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Décisions

CA Poitiers, 2e ch., 2 juillet 2024, n° 23/01603

POITIERS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Les Cottages de France les Archers (SAS)

Défendeur :

A2c (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pascot

Conseillers :

M. Vetu, M. Lecler

Avocats :

Me Clerc, Me Genevois, Me Rougier

CA Poitiers n° 23/01603

1 juillet 2024


Le 15 mai 2019, la société à responsabilité limitée A2C a donné à bail commercial à la société par actions simplifiée unipersonnelle Les Cottages de France les Archers (la société Les Cottages) un fonds de commerce d'hôtel restaurant situé à [Localité 4], et ce moyennant un loyer annuel originel de 48.000 euros hors taxes.

Le 27 juin 2022, la bailleresse a fait délivrer à la preneuse un commandement de payer visant la clause résolutoire.

Le 9 mai 2023, la preneuse a formé opposition à ce commandement devant le tribunal judiciaire de La Rochelle.

Dans le dernier état de ses demandes, la preneuse a demandé de:

- à titre principal, déclarer nul et de nul effet le commandement de payer en date du 27 juin 2022 ;

- à titre subsidiaire débouter de l'ensemble de ses demandes la société A2C et ordonner la désignation d'un séquestre pour les loyers ;

- à titre infiniment subsidiaire, lui accorder un délai de 24 mois pour s'acquitter de la dette locative et suspendre pendant le cours du délai les effets de la clause résolutoire ;

- en tout état de cause, condamner la société A2C à lui verser à la somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Dans le dernier état de ses demandes, la bailleresse a demandé de :

- débouter la société Les Cottages de l'intégralité de ses demandes ;

- constater l'acquisition de la clause résolutoire et prononcer l'expulsion de la société Les Cottages et de tous occupants, de tous éléments matériels, au besoin avec l'assistance de la force publique et à remettre les clefs après remise en état éventuelle par un professionnel, conformément à l'état des lieux d'entrée, et condamner la société Les Cottages, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai d'un mois à compter de la signification de la décision à venir, faute de libération des lieux ;

- condamner la société Les Cottages au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle de 4.000 euros à compter de la résolution du bail et jusqu'à remise des clefs et libération complète du local ;

- condamner la société Les Cottages au paiement de la somme de 89 653,31 euros toutes taxes comprises (ttc) au titre des loyers et charges échus au 1er trimestre 2023 ;

- condamner la société Les Cottages à verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et préjudice économique ;

- condamner la société Les Cottages à lui verser la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Par jugement contradictoire en date du 9 mai 2023, le tribunal judiciaire de La Rochelle a :

- débouté la société Les Cottages de l'ensemble de ses demandes ;

- constaté l'acquisition de la clause résolutoire au 27 juillet 2022 ;

- ordonné l'expulsion de la société Les Cottages et de tous occupants de son chef dans le délai d'un mois faisant suite à la signification du jugement ;

- condamné la société Les Cottages à verser à la société A2C une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant de 4.000 euros hors taxes ;

- dit que cette indemnité d'occupation serait due jusqu'à la libération complète des lieux accompagnée de la remise des clés ;

- condamné la société Les Cottages à verser à la société A2C la somme de 89 653,31 euros ttc au titre des loyers et charges échus au 1er trimestre 2023 ;

- condamné la société Les Cottages à verser à la société A2C la somme de 3.000 euros en réparation du préjudice tiré de la résistance abusive ;

- débouté la société A2C de ses plus amples demandes ;

- condamné la société Les Cottages à verser à la société A2C la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Les Cottages aux dépens incluant le coût du commandement ;

Le 6 juillet 2023, la société Les Cottages a relevé appel de ce jugement, en intimant la société A2C.

La société A2C n'a pas initialement constitué avocat.

Le 9 août 2023, le greffe a avisé la société Les Cottages d'avoir à procéder à l'égard de la société A2C par voie de signification.

Le 14 août 2023, la société Les Cottages a saisi la première présidente de la cour de céans d'une demande aux fins d'arrêt de l'exécution provisoire assortissant l'ordonnance déférée.

