Cass. 2e civ., 4 juillet 2024, n° 22-13.575
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
K
Défendeur :
N
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteurs :
Mme Caillard, Mme Durin-Karsenty
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Boullez
Déchéance du pourvoi soulevée par la défense
1. M. [N] demande que Mme [K] soit déchue de son pourvoi, sur le fondement des articles 978 et 615 du code de procédure civile, au motif que le mémoire ampliatif n'a pas été signifié au ministère public qui figurait dans l'instance en révision comme partie jointe et que l'objet du pourvoi étant indivisible, la déchéance du pourvoi en résultant est encourue à l'égard de toutes les parties.
Réponse de la Cour
2. Selon l'article 978 du code de procédure civile, le mémoire déposé par le demandeur en cassation doit, à peine de
déchéance du pourvoi, être notifié dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, aux avocats des autres parties ou
à la partie qui n'est pas tenue de constituer un avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation.
3. Il est jugé que le ministère public ne peut être défendeur au pourvoi que s'il est partie principale à la décision attaquée (1re Civ., 21 mars 2018, pourvoi n° 16-10.677).
4. Or, il résulte des articles 424 et 600 du code de procédure civile que le ministère public, en matière de recours en révision, n'est pas partie principale, mais partie jointe.
5. Dès lors, les dispositions de l'article 978 ne trouvant pas à s'appliquer quand le ministère public avait la qualité de partie jointe devant la cour d'appel, la déchéance du pourvoi, faute de signification du mémoire ampliatif au ministère public, n'est pas encourue.
Faits et procédure
6. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er mars 2022) et les productions, une cour d'appel, par arrêt du 10 mars 2020, a confirmé le jugement du 3 juillet 2018 d'un juge aux affaires familiales ayant prononcé le divorce de Mme [K] et M. [N] à leurs torts partagés, rejeté leurs demandes indemnitaires et condamné M. [N] à payer à Mme [K] une prestation compensatoire d'un certain montant.
7. Le 18 juin 2020, Mme [K] s'est pourvue en cassation contre cet arrêt.
8. Le 31 août 2020, elle a également formé un recours en révision contre l'arrêt du 10 mars 2020, sollicitant sa rétractation en ce qu'il a confirmé le jugement de première instance ayant rejeté ses demandes indemnitaires et limité le montant de la prestation compensatoire.
9. Par une ordonnance du 12 novembre 2020, la Cour de cassation a constaté son désistement.
10. Le 28 décembre 2020, Mme [K] a formé un second recours en révision contre l'arrêt du 10 mars 2020, sollicitant les mêmes demandes. Les deux procédures ont été jointes et M. [N] a conclu à l'irrecevabilité des deux recours en révision.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. Mme [K] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables ses recours en révision d'un arrêt du 10 mars 2020 de la cour d'appel de Paris, formés les 31 août et 28 décembre 2020, alors « que dans les cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ; qu'en l'espèce, pour déclarer irrecevable le recours en révision de Mme [K] formé le 31 août 2020, motifs pris que la décision d'appel dont la révision était demandée n'était pas passée en force de chose jugée en raison du pourvoi interjeté, le 18 juin 2020, à l'encontre de cette même décision par l'exposante, la Cour d'appel, après avoir pourtant constaté que l'arrêt de la Cour d'appel du 10 mars 2020 avait « acquis force de chose jugée au désistement du pourvoi le 27 octobre 2020 », a cru pouvoir affirmer que « c'est à la date du recours en révision qu'il convient de se placer pour en apprécier la régularité » ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel a violé les articles 126 et 593 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
12. Aux termes de l'article 593 du code de procédure civile, le recours en révision tend à faire rétracter un jugement passé en force de chose jugée pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.
13. La condition de recevabilité du recours en révision, tenant à l'existence d'un jugement passé en force de chose jugée, s'apprécie au jour de l'introduction de ce recours.
14. Ayant constaté qu'en raison de l'effet suspensif du pourvoi en cassation, l'arrêt du 10 mars 2020 n'était pas passé en force de chose jugée le 31 août 2020, date d'introduction du premier recours en révision, mais à la date du désistement du pourvoi le 27 octobre 2020, la cour d'appel en a exactement déduit, sans méconnaître les dispositions de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le recours en révision, formé le 31 août 2020, était irrecevable.
15. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
16. Mme [K] fait le même grief à l'arrêt, alors « qu'une partie n'est pas recevable à demander la révision d'une décision qu'elle a déjà attaquée par cette voie, si ce n'est pour une cause qui se serait révélée postérieurement ; que lorsqu'un recours en révision est irrecevable pour avoir été formé de façon prématurée, il ne peut faire obstacle à la formation d'un second recours en révision, au seul motif qu'il est fondé sur la même cause que le premier, cependant que le premier recours n'a pas été examiné ; qu'en l'espèce, pour juger irrecevable le second recours en révision formé par Mme [K] le 28 décembre 2020, la Cour d'appel, après avoir énoncé que « l'article 603 du code de procédure civile exige expressément l'existence d'une cause révélée postérieurement au premier », a relevé que « le second recours en révision de Mme [K], identique au premier et ne se fondant sur aucune des causes énumérées à l'article 595 [du code de procédure civile] survenue postérieurement au 31 août 2020, mais se limitant à invoquer les mêmes faits que dans le recours en révision du 31 août 2020, est donc également irrecevable » ; qu'en statuant ainsi, cependant que la cause justifiant le premier recours en révision formé par Mme [K] – tenant dans la découverte de pièces décisives dissimulées par M. [N] – n'avait pas été examinée, de sorte qu'elle n'avait pas à invoquer une nouvelle cause de révision au soutien de son second recours en révision, la Cour d'appel a violé les articles 126, 595 et 603 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 126 et 603, alinéa 1er, du code de procédure civile :
17. Selon le premier de ces textes, dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d'être régularisée, l'irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue.
18. Aux termes du second, une partie n'est pas recevable à demander la révision d'un jugement qu'elle a déjà attaqué par cette voie, si ce n'est pour une cause qui se serait révélée postérieurement.
19. Il en résulte que lorsqu'un recours en révision a été formé prématurément contre une décision rendue en matière familiale, objet d'un pourvoi suspensif en application des articles 1086 et 1087 du code de procédure civile, ce texte n'interdit pas à son auteur de former un second recours en révision contre la même décision, après désistement de son pourvoi, sans que la partie ait à invoquer une nouvelle cause de révision tant que le premier recours en révision n'a pas été examiné ou déclaré irrecevable.
20. Pour déclarer irrecevable le second recours en révision formé par Mme [K] le 28 décembre 2020, l'arrêt retient que ce recours, identique au premier, ne se fonde sur aucune des causes énumérées à l'article 595 du même code, survenue postérieurement au 31 août 2020, mais se limite à invoquer les mêmes faits que dans le recours en révision du 31 août 2020.
21. En statuant ainsi, alors, d'une part, que le premier recours en révision était dirigé contre un arrêt n'ayant pas force de chose jugée en raison de l'effet suspensif du pourvoi, d'autre part, que cet arrêt ayant acquis force de chose jugée à la suite du désistement du pourvoi de la demanderesse, celle-ci a introduit le second recours en révision avant que le premier recours en révision ait été examiné ou que son irrecevabilité ait été prononcée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
DIT n'y avoir lieu à déchéance du pourvoi ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a déclaré irrecevable le recours en révision formé par Mme [K] le 28 décembre 2020, l'arrêt rendu le 1er mars 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [N] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.