Livv
Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 2 juillet 2024, n° 22/06222

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Défendeur :

Fides Acquisitions (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Conseillers :

Mme Cougard, Mme De Larminat

Avocats :

Me Lafon, Me Cotret, Me Dupuis, Me Peltier, Me Wierre, Me Barusseau

T. com. Nanterre, du 8 sept. 2022, n° 20…

8 septembre 2022

Exposé du litige

La société Fides Acquisitions (la société Fides) a pour objet la prise de participations, la gestion de ces participations et plus généralement le rôle de holding animatrice de ces participations. Elle appartient au groupe Entoria et son actionnaire majoritaire est la société Apax partners depuis juillet 2017.

En janvier 2015, Mme [U] [D] a été nommée directrice générale de la société Fides. Son directoire était composé de Mme [C], de MM. [L] et [K], ces derniers étant directeurs généraux adjoints et M. [X], président du directoire.

Le 9 janvier 2020, le conseil de surveillance a nommé Mme [D] présidente du directoire et présidente de la société, en remplacement de M. [X], à effet différé au 1er janvier 2020. M. [K] l'a remplacée à la direction générale, tandis que M. [X] n'a conservé que la présidence du conseil de surveillance.

Le 23 juin 2020, le conseil de surveillance a révoqué Mme [D] de ses mandats de présidente du directoire et de la société ; révoqué M. [K] de son mandat de directeur général ; nommé M. [X] président de la société et président du directoire ; nommé Mme [B] directeur général ; enregistré la démission de M. [X] de son mandat de président du conseil de surveillance et nommé Mme [O] présidente du conseil de surveillance.

Le 11 décembre 2020, Mme [D] et M. [K] ont respectivement assigné la société Fides Acquisitions devant le tribunal de commerce de Nanterre, leurs affaires ont été jointes par acte du 19 janvier 2021.

Le 8 septembre 2022, ce tribunal a :

- débouté Mme [D] et M. [K] de leur demande de voir juger abusives, brutales et vexatoires les conditions de leurs révocations ;

- débouté Mme [D] de ses demandes d'indemnisation de son préjudice professionnel et d'image, de son préjudice moral et de son préjudice issu du harcèlement moral respectivement à hauteur de 300 000 euros, 30 000 euros et 100 000 euros ;

- débouté M. [K] de ses demandes d'indemnisation de son préjudice professionnel et d'image et de son préjudice moral respectivement à hauteur de 200 000 euros et 50 000 euros ;

- condamné Mme [D] et M. [K] à payer à la société Fides Acquisitions la somme de 4 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et les a condamnés aux dépens.

Le 12 octobre 2022, Mme [D] et M. [K] ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions.

Par dernières conclusions du 11 juillet 2023, ils demandent à la cour de :

- infirmer le jugement ;

Statuant à nouveau,

- juger abusives leurs conditions de révocation de Mme [D] privée de la possibilité de présenter sa défense ;

- juger brutales et vexatoires les conditions ayant entouré la révocation de Mme [D], révocation précédée d'un harcèlement moral de plusieurs mois ;

- condamner la société Fides à indemniser le préjudice professionnel et d'image de Mme [D], à hauteur de 300 000 euros ;

- condamner la société Fides à indemniser le préjudice moral de Mme [D] à hauteur de 30 000 euros ;

- condamner la société Fides à indemniser le préjudice de Mme [D] issu du harcèlement moral à hauteur de 100 000 euros ;

- juger abusives les conditions de révocation de M. [K] privé de la possibilité de présenter sa défense ;

- juger brutales et vexatoires les conditions ayant entouré la révocation de M. [K], révocation précédée d'un harcèlement moral de plusieurs mois ;

- condamner la société Fides à indemniser le préjudice professionnel et d'image de M. [K] de 200 000 euros ;

- condamner la société Fides à indemniser le préjudice moral de M. [K] de 50 000 euros ;

