Décisions
CA Riom, ch. com., 5 juin 2024, n° 23/00638
RIOM
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°293
DU : 05 Juin 2024
N° RG 23/00638 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F7RK
VTD
Arrêt rendu le cinq Juin deux mille vingt quatre
Sur APPEL d'une décision rendue le 6 avril 2023 par le tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (N°RG 22/000882)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Anne-Céline BERGER, Conseiller
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [V] [D]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Maître Anne RIOL, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT
ET :
S.A. CRÉDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Maître Jean-Michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 11 Avril 2024, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 05 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [D], agriculteur, a souscrit deux prêts auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France pour financer tout d'abord la construction d'une stabulation, puis celle d'un bâtiment de stockage ;
- prêt n°00999846687 du 19 décembre 2000 d'un montant de 71 651,04 euros (470 000 francs) amortissable sur 12 ans ;
- prêt n°00999679674 du 6 mai 2004 d'un montant de 106 562 euros amortissable sur 12 ans.
Les deux financements ont été remboursés jusqu'au cours de l'année 2016 où des défaillances répétées sont intervenues, provoquant la déchéance du terme.
Par acte d'huissier du 2 octobre 2018, le Crédit Agricole a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, M. [D] afin de voir condamner l'intéressé à lui payer les sommes suivantes :
- 4 837,92 euros au titre du prêt de 71 651,04 euros, outre intérêts capitalisés au taux contractuel de 5 % à compter de l'assignation ;
- 53 718,55 euros au titre du prêt de 106 562 euros, outre intérêts capitalisés au taux contractuel de 7 % à compter de l'assignation ;
- 9 080,85 euros au titre du découvert de son compte courant, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 6 avril 2023, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- rejeté les demandes indemnitaires de M. [D] ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 9 080,85 euros au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] ;
- dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2018;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- dit que M. [D] disposait, pour exécuter ces condamnations, d'un délai de 24 mois courant à compter de la décision, pendant lequel aucune mesure d'exécution ne pourrait être diligentée par le créancier ;
- condamné M. [D] aux dépens ;
- rejeté la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a énoncé, s'agissant de la demande de dommages et intérêts de M. [D], que ce dernier était taisant sur le lien de causalité et la nature de son dommage ; que la somme sollicitée de 180 000 euros sur laquelle il ne s'expliquait pas, relevait d'une appréciation forfaitaire non étayée ; qu'au surplus, à supposer démontrés les manquements de la banque, aucun lien causal n'était caractérisé ; que cette démonstration que M. [D] omettait de réaliser, serait rendue particulièrement ardue par le fait qu'il s'était objectivement acquitté des échéances pendant près de 16 et 12 ans.
Sur la demande de délais de paiement, le tribunal a relevé que M. [D] présentait une situation économique particulièrement obérée (avis d'impôts de 2017 à 2020).
M. [V] [D] a interjeté appel du jugement le 13 avril 2023.
Par conclusions déposées et notifiées le 18 mars 2024, l'appelant demande à la cour, au visa des articles 1112-1, 1231-1, 1347 du code civil, de :
- dire bien appelé, mal jugé ;
- infirmer le jugement ;
- statuant à nouveau :
à titre principal :
- constater que le Crédit Agricole n'a pas satisfait aux obligations de conseil et de mise en garde résultant des dispositions de l'article 1231-1 du code civil et de la jurisprudence ;
- en conséquence, débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 180 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des manquements par l'organisme prêteur à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde ;
- prononcer la compensation des sommes mises à sa charge avec les dommages et intérêts qui lui seront alloués ;
à titre subsidiaire :
- lui accorder un différé de paiement de 24 mois pour s'acquitter de la créance du Crédit Agricole afin de lui permettre de trouver une solution de financement de la somme qui serait éventuellement mise à sa charge ;
en état de cause :
- condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 1er août 2023, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil dans leur rédaction alors applicable, de :
- débouter M. [D] de son appel non fondé comme de toutes ses demandes, fins et conclusions, et confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf sur le sort des intérêts et les dommages et intérêts sur son appel incident ;
- condamner M. [D] à lui payer :
au titre du prêt de 71 651,04 euros, la somme de 4 837,92 euros avec intérêts au taux contractuel de 5 % à compter de la mise en demeure du 23 février 2017, lesdits intérêts capitalisés à compter de l'assignation ;
au titre du prêt de 106 562 euros, la somme principale de 53 718,55 euros au taux contractuel de 7 % à compter de la mise en demeure du 23 février 2017 outre capitalisation à compter de l'assignation introductive ;
au titre du compte courant ouvert dans ses livres, n°[XXXXXXXXXX01] qui présente à la date du 31 mai 2018, un solde débiteur de 9 080,85 euros avec intérêts au taux légal capitalisés à compter de l'assignation introductive ;
- condamner M. [D] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts réparateurs d'une résistance abusive et injustifiée, outre 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens qui comprendront éventuellement tous frais de mesures conservatoires.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2024.
