Décisions
CA Paris, Pôle 5 - ch. 6, 26 juin 2024, n° 23/03356
PARIS
Arrêt
Autre
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 26 JUIN 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03356 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHEQT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Janvier 2023 - tribunali judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 21/10613
APPELANTE
Madame [H] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de PARIS, toque : R234
INTIMEE
S.A. LA BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Localité 3]
N°SIRET : 421 100 645
agissant poursuites et diligences de ses dirigeants sociaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0812
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence CHAINTRON,conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
MME Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
Démarchée par la société Private Diamond se présentant comme spécialisée dans le négoce et la revente de diamants dits d'investissement, Mme [H] [Y] a effectué entre le 16 décembre 2016 et le 11 mars 2017, au bénéfice d'établissements bancaires situés en Slovaquie et en Hongrie, plusieurs virements pour un montant total de 36 751 euros depuis son compte courant postal n° 2030465H020 ouvert dans les livres de la SA la Banque postale selon les modalités suivantes :
- 1 191 euros le 16 décembre 2016,
- deux fois la somme de 9 267 euros le 10 février 2017,
- 10 000 euros le 28 février 2017,
- 2 342 euros le 10 mars 2017,
- deux fois la somme de 2 342 euros le 11 mars 2017.
N'ayant pu récupérer les fonds et estimant avoir été victime d'une escroquerie, Mme [Y] a déposé plainte à titre individuel le 22 août 2017 puis, dans le cadre d'une action collective, le 9 avril 2021.
Le 20 mai 2021, son conseil a mis en demeure la Banque postale de lui rembourser la somme de 34 254 euros.
Par exploit d'huissier de justice du 28 juillet 2021, Mme [Y] a fait assigner la Banque postale devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de la voir condamnée à l'indemniser de ses préjudices financier, moral et de jouissance.
Par jugement rendu le 18 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :
- débouté Mme [H] [Y] de ses demandes ;
- condamné Mme [H] [Y] aux dépens ;
- condamné Mme [H] [Y] à payer à la SA Banque postale la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- écarté l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration du 10 février 2023, Mme [Y] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2024, Mme [Y] demande, au visa des articles L. 561-4 et suivants du code monétaire et financier, 1240, 1241, 1112-1 et 1231-1 du code civil, à la cour de :
- infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- juger et retenir que la société la Banque postale n'a pas respecté son obligation légale de vigilance,
- juger que la société la Banque postale est responsable des préjudices subis par elle,
A titre subsidiaire :
- juger et retenir que la société la Banque postale n'a pas respecté son obligation d'information à son égard,
- juger que la société la Banque postale est responsable des préjudices subis par elle,
En tout état de cause :
- condamner la société la Banque postale à lui rembourser la somme de 34 254 euros, correspondant à la totalité des investissements auprès de la société Private Diamond, déduction faite des sommes récupérées, en réparation de son préjudice matériel,
- condamner la société la Banque postale à lui verser la somme de 6 850,80 euros, correspondant à 20 % du montant des investissements, au titre du préjudice moral et de jouissance,
- condamner la société la Banque postale à lui verser la somme de 6 000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 avril 2024, la Banque postale demande, au visa des articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil, à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions, l'y déclarant bien fondée,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2023 en toutes ses dispositions,
- juger que sa responsabilité n'est pas engagée,
- juger que Mme [Y] a fait preuve d'une particulière négligence de nature à l'exonérer de toute éventuelle responsabilité retenue à son encontre,
- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Y] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024 et l'audience fixée au 16 mai 2024.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la banque gestionnaire de compte
A l'appui de ses prétentions, Mme [Y] fait valoir tout d'abord que la Banque postale a manqué à ses obligations de contrôle et de vigilance concernant les opérations bancaires passées par elle et ce d'autant plus qu'elles intervenaient dans le cadre de placements financiers identifiés à risques. De plus, elle soutient que l'obligation de résultat dans l'exécution des ordres de paiement par le dépositaire des fonds, agissant en qualité de prestataire de services de paiement, n'exclut pas l'exercice d'une vigilance et d'une surveillance des opérations exécutées par ses clients. Elle en conclut que la Banque postale n'a pas été vigilante, par principe, au regard des achats 'atypiques' qu'elle a effectués et des alertes des autorités compétentes concernant notamment l'achat de diamants d'investissement, et plus particulièrement ceux vendus par la société Private Diamond qui n'étaient pas autorisés sur le territoire français.
