CA Aix-en-Provence, ch. 1-1, 2 juillet 2024, n° 20/09374
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cesam (SAS)
Défendeur :
Cesam (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Brue
Conseillers :
Mme Ouvrel, Mme Allard
Avocats :
Me Bothy, Me Mendes Constante
Exposé des faits et de la procédure
Mme [J] [V] exerce la profession d'infirmière.
Le 28 novembre 2016, elle a passé commande auprès de la société par actions simplifiées Cesam (la SAS Cesam) d'un appareil dénommé 'Medical Jet System' pour un montant de 17 000 € TTC.
Elle a remis un chèque d'acompte d'un montant de 4 000 € le jour même.
Par un courrier de son conseil daté du 18 janvier 2017, Mme [J] [V] a notifié à la SAS Cesam son intention de contester le bon de commande et de ne pas y donner de suite.
La SAS Cesam lui a répondu le 19 janvier 2017, par l'intermédiaire de son conseil, qu'elle considérait la vente comme étant ferme et définitive et qu'elle devait en garantir sa bonne exécution.
Le 20 janvier 2017, la SAS Cesam s'est vue informée par sa banque que le chèque d'acompte remis à l'encaissement avait été rejeté pour cause d'opposition pour perte.
Par acte du 1er février 2017, la SAS Cesam a assigné Mme [J] [V] et la Caisse fédérale du crédit mutuel CCM Nice devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nice pour prononcer la mainlevée de l'opposition du chèque d'acompte.
Par ordonnance en date du 22 juin 2017, le juge des référés a prononcé la mainlevée de l'opposition du chèque et son opposabilité au Crédit Mutuel.
La SAS Cesam a présenté de nouveau le chèque à l'encaissement, lequel a été à nouveau rejeté pour défaut de provision.
Par acte du 31 janvier 2018, la SAS Cesam a cité Mme [J] [V] devant le tribunal de grande instance de Nice en exécution forcée du contrat de vente portant sur l'appareil 'Medical Jet System'.
Par jugement en date du 27 août 2020, le tribunal judiciaire de Nice a :
- dit nul le contrat de vente portant sur l'appareil 'Medical Jet System' conclu entre la SAS Cesam et [J] [V] en date du 28 novembre 2016,
En conséquence,
- débouté la SAS Cesam de sa demande d'exécution forcée du contrat de vente et de condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 17 000 € et d'une astreinte pour réceptionner le matériel,
- condamné la SAS Cesam à payer à [J] [V] la somme de 1 500 €, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de toutes autres demandes,
- condamné la SAS Cesam aux dépens.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a, sur le fondement des articles 1162 du code civil, L. 5211-1 et L. 5211-3 du code de la santé publique, et R. 5211-1 du même code, jugé que l'appareil 'Medical Jet System' constituait bien un dispositif médical au sens de l'article précité, quand bien même il serait utilisé à des fins purement esthétiques par un infirmier.
En effet, l'objet de l'appareil est de faire pénétrer un principe actif dans les couches profondes de la peau et donc conduit à une modification de l'anatomie en agissant directement ou en contrariant le processus naturel de vieillissement. Il est donc pour cette raison soumis à l'exigence de certification de conformité posée par l'article R. 5211-3 du code de la santé publique dont les dispositions sont d'ordre public.
Lors de la commande de l'appareil par Mme [J] [V] auprès de la SAS Cesam le 28 novembre 2016, ce matériel ne disposait pas du certificat de conformité CE Medical exigé. Le contenu du contrat est donc illicite, la mise en service et sur le marché de ce matériel et son utilisation n'étant pas autorisées lors de la conclusion du contrat.
Par déclaration du 1er octobre 2020, la SAS Cesam a relevé appel de cette décision en ce qu'elle a :
- annulé le contrat de vente passé entre elle et Mme [J] [V],
- débouté l'appelante de sa demande d'exécution forcée,
- condamné l'appelante à payer la somme de 1500 € à Mme [J] [V],
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné l'appelante aux entiers dépens.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières conclusions d'appelant régulièrement notifiées le 17 juin 2021, auxquelles il est fait référence pour un exposé plus exhaustif des moyens, la SAS Cesam sollicite de la cour, au visa de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique, de :
la recevoir en son appel et le dire bien fondé,
infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat pour cause illicite,
Statuant de nouveau,
juger que le dispositif 'Medical jet system ou jet peel' est un dispositif à but esthétique,
juger que le contrat signé entre elle et l'intimée est licite,
prononcer la réalisation forcée de la vente,
condamner l'intimée au paiement de la somme de 17 000 € assorti des intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2018,
condamner l'intimée au paiement d'une astreinte de 100 € par jour de retard, à compter du 15ème jour de la signification de la décision à intervenir pour réceptionner le matériel,
condamner l'intimée à la somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir que le contrat n'est pas nul car il porte sur un contenu licite, puisque l'appareil 'Medical Jet System' n'est pas un dispositif médical selon l'ANSM et a donc un but purement esthétique, et disposait d'un marquage CE en date du 7 juin 2017.