Par ordonnance de référé en date du 21 septembre 2023, le magistrat délégué par la première présidente de la cour de céans a :

- écarté des débats la pièce numéro 2 communiquée par la société Les Cottages;

- déclaré irrecevable la demande d'arrêt de l'exécution provisoire du jugement déféré.

Le 21 août 2023, la société Les Cottages a déposé ses premières écritures au fond.

Le 30 août 2023, la société Les Cottages a signifié sa déclaration d'appel et ses écritures déposées le 21 août 2023 à la société A2C à étude de commissaire de justice.

Le 13 novembre 2023, la société A2C a constitué avocat.

Le 14 novembre 2023, la société A2C a déposé ses premières écritures.

Le 10 avril 2024, la société Les Cottages a demandé de réformer intégralement le jugement déféré, et de :

- prononcer l'annulation du commandement de payer les loyers délivré le 27 juin 2022, avec toute conséquence que de droit ;

- A titre subsidiaire, lui accorder les plus larges délais de paiement en application des dispositions de l'article L 343-5 du code civil, avec suspension de la clause résolutoire ;

- débouter la société A2C de toutes demandes ;

- la condamner au paiement de la somme de 6.000 euros au titre des frais irrépétibles des deux instances.

Le 4 avril 2024, la société A2C a demandé de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et notamment la validité du commandement visant la clause résolutoire ayant permis l'expulsion ;

- débouter la société Les Cottages de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande de suspension de la clause résolutoire ;

- y ajoutant, condamner la société Les Cottages à lui payer la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

Pour plus ample exposé, il sera expressément renvoyé aux écritures des parties déposées aux dates susdites.

Le 30 avril 2024 a été ordonnée la clôture de l'instruction de l'affaire.

MOTIVATION :

Sur le périmètre des prétentions dont la cour est saisie:

Selon l'article 954 alinéas 1 et 2 du code de procédure civile, dans les procédures avec représentation obligatoire, les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune des prétentions est fondée; les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif.

Il en résulte qu'un appelant, qui se borne dans le dispositif de ses conclusions à conclure à l'infirmation d'un jugement, sans formuler de prétention sur les demandes tranchées dans ce jugement, ne saisit la cour d'aucune prétention relative à ces demandes (Cass. 2e civ., 5 décembre 2013, n°12-23.611, Bull. 2013, II, n°230).

Selon le dispositif de ses écritures, la société Les Cottages demande l'infirmation intégrale du jugement l'ordonnance déférée, mais sollicite seulement l'annulation du commandement de payer, avec toutes conséquences de droit, d'une part, et la suspension de la clause résolutoire et l'octroi de délais de paiement, d'autre part, outre condamnation de son adversaire aux dépens et frais irrépétibles.

Il s'ensuivra que la cour n'a été saisie par l'appelante que de demandes relatives à ces deux chefs, exclusives de toute autre prétention tranchée dans le dispositif du jugement déféré.

A l'inverse, la société A2C, intimée, a demandé la confirmation intégrale du jugement déféré.

Il y aura donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Les Cottages à payer à la société 2AC les sommes de :

- 89 653,31 euros ttc au titre des loyers et charges échus au 1er trimestre 2023;

- 3000 euros en réparation du préjudice tiré de la résistance abusive.

Sur l'annulation du commandement de payer:

L'article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail, prévoyant sa résiliation de plein droit, ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement, à peine de nullité, doit mentionner ce délai.

La mise en demeure doit indiquer expressément les clauses contractuelles que le preneur n'aurait pas respectées, ainsi que le faits reprochés, aux fins d'être exactement informé des griefs le visant et de pouvoir régulariser la situation.

Devront ainsi notamment être précisés en matière de paiement des loyers et charges la période concernée et le paiement des sommes dues.

Doit être annulé le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré à un locataire commercial, dont les irrégularités et imprécisions ne lui permettent pas de prendre la mesure exacte des injonctions qui lui sont faites et d'y apporter la réponse appropriée dans le délai requis (Cass. 3e civ., 3 octobre 2007, n°06-16.361, Bull. III, n°161).

Mais le commandement délivré pour une somme supérieure à celle due ne sera pas nul en son entier et restera valable à hauteur du montant résiduel de la dette.

A défaut, le commandement de payer est nul.