Elle reproche également à l'établissement bancaire, qui est tenu à un devoir de vigilance même en sa qualité de simple teneur de compte, de ne pas avoir décelé les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, des opérations bancaires sur son compte qui, en l'espèce, résultaient de sa qualité de retraitée, du caractère exorbitant des sommes investies représentant une part prépondérante de son patrimoine, du fonctionnement anormal du compte bancaire (répétition inhabituelle des opérations et absence d'opérations antérieures similaires), de la localisation à l'étranger des destinataires des fonds, de la mention de nouveaux bénéficiaires et de l'absence de relations contractuelles antérieures avec ceux-ci et du caractère potentiellement suspect des mouvements de fonds.
Elle soutient que les opérations ont eu lieu sans contrôle, ni intervention de la Banque postale, alors qu'elle aurait dû refuser de réaliser les opérations en application des dispositions de l'article L. 561-8 du code monétaire et financier.
Mme [Y] soutient également, à titre subsidiaire, que la Banque postale a manqué à son obligation d'information générale et spéciale, dont il lui incombe de prouver le respect, à laquelle elle est tenue en matière d'investissements financiers lorsque les biens acquis peuvent faire l'objet d'actes de blanchiment ou sont liés au financement du terrorisme, et qui doit, selon elle, s'étendre à tout investissement qui n'obéit pas 'aux schémas traditionnels' comme le démontrent les mécanismes de contrôle renforcé mis en place par de nombreux établissements bancaires.
Enfin, en réplique aux arguments de la Banque postale, Mme [Y] conteste toute faute ou imprudence de sa part, se considérant comme victime d'une escroquerie d'ampleur internationale.
Sur ses préjudices, elle soutient que la Banque postale, par ses manquements, lui a causé un préjudice matériel s'élevant à la somme de 34 254 euros qui correspond au montant des investissements effectués, déduction faite des sommes récupérées. Elle estime également avoir subi un préjudice moral et de jouissance lié à la perte de chance de réaliser un meilleur placement moins risqué, plus sécurisé et ayant une perspective de rentabilité réelle qu'elle évalue à 20 % du montant des investissements, soit la somme de 6 850,88 euros.
Sur l'existence alléguée par la banque d'une faute de sa part, elle réplique que le droit impose des mesures de contrôle et de vigilance à un établissement bancaire qui n'incombent pas au consommateur ou au client de la banque, elle a été victime d'une escroquerie internationale, mise en place par la filière franco-israélienne connue sous le nom de 'Partouche Boudokhane', elle n'a pas été imprudente, mais manipulée et trompée par des escrocs ayant une habilité indubitable et des compétences particulières en matière de blanchiment de capitaux.
La banque réplique que l'établissement de crédit teneur de compte est tenu d'un principe de non-ingérence qui lui interdit de s'immiscer dans les affaires de son client sous réserve d'anomalies apparentes qui n'existaient pas dans les opérations passées par Mme [Y]. Elle soutient avoir ainsi rempli ses obligations en sa qualité de prestataire de services de paiement en exécutant les ordres de virement donnés par l'appelante ainsi que son devoir de vigilance édicté par les articles L.561-2 du code monétaire et financier qui, pour ce dernier, ne saurait en toute hypothèse servir de fondement à une recherche de sa responsabilité. Elle relève que les éventuels mécanismes de contrôle mis en place par certains établissements ne relèvent pas de dispositions légales qui l'obligeraient.
Elle soutient par ailleurs que Mme [Y] a fait preuve de négligence et d'imprudence dans les opérations litigieuses qui ont pour conséquence de l'exonérer de toute éventuelle part de responsabilité dans les pertes alléguées.
De même, l'obligation d'information invoquée par Mme [Y], à titre subsidiaire, ne repose sur aucun fondement juridique qui lui serait opposable.
Enfin, elle conteste les postes de préjudice qu'elle estime non fondés.
Le tribunal a rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de ces obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).
C'est donc à juste titre qu'il en a déduit que Mme [Y] n'est pas fondée à en tirer argument pour conclure qu'il appartenait à la banque d'utiliser les moyens dont elle dispose pour procéder à la lutte contre le blanchiment de capitaux et pour l'alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu'elle effectuait avec des sociétés tierces situées à l'étranger.
