CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 27 juin 2024, n° 23/12687
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Zoec (SARL)
Défendeur :
Groupe Vesace (SARL), France Performance (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mollat-Fabiani
Conseillers :
Mme Pelier-Tetreau, Mme Rohart
Avocat :
Me Labetoule
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le 2 janvier 2021, la société à responsabilité limitée Zoec (représentée par Mme [B]) et la société à responsabilité limitée Groupe Vesace (représentée par Mme [F] [I]) ont constitué la société par actions simplifiée France Performance, société dont le capital est réparti égalitairement, à hauteur de 50%, entre les sociétés Zoec et Groupe Versace.
La direction de la société France Performance, dont l'objet social est le conseil en formation, est assurée par la société Groupe Vesace en sa qualité de présidente.
La société France Performance devait être le fruit d'une synergie entre des compétences techniques portées par Mme [C], représentante de la société Zoec, et un réseau professionnel devant être porté par Mme [I], représentante de la société Groupe Vesace.
Un différend s'est instauré entre les deux actionnaires de la société France Performance.
Par acte en date du 7 septembre 2022, la société Groupe Vesace a fait assigner la société Zoec et la société France Performance devant le tribunal de commerce de Paris afin que soit prononcée la dissolution de la société France Performance. En réponse, la société Zoec a demandé au tribunal de rejeter la demande en dissolution présentée par la société Groupe Vesace en l'absence de paralysie de la société France Performance.
Par jugement du 19 mai 2023, le tribunal de commerce de Paris a :
- Prononcé la dissolution de la société France Performance à effet de la signification du présent jugement ;
- Nommé Me [J] [U], mandataire judiciaire, avec pour mission de procéder aux opérations de liquidation de la société France Performance, conformément aux dispositions des articles L. 237-23 et suivants du code de commerce, pour une durée d'un an à compter de la signification du présent jugement renouvelable sur décision du tribunal de céans ;
- Fixé la provision à verser au mandataire judiciaire à la somme de 3 000 euros, ceci aux frais avancés de la SARL Groupe Vesace ;
- Dit qu'en cas d'empêchement, il sera pourvu à son remplacement par une ordonnance rendue sur simple requête ;
- Condamné la société Zoec à payer à la société Groupe Vesace la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné la société Zoec aux dépens de l'instance.
Par déclaration au greffe de la cour du 13 juillet 2023, la société Zoec a interjeté appel de ce jugement.
*****
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 septembre 2023, la société Zoec demande à la cour, au visa des articles 1844-7, 5° et 1240 du code civil, de :
- Réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en date du 19 mai 2023 en ce qu'il a :
' Prononcé la dissolution de la société France Performance à effet de la signification du présent jugement,
' Nommé Me [J] [U] mandataire judiciaire, avec pour mission de procéder aux opérations de liquidation de la société France Performance pour une durée de 1 an à compter de la signification du présent jugement,
' Fixé la provision à verser au mandataire à la somme de 3 000 euros, ceci aux frais avancés par la SARL Groupe Vesace,
' Condamné la société Zoec à payer à la société Groupe Vesace la somme de 3 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
' Condamné la société Zoec aux dépens de l'instance.
- Déclarer recevable et fondée les demandes de la société Zoec ;
- Condamner la société Groupe Vesace à verser à la société Zoec la somme de 20 000 euros, à titre de dommages et intérêts ;
- Condamner la société Groupe Vesace à verser à la société Zoec la somme de 5 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Groupe Vesace aux entiers dépens.
La société Zoec a procédé à la signification de sa déclaration d'appel et de ses conclusions d'appel à la société Groupe Vesace par acte d'huissier du 30 septembre 2023 selon les modalités de l'article 659 du code de procédure civile, et à la société France Performance par acte d'huissier du 20 septembre 2023 selon les mêmes modalités par procès-verbal de recherches infructueuses.
Les intimés, la société Groupe Vesace et la société France Performance, n'ont pas constitué avocat.
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L'ordonnance de clôture a été prononcée le 1er février 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la paralysie du fonctionnement de la société France Performance justifiant la dissolution de la société France Performance
La société Zoec énonce que la dissolution de la société ne peut être prononcée par le juge que s'il constate une paralysie du fonctionnement de celle-ci et que l'article 1844-7, 5° du code civil laisse au juge le soin d'apprécier si le motif invoqué présente un caractère de gravité suffisant pour justifier qu'il soit mis fin à la société ; que la société Groupe Vesace s'est contentée de faire valoir une paralysie dans le fonctionnement de la société France Performance sans la caractériser, alors même que la charge de la preuve lui incombait ; que notamment, la société Groupe Vesace n'a pas prouvé que les assemblées générales ne se seraient pas tenues ou n'auraient pas pu se tenir et qu'elle n'a pas non plus établi que la société France Performance n'avait plus d'activité ou de chiffre d'affaires.