Elle soutient que le caractère non invasif retenu par la haute autorité de la santé (HAS) ou la confédération nationale de l'esthétique (CNEP) est déterminant dans la qualification de matériel médical, qualification qui ne peut donc s'appliquer à l'objet litigieux en l'espèce car la technique utilisée n'est pas invasive et n'implique aucun contact avec la peau.
Par déclarations notifiées le 9 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Mme [J] [V] demande à la cour, au visa des articles 1128, 1130, 1137 et 1162 du code civil, des articles R. 4311-3, L. 5211-1, L. 5211-3 et R. 5211-1 du code de la santé publique, L. 121-6-1 et L. 211-18 à 23 du code de la consommation et de l'article L. 441-6 du code de commerce, de :
A titre principal,
juger nul le contrat de vente pour illicéité de son contenu,
En conséquence,
confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Subsidiairement,
juger nul le contrat de vente du 28 novembre 2016 pour dol,
Plus subsidiairement,
juger nul le contrat de vente pour manquement de l'appelante à son obligation d'information sur le droit de rétractation ainsi que sur les conditions générales de vente,
En tout état de cause,
débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes,
condamner l'appelante à la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
A l'appui de ses demandes et prétentions d'intimée, elle fait valoir que :
- au principal, le contrat est nul pour illicéité de son objet, car l'appelante a proposé à la vente du matériel médical sans la certification d'une autorité sanitaire, en ce que l'objet du contrat a pour but de revitaliser la peau en surface et en profondeur, d'assurer le remodelage complet du corps, de renouveler les cellules dermiques et épidermiques,
- le certificat de conformité est exigé au moment de la conclusion du contrat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, peu important l'évolution de la législation sur la certification postérieure,
- subsidiairement, son consentement a été vicié pour dol car l'appelante lui a fait croire qu'elle pouvait exercer une activité personnelle à côté de celle exercée sous la forme de salariat et qu'elle lui a fait miroiter un fort rendement et une activité croissante pour ce type de soins, sans tenir compte de son activité professionnelle d'infirmière et de sa qualité de salariée d'une clinique,
- l'appelante a omis de l'informer sur les qualités essentielles du bien, à savoir que le matériel était destiné à des médecins et non des infirmiers, d'autant moins à des infirmiers salariés d'une clinique,
- plus subsidiairement, le contrat est nul pour absence d'information sur sont droit de rétractation dont elle était destinataire, puisque le contrat a été conclu en dehors de son lieu de travail et le contrat de vente n'entre pas dans le champ de son activité principale, ainsi que pour défaut de communication des conditions générales.
Vu l'avis de fixation et l'ordonnance de clôture du 7 mai 2024.
SUR CE
Mme [J] [V] réclame l'annulation du contrat de vente de l'appareil Medical Jet System,pour illicéité, en application de l'article 1128 3° code civil.
Elle considère qu'il s'agit d'un dispositif médical au sens des articles L5211-1 et R5211-1 du code de la santé publique, devant faire l'objet d'une certification de sécurité exigée par l'article L5211-3 du code de la santé publique.
Mme [J] [V] expose que la nullité absolue du contrat est de droit en cas de dérogation aux règles d'ordre public, prohibée par l'article 1162 du code civil.
L'article L5211-3 du code de la santé publique édicte que les dispositifs médicaux ne peuvent être importés, mis sur le marché, mis en service, utilisés, s'ils n'ont reçu, au préalable, un certificat attestant leur performance, ainsi que leur conformité à des exigences essentielles concernant la sécurité et la santé des patients, des utilisateurs et des tiers.
L'article L5211-1 du code de la santé publique définissant les produits soumis aux règles de mise en service de mise à disposition sur le marché des dispositifs médicaux vise notamment tout instrument appareil équipement à des fins médicales sur l'homme et dans son 3° ceux visant l'investigation, le remplacement ou la modification d'une structure ou fonction anatomique ou d'un processus ou état physiologique ou pathologique.
L'article R5211-1 du même code définit les dispositifs médicaux prévus à l'article L 5211-1, notamment comme les dispositifs destinés à être utilisé à des fins d'études, de remplacement ou de modification de l'anatomie ou d'un processus physiologique.
Aux termes de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Mme [J] [V] doit en conséquence apporter la preuve que le produit objet du bon de commande contesté est un dispositif médical.
L'appellation commerciale Medical Jet System ne peut suffire à établir que l'appareil litigieux constitue un dispositif médical.