Un preneur n'est habile à opposer une exception d'inexécution au bailleur que si celle-ci emporte une impossibilité totale de jouissance des lieux donnés à bail.

* * * * *

La société Les Cottages demande l'annulation du commandement de payer qui lui a été délivré le 27 juin 2022.

- - - - -

Dans un premier temps, la société Les Cottages soutient que du fait des désordres touchant les lieux donnés à bail, son fonds de commerce est quasiment inexploitable, pour voir en déduire en substance que ne devant aucune somme à son bailleur, la mention d'une somme due à ce titre dans le commandement de payer, inexacte, doit en emporter la nullité.

Elle souligne que le parking de l'hôtel n'était absolument pas sécurisé, que de nombreux touristes venaient se garer habituellement sur ce parking, au détriment des clients de l'hôtel, et que diverses dégradations avaient été également commises.

Elle se prévaut ainsi au visa d'un constat de commissaire de justice du 26 avril 2023 :

- d'importantes fissures, notamment en partie basse, sur le pignon Est, ainsi que sur la façade arrière sud ;

- d'importantes fissures au-dessus des menuiseries en partie au-dessus des menuiseries en partie haute ;

- des rebords avec des ajouts de matière sur le crépi, dont elle entend voir déduire la longue préexistence de ces désordres, qui auraient été manifestement camouflés ;

- l'importance des désordres d'infiltration, l'officier ministériel, quittant l'aile 2 pour se rendre à l'aile 3, en ayant constaté une odeur d'humidité, ayant contrainte sa mandante, selon les déclarations de cette dernière, à condamner différentes chambres;

- le constat par l'officier ministériel dans un grand nombre de chambres de traces d'humidité, odeur de moisi, crépis décollé.

Mais alors que les parties n'ont pas produit le contrat de bail, mais le seul acte en date du 18 juin 2021 d'acquisition du fonds de commerce, cet acte fait ressortir au titre de la description des locaux loués, s'agissant du parking, la seule mention d''abords aménagés avec parking'.

Ainsi, il n'en ressort pas que les locaux donnés à bail auraient comporté une quelconque sécurisation du parking.

Et la preneuse ne démontre pas en quoi les dégradations commises sur ce parking, ouvert sur la voie publique, seraient susceptibles d'être imputables à la bailleresse, plutôt qu'à des tiers.

Ainsi, la société Les Cottages ne peut se prévaloir d'aucun manquement de la société A2C à ses obligations s'agissant du parking.

S'agissant du surplus des désordres invoqués, tels que résultant notamment du constat d'huissier, il n'est pas établi que ceux-ci porteraient sur la totalité des locaux loués et/ou entraîneraient une impossibilité totale de jouissance des lieux donnés à bail, à destination d'exploitation d'un fonds de commerce d'hôtellerie restauration, outre activités connexes ou complémentaires.

Surabondamment, dans ses écritures, la société Les Cottages se borne à affirmer que le bien était affecté de graves désordres de nature à rendre difficile son exploitation (page 3 de ses écritures).

Ainsi, elle n'invoque pas elle-même expressément une impossibilité totale de jouissance des lieux donnés à bail.

* * * * *

La société Les Cottages soutient encore que le commandement de payer doit fournir le montant global ainsi que le détail de la dette locative sollicité, qu'il doit faire référence aux dates et montant des échéances impayées, qu'il doit procéder à une ventilation, en particulier des loyers et des charges.

Elle observe que celui-ci se borne à présenter seulement un paragraphe sur les causes de la créance, dénué de toute ventilation entre les différents postes réclamés, sans comporter aucun décompte en annexe.

Elle soutient ainsi se trouver dans l'impossibilité de connaître les loyers et charges, d'en vérifier la régularité, et le cas échéant, de les contester.

De manière liminaire, il sera observé qu'aucune des parties ne produit le commandement de payer du 27 juin 2022 délivré au preneur.

