CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 27 juin 2024, n° 21/18143
PARIS
Arrêt
Autre
PARTIES
Demandeur :
Transports Camalon (SAS)
Défendeur :
Agricane (SARL), Jardicane (SARL), Société Coopérative Agricole du Nord-Est (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Vice-président :
Mme Ranoux-Julien
Conseiller :
Mme Prigent
Avocats :
Me Tragin, Me Cholay
FAITS ET PROCÉDURE
La société Transports Camalon (ci-après Transcam) est spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers, de frêt de proximité.
La société Coopérative agricole du nord-est (ci-après la société Cane) et la société Transcam ont régularisé un protocole d'accord le 15 novembre 2005 par lequel, la société Cane a confié le transport de ses produits et matériels à la société Transcam à charge pour cette dernière de reprendre le personnel de la société Cane attaché à cette activité (3 salariés) et d'acquérir ses actifs.
Aux termes de cet accord, la société Transcam faisait l'acquisition de 4 matériels roulants (2 grues de manutention et 2 remorques pour un montant de 92.225 euros réglé courant 2005).
En contrepartie de cette reprise de personnel et d'actifs, la société Cane s'engageait à confier à la société Transcam toutes les prestations de livraison de produits et matériels commercialisés par cette dernière en direction de ses différents sites et adhérents et notamment le transport de produits finis (palettisés) ainsi que les matières conditionnées en big-bag et le transport de matériels agricoles.
Il était convenu que ce contrat de prestations de service se poursuivrait par tacite reconduction postérieurement au 31 décembre 2006, chacune des parties pouvant le résilier librement sous réserve d'un préavis de 3 mois.
Par courriers du 26 avril 2013 la société Cane et la société Jardicane ont indiqué à la société Transcam qu'elles entendaient réduire le chiffre d'affaires de 50 %, et ce à compter du 1er janvier 2014.
Par courrier en date du 29 juin 2020, la société Cane a fait savoir à la société Transcam qu'elle mettait un terme à leur partenariat, dans la continuité du désengagement entrepris depuis 2013, et que cette rupture serait effective au 04 octobre 2020.
Par acte en date du 08 octobre 2020, la société Transcam a assigné les sociétés Agricane, Jardicane et Cane devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation de la rupture brutale de la relation commerciale.
Par jugement en date du 13 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :
- Dit le tribunal de commerce de Paris compétent et débouté la société Agricane, la société Jardicane et la société coopérative agricole du nord-est (Cane) de leur demande relative à l'incompétence du tribunal de commerce de Paris ;
- Débouté la société Transports Camalon (Transcam) de ses demandes au titre d'un préavis supplémentaire ;
- Débouté la société Transports Camalon (Transcam) de sa demande au titre de dommages et intérêts pour licenciements,
- Débouté la société Transports Camalon (Transcam) de sa demande au titre de dommages et intérêts de 300 371 euros,
- Condamné la société Transports Camalon (Transcam) à payer à la société Agricane, la société Jardicane et la société coopérative agricole du nord-est (Cane) la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- Condamné la société Transports Camalon (Transcam) aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 116,25 € dont 19, 16 € de TVA.
Par déclaration du 18 octobre 2021, la société Transports Camalon (Transcam) a interjeté appel du jugement en ce qu'il :
- l'a déboutée de ses demandes au titre d'un préavis supplémentaire, de sa demande au titre de dommages et intérêts pour licenciements, de sa demande au titre de dommages et intérêts de 300 371 euros,
- a condamné la société Transports Camalon (Transcam) à payer à la société Agricane, la société Jardicane et la société coopérative agricole du nord-est (Cane) la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- a débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Par ses dernières conclusions notifiées le 18 janvier 2022, la société Transports Camalon (Transcam) demande, au visa de l'article L.442-1- II du code de commerce de :
- la recevoir en ses écritures et de la déclarer bien fondée,
- Confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Agricane, la société Jardicane et la société Coopérative Agricole du Nord-Est (Cane) de leur demande relative à l'incompétence du tribunal ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Transports Camalon (Transcam) :
* de ses demandes au titre d'un préavis supplémentaire ;
* de sa demande au titre de dommages et intérêts pour licenciements,
* de sa demande au titre de dommages et intérêts de 300 371 euros,
et en ce qu'il a condamné la société Transports Camalon (Transcam) à payer à la société Agricane, la société Jardicane et la société Cane la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens, et débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif.