Ne sont produits, ni le descriptif de l'appareil, ni son manuel d'utilisation.
Dans ses écritures la SAS Cesam expose que le Medical Jet System est une technique esthétique de revitalisation 100 % naturelle qui permet d'agir sur la peau en surface et en profondeur. Il est précisé qu'à l'aide d'une pièce à main brevetée, l'unité va propulser un mélange d'air et de solution saline sous forme d'un jet de gouttelettes microscopiques et ce sans aucun contact avec la peau et que ce système appelé barophorèse permet un accès à distance aux différentes couches de la peau.
Se référant à la description jointe au bon de commande, ainsi qu'aux brochures fournies, la cour d'appel de Nîmes a constaté dans son arrêt rendu le 20 novembre 2014, produit par la société appelante que l'appareil Medical Jet System était un dispositif de projection par haute pression, à une vitesse supersonique d'un mélange d'air et de solution saline, sous la forme de gouttelettes microscopiques, permettant la pénétration d'un principe actif dans les couches profondes de la peau sans aiguille, ni injection en contact avec la peau.
Aucun élément versé aux débats ne permet d'établir que le fonctionnement de cette machine est de nature à modifier l'anatomie ou la physiologie de la personne traitée et qu'elle doit être soumise à la certification imposée pour la mise sur le marché de dispositifs médicaux.
La demande d'annulation du contrat pour illicéïté de la convention est, en conséquence, rejetée.
L'article 1137 du code civil édicte que le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges et que constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Mme [J] [V] affirme, sans élément de preuve 'avoir été influencée par le commercial charmeur et manipulateur de la société Cesam' et qu'il lui aurait été caché que l'appareil ne pouvait être utilisé que par un médecin.
Il a été constaté qu'il n'était pas démontré que l'appareil Medical Jet System était un dispositif médical.
L'intimée n'apporte aucun élément permettant d'établir qu'il ne pouvait être utilisé que par un médecin et non par une infirmière seule.
L'existence de manoeuvres et de mensonges par omission préalables à la signature du bon de commande, de nature à avoir vicié le consentement de Mme [J] [V] n'est pas démontrée.
Il ne peut donc être fait droit à sa demande d'annulation du contrat pour dol.
Le bon de commande daté du 28 novembre 2016 versé aux débats, dont Mme [J] [V] ne conteste pas la signature mentionne que le client déclare avoir pris connaissance des conditions générales de vente au verso dont la clause de réserve de propriété etdéclare les accepter en toute leur teneur.
Elle n'est pas fondée dans ces conditions à réclamer l'annulation du contrat pour violation des dispositions de l'article 441-6 du code de commerce.
Mme [J] [V] invoque un défaut d'information sur le délai de rétractation prévu par le code de la consommation pour la signature d'un contrat hors établissement.
L'article L121-16-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la date de la signature du bon de commande litigieux étend les dispositions favorables aux consommateurs ou contrats conclus hors établissement entre deux professionnels, dès lors que l'objet de ces contrats n'entre pas dans le dans le champ de l'activité principale du professionnel sollicité.
Il incombe à Mme [J] [V] d'apporter la preuve qu'elle se trouvait alors dans cette situation.
Elle affirme être infirmière diplômée d'État salariée, sans produire aucun justificatif sur ce point.
L'intimée indique par ailleurs qu'un matériel équivalent est déjà mis à sa disposition par son employeur, ainsi supposé avoir une activité dans le domaine de l'esthétique.
Elle ne démontre pas que le contrat a été signé dans le cadre d'une activité accessoire, alors qu'il apparaît que l'esthétique constitue, selon ses propres dires, sa principale activité non salariée.
Le bon de commande précise que le client s'engage à ce que le matériel commandé ait un rapport direct avec son activité.
Il en résulte que Mme [J] [V] ne peut prétendre à bénéficier des dispositions applicables aux consommateurs.
Sa demande d'annulation du contrat pour défaut d'information sur le délai de rétractation est, en conséquence, rejetée.
La SAS Cesam est donc fondée à réclamer l'exécution du contrat de vente et la condamnation de Mme [J] [V] à lui payer la somme de 17 000 €, avec intérêt au taux légal à compter de l'assignation du 31 janvier 2018.
Il n'y a pas lieu de prévoir le prononcé d'une astreinte liée à la réception du matériel.
Le jugement est infirmé.
L'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
La partie perdante est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, conformément aux dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Rejette les demandes d'annulation du contrat du 28 novembre 2016 formées par Mme [J] [V].
Dit que celui-ci doit recevoir exécution.
Condamne Mme [J] [V] à payer à la SAS Cesam la somme de 17 000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 31 janvier 2018.
Dit n'y avoir lieu de prononcer une astreinte liée à la réception du matériel.
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamne Mme [J] [V] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.