La société Zoec soutient en outre que les man'uvres déployées par la société Groupe Vesace pour tenter d'effacer toute trace de sa collaboration avec elle auraient dû être prises en considération pour apprécier le bien-fondé de sa demande de dissolution. Elle explique que la société Groupe Vesace a constitué le 19 juillet 2021 une société dénommée Partners Performance, société dont Mme [I] est la seule associée, que cette société est située à la même adresse que celle du siège social de la société France Performance et que cette société a, en France et à l'étranger, un objet social quasiment identique à celui de la société France Performance ; que ces faits démontrent que Mme [I] a cherché à instaurer volontairement une confusion entre les sociétés France Performance et Partners Performance, marquant sa volonté de créer une concurrence déloyale. Elle précise que les agissements de la société Groupe Vesace et de sa dirigeante ont consisté à reproduire l'ensemble des caractéristiques de la société France Performance au sein de la société Partners Performance.
Elle conclut que l'action en dissolution entreprise à son encontre, compte tenu du caractère déloyal de la société Groupe Vesace, présente un caractère manifestement abusif qui justifie la condamnation de la société Groupe Vesace à lui verser des dommages et intérêts pour un montant de 20 000 euros.
Sur ce,
Il résulte de l'article 1844-7, 5° du code civil que La société prend fin : ['] 5° Par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas d'inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Ainsi, la mésentente entre associés constitue un juste motif de dissolution judiciaire seulement lorsque la situation paralyse réellement le fonctionnement de la société. En l'absence d'une telle démonstration, la seule mésentente entre associés, fussent-ils associés à parts égales, ne suffit pas à fonder le prononcé de la dissolution.
La paralysie fonctionnelle s'entend de l'impossibilité, pour les organes sociaux, de fonctionner normalement, aboutissant à l'impossibilité de prendre une décision.
En l'espèce, s'il n'est pas contesté qu'un conflit a eu lieu entre les associés de la société France Performance, il n'est pas démontré que la société France Performance n'avait plus d'activité, ni de chiffre d'affaires et que son fonctionnement s'en trouverait bloqué.
La société Groupe Vesace a fait valoir en première instance une paralysie dans le fonctionnement de la société France Performance mais n'a pas établi matériellement cette paralysie dont elle se prévalait, alors que la charge de la preuve lui incombait. Ainsi, elle n'a notamment pas rapporté la preuve de ce que les assemblées générales ne se seraient pas tenues pas ou n'auraient pas pu se tenir, de même qu'elle n'a pas établi, devant les premiers juges, que la société France Performance n'avait plus d'activité ou ne réalisait pas de chiffre d'affaires.
En contrepoint, la société Zoec démontre les man'uvres déployées par la société Groupe Vesace, notamment les actes de concurrence déloyale à son encontre et à l'encontre de la société France Performance par la constitution, le 19 juillet 2021, d'une société dénommée Partners Performance, société dont Mme [I] est la seule associée, située à la même adresse que celle du siège social de la société France Performance dotée d'un objet social quasiment identique à celui de la société France Performance. Cette confusion volontaire entre les sociétés France Performance et Partners Performance permet à Mme [I] de profiter du savoir-faire développé au sein de la société France Performance par Mme [C].
En outre, Mme [I] a fait apparaître sur le site internet de la société France Performance la mention « bientôt disponible » tout en mettant en ligne le site internet de la société Partners Performance, étant observé que le nom de domaine de la société Partners Performance a été enregistré par la société France Performance puis transféré de sa propre initiative à la société Partners Performance, l'ensemble de ces faits ayant été constaté par huissier de justice.
Enfin, la société Zoec établit que la société Partners Performance a débauché une stagiaire de la société France Performance avant même la fin de sa convention de stage et l'a employée en qualité de chef de projet marketing/communication.
En considérant que la société Zoec n'avait pas démontré l'existence d'une quelconque activité au sein de la société, alors même qu'elle n'était pas à l'origine de la demande de dissolution, le tribunal a donc renversé la charge de la preuve.
Par conséquent, en l'absence de paralysie matériellement caractérisée de la société France Performance, qui aurait pu être de nature à justifier sa dissolution, il y a lieu d'infirmer le jugement.
Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que l'action en dissolution entreprise à son encontre, compte tenu du caractère déloyal du comportement de la société Groupe Vesace, présente un caractère abusif qui justifie, sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la condamnation de la société Groupe Vesace à lui verser des dommages-intérêts pour un montant de 10 000 euros.
Le jugement sera par conséquent infirmé en ce qu'il a prononcé la dissolution judiciaire de la société France Performance et a rejeté la demande de dommages-intérêts de la société Zoec.
Sur les frais et dépens
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement sur les dépens et l'application qui y a été faite des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Statuant à nouveau, la cour condamnera la société Groupe Vesace aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 4 000 euros à la société Zoec au titre des frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
INFIRME le jugement en ses dispositions frappées d'appel ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
REJETTE la demande de dissolution de la société France Performance formée en première instance par la société Groupe Vesace ;
CONDAMNE la société Groupe Vesace à payer à la société Zoec la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
CONDAMNE la société Groupe Vesace aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 4 000 euros à la société Zoec au titre des frais non compris dans les dépens prévus à l'article 700 du code de procédure civile.