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l'espèce, ainsi qu'indiqué, entre le 16 décembre 2016 et le 11 mars 2017, soit sur une période de près de 3 mois, Mme [Y] a donné l'ordre à la Banque postale d'effectuer 7 virements au bénéfice de comptes ouverts dans des banques européennes (en Slovaquie et en Hongrie) pour un montant total de 36 751 euros (pièce n° 6 de l'appelante).
Il est constant que ces virement ont tous été effectués sur instructions expresses et détaillées de la part de Mme [Y], qui, comme l'a relevé le tribunal, ne remet pas en cause leur authenticité, mais entend seulement obtenir réparation des préjudices qu'elle a subis en raison du caractère frauduleux des investissements en justifiant la passation.
Mme [Y] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous les ordres de virements, de sorte qu'ils ne relèvent pas de la législation spécifique aux virements frauduleux car non valablement autorisés par le détenteur du compte de dépôt sur lequel ils ont été débités.
Il ressort des relevés de compte versés aux débats par Mme [Y] pour la période litigieuse que les virements litigieux ne correspondent pas aux modalités de fonctionnement habituel du compte.
Toutefois, comme l'a relevé le tribunal, le solde du compte est demeuré créditeur à l'issue de chaque virement ordonné par Mme [Y] qui a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l'exécution de chaque virement. Ces virements n'ont donc pas relevé d'une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors Mme [Y].
Les pays de destination, à savoir la Slovaquie pour le premier, puis la Hongrie, membres de l'Union européenne, n'étaient pas placés dans des zones à risque particulier.
Aucun des destinataires des fonds, bénéficiaires des virements, n'était inscrit sur la liste noire dressée par l'Autorité des marchés financiers.
Il y a lieu de rappeler également que la banque n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré par Mme [Y], ni que la banque ait été informée de la nature des investissements effectués, ni qu'elle ait eu connaissance que ces investissements étaient réalisés via la société Private Diamond. L'appelante n'a pas sollicité le conseil de sa banque sur un investissement quelconque et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en a dispensé aucun.
Au surplus, s'il résulte de la liste des sites internet publiée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) le 24 juillet 2017 (pièce de l'appelante n° 12), que la société Private Diamond a été identifiée parmi les 'acteurs proposant des diamants d'investissement sans disposer des autorisations nécessaires', force est de constater que cette liste a été publiée après le dernier virement litigieux en date du 11 mars 2017, de sorte que Mme [Y] est mal fondée à reprocher à l'intimée son manque de vigilance concernant ce type d'opérations.
Enfin, la Banque Postale n'était tenue à aucune obligation d'information, ni générale, ni spéciale, à défaut de convention entre les parties prévoyant une telle obligation, alors même qu'elle n'est astreinte à aucune obligation générale d'information légale dans ce domaine et ce, nonobstant, les éventuelles procédures de contrôle mises en place par certains établissements bancaires de leur propre initiative et qui n'obligent qu'eux mêmes.
Mme [Y] a souhaité effectué des placements lui garantissant un rendement plus élevé que celui qu'elle pouvait obtenir au moyen des produits financiers habituellement commercialisés par les établissements de crédit.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu que la responsabilité de la Banque Postale en sa qualité de simple teneur de compte depuis lequel les virements ont été effectués, pour manquement à son obligation de vigilance, ne saurait être retenue et a débouté en conséquence Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la Banque Postale les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2023 ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [H] [Y] aux entiers dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRESIDENT
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 6
ARRET DU 26 JUIN 2024
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/03356 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CHEQT
Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Janvier 2023 - tribunali judiciaire de Paris - 9ème chambre 2ème section - RG n° 21/10613
APPELANTE
Madame [H] [Y]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Julie BARIANI, avocat au barreau de PARIS, toque : R234
INTIMEE
S.A. LA BANQUE POSTALE
[Adresse 1]
[Localité 3]
N°SIRET : 421 100 645
agissant poursuites et diligences de ses dirigeants sociaux domiciliés en cette qualité audit siège
Représentée par Me Jean-Philippe GOSSET de la SELEURL CABINET GOSSET, avocat au barreau de PARIS, toque : B0812
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 Mai 2024, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laurence CHAINTRON,conseillère.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M. Marc BAILLY, président de chambre
MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère
MME Laurence CHAINTRON, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Marc BAILLY, président de chambre, et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.