MOTIFS
- Sur les demandes en paiement de la banque
Selon l'article 1134 ancien du code civil, les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Il y a lieu tout d'abord de constater, comme l'a fait le premier juge, que les montants réclamés par le Crédit Agricole et leur caractère exigible ne sont pas contestés par M. [D], y compris devant la cour ; que la qualité d'emprunteur de ce dernier et sa défaillance dans les remboursements sont démontrés
Dans ces circonstances, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [D] à payer au Crédit Agricole les sommes de :
- 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- 9 080,85 euros au titre du solde débiteur du compte courant.
Il n'y a pas lieu à majorer les intérêts contractuels de 3 points comme sollicité par le Crédit Agricole, car dans les deux contrats, en cas de déchéance du terme du prêt, 'le prêt deviendra de plein droit exigible en capital, intérêts, frais et accessoires'.
Le paragraphe précédent faisant état de la perception d'intérêts de retard au taux applicable au jour de la dite échéance, majoré de trois points en cas de somme non payée à son échéance normale, ne peut justifier la demande du Crédit Agricole sur ce point.
Ainsi, la somme de 4 837,92 euros portera intérêts au taux de 2 %, celle de 53 718,55 euros au taux de4 %, et celle de 9 080,85 euros au titre du solde débiteur, au taux légal, et ce, à compter de la mise en demeure du 28 février 2017 pour les trois sommes.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément à l'article 1343-2 du code civil.
- Sur le devoir de conseil et de mise en garde
Il n'existe pas à la charge du banquier une obligation générale d'information ou un devoir général de conseil, sauf disposition légale ou contractuelle contraire.
Néanmoins, il résulte de l'article 1147 ancien du code civil que le banquier est tenu à l'égard de ses clients, emprunteurs profanes d'un devoir de mise en garde et, il incombe à la banque de rapporter la preuve qu'elle a satisfait à ce devoir.
Le devoir de mise en garde impose à la banque de se renseigner sur les capacités financières et la situation personnelle de l'emprunteur afin de pouvoir l'alerter sur les risques du crédit. Ce risque s'apprécie au moment de la conclusion du contrat. Toutefois, il appartient à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'à l'époque de la souscription du crédit litigieux, sa situation imposait l'accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde.
M. [D] soutient qu'il était un emprunteur non averti, car jeune agriculteur de 29 ans, n'ayant jamais souscrit de prêt et souhaitant lancer son activité professionnelle. Il estime par ailleurs que l'octroi des deux prêts pour un total de 178 213 euros engendrait un risque excessif d'endettement puisqu'il débutait son activité professionnelle et n'avait que de faibles revenus. Il exerçait sous forme d'entreprise individuelle, ce qui revenait à signer un engagement de caution car il y a confusion entre le patrimoine réservé à l'usage professionnel et celui affecté à l'usage privé.
Il expose être soumis à l'impôt sur le revenu ; qu'il est légitime de calculer son ratio d'endettement sur la base globale de son impôt sur le revenu, que la banque doit tenir compte de son endettement global, professionnel comme personnel pour calculer l'endettement maximum. Il en conclut que son taux d'endettement ressortait à 116,45 % en 2000, et à 269 % en 2004.
Sur ce,
M. [D] a souscrit un premier prêt professionnel de 71 651,04 euros (470 000 francs) pour la construction d'une stabulation, le projet portant sur un montant total de 715 000 francs, dont 105 000 euros d'apport personnel, 65 000 et 25 000 euros de subventions. Dans le cadre de ce premier prêt, M. [D] venait de s'installer comme jeune agriculteur, et ce statut lui a donné droit à la dotation aux jeunes agriculteurs et à des prêts bonifiés.
Le second prêt octroyé en mai 2004 à hauteur de 106 562 euros avait pour objet le financement de la construction d'un bâtiment de stockage.
Le caractère non averti de M. [D] n'est pas contesté.
Les avis d'imposition que celui-ci demande de prendre en compte pour déterminer ses revenus, reposent néanmoins sur un revenu cadastral forfaitaire sans relation avec l'activité réelle : l'impôt sur le revenu des agriculteurs est en effet assis sur le revenu cadastral en deçà d'une certaine activité, il n'a donc pas de signification sur l'activité réelle.
Ainsi que le fait valoir le Crédit Agricole, les prêts professionnels accordés à M. [D] l'ont été sur la base du résultat net de son exploitation. La banque s'est fondée sur la comptabilité fournie par M. [D] faisant ressortir l'excédent brut d'exploitation (EBE) qui permet de déterminer sa capacité à rémunérer son dirigeant et à assumer de nouvelles charges d'emprunt.
Cet EBE ressortait à 30 284 euros en 1999, 33 537 euros en 2000, 36 552 euros en 2001, 41 593 euros en 2002, 40 098 euros en 2003.
Après déduction des prélèvements, la capacité de remboursement ressortait à 22 856 euros en 1999, 31 913 euros en 2000, 22 179 euros en 2001, 31 052 euros en 2002 et 34 349 euros en 2003.
La charge du crédit s'élevait à 6 720,06 euros dans le cadre du premier prêt, la capacité de remboursement était ainsi suffisante pour assurer son remboursement.
De même, les résultats comptables au 31 décembre 2003 laissaient apparaître une capacité de remboursement de 34 349 euros, compatible avec la nouvelle charge d'emprunt de 10 903,56 euros et la charge du premier prêt de 6 720,96 euros.
M. [D] ne produit, en dehors de ses avis d'imposition, aucun élément sur son patrimoine de l'époque et sur d'éventuels autres engagements (prêts, cautionnements ou autres).
Dans ces circonstances, il ne rapporte pas la preuve du caractère excessif des emprunts, outre le fait que les prêts litigieux ont été remboursés pendant plusieurs années, sans que ne soient établies de difficultés particulières dans le remboursement.
Ainsi, l'emprunteur n'établit pas qu'à l'époque de la souscription des crédit litigieux (2000 et 2004), sa situation imposait l'accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde.
Il sera débouté de sa demande à ce titre, et le jugement sera confirmé par motifs en partie substitués.
- Sur la demande de délais de paiement et la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Le tribunal a fait droit à la demande de délais de paiement de M. [D] en lui octroyant un délai de 24 mois dans son jugement du 6 avril 2023.
Néanmoins, malgré les vicissitudes de la procédure, la mise en demeure de payer les sommes dues au titre des soldes des prêts bancaires et du compte courant débiteur est en date du 23 février 2017. Aucun paiement n'est intervenu depuis cette date (il y a plus de 7 ans).
Si M. [D] rencontre de sérieuses difficultés financières, aucun plan de remboursement ne peut être mis en place permettant un apurement de la dette sur un délai de 24 mois et un report pur et simple ne peut s'envisager qu'en présence de perspectives à venir dans ce délai. Or, il n'est justifié d'aucune démarche de tentative de refinancement depuis le jugement.