Mais il ressort des écritures concordantes des parties que:

- ce commandement de payer visait la clause résolutoire qui avait été insérée au contrat de bail;

- ce commandement de payer avait exactement mentionné et reproduit le délai d'un mois visé à l'article L. 145-41 du code de commerce;

- s'agissant des sommes réclamées, ce commandement portait la mention énonçant :

la somme de 42'391,51 € toutes taxes comprises au titre des loyers dus pour le quatrième trimestre 2021, premier trimestre 2022 et du deuxième trimestre 2022, déduction faite de la somme de 808,49 €au titre de la saisie-attribution pratiquée sur le compte bancaire du locataire, ainsi que le coût du présent dont marque au pied et droits de recouvrement, sous réserve de tous autres du, droits, actions et frais de mise à exécution ultérieure;

- ce commandement ne comportait aucun décompte en annexe.

Ce décompte comporte ainsi tant le montant des sommes réclamées que les périodes pour lesquelles elles sont réclamées, sans nécessité d'un décompte complémentaire ou détaillé.

La preneuse a ainsi été parfaitement avisée de la cause, de la nature des manquements qui lui étaient reprochés, et ainsi mise à même d'y remédier dans le délai qui lui était imparti.

Or, la preneuse ne démontre pas avoir payé les sommes visées par le commandement, ni avant sa délivrance, ni après, dans l'observation du délai mensuel qui lui était imparti pour ce faire.

Il y aura donc lieu de retenir la régularité du commandement de payer.

Il y aura donc lieu de rejeter la demande de la société Les Cottages tendant à l'annulation du commandement de payé délivré le 27 juin 2022, et le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la suspension des effets de la clause résolutoire et la demande de délais de paiements :

Selon l'article L. 145-41 alinéa 2 du code de commerce, les juges, saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la résiliation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée; la clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.

Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux ans, le paiement des sommes dues. Par décision spéciale et motivée, il peut ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêts à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

S'il appartient à celui se prévalant d'une obligation de la démontrer, il revient réciproquement à celui prétendant s'être libéré d'apporter la preuve de son paiement.

La société Les Cottages demande de suspendre les effets de la clause résolutoire et de lui allouer un délai de paiement pour régler le retard de loyer.

Elle soutient qu'au regard de la valeur d'acquisition du fonds de commerce, de 320 000 euros, le montant de la dette qui lui est réclamé et la perte du droit au bail constituerait une sanction disproportionnée.

Mais en l'espèce, la sanction frappant la preneuse, tenant à la perte de son droit d'occupation des lieux donnés à bail par suite de l'acquisition de la clause résolutoire en raison de ses propres manquements, par suite de son défaut de paiement des loyers et charges pendant 3 trimestres consécutifs, ne présente pas un coût manifestement disproportionné pour cette débitrice au regard de l'intérêt du créancier.

En outre, la société Les Cottages n'a produit aucun élément sur ses éventuelles perspectives de règlement, sans par ailleurs formuler la moindre proposition de règlement.

Elle avance avoir réglé les loyers au titre de divers trimestres, et notamment du premier trimestre 2023.

Mais elle ne produit aucune pièce à cet égard, défaillant ainsi justifier avoir réglé les causes du commandement de payer, ou toutes autres sommes pour des périodes ultérieures.

Ces éléments ne permettent pas de caractériser la capacité de la débitrice à pouvoir régler l'impayé non seulement selon les modalités et délais qu'elle réclame, mais encore selon tous autres délais et modalités.

Il conviendra donc de rejeter la demande de délai de paiement et la demande de suspension de la clause résolutoire, et l'ordonnance sera confirmée de ce chef.

Par suite, les autres dispositions du jugement, subséquentes au rejet de cette demande, et notamment ayant trait à l'expulsion de la preneuse et à sa condamnation à une indemnité d'occupation, seront toutes confirmées.

* * * * *

Succombante, la société Les Cottages sera condamnée aux entiers dépens de première instance dont le coût du commandement et à payer à la société A2C la somme de 2500 euros au titre de frais irrépétibles de première instance: l'ordonnance sera confirmée de ces chefs.

La société Les Cottages sera condamnée aux dépens d'appel et à verser à la société A2C la somme de 5000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS:

La cour,

statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions;

Y ajoutant:

Déboute la société par actions simplifiée unipersonnelle Les Cottages de France les Archers de sa demande au titre des frais irrépétibles d'appel;

Condamne la société par actions simplifiée unipersonnelle Les Cottages de France les Archers aux dépens d'appel et à payer à la société à responsabilité limitée A2C la somme de 2500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel.