractuelle à l'égard de son client non professionnel, d'informer loyalement et complètement son cocontractant des défauts de performance technique de la nouvelle installation au regard de l'installation antérieure ;
La solution n° 1, consistant au remplacement de six panneaux, a été retenu par l'expert et validée par eux même.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 12 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 19 mars 2024.
MOTIFS ET DECISION
L'article 1112-1 du code civil dispose 'celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.
Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.
Ont une importance déterminance les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.
Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.
Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.'
Le manquement à cette obligation de conseil constitue une faute extracontractuelle, indemnisable sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Il est établi que les époux [H] ont remplacé, à l'occasion de la réfection de leur toiture, leur installation thermique qui réalisait le chauffage du ballon d'eau chaude sanitaire et délestage du surplus dans leur piscine, installé en 2003, par une installation photovoltaïque et hybride, qui assurait une production d'électricité revendue à EDF et le chauffage du ballon d'eau chaude sanitaire, avec toujours délestage du surplus dans la piscine.
M. [S], expert judiciaire désigné par ordonnance de référé du 7 mai 2019, a repris les besoins de M.et Mme [H] tels qu'ils affirment les avoir exprimés auprès de la société Francénergie :' installer un maximum de panneaux photovoltaïques, que la réalisation soit esthétique et intégrée en toiture, conserver le ballon de préchauffage existant, conserver le chauffage de l'eau de la piscine', et a mis en avant que 'la performance de l'installation photovoltaïque est supérieure à la valeur théorique calculée pour des panneaux aux caractéristiques similaires, installés avec une inclinaison et une orientation identiques. Ceci s'explique par un rendement légèrement supérieur des panneaux hybrides par rapport à un panneau photovoltaïque standard', ainsi 'la couverture des besoins en eau chaude sanitaire par les apports solaires, pour le foyer, a été réduite de plus de la moitié en remplaçant les 7 panneaux thermiques par 4 panneaux hybrides. Ce résultat était parfaitement prévisible. En effet, le panneau hybride est avant tout conçu pour la production photovoltaïque. Or, la montée en température du panneau dégrade les performances des cellules. L'échangeur thermique intégré dans le panneau hybride permet de capter les calories, ce qui a pour conséquence de faire diminuer la température du panneau et augmenter ses performances électriques. Les calories récupérées permettent un appoint pour la production d'eau chaude sanitaire.'
En résumé, l'expert a retenu que les panneaux hybrides Dualsun, installés par Francénergie et chargés d'assurer le chauffage d'un ballon de 300l, avaient un rendement thermique de 28%, alors que les panneaux thermiques Gasokol précédemment en place présentaient un rendement bien supérieur de 74%, et que 'la société Francénergie a répondu au besoin exprimé de maximisation de la production photovoltaïque, au détriment du chauffage de l'eau de la piscine.' M. [S] explique également en bas de page 12 que le site de la société Dualsun expliquait clairement le fonctionnement de ces panneaux hybrides qui sont 'conçus pour ne pas monter trop haut en température afin de ne pas impacter négativement la partie photovoltaïque et par la même occasion, éviter tout risque de surchauffe côté thermique grâce à une température de stagnation basse.'
Il est certain que la société Francénergie, qui s'était rendue sur les lieux, ne pouvait ignorer le surdimensionnement de l'installation thermique en place sur la toiture de M.et Mme [H] (7 panneaux en place), alors que '3 panneaux thermiques gasokol (3X2.02=6.06m²) ou 4 panneaux hybrides Dualsun (4X1.66=6.64m²) sont suffisants pour un ballon de 300l.', non plus que la présence d'une piscine permettant le déchargement du surplus d'eau chaude produite pour éviter ou réduire les surchauffes de l'installation, ce qui constitue une 'configuration standard de délestage du surplus calorifique'. Ainsi, tant le rapport d'expertise de l'assureur Groupama, réalisé par M. [U], que le rapport d'expertise judiciaire réalisé par M. [S] retiennent que le dimensionnement photovoltaïque et thermique est correct pour les besoins en eau chaude sanitaire, et conforme aux règles de l'art, et que 'la priorité d'une installation thermique est de répondre -au moins en partie - aux besoins en eau chaude sanitaire, le surplus pouvant être utilisé pour chauffer l'eau d'une piscine'. M. [S] a également rappelé certaines règles techniques 'une installation solaire n'est jamais dimensionnée pour couvrir 100% des besoins en eau chaude sanitaire sur l'année. Cela reviendrait à dimensionner l'installation pour couvrir 100% le mois de plus faible ensoleillement avec, pour conséquence, d'avoir des surchauffes estivales importantes (vieillissement prématuré/dommages des installations) et un coût d'installation très élevé.'