La demande de délais de paiement sera donc rejetée.
Au surplus, la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formée par la banque sera rejetée, le défaut de paiement ne relevant nullement d'un abus au vu des difficultés économiques de M. [D].
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant à l'instance, M. [D] sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande néanmoins de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction,
Confirme, par motifs en partie substitués, le jugement en ce qu'il a :
- rejeté les demandes indemnitaires de M. [V] [D] ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 9 080,85 euros au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- condamné M. [V] [D] aux dépens ;
- rejeté la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le surplus des dispositions du jugement déféré ;
Statuant à nouveau :
Dit que la somme due au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 portera intérêts au taux de 2 % à compter du 28 février 2017 ;
Dit que la somme due au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 portera intérêts au taux de 4 % à compter du 28 février 2017 ;
Dit que la somme due au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] portera intérêts au taux légal à compter du 28 février 2017 ;
Rejette la demande de délais de paiement formée par M. [V] [D] ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. [V] [D] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente
DE RIOM
Troisième chambre civile et commerciale
ARRET N°293
DU : 05 Juin 2024
N° RG 23/00638 - N° Portalis DBVU-V-B7H-F7RK
VTD
Arrêt rendu le cinq Juin deux mille vingt quatre
Sur APPEL d'une décision rendue le 6 avril 2023 par le tribunal judiciaire de CLERMONT-FERRAND (N°RG 22/000882)
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre
Mme Virginie THEUIL-DIF, Conseiller
Madame Anne-Céline BERGER, Conseiller
En présence de : Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, lors de l'appel des causes et du prononcé
ENTRE :
M. [V] [D]
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentant : Maître Anne RIOL, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANT
ET :
S.A. CRÉDIT AGRICOLE CENTRE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Maître Jean-Michel DE ROCQUIGNY de la SCP COLLET DE ROCQUIGNY CHANTELOT BRODIEZ GOURDOU & ASSOCIES, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMÉE
DÉBATS :
Après avoir entendu en application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, à l'audience publique du 11 Avril 2024, sans opposition de leur part, les avocats des parties, Madame THEUIL-DIF, magistrat chargé du rapport, en a rendu compte à la Cour dans son délibéré.
ARRET :
Prononcé publiquement le 05 Juin 2024 par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Mme Annette DUBLED-VACHERON, Présidente de chambre, et par Mme Cécile CHEBANCE, Greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
M. [V] [D], agriculteur, a souscrit deux prêts auprès de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France pour financer tout d'abord la construction d'une stabulation, puis celle d'un bâtiment de stockage ;
- prêt n°00999846687 du 19 décembre 2000 d'un montant de 71 651,04 euros (470 000 francs) amortissable sur 12 ans ;
- prêt n°00999679674 du 6 mai 2004 d'un montant de 106 562 euros amortissable sur 12 ans.
Les deux financements ont été remboursés jusqu'au cours de l'année 2016 où des défaillances répétées sont intervenues, provoquant la déchéance du terme.
Par acte d'huissier du 2 octobre 2018, le Crédit Agricole a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Clermont-Ferrand, M. [D] afin de voir condamner l'intéressé à lui payer les sommes suivantes :
- 4 837,92 euros au titre du prêt de 71 651,04 euros, outre intérêts capitalisés au taux contractuel de 5 % à compter de l'assignation ;
- 53 718,55 euros au titre du prêt de 106 562 euros, outre intérêts capitalisés au taux contractuel de 7 % à compter de l'assignation ;
- 9 080,85 euros au titre du découvert de son compte courant, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 6 avril 2023, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
- rejeté les demandes indemnitaires de M. [D] ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- condamné M. [D] à verser au Crédit Agricole la somme de 9 080,85 euros au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] ;
- dit que ces sommes porteraient intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2018;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- dit que M. [D] disposait, pour exécuter ces condamnations, d'un délai de 24 mois courant à compter de la décision, pendant lequel aucune mesure d'exécution ne pourrait être diligentée par le créancier ;
- condamné M. [D] aux dépens ;
- rejeté la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le tribunal a énoncé, s'agissant de la demande de dommages et intérêts de M. [D], que ce dernier était taisant sur le lien de causalité et la nature de son dommage ; que la somme sollicitée de 180 000 euros sur laquelle il ne s'expliquait pas, relevait d'une appréciation forfaitaire non étayée ; qu'au surplus, à supposer démontrés les manquements de la banque, aucun lien causal n'était caractérisé ; que cette démonstration que M. [D] omettait de réaliser, serait rendue particulièrement ardue par le fait qu'il s'était objectivement acquitté des échéances pendant près de 16 et 12 ans.
