CA Chambéry, 1re ch., 2 juillet 2024, n° 23/01201
CHAMBÉRY
Autre
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Époux
Défendeur :
Compagnie de Gestion Hôtelière (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pirat
Conseillers :
Mme Reaidy, M. Sauvage
Avocats :
Me Monod, SELARL Padzunass Salvisberg & Associés, SAS Legalps Avocats-Herlemont et Associés
Faits et procédure
Par contrat du 23 décembre 2006, M. [R] [I] et Mme [X] [U], ci-après les époux [I], ont donné à bail commercial à la société Compagnie de Gestion Hôtelière les lots n°32 et 207 situé au sein de l'ensemble immobilier [Adresse 3], exploité en résidence de tourisme, à [Localité 6].
Le bail a été renouvelé suivant contrat du 16 juin 2017, applicable à compter du 23 décembre 2016, prévoyant paiement tant d'un loyer en numéraire que d'un loyer en nature par l'attribution de semaines d'occupation.
Par courrier signifié le 24 février 2022, les époux [I] ont adressé une mise en demeure la société Compagnie de Gestion Hôtelière.
Par acte d'huissier du 6 avril 2023, les époux [I] ont assigné la société Compagnie de Gestion Hôtelière devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Albertville notamment aux fins de faire prononcer la résiliation du bail commercial et ordonner son expulsion.
Par ordonnance du 18 juillet 2023, la présidente du tribunal judiciaire d'Albertville a :
- Déclaré irrecevable la demande visant à voir jouer la clause résolutoire prévue au contrat de bail ;
- Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de prononcé de résiliation du bail commercial liant les parties ;
- Rejeté les demandes d'indemnité fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné les époux [I] aux dépens.
Au visa principalement des motifs suivants :
L'acte du 24 février 2022 ne fait que mettre en demeure le preneur d'« accepter le bulletin d'occupation communiqué le 7 février 2022 pour la période d'été 2022 », sans faire référence à des manquements antérieurs ni à un délai précis de réalisation de cette obligation ;
Seul le manquement à l'obligation de payer les loyers peut permettre de faire jouer la clause résolutoire ;
La procédure fondée sur la clause résolutoire incluse au bail est irrecevable au regard du manque de précision de l'acte quant au manquement évoqué, au défaut du rappel du délai d'exécution et des conséquences de ce manquement, et en l'absence de mention de la signification aux créanciers inscrits.
Par déclaration au greffe du 3 août 2023, les époux [I] ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions.
Prétentions et moyens des parties
Par dernières écritures du 30 octobre 2023, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les époux [I] sollicitent l'infirmation de la décision et demandent à la cour de :
Statuant à nouveau,
- Constater l'acquisition de la clause de résiliation du bail commercial en date du 16 juin 2017 par l'effet du commandement signifié le 24 février 2022 resté infructueux à l'expiration du délai d'un mois qu'il prévoyait ;
En conséquence,
- Ordonner en conséquence l'expulsion, au besoin avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier, de la société Compagnie de Gestion Hôtelière, ainsi que de tous les occupants de son chef, du bien immobilier objet du bail commercial en date du 16 juin 2017, sous astreinte de deux cents euros par jour de retard à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir jusqu'à parfait délaissement ;
- Condamner la société Compagnie de Gestion Hôtelière à leur payer la somme de 6 000 euros du chef de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance ;
- Débouter la société Compagnie de Gestion Hôtelière de tous ses moyens, fins et conclusions en ce qu'irrecevables et mal fondées.
Au soutien de leurs prétentions, les époux [I] font valoir notamment que :
En catégorisant la totalité des quatre semaines du mois d'août parmi les semaines dites « hautes », alors que seules trois semaines de toute la saison d'été peuvent figurer parmi les semaines « hautes », la société Compagnie de Gestion Hôtelière les prive de la possibilité d'obtenir un paiement satisfaisant du loyer en nature qui leur est dû conformément aux termes du bail ;
La société Compagnie de Gestion Hôtelière a tenté de réparer ses inexécutions en transmettant de nouvelles conditions de réservation du bien, cependant, cette rectification est intervenue tardivement le 16 février 2022 ;
La mise en demeure du 24 février 2022 expose sans équivoque les manquements de la société Compagnie de Gestion Hôtelière dans l'obligation de paiement en nature des loyers et dont ces derniers ont demandé l'exécution au moyen de l'acceptation du bulletin d'occupation qu'ils avaient transmis à la preneuse dans un délai d'1 mois ;
Leur demande ayant pour finalité d'emporter, à leur profit, l'acquisition de la clause résolutoire du bail n'est pas nouvelle et ne saurait être déclarée irrecevable.
Par dernières écritures du 9 février 2024, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, la société Compagnie de Gestion Hôtelière sollicite de la cour de :
- Infirmer ladite Ordonnance en ce qu'elle a rejeté les demandes d'indemnité fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
- Juger irrecevable la demande des époux [I] tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire en ce qu'il s'agit d'une demande nouvelle en cause d'appel ;
- Juger les époux [I] irrecevables et mal fondés en toutes leurs demandes et les en débouter ;
- Condamner les époux [I] à lui verser la somme de 5 000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance;
- Condamner les époux [I] à lui verser la somme de 5 000 euros conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel;
- Condamner les époux [I] aux entiers dépens de l'instance, distraits selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, la société Compagnie de Gestion Hôtelière fait valoir notamment que :
Dans leur assignation de première instance, les époux [I] sollicitaient du juge des référés qu'il prononce la résiliation du bail commercial, or, aux termes de leurs conclusions d'appel, ils ont modifié la teneur de leur demande principale et sollicitent désormais la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du bail, dès lors, cette demande est nouvelle et donc irrecevable ;
La clause résolutoire se réfère uniquement au loyer en numéraire avec la référence au « paiement d'un seul terme de loyer » ou encore de « charges, accessoires ou pénalités », dès lors, les époux [I] ne peuvent en conséquence se prévaloir d'un prétendu manquement au titre du loyer en nature pour mettre 'uvre la clause résolutoire prévue au bail ;
Le bulletin d'occupation des époux [I] revenait à formuler une demande de réservation pour deux semaines en haute saison été et une semaine en moyenne saison été, or, cette demande qui excédait les droits conférés aux bailleurs au titre du bail conclu qui ne prévoit la possibilité de réserver qu'une seule semaine classée haute saison en été.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.
Une ordonnance en date du 26 février 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. L'affaire a été plaidée à l'audience du 26 mars 2024.
MOTIFS ET DECISION
I- Sur la recevabilité de la demande de constat d'acquisition de la clause résolutoire
L'article 563 du code précité prévoit 'Pour justifier en appel les prétentions qu'elles avaient soumises au premier juge, les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.'
L'article suivant énonce :'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer la compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou la révélation d'un fait.'
Les prétentions nouvelles ne doivent pas être confondues avec les moyens nouveaux, qui sont eux, recevables (2e Civ. 2 février 2023, pourvoi n°21-18.382).
En l'espèce, en première instance, les époux [I] ont saisi le juge des référés aux fins de 'prononcer la résiliation, acquise depuis le 24 mars 2022, du bail commercial en date du 16 juin 2017, les liant à la société Compagnie de gestion hôtelière (...)', prétention qui tend à obtenir la rupture du bail commercial et la libération des lieux loués et tend donc aux mêmes fins que la demande de constat d'acquisition de la clause résolutoire.
La fin de non-recevoir tirée de la nouveauté des prétentions de M. [R] [I] et Mme [X] [U] épouse [I] sera rejetée.
II- Sur le constat de l'acquisition de la clause résolutoire
L'article L145-1 alinéa 1 du code de commerce dispose 'Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.'
Le bail commercial renouvelé le 16 juin 2017 entre les parties comporte une clause résolutoire en son article 11, libellée de la façon suivante 'Il est expressément stipulé que, à défaut de paiement d'un seul terme ou rappel de loyer dû après une fixation amiable ou judiciaire, dépôt de garantie ou fonds de roulement ou leurs compléments, indemnité d'occupation due en cas de maintien dans les lieux dans les termes de l'article L145-28 du code de commerce ou l'article 1382 du code civil, charges, accessoires ou pénalités à leur échéance, et un mois après un commandement ou une mise en demeure par exploit d'huissier fait à personne et domicile élu contenant la mention de la présente clause demeurée infructueuse, le bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit.'