Or, le chauffage de la piscine ne pouvait être un élément contractuel entré dans le champ des relations entre les parties, dans la mesure où :
- rien ne permet d'établir que le dimensionnement de la première installation ait été fait dans ce but ;
- il est unanimement retenu, au niveau technique, par les deux experts, que la redirection du surplus d'eau chaude sanitaire produite vers la piscine n'est qu'un délestage du surplus, destiné à préserver les capteurs de toute surchauffe, et non un véritable système de chauffage dédié spécifiquement à la piscine ;
- l'installation réalisée par la société Francénergie n'avait pas pour but premier de remplacer les panneaux thermiques Gasokol, mais répondait à une demande d'optimisation de la production d'électricité et d'obtention par ce biais d'une source de revenus supplémentaires, ce qui n'est pas contesté par les époux [H] ;
- les autres besoins, ont été satisfaits, par ordre de priorité exprimée par les époux [H], ainsi l'amélioration de l'esthétique de la toiture (les panneaux thermiques étant plus volumineux et moins intégrables en toiture que les panneaux photovoltaïques et hybrides plus fins), le préchauffage du ballon existant, étant rappelé qu'une pompe à chaleur reliée à un ballon thermodynamique destiné à prendre le relai du ballon de 300l existant a également été rajouté ;
- enfin, l'argument selon lequel les parties ont arbitré entre les besoins exprimés entre la production d'électricité et d' eau chaude sanitaire paraît pertinent en ce que les kWh sont achetés par EDF au prix de 18 centimes aux époux [H] et leurs sont vendus à seulement 9 centimes, et qui explique le sacrifice d'une partie de la capacité de préchauffage de l'eau chaude sanitaire par le biais de la mise en place de panneaux hybrides permettant de booster la production photovoltaïque et non de panneaux thermiques plus onéreux et moins esthétiques.
En dernier lieu, il convient d'observer que la mise en place de panneaux thermiques susceptibles d'assurer le même service aux époux [H] aurait conduit à amputer les revenus perçus de la production photovoltaïque de 30% (soit une perte de 10 740 euros sur 20 années), et que les intimés ne pouvaient prétendre, au regard de la superficie de leur pan de toiture orienté sud-ouest, exploitable pour mettre en oeuvre des panneaux solaires, à placer davantage de capteurs. Il ne peut donc être affirmé que les époux [H] avaient signifié à la société Francénergie que le maintien de la production d'eau chaude sanitaire et des avantages de leur système préexistant de panneaux thermiques était une priorité, alors qu'ils ont, à l'inverse, sollicité un système permettant d'optimiser la production d'électricité photovoltaïque et la perception de revenus corrélés, ce qui est repris dans les différents rapports expertaux et n'est pas contesté dans la présente instance.
Au regard de l'impossibilité de mettre en évidence un manquement au devoir de conseil de la société Francénergie, au regard de la finalité première de l'installation, qui était de produire de l'électricité et de l'eau chaude sanitaire, et des besoins exprimés par les époux [H], qui ne peuvent se déduire exclusivement de l'installation préexistante qui ne répondait qu'à une seule des finalités précitées, il y a lieu d'infirmer la décision de première instance.
Succombant au fond, les époux [H] supporteront les dépens de l'instance d'appel, ainsi qu'une indemnité procédurale de 2 000 euros au bénéfice de la partie appelante.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision réputée contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Infirme la décision entreprise en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Rejette les demandes de M. [I] [H] et Mme [C] [B] épouse [H],
Y ajoutant,
Condamne [I] [H] et Mme [C] [B] épouse [H] aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais de l'expertise,
Condamne [I] [H] et Mme [C] [B] épouse [H] à verser à la société Francénergie la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.