Sur la demande de délais de paiement, le tribunal a relevé que M. [D] présentait une situation économique particulièrement obérée (avis d'impôts de 2017 à 2020).
M. [V] [D] a interjeté appel du jugement le 13 avril 2023.
Par conclusions déposées et notifiées le 18 mars 2024, l'appelant demande à la cour, au visa des articles 1112-1, 1231-1, 1347 du code civil, de :
- dire bien appelé, mal jugé ;
- infirmer le jugement ;
- statuant à nouveau :
à titre principal :
- constater que le Crédit Agricole n'a pas satisfait aux obligations de conseil et de mise en garde résultant des dispositions de l'article 1231-1 du code civil et de la jurisprudence ;
- en conséquence, débouter le Crédit Agricole de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 180 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des manquements par l'organisme prêteur à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde ;
- prononcer la compensation des sommes mises à sa charge avec les dommages et intérêts qui lui seront alloués ;
à titre subsidiaire :
- lui accorder un différé de paiement de 24 mois pour s'acquitter de la créance du Crédit Agricole afin de lui permettre de trouver une solution de financement de la somme qui serait éventuellement mise à sa charge ;
en état de cause :
- condamner le Crédit Agricole à lui payer la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner le Crédit Agricole aux entiers dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées et notifiées le 1er août 2023, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil dans leur rédaction alors applicable, de :
- débouter M. [D] de son appel non fondé comme de toutes ses demandes, fins et conclusions, et confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf sur le sort des intérêts et les dommages et intérêts sur son appel incident ;
- condamner M. [D] à lui payer :
au titre du prêt de 71 651,04 euros, la somme de 4 837,92 euros avec intérêts au taux contractuel de 5 % à compter de la mise en demeure du 23 février 2017, lesdits intérêts capitalisés à compter de l'assignation ;
au titre du prêt de 106 562 euros, la somme principale de 53 718,55 euros au taux contractuel de 7 % à compter de la mise en demeure du 23 février 2017 outre capitalisation à compter de l'assignation introductive ;
au titre du compte courant ouvert dans ses livres, n°[XXXXXXXXXX01] qui présente à la date du 31 mai 2018, un solde débiteur de 9 080,85 euros avec intérêts au taux légal capitalisés à compter de l'assignation introductive ;
- condamner M. [D] à lui payer la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts réparateurs d'une résistance abusive et injustifiée, outre 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [D] aux entiers dépens qui comprendront éventuellement tous frais de mesures conservatoires.
Il sera renvoyé pour l'exposé complet des demandes et moyens des parties à leurs dernières conclusions.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 mars 2024.
MOTIFS
- Sur les demandes en paiement de la banque
Selon l'article 1134 ancien du code civil, les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Il y a lieu tout d'abord de constater, comme l'a fait le premier juge, que les montants réclamés par le Crédit Agricole et leur caractère exigible ne sont pas contestés par M. [D], y compris devant la cour ; que la qualité d'emprunteur de ce dernier et sa défaillance dans les remboursements sont démontrés
Dans ces circonstances, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [D] à payer au Crédit Agricole les sommes de :
- 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- 9 080,85 euros au titre du solde débiteur du compte courant.