* * * * *
Démarchée par la société Private Diamond se présentant comme spécialisée dans le négoce et la revente de diamants dits d'investissement, Mme [H] [Y] a effectué entre le 16 décembre 2016 et le 11 mars 2017, au bénéfice d'établissements bancaires situés en Slovaquie et en Hongrie, plusieurs virements pour un montant total de 36 751 euros depuis son compte courant postal n° 2030465H020 ouvert dans les livres de la SA la Banque postale selon les modalités suivantes :
- 1 191 euros le 16 décembre 2016,
- deux fois la somme de 9 267 euros le 10 février 2017,
- 10 000 euros le 28 février 2017,
- 2 342 euros le 10 mars 2017,
- deux fois la somme de 2 342 euros le 11 mars 2017.
N'ayant pu récupérer les fonds et estimant avoir été victime d'une escroquerie, Mme [Y] a déposé plainte à titre individuel le 22 août 2017 puis, dans le cadre d'une action collective, le 9 avril 2021.
Le 20 mai 2021, son conseil a mis en demeure la Banque postale de lui rembourser la somme de 34 254 euros.
Par exploit d'huissier de justice du 28 juillet 2021, Mme [Y] a fait assigner la Banque postale devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de la voir condamnée à l'indemniser de ses préjudices financier, moral et de jouissance.
Par jugement rendu le 18 janvier 2023, le tribunal judiciaire de Paris a :
- débouté Mme [H] [Y] de ses demandes ;
- condamné Mme [H] [Y] aux dépens ;
- condamné Mme [H] [Y] à payer à la SA Banque postale la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- écarté l'exécution provisoire de droit.
Par déclaration du 10 février 2023, Mme [Y] a relevé appel de cette décision.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 mars 2024, Mme [Y] demande, au visa des articles L. 561-4 et suivants du code monétaire et financier, 1240, 1241, 1112-1 et 1231-1 du code civil, à la cour de :
- infirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau :
A titre principal :
- juger et retenir que la société la Banque postale n'a pas respecté son obligation légale de vigilance,
- juger que la société la Banque postale est responsable des préjudices subis par elle,
A titre subsidiaire :
- juger et retenir que la société la Banque postale n'a pas respecté son obligation d'information à son égard,
- juger que la société la Banque postale est responsable des préjudices subis par elle,
En tout état de cause :
- condamner la société la Banque postale à lui rembourser la somme de 34 254 euros, correspondant à la totalité des investissements auprès de la société Private Diamond, déduction faite des sommes récupérées, en réparation de son préjudice matériel,
- condamner la société la Banque postale à lui verser la somme de 6 850,80 euros, correspondant à 20 % du montant des investissements, au titre du préjudice moral et de jouissance,
- condamner la société la Banque postale à lui verser la somme de 6 000 euros, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 avril 2024, la Banque postale demande, au visa des articles 1103, 1104 et 1231-1 du code civil, à la cour de :
- la recevoir en ses conclusions, l'y déclarant bien fondée,
- confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2023 en toutes ses dispositions,
- juger que sa responsabilité n'est pas engagée,
- juger que Mme [Y] a fait preuve d'une particulière négligence de nature à l'exonérer de toute éventuelle responsabilité retenue à son encontre,
- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme [Y] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [Y] aux entiers dépens.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 30 avril 2024 et l'audience fixée au 16 mai 2024.
MOTIFS
Sur la responsabilité de la banque gestionnaire de compte
A l'appui de ses prétentions, Mme [Y] fait valoir tout d'abord que la Banque postale a manqué à ses obligations de contrôle et de vigilance concernant les opérations bancaires passées par elle et ce d'autant plus qu'elles intervenaient dans le cadre de placements financiers identifiés à risques. De plus, elle soutient que l'obligation de résultat dans l'exécution des ordres de paiement par le dépositaire des fonds, agissant en qualité de prestataire de services de paiement, n'exclut pas l'exercice d'une vigilance et d'une surveillance des opérations exécutées par ses clients. Elle en conclut que la Banque postale n'a pas été vigilante, par principe, au regard des achats 'atypiques' qu'elle a effectués et des alertes des autorités compétentes concernant notamment l'achat de diamants d'investissement, et plus particulièrement ceux vendus par la société Private Diamond qui n'étaient pas autorisés sur le territoire français.
