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Décisions

CA Montpellier, ch. com., 2 juillet 2024, n° 22/04908

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Crystal Finance (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Demont

Conseillers :

Mme Bourdon, M. Graffin

Avocats :

Me Burger, Me Valère-Landais, Me Auche Hedou, Me Knafou

T. com. Montpellier, du 15 juin 2022, n°…

15 juin 2022

FAITS ET PROCEDURE

Le 1er août 2004, M. [X] [V] a signé un contrat intitulé " MANDAT D'AGENT COMMERCIAL" avec la SA Crystal Finance, courtier en contrats d'assurances, pour la commercialisation de contrats d'assurance et de produits financiers sur le secteur géographique de la Guadeloupe.

Par avenant audit contrat d'agent commercial signé, à effet du 1er janvier 2006, les parties sont convenues d'un nouveau barème de commissions, les autres clauses demeurant sans changement.

Par lettre du 9 janvier 2020, M. [V], par l'entremise de son conseil, a reproché à la société Crystal Finance divers manquements quant à des questions de rémunération, d'accès à certains contrats ou bien encore sur l'absence d'information ou de formation sur les produits à commercialiser, ainsi que d'avoir mis fin brutalement et unilatéralement à la commercialisation de contrats d'assurance représentant une part significative de son activité.

Par exploit du 30 octobre 2020, M. [V] a assigné la société Crystal Finance pour voir résilier le mandat d'agent commercial aux torts exclusifs de cette dernière et obtenir le versement de dommages et intérêts.

Par jugement contradictoire en date du 15 juin 2022, le tribunal de commerce de Montpellier a débouté M. [X] [V] de toutes ses demandes à l'encontre de la société Crystal Finance, et l'a condamné à verser à la société Crystal Finance la somme de 2'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Le 26 septembre 2022, M. [X] [V] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions du 25 avril 2024, il demande à la cour, au visa des articles L. 134-4 et suivants du code de commerce, et des articles 2, 1103 et suivants, 1217 et 1231-1 du code civil :

- d'infirmer le jugement entrepris ;

- usant de son pouvoir d'évocation et jugeant de nouveau l'affaire, de prononcer la résiliation judiciaire du mandat d'agent commercial le liant à la société Crystal Finance (devenue Laplace) aux torts exclusifs de cette dernière en raison des manquements qu'elle a commis dans l'exécution du contrat ;

- de condamner la société Crystal Finance (devenue Laplace) à lui verser la somme de 222'521 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat, outre intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2020 ;

- à titre subsidiaire, si la cour devait retenir les deux dernières années précédant la date de la décision à venir :

- de condamner la société Crystal Finance (devenue Laplace) à lui verser :

- la somme de 100'520 euros à titre d'indemnité de cessation de contrat, outre intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2020 ;

- la somme de 222'521 euros à titre d'indemnité de dommages et intérêts à raison des manquements commis par Crystal Finance (devenue Laplace) dans l'exécution du contrat ;

- et de la condamner à lui verser la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions du 20 mars 2024, la SA Laplace, anciennement dénommée SA Crystal, demande à la cour, au visa de l'article 1353 du code civil, de'confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris, en conséquence, de débouter M. [V] de toutes ses demandes, et de le condamner à lui verser la somme de 5'000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.

Il est renvoyé, pour l'exposé exhaustif des moyens des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est datée du 7 mai 2024.

MOTIFS

M. [X] [V] invoque en premier lieu les dispositions de l'article L. 134-4 du code de commerce qui disposent que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties.