Il n'y a pas lieu à majorer les intérêts contractuels de 3 points comme sollicité par le Crédit Agricole, car dans les deux contrats, en cas de déchéance du terme du prêt, 'le prêt deviendra de plein droit exigible en capital, intérêts, frais et accessoires'.
Le paragraphe précédent faisant état de la perception d'intérêts de retard au taux applicable au jour de la dite échéance, majoré de trois points en cas de somme non payée à son échéance normale, ne peut justifier la demande du Crédit Agricole sur ce point.
Ainsi, la somme de 4 837,92 euros portera intérêts au taux de 2 %, celle de 53 718,55 euros au taux de4 %, et celle de 9 080,85 euros au titre du solde débiteur, au taux légal, et ce, à compter de la mise en demeure du 28 février 2017 pour les trois sommes.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément à l'article 1343-2 du code civil.
- Sur le devoir de conseil et de mise en garde
Il n'existe pas à la charge du banquier une obligation générale d'information ou un devoir général de conseil, sauf disposition légale ou contractuelle contraire.
Néanmoins, il résulte de l'article 1147 ancien du code civil que le banquier est tenu à l'égard de ses clients, emprunteurs profanes d'un devoir de mise en garde et, il incombe à la banque de rapporter la preuve qu'elle a satisfait à ce devoir.
Le devoir de mise en garde impose à la banque de se renseigner sur les capacités financières et la situation personnelle de l'emprunteur afin de pouvoir l'alerter sur les risques du crédit. Ce risque s'apprécie au moment de la conclusion du contrat. Toutefois, il appartient à l'emprunteur de rapporter la preuve qu'à l'époque de la souscription du crédit litigieux, sa situation imposait l'accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde.
M. [D] soutient qu'il était un emprunteur non averti, car jeune agriculteur de 29 ans, n'ayant jamais souscrit de prêt et souhaitant lancer son activité professionnelle. Il estime par ailleurs que l'octroi des deux prêts pour un total de 178 213 euros engendrait un risque excessif d'endettement puisqu'il débutait son activité professionnelle et n'avait que de faibles revenus. Il exerçait sous forme d'entreprise individuelle, ce qui revenait à signer un engagement de caution car il y a confusion entre le patrimoine réservé à l'usage professionnel et celui affecté à l'usage privé.
Il expose être soumis à l'impôt sur le revenu ; qu'il est légitime de calculer son ratio d'endettement sur la base globale de son impôt sur le revenu, que la banque doit tenir compte de son endettement global, professionnel comme personnel pour calculer l'endettement maximum. Il en conclut que son taux d'endettement ressortait à 116,45 % en 2000, et à 269 % en 2004.
Sur ce,
M. [D] a souscrit un premier prêt professionnel de 71 651,04 euros (470 000 francs) pour la construction d'une stabulation, le projet portant sur un montant total de 715 000 francs, dont 105 000 euros d'apport personnel, 65 000 et 25 000 euros de subventions. Dans le cadre de ce premier prêt, M. [D] venait de s'installer comme jeune agriculteur, et ce statut lui a donné droit à la dotation aux jeunes agriculteurs et à des prêts bonifiés.
Le second prêt octroyé en mai 2004 à hauteur de 106 562 euros avait pour objet le financement de la construction d'un bâtiment de stockage.
Le caractère non averti de M. [D] n'est pas contesté.
Les avis d'imposition que celui-ci demande de prendre en compte pour déterminer ses revenus, reposent néanmoins sur un revenu cadastral forfaitaire sans relation avec l'activité réelle : l'impôt sur le revenu des agriculteurs est en effet assis sur le revenu cadastral en deçà d'une certaine activité, il n'a donc pas de signification sur l'activité réelle.
Ainsi que le fait valoir le Crédit Agricole, les prêts professionnels accordés à M. [D] l'ont été sur la base du résultat net de son exploitation. La banque s'est fondée sur la comptabilité fournie par M. [D] faisant ressortir l'excédent brut d'exploitation (EBE) qui permet de déterminer sa capacité à rémunérer son dirigeant et à assumer de nouvelles charges d'emprunt.