Elle reproche également à l'établissement bancaire, qui est tenu à un devoir de vigilance même en sa qualité de simple teneur de compte, de ne pas avoir décelé les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, des opérations bancaires sur son compte qui, en l'espèce, résultaient de sa qualité de retraitée, du caractère exorbitant des sommes investies représentant une part prépondérante de son patrimoine, du fonctionnement anormal du compte bancaire (répétition inhabituelle des opérations et absence d'opérations antérieures similaires), de la localisation à l'étranger des destinataires des fonds, de la mention de nouveaux bénéficiaires et de l'absence de relations contractuelles antérieures avec ceux-ci et du caractère potentiellement suspect des mouvements de fonds.
Elle soutient que les opérations ont eu lieu sans contrôle, ni intervention de la Banque postale, alors qu'elle aurait dû refuser de réaliser les opérations en application des dispositions de l'article L. 561-8 du code monétaire et financier.
Mme [Y] soutient également, à titre subsidiaire, que la Banque postale a manqué à son obligation d'information générale et spéciale, dont il lui incombe de prouver le respect, à laquelle elle est tenue en matière d'investissements financiers lorsque les biens acquis peuvent faire l'objet d'actes de blanchiment ou sont liés au financement du terrorisme, et qui doit, selon elle, s'étendre à tout investissement qui n'obéit pas 'aux schémas traditionnels' comme le démontrent les mécanismes de contrôle renforcé mis en place par de nombreux établissements bancaires.
Enfin, en réplique aux arguments de la Banque postale, Mme [Y] conteste toute faute ou imprudence de sa part, se considérant comme victime d'une escroquerie d'ampleur internationale.
Sur ses préjudices, elle soutient que la Banque postale, par ses manquements, lui a causé un préjudice matériel s'élevant à la somme de 34 254 euros qui correspond au montant des investissements effectués, déduction faite des sommes récupérées. Elle estime également avoir subi un préjudice moral et de jouissance lié à la perte de chance de réaliser un meilleur placement moins risqué, plus sécurisé et ayant une perspective de rentabilité réelle qu'elle évalue à 20 % du montant des investissements, soit la somme de 6 850,88 euros.
Sur l'existence alléguée par la banque d'une faute de sa part, elle réplique que le droit impose des mesures de contrôle et de vigilance à un établissement bancaire qui n'incombent pas au consommateur ou au client de la banque, elle a été victime d'une escroquerie internationale, mise en place par la filière franco-israélienne connue sous le nom de 'Partouche Boudokhane', elle n'a pas été imprudente, mais manipulée et trompée par des escrocs ayant une habilité indubitable et des compétences particulières en matière de blanchiment de capitaux.
La banque réplique que l'établissement de crédit teneur de compte est tenu d'un principe de non-ingérence qui lui interdit de s'immiscer dans les affaires de son client sous réserve d'anomalies apparentes qui n'existaient pas dans les opérations passées par Mme [Y]. Elle soutient avoir ainsi rempli ses obligations en sa qualité de prestataire de services de paiement en exécutant les ordres de virement donnés par l'appelante ainsi que son devoir de vigilance édicté par les articles L.561-2 du code monétaire et financier qui, pour ce dernier, ne saurait en toute hypothèse servir de fondement à une recherche de sa responsabilité. Elle relève que les éventuels mécanismes de contrôle mis en place par certains établissements ne relèvent pas de dispositions légales qui l'obligeraient.
Elle soutient par ailleurs que Mme [Y] a fait preuve de négligence et d'imprudence dans les opérations litigieuses qui ont pour conséquence de l'exonérer de toute éventuelle part de responsabilité dans les pertes alléguées.
De même, l'obligation d'information invoquée par Mme [Y], à titre subsidiaire, ne repose sur aucun fondement juridique qui lui serait opposable.
Enfin, elle conteste les postes de préjudice qu'elle estime non fondés.
Le tribunal a rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation de ces obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages et intérêts à l'organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).
C'est donc à juste titre qu'il en a déduit que Mme [Y] n'est pas fondée à en tirer argument pour conclure qu'il appartenait à la banque d'utiliser les moyens dont elle dispose pour procéder à la lutte contre le blanchiment de capitaux et pour l'alerter sur le risque de fraude pouvant être associé aux opérations qu'elle effectuait avec des sociétés tierces situées à l'étranger.
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n'a pas à procéder à de quelconques investigations sur l'origine et l'importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l'interroger sur l'existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu'aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d'un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n'a pas, en principe, à s'ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de paiement régulièrement faites aux fins de s'assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.
S'il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l'obligation de vigilance de l'établissement de crédit prestataire de services de paiement, c'est à la condition que l'opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l'opération ou encore du fonctionnement du compte.
En l'espèce, ainsi qu'indiqué, entre le 16 décembre 2016 et le 11 mars 2017, soit sur une période de près de 3 mois, Mme [Y] a donné l'ordre à la Banque postale d'effectuer 7 virements au bénéfice de comptes ouverts dans des banques européennes (en Slovaquie et en Hongrie) pour un montant total de 36 751 euros (pièce n° 6 de l'appelante).
Il est constant que ces virement ont tous été effectués sur instructions expresses et détaillées de la part de Mme [Y], qui, comme l'a relevé le tribunal, ne remet pas en cause leur authenticité, mais entend seulement obtenir réparation des préjudices qu'elle a subis en raison du caractère frauduleux des investissements en justifiant la passation.
Mme [Y] ne conteste pas avoir donné son consentement à tous les ordres de virements, de sorte qu'ils ne relèvent pas de la législation spécifique aux virements frauduleux car non valablement autorisés par le détenteur du compte de dépôt sur lequel ils ont été débités.
Il ressort des relevés de compte versés aux débats par Mme [Y] pour la période litigieuse que les virements litigieux ne correspondent pas aux modalités de fonctionnement habituel du compte.
Toutefois, comme l'a relevé le tribunal, le solde du compte est demeuré créditeur à l'issue de chaque virement ordonné par Mme [Y] qui a veillé à alimenter suffisamment le compte avant l'exécution de chaque virement. Ces virements n'ont donc pas relevé d'une gestion patrimoniale incompatible avec les divers avoirs dont disposait alors Mme [Y].
Les pays de destination, à savoir la Slovaquie pour le premier, puis la Hongrie, membres de l'Union européenne, n'étaient pas placés dans des zones à risque particulier.
Aucun des destinataires des fonds, bénéficiaires des virements, n'était inscrit sur la liste noire dressée par l'Autorité des marchés financiers.
Il y a lieu de rappeler également que la banque n'est intervenue qu'en qualité de prestataire de services de paiement et gestionnaire de compte, de sorte qu'elle n'était tenue à aucune obligation de mise en garde ou de conseil et qu'en tout état de cause, il n'est pas démontré par Mme [Y], ni que la banque ait été informée de la nature des investissements effectués, ni qu'elle ait eu connaissance que ces investissements étaient réalisés via la société Private Diamond. L'appelante n'a pas sollicité le conseil de sa banque sur un investissement quelconque et compte tenu de ces circonstances, la banque ne lui en a dispensé aucun.
Au surplus, s'il résulte de la liste des sites internet publiée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) le 24 juillet 2017 (pièce de l'appelante n° 12), que la société Private Diamond a été identifiée parmi les 'acteurs proposant des diamants d'investissement sans disposer des autorisations nécessaires', force est de constater que cette liste a été publiée après le dernier virement litigieux en date du 11 mars 2017, de sorte que Mme [Y] est mal fondée à reprocher à l'intimée son manque de vigilance concernant ce type d'opérations.
Enfin, la Banque Postale n'était tenue à aucune obligation d'information, ni générale, ni spéciale, à défaut de convention entre les parties prévoyant une telle obligation, alors même qu'elle n'est astreinte à aucune obligation générale d'information légale dans ce domaine et ce, nonobstant, les éventuelles procédures de contrôle mises en place par certains établissements bancaires de leur propre initiative et qui n'obligent qu'eux mêmes.
Mme [Y] a souhaité effectué des placements lui garantissant un rendement plus élevé que celui qu'elle pouvait obtenir au moyen des produits financiers habituellement commercialisés par les établissements de crédit.
Le jugement déféré sera par conséquent confirmé en ce qu'il a retenu que la responsabilité de la Banque Postale en sa qualité de simple teneur de compte depuis lequel les virements ont été effectués, pour manquement à son obligation de vigilance, ne saurait être retenue et a débouté en conséquence Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. L'appelante sera donc condamnée aux dépens.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la Banque Postale les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 18 janvier 2023 ;
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE Mme [H] [Y] aux entiers dépens d'appel ;
REJETTE toute autre demande.
* * * * *
LE GREFFIER LE PRESIDENT