Il n'est d'ailleurs pas contesté que le loyer comportait deux modalités :
- 'loyer en numéraire hors taxe de neuf mille cent quatre vingt dix euros et 53 centimes euros, soit toutes taxes comprises de dix mille neuf cent quatre vingt neuf euros et 52 centimes pendant toute la durée du bail et payable en deux échéances à parts égales', au plus tard le 30 avril (période du 1er août au 31 janvier) et au plus tard le 31 octobre (période du 1er février au 31 juillet),
- et une part 'loyer en nature dû au titre des semaines mises à disposition :
1 semaine en haute saison hiver, 1 semaine en moyenne saison hiver, 1 semaine en basse saison hiver, 1 semaine en haute saison été, 1 semaine en moyenne saison été, 1 semaine en basse saison été', le locataire devant communiquer les périodes de basse et haute saison qui devaient être limitées à 5 pour la saison hiver et 3 pour la saison été.
La société Compagnie de gestion hôtelière reconnaît avoir communiqué des catalogues aux fins de réservation des semaines d'occupation personnelle du bailleur comportant plus de semaines 'haute saison été' que convenu, ce qui pourrait constituer une privation du bailleur d'une partie de son loyer en nature, puisqu'il était convenu que 'le montant hors taxes du loyer en nature sera évalué en attribuant à chacune des périodes de base mises à disposition la valeur hors taxe de la seule prestation hébergement (...) Correspondant aux locaux loués objets du présent bail, telle qu'elle figure dans les conditions générales de vente correspondant au tarif public propriétaire mentionné dans la brochure éditée pour chaque saison d'hiver et d'été par le preneur, diminuée de 25%. (...)'
Aux termes de la lettre de mise en demeure signifiée par Me [K], commissaire de justice, à la société Compagnie de gestion hôtelière, à la demande de M.et Mme [I], le commissaire de justice reprochait à la locataire 'un manquement à l'obligation d'exécuter de bonne foi le bail et une violation du droit d'occupation du bailleur', et concluait 'en conséquence, la violation du droit d'occupation de mon client constituant un non-paiement de son loyer en nature, par la présente, CGH est mise en demeure d'accepter le bulletin d'occupation 'été 2022", sous le délai d'un mois à compter de la délivrance par huissier de cette mise en demeure'.
Or, il y a lieu de rappeler que le juge des référés est le juge d'évidence, qu'il ne lui appartient pas d'interpréter la clause d'un contrat ou la gravité d'un manquement à l'exécution d'un contrat s'il n'est pas déterminable facilement. Dans le cas d'espèce, les manquements de la société Compagnie de gestion hôtelière ne peuvent être déterminés que :
- s'il est démontré que les époux [I] n'ont pas pu bénéficier des semaines d'occupation personnelle prévues au contrat,
- si une différence est mise en évidence entre la valeur des semaines d'occupation effective et les semaines d'occupation théorique, ce qui suppose de réaliser des calculs reprenant le calendrier final, la qualification et la valorisation de la semaine d'occupation théorique, que les appelants se gardent bien de réaliser un tel calcul complexe, ce qui démontre que le manquement de la locataire à son obligation de paiement du loyer en nature n'a manifestement rien d'évident.
Il convient d'infirmer la décision de première instance, en ce qu'elle a déclaré la demande irrecevable la demande visant à voir jouer la clause résolutoire prévue au contrat de bail. Il n'y a pas lieu à référer sur la demande de M.et Mme [I] tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire.
III- Sur les demandes accessoires
Succombant en leur appel, M.et Mme [I] supporteront les dépens de l'instance, ainsi qu'une indemnité procédurale à hauteur de 1 000 euros au bénéfice de la société Compagnie des gestion hôtelière. Enfin, il n'y a pas lieu de remettre en cause l'appréciation de l'équité réalisée par le premier juge et de statuer à nouveau sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par décision contradictoire et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a déclaré irrecevable la demande visant à voir jouer la clause résolutoire prévue au contrat de bail,
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de M.et Mme [I] tendant à voir constater l'acquisition de la clause résolutoire,
Condamne M. [R] [I] et Mme [X] [U] épouse [I] aux dépens de l'instance,
Condamne M. [R] [I] et Mme [X] [U] épouse [I] à payer à la société Compagnie de gestion hôtelière la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 02 juillet 2024
à
la SELARL PADZUNASS SALVISBERG & ASSOCIÉS
la SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES
Copie exécutoire délivrée le 02 juillet 2024
à
la SAS LEGALPS AVOCATS-HERLEMONT ET ASSOCIES