- débouter la société Fides de sa demande de condamnation pour appel abusif ;

- ou subsidiairement, réduire l'indemnité sollicitée à ce titre par la société Fides Acquisitions ;

En tout état de cause,

- condamner la société Fides à leur régler la somme de 15 000 euros chacun au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Fides aux entiers dépens dont distraction au profit de maître Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 11 avril 2023, la société Fides demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

Par conséquent,

- débouter Mme [D] et M. [K] de l'ensemble de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Y ajoutant,

- condamner in solidum Mme [D] et M. [K] à lui payer la somme de 100 000 euros en réparation du préjudice qu'elle subit du fait du caractère abusif de la présente procédure d'appel ;

- condamner in solidum Mme [D] et M. [K] à lui verser la somme de 20 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile .

- les condamner aux dépens.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 19 octobre 2023.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

Motifs

1- Sur les circonstances entourant les révocations de Mme [D] et M. [K]

Mme [D] et M. [K] exposent qu'ils n'ont pas pu exercer leurs mandats, respectivement de président de la société et du directoire, d'une part et de directeur général d'autre part, en raison de l'attitude de M. [F], ancien président de la société et du directoire, qui a continué à exercer de fait ses anciennes fonctions exécutives alors qu'il en avait démissionnées pour des raisons de domiciliation fiscale aux Etats-Unis et qu'il n'était plus que président du conseil de surveillance.

Ils exposent que celui-ci avait besoin pour mener à terme son projet de domiciliation de dirigeants exécutifs de droit en France et qu'il s'était entendu dès 2019 avec Mme [O], membre du conseil de surveillance et représentante de l'actionnaire majoritaire, pour que Mme [D] et M. [W] n'exercent que des fonctions exécutives de « façade ».

Ils expliquent avoir subi durant leur mandat de nombreuses immixtions de ce dernier, des audits « hostiles » déclenchés par M. [F] ou Mme [O], y compris sur des périodes antérieures à leurs mandats et la désignation d'un « censeur », sans même avoir été consultés. Mme [J] souligne qu'à chaque fois qu'elle a tenté d'exercer ses responsabilités, elle s'est heurtée à M. [F] et à Mme [O], notamment pour la signature et l'exécution d'une convention permettant la rémunération par Fides de M. [S] par le biais de la société américaine qu'il avait créée et qui facture des prestations à Fides.

Elle indique que les immixtions de M. [F] avaient pour objet de discréditer son management et fait valoir qu'il tente désormais de justifier son attitude par la découverte a postériori en 2020 de son incompétence managériale.

Elle observe que l'un des griefs qui lui est opposé est son refus initial de signer la convention entre Fides et la société américaine de M. [F]. Elle conteste les audits (UBS de juin 2019 et Korn de mars 2020) qu'elle estime à charge et peu crédibles dans la mesure où ils portent sur des faits soit antérieurs, soit concomitants à sa nomination.

Mme [D] et M. [K] font valoir qu'ils ont subi un harcèlement moral exercé soit directement par [S], soit par l'intermédiaire de Mme [O]. Ils soulignent à cet égard les paroles, attitudes répétées et systématiques de ces derniers ayant pour objet et pour effet de dégrader leurs conditions de travail afin de les pousser à démissions. Mme [D] fait valoir que ce harcèlement moral lui a causé un préjudice s'ajoutant au préjudice résultant du caractère brutal et vexatoire de sa révocation.

Mme [D] et M. [K] soutiennent que leurs révocations ont été abusives en ce que la procédure de révocation a méconnu leurs droits. Ils expliquent qu'ils n'ont pas eu la possibilité de se défendre en l'état d'une convocation reçue la veille pour le lendemain et en l'absence de communication de griefs. Ils exposent que la décision de les révoquer avait été prise bien avant leur nomination par M. [F], ce dernier n'ayant pas l'intention d'abandonner son pouvoir au sein de Fides. Ils contestent les assertions du procès-verbal du conseil de surveillance sur l'existence d'une discussion contradictoire et font valoir qu'il résulte tant du procès-verbal du conseil de surveillance que des courriels de convocation que la décision de les révoquer avait été prise avant.