Il fait valoir que la question juridique posée est de savoir si l'adoption de la nouvelle réglementation en 2005 rendrait ipso facto caduc le contrat signé entre les parties comme le prétend la partie adverse, alors que le statut d'agent commercial est entré dans le champ contractuel et qu'il a déterminé le consentement des parties ; que l'article 2 du code civil dispose que la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif ; qu'au moment de la conclusion de son contrat d'agent commercial, aucune autre disposition n'excluait l'application du statut de l'agent commercial au mandataire d'intermédiaire d'assurance ; qu'aucune disposition de la nouvelle réglementation n'a prononcé la caducité des contrats qui étaient en cours ; que les tribunaux ne peuvent pas déroger à la solution de la survie de la loi ancienne en matière de contrat si le législateur n'a pas écarté cette solution ; que l'exigence de l'inscription auprès de l'Orias est une exigence administrative, un formalisme, qui ne vient pas réglementer les relations entre le mandant et le mandataire ; que le contrat d'agent commercial en cause n'a jamais été dénoncé par la société Crystal Finance et cette dernière n'a jamais proposé un autre type de contrat à M. [V] pour régir leurs relations, notamment quant à son droit statutaire à l'indemnité de cessation ; que la société Crystal Finance lui a délivré, bien après le changement de réglementation, une attestation de collaborateur en qualité « d'agent commercial », et lui a appliqué, conformément à son contrat et ses annexes, les frais de location, et les modalités de paiement des commissions ; et que la circonstance que M. [V] ait satisfait à l'obligation d'inscription à l'Orias ne conduit pas à conclure qu'il aurait renoncé au bénéfice de son statut ni acquiescé à sa caducité, puisqu'au demeurant il est resté également inscrit au registre des agents commerciaux.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2005-1564 du 15 décembre 2005 complétée par le décret du 30 août 2006, les intermédiaires d'assurances, dont font partie les mandataires d'intermédiaire d'assurance (MIA), ont l'obligation de s'immatriculer à l'Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance (Orias) de 2005, et le statut du professionnel, dont l'activité de mandataire d'intermédiaire en assurances, est désormais régi par des dispositions spécifiques du code des assurances.

M. [X] [V] est ainsi devenu un mandataire d'intermédiaire d'assurance pour le compte de la société Crystal Finance, régulièrement immatriculé, année après année, auprès de l'ORIAS et qu'il est soumis aux dispositions d'ordre public prévues par le code des assurances.

Néanmoins, faute de nouvelle convention signée entre M. [X] [V] et Crystal Finance, les parties ont continué d'appliquer entre elles les dispositions du contrat d'agent commercial plus précises régissant leurs relations, non contraires à la nouvelle règlementation de la profession de mandataire d'intermédiaire en assurance, de sorte que la convention n'est pas devenue entièrement caduque, contrairement à ce qui est soutenu.

M. [V] qui a ainsi poursuivi son activité durant de nombreuses années et perçu le montant de nouvelles commissions, peut prétendre, en cas de rupture abusive par son cocontractant au mandat d'intérêt commun, à l'octroi de dommages et intérêts.

Il formule divers griefs à l'encontre de la société Crystal Finance :

- l'organisation des formations prévues à l'article 6 du contrat se faisait aux heures de la métropole et entre trois et cinq heures du matin aux heures de Guadeloupe ; les « Hebdos » invoqués ne pouvant être regardés comme support de formation, mais seulement comme des éléments d'information et de communication ;

- le mandant fournissait à son agent des documents obsolètes ; il n'y avait pas de définition et de communication claire et précise de procédure de souscription des produits ;

- la société Crystal Finance a retiré un produit de la commercialisation, parfois de manière brutale, sans nécessairement le remplacer par un produit aussi performant pour l'agent ; en 2015 puis de nouveau en 2019, le produit Swiss Life a été remplacé par un processus Astéria avec des conditions de rémunération (2,0 97 %, soit 4,194 % après application du taux de l'agent est sans précompte), qui n'étaient plus du tout les mêmes ; c'est ainsi que M. [V] est passé en 2016 de 32'843 € de commissions pour ce type de produits à 25'118 € en 2019 ;

- contrairement à ce que le tribunal a retenu, la question n'est pas de savoir si les arbitrages de Crystal Finance sont des décisions personnellement dirigées contre lui, mais de savoir comment, étant engagé dans un mandat d'intérêt commun, son mandant pallie les conséquences pénalisantes de ses choix pour ses mandataires, étant observé que les produits arrêtés sont toujours commercialisés par des concurrents ;

- le défaut de loyauté de Crystal Finance est établi, qui, au lieu de protéger son réseau, a positionné un collaborateur agent commercial lui-même comme superviseur de l'appelant, un M. [D], associé aussi avec une société concurrente et qui a accès aux fichiers de M. [V], ce que M. [V] a signalé par courriel du 4 décembre 2014 ;

- et dernière illustration de la déloyauté de la société Crystal Finance : sa décision unilatérale de résilier, sans concertation avec les agents et notamment M. [V], le bail des bureaux de Guadeloupe, ce dont l'appelant a été informé le 5 juin pour le 30 juin, alors qu'il est refacturé le loyer aux collaborateurs pour l'exercice de leur profession.

Mais le tribunal a observé justement à cet égard qu'il ne peut être reproché à la société Crystal Finance devenue Laplace d'avoir modifié son offre pour tenir compte des choix opérés par les sociétés d'assurance, ou bien encore, de choisir librement sa politique de distribution et de chercher les produits qu'elle entend proposer à son réseau d'agents.

La société Crystal Finance devenue Laplace est fondée à soutenir que si M. [V] s'est vu imposer de nouveaux produits d'assurance, c'est de la même manière que tous les autres mandataires de la société Crystal Finance devenue Laplace, notamment ceux, comme lui, de la Guadeloupe ; et que si les produits mieux rémunérés qui l'intéressent sont encore commercialisés par des intermédiaires concurrents, M. [V] était, et il est toujours, libre de résilier le contrat de mandat souscrit, sans pouvoir imposer à sa mandante le choix de produits d'assurance à proposer à la clientèle.

Or, à ce jour, il est toujours son mandataire, et il continue à la représenter à l'égard de la clientèle.

De même, la société Crystal Finance devenue Laplace précise sans être contredite que les formations Web mises en ligne pouvaient toujours être réécoutées à des heures compatibles avec le décalage horaire des Antilles ; que par son magazine "Hebdo ", elle accompagne évidemment son réseau de mandataires dont l'appelant fait partie ; et que s'agissant de la résiliation du bail du bureau de Guadeloupe, la convention dont M. [V] invoque les stipulations prévoyait expressément en son article 1-4 que l'agent « exercera son activité à partir de son propre siège professionnel et avec ses propres moyens », en sorte qu'elle n'était tenue d'aucune obligation à cet égard.

Enfin, M. [V] n'est pas le propriétaire de la clientèle qu'il a pu constituer pour le compte de sa mandante, et ne saurait déplorer la présence d'un superviseur.

La société Crystal Finance devenue Laplace plaide utilement, d'une manière plus générale, qu'il n'est nullement dans ses intérêts, en sa qualité de mandante aux termes du mandat d'intérêt commun liant les parties, de chercher à nuire, de quelque manière que ce soit, à ceux de M. [V], comme à tout mandataire membre de son réseau, ce qui reviendrait à se nuire à elle-même, puisque les rétro-commissions bénéficiant à M. [V] sont basées sur les commissions que l'intimée peut elle-même percevoir à hauteur de l' activité de celui-ci.

En définitive, M. [V], auquel la charge de la preuve incombe, qui invoque des problèmes mineurs de communication et/ou anciens, ne prouve pas la réalité des fautes qu'il impute à la société Crystal Finance de nature à engager la responsabilité de cette dernière, et pouvant justifier une résiliation judiciaire du contrat à ses torts.

Aucun manquement du mandant dans l'exécution du contrat de mandat donné à M. [V] n'étant à déplorer, le tribunal a exactement rejeté toutes les prétentions indemnitaires de ce dernier.

Le jugement sera entièrement confirmé.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne M. [X] [V] à payer à la SA Laplace la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.