Statuant à nouveau :
- juger que les sociétés Cane, Agricane et Jardicane ont rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Transcam ,
- juger que le délai de préavis raisonnable, applicable à la cause, était d'une durée de vingt-quatre (24) mois, à compter du 09 juin 2020 jusqu'au 08 juin 2022,
- condamner solidairement les sociétés Coopérative Agricole du Nord-Est (Cane), Agricane et Jardicane à verser à la société Transcam :
* à titre principal, la somme de 100.785 euros, à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi au titre la brutalité de la rupture, correspondant à la perte de la marge brute sur une durée de vingt-quatre (24) mois,
* à titre subsidiairement, la somme de 67.190 euros (4.199,37 € x16 = 67.190 €) à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi au titre la brutalité de la rupture, correspondant à la perte de la marge brute sur une durée seize mois pour la suppression de 100% du chiffre d'affaires, soit le double du préavis alloué pour la suppression de 50% du chiffre d'affaires (2x8 mois),
* à titre infiniment subsidiaire, la somme de 33.595 euros (4.199,37 € x168 = 33.595 €) à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi au titre la brutalité de la rupture, correspondant à la perte de la marge brute sur une durée de huit mois, délai minimum expressément prévu entre les parties le 26 janvier 2013,
* à titre très infiniment subsidiaire, la somme de 25.196,25 euros (4.199,37 € x 6 = 25.196,25 €) à titre de dommages et intérêts, en réparation du préjudice subi au titre la brutalité de la rupture, correspondant à la perte de la marge brute sur une durée de six mois (4 mois + 12 semaines avec un maximum de 6 mois) eu égard à l'ancienneté des relations (15 ans),
- condamner solidairement les sociétés Coopérative Agricole du Nord-Est (CANE), Agricane et Jardicane à verser à la société Transcam la somme de 317.742 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires,
- condamner solidairement les sociétés Coopérative Agricole du Nord-Est (CANE), Agricane et Jardicane à verser à la société Transcam la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.
Par leurs dernières conclusions notifiées le 15 avril 2022, les sociétés Cane, Agricane et Jardicane demandent de :
Rejetant toutes fins, moyens et conclusions contraires,
Adjuger aux intimées l'entier bénéfice de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
- Mettre hors de cause les sociétés Agricane et Jardicane ;
- Dire irrecevables les subsidiaires demandés en cause d'appel par la société Transcam ;
- Confirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions.
- Condamner la société Transports Camalon à payer à chacune des intimées la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Transports Camalon aux entiers dépens ;
- Et dire que, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, Me [K] [D] pourra recouvrer directement les frais dont il a fait l'avance sans en avoir reçu provision.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 7 mars 2024.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La société Transports Camalon (Transcam), appelante, fonde ses demandes sur l'article L.442-1- II du code de commerce et les sociétés Cane, Agricane et Jardicane estiment que l'on est dans le cadre d'un contrat de sous-traitance de transports qui fixe un préavis ce qui exclurait l'application des dispositions de l'article L.442-1- II du code de commerce et celles de la LOTI (loi d'orientation des transports intérieurs).
La cour fait observer que les parties ne sont pas dans le cadre d'un contrat de sous-traitance de transport qui, aux termes du contrat-type de transport institué par la LOTI, régit les relations commerciales entre un transporteur public et un sous-traitant auquel le premier aurait sous-traité des opérations de transport que lui aurait confié un donneur d'ordre.
En l'espèce, le litige porte sur la rupture de relations entre des donneurs d'ordre (les sociétés Cane, Agricane et Jardicane) et le transporteur auquel elles ont confié le transport de leur matériel et marchandises.
De plus, la société Transports Camalon (Transcam) a assigné trois sociétés et pour deux d'entre elles, aucun contrat n'est invoqué.
Si la cour devait en conséquence s'orienter vers l'application d'un contrat type de transport, les parties sont invitées à formuler leurs observations sur l'application du contrat type prévu par le Décret n°2017-461 du 31 mars 2017 relatif à l'annexe II de la partie 3 réglementaire du code des transports concernant le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique.
Alors que les sociétés constituent trois entités distinctes, la société Transports Camalon (Transcam) forme une demande d'indemnisation globale ne permettant pas à la cour d'apprécier pour chaque société le caractère brutal ou irrégulier de la rupture et de statuer le cas échéant sur l'indemnisation d'un éventuel préjudice pour chaque société. Si une attestation comptable est produite sur le chiffre d'affaires de chaque société, la perte de marge brute est calculée globalement pour les trois sociétés.
Il y a donc lieu d'ordonner la réouverture des débats afin d'inviter la société Transports Camalon (Transcam) à former ses demandes contre chaque société.
Il y a lieu de surseoir à statuer sur les demandes des parties.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Ordonne la réouverture des débats à l'audience collégiale du jeudi 17 octobre 2024 à 14h00,
Invite les parties à formuler leurs observations sur l'absence entre elles de relations de sous-traitance de transport telles qu'elle sont définies par le contrat-type de transport institué par la LOTI et sur l'application du contrat type du Décret n°2017-461 du 31 mars 2017 relatif à l'annexe II de la partie 3 réglementaire du code des transports concernant le contrat type applicable aux transports publics routiers de marchandises pour lesquels il n'existe pas de contrat type spécifique,
Invite la société Transports Camalon (Transcam) à former des demandes d'indemnisation suite à la rupture des relations commerciales et de dommages et intérêts complémentaires contre chacune des sociétés Cane, Agricane et Jardicane,
Invite la société Transports Camalon (Transcam) à communiquer une attestation portant sur la perte de marge brute invoquée concernant chacune des sociétés Cane, Agricane et Jardicane et non globale,
Sursoit à statuer sur les demandes des parties,
Réserve les dépens.