Mme [D] et M. [K] soutiennent que leurs révocations ont été brutales. Ils font valoir qu'ils ont été révoqués par le conseil de surveillance lors de sa séance du 23 juin 2020 à laquelle ils avaient été convoqués la veille ; qu'ils ont été privés de leurs accès mails et à leurs dossiers pendant le conseil d'administration ; qu'ils ont dû immédiatement restituer les clefs de leurs bureaux, leurs ordinateurs et leurs cartes bancaires ; qu'ils n'ont pu prendre congé de leurs collaborateurs ; qu'ils ont appris l'après-midi même par communiqué de presse les nouvelles orientations de la société. Ils ajoutent qu'à l'issue de sa révocation, M. [K] étant redevenu salarié, a été immédiatement convoqué à entretien préalable à un licenciement. Ils font observer que le conseil de surveillance n'a duré qu'une heure pour évoquer sept points dont leur révocation.

Mme [J] et M. [K] soutiennent également que leurs révocations ont porté atteinte à leur honneur, leur dignité et leur réputation en ce qu'elles se sont faites au vu et au su de l'ensemble de la profession. Ils font ainsi valoir qu'ils n'ont toujours pas été destinataires du procès-verbal du conseil de surveillance et qu'ils ne connaissent donc pas les motifs de leur révocation, ce qui a laissé penser au marché qu'ils avaient été révoqués pour des fautes graves. Ils ajoutent qu'étant tenu par le pacte d'actionnaires, ils ne peuvent plus exercer leur métier et qu'en l'absence d'une possibilité de communiquer, ils ne peuvent pas défendre leur réputation professionnelle alors qu'ils sont confrontés à la communication agressive de M. [A]. Ils estiment subir un préjudice au regard du montant de leurs dernières rémunérations.

Ils font enfin valoir que les fautes de Fides leur ont causé un préjudice d'image, de carrière et de rémunération qu'un préjudice moral.

La société Fides répond que les révocations des appelants ont été décidées valablement conformément à la loi et aux statuts, ces derniers prévoyant une révocation ad nutum par une décision du conseil de surveillance. Elle en déduit que leurs révocations ne sont pas fautives.

Elle soutient d'abord qu'en l'absence de violation du principe du contradictoire, les révocations n'ont pas eu de caractère brutal. Elle fait observer que les motifs des révocations ont été énoncés durant le conseil de surveillance et que les appelants ont eu la possibilité de formuler leurs observations.

Elle conteste avoir l'obligation d'informer les appelants préalablement à la réunion du conseil de surveillance des motifs des griefs qui leur étaient reprochés.

Elle observe qu'ayant elle-même évoqué la fin de son mandat à la suite des conclusions du rapport d'audit Korn Ferry sur son management, Mme [D] ne peut sérieusement prétendre que sa révocation a été brutale.

L'intimée soutient ensuite que les révocations ne sont pas intervenues dans des conditions vexatoires. Elle explique que l'information des salariés du groupe sur ces révocations ou encore la privation des accès informatiques des appelants sont des mesures habituelles lors d'une telle procédure.

Elle estime que la coupure des accès informatiques était une mesure préventive et souligne, sur ce point, que Mme [D] a transféré le 11 août 2020 un courriel confidentiel de M. [X] de son adresse [Courriel 7] à [Courriel 9] et explique que la coupure des accès informatiques n'a eu lieu qu'à l'issue du conseil de surveillance.

Elle ajoute qu'elle n'a pas mis en cause personnellement ni Mme [D] ni M. [K] et observe sur ce point qu'elle n'a publié au registre du commerce et des sociétés qu'un extrait du procès-verbal de révocation pour préserver leur réputation.

La société Fides soutient enfin qu'aucun élément produit par les appelants ne permet de démontrer l'existence d'un harcèlement moral à leur encontre. Elle conteste en premier lieu le fait que la révocation de Mme [D] ait été préméditée par M. [X] dans le but de reprendre ses fonctions de président après avoir obtenu sa résidence fiscale aux Etats-Unis et observe que ce dernier, qui a été contraint de reprendre la présidence à la suite de la révocation de Mme [D], ne l'a conservée que sur une courte période.

Elle ajoute que le rapport Korn Ferry ne démontre aucune préméditation dans sa révocation puisqu'il a été rendu sous sa présidence. Elle objecte également que les attestations d'anciens salariés de Fide produites par Mme [D] ne sont pas convaincantes. Elle fait valoir en second lieu que le reproche selon lequel Mme [D] aurait été empêchée d'exercer son mandant de présidente en raison de l'omnipotence de M. [V] n'est pas fondé. Elle explique que Mme [D] fait grief à ce dernier à la fois d'être trop et insuffisamment présent. Elle termine en soulignant que les pièces produites par les appelants démontrent que ces derniers ont interprété toute critique comme une remise en cause de leur légitimité.

Réponse de la cour

Sur le caractère brutal des révocations

L'article L. 227-1, alinéas 1 à 3, du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n 2008-776 du 4 août 2008, applicable en la cause, dispose

« Une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne supportent les pertes qu'à concurrence de leur apport. Lorsque cette société ne comporte qu'une seule personne, celle-ci est dénommée "associé unique". L'associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent chapitre prévoit une prise de décision collective. Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l'exception des articles L. 224-2, L. 225-17 à L. 225-126, L. 225-243 et du I de l'article L. 233-8, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l'application de ces règles, les attributions du conseil d'administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet. »

Aux termes de l'article L. 227-5 du code de commerce, « les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. »

Il résulte de la combinaison de ces textes que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son président ou son directeur général (Com., 12 octobre 2022, pourvoi n° 21-15.382).

Les conditions dans lesquelles les dirigeants d'une société par actions simplifiée peuvent être révoqués de leurs fonctions sont, dans le silence de la loi, librement fixées par les statuts, qu'il s'agisse des causes de la révocation ou de ses modalités (Com., 9 mars 2022, pourvoi n° 19-25.795) de sorte qu'une révocation ad nutum est possible (Com., 8 avril 2014, pourvoi n° 13-11.650).

Une révocation du président ad nutum est discrétionnaire et peut être décidée à tout moment, sans préavis ni motivation.

Elle peut cependant donner lieu à des dommages et intérêts en cas d'abus, lorsqu'elle a été accompagnée de circonstances ou a été prise dans des conditions qui portent atteinte à la réputation ou à l'honneur du dirigeant révoqué, ou si elle a été décidée brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté (voir notamment Com., 14 mai 2013, n° 11-22.845, publié ; 21 juin 1988, n° 86-19.166, publié).

Seules les circonstances entourant la révocation pouvant le caractériser, il n'y a pas lieu d'examiner les griefs formulés contre l'intéressé pour déterminer si un tel abus est établi (Com., 26 nov. 1996, n° 94-15.661, publié ; 21 juin 1988, n°86-19.166).

Le principe de la contradiction, dont la violation constitue un manquement à l'obligation de loyauté, suppose que le dirigeant ait eu connaissance des motifs de sa révocation envisagée et ait été mis en mesure de présenter ses observations préalablement à la décision (Com, 26 avr. 2017, n° 15-12.560 ; 11 oct. 2023, n°22-12.361 ; 3 mars 2015, n° 14-12.036), même lorsque la révocation est justifiée par une faute grave (Com., 25 nov. 2014, n° 13-21.460 ; 26 avril 1994, n°92-15.884).