Cet EBE ressortait à 30 284 euros en 1999, 33 537 euros en 2000, 36 552 euros en 2001, 41 593 euros en 2002, 40 098 euros en 2003.
Après déduction des prélèvements, la capacité de remboursement ressortait à 22 856 euros en 1999, 31 913 euros en 2000, 22 179 euros en 2001, 31 052 euros en 2002 et 34 349 euros en 2003.
La charge du crédit s'élevait à 6 720,06 euros dans le cadre du premier prêt, la capacité de remboursement était ainsi suffisante pour assurer son remboursement.
De même, les résultats comptables au 31 décembre 2003 laissaient apparaître une capacité de remboursement de 34 349 euros, compatible avec la nouvelle charge d'emprunt de 10 903,56 euros et la charge du premier prêt de 6 720,96 euros.
M. [D] ne produit, en dehors de ses avis d'imposition, aucun élément sur son patrimoine de l'époque et sur d'éventuels autres engagements (prêts, cautionnements ou autres).
Dans ces circonstances, il ne rapporte pas la preuve du caractère excessif des emprunts, outre le fait que les prêts litigieux ont été remboursés pendant plusieurs années, sans que ne soient établies de difficultés particulières dans le remboursement.
Ainsi, l'emprunteur n'établit pas qu'à l'époque de la souscription des crédit litigieux (2000 et 2004), sa situation imposait l'accomplissement par la banque de son devoir de mise en garde.
Il sera débouté de sa demande à ce titre, et le jugement sera confirmé par motifs en partie substitués.
- Sur la demande de délais de paiement et la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive
Le tribunal a fait droit à la demande de délais de paiement de M. [D] en lui octroyant un délai de 24 mois dans son jugement du 6 avril 2023.
Néanmoins, malgré les vicissitudes de la procédure, la mise en demeure de payer les sommes dues au titre des soldes des prêts bancaires et du compte courant débiteur est en date du 23 février 2017. Aucun paiement n'est intervenu depuis cette date (il y a plus de 7 ans).
Si M. [D] rencontre de sérieuses difficultés financières, aucun plan de remboursement ne peut être mis en place permettant un apurement de la dette sur un délai de 24 mois et un report pur et simple ne peut s'envisager qu'en présence de perspectives à venir dans ce délai. Or, il n'est justifié d'aucune démarche de tentative de refinancement depuis le jugement.
La demande de délais de paiement sera donc rejetée.
Au surplus, la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive formée par la banque sera rejetée, le défaut de paiement ne relevant nullement d'un abus au vu des difficultés économiques de M. [D].
- Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Succombant à l'instance, M. [D] sera condamné aux dépens d'appel.
L'équité commande néanmoins de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant par arrêt contradictoire, mis à la disposition des parties au greffe de la juridiction,
Confirme, par motifs en partie substitués, le jugement en ce qu'il a :
- rejeté les demandes indemnitaires de M. [V] [D] ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 4 837,92 euros au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 53 718,55 euros au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 ;
- condamné M. [V] [D] à verser à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Centre France la somme de 9 080,85 euros au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] ;
- ordonné la capitalisation des intérêts ;
- condamné M. [V] [D] aux dépens ;
- rejeté la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le surplus des dispositions du jugement déféré ;
Statuant à nouveau :
Dit que la somme due au titre du prêt conclu le 19 décembre 2000 portera intérêts au taux de 2 % à compter du 28 février 2017 ;
Dit que la somme due au titre du prêt conclu le 6 mai 2004 portera intérêts au taux de 4 % à compter du 28 février 2017 ;
Dit que la somme due au titre du débit de son compte courant n°[XXXXXXXXXX01] portera intérêts au taux légal à compter du 28 février 2017 ;
Rejette la demande de délais de paiement formée par M. [V] [D] ;
Dit n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne M. [V] [D] aux dépens d'appel.
Le Greffier La Présidente