Selon les statuts de la société Fides (pièce 3 des appelants), « le président peut être révoqué à tout moment sans qu'aucun motif ne soit nécessaire, par une décision du conseil de surveillance » (article 14.1.2, alinéa 4) ; « le directeur général peut être révoqué à tout moment sans qu'aucun motif ne soit nécessaire, pour une décision du conseil de surveillance » (article 14.2.2, alinéa 4).

Mme [D] et M. [K] allèguent que leurs révocations ont été abusives faute pour la société Fides de leur avoir préalablement communiqué les raisons motivant leurs révocations, les empêchant ainsi de préparer leur défense.

En l'espèce, ces derniers ont été convoqués le vendredi 19 juin 2020 pour un entretien téléphonique prévu le lundi 22 juin 2020. Lors de cet entretien, Mme [O], représentante de l'actionnaire majoritaire et membre du conseil de surveillance, leur a indiqué qu'ils seraient révoqués de leurs mandats sociaux au cours de la séance du conseil de surveillance du lendemain.

Les convocations reçues par les appelants le 22 juin 2020 à la séance du conseil de surveillance du 23 juin 2020 à 10h mentionnent comme ordre du jour la révocation de Mme [D] de son mandat de présidente de la société et celle de M. [K] de son mandat de directeur général délégué ainsi que les désignations subséquentes des nouveaux président et directeur général sont datées du 22 juin 2020. Elles précisent qu'elles ont été adressées par courriel aux adresses suivantes : [Courriel 10] et [Courriel 8] (voir pièces 6 et 6 bis des appelants).

S'il n'est pas discuté que les griefs à l'appui des propositions de révocation ne leur ont été communiqués que lors de la séance de conseil de surveillance du 23 juin 2020, à savoir pour Mme [D], une réaction vive de sa part à la suite de la nomination de M. [I], en qualité de censeur du conseil de surveillance; un courriel virulent adressé à Mme [O] sur le travail du conseil de surveillance ; les conclusions du rapport d'audit « Korn Ferry » du 9 mars 2020 faisant état de dysfonctionnements dans les méthodes de management de Mme [D] ; une absence d'alerte adressée à l'actionnaire majoritaire relativement à plusieurs faits pouvant menacer l'activité d'une filiale détenue par la société Fides, ce dernier reproche étant également adressé à M. [K], il résulte du procès-verbal de la séance du conseil de surveillance du 23 juin 2020, que tant Mme [D] que M. [K] ont été invités à présenter leurs observations au conseil de surveillance à la suite de l'énoncé de ces griefs.

Ce document mentionne en effet leurs observations et précise que Mme [D] a indiqué que la décision de sa révocation était préméditée et brutale (juste après le confinement) ; qu'elle avait donné des éléments de réponse et que sa révocation était vexatoire et sans fondement. Il précise que M. [K] a repris à son compte les observations de Mme [D].

Ainsi, dès lors qu'ils ont été convoqués et informés préalablement au conseil de surveillance les ayant révoqués que la question de leur révocation pourrait être débattue et qu'ils ont pu débattre contradictoirement durant la séance du conseil de surveillance des griefs qui leur était opposés, leur révocation ne présente pas de caractère déloyal, le principe du contradictoire ayant été respectés, peu important que le conseil de surveillance n'ait duré qu'une heure.

En outre, contrairement à ce que soutiennent les appelants, le principe du contradictoire n'impose pas que les griefs soient communiqués préalablement à la réunion de l'organe devant statuer sur leurs révocations. Ce principe suppose seulement qu'ils aient été mis en mesure de faire valoir leurs arguments au moment de la réunion de l'organe amené à statuer sur la proposition de leurs révocations, ce qui a été le cas en l'espèce.

Les éléments versés aux débats montrent par ailleurs que leurs révocations n'ont pas été brutales.

Il résulte de différents échanges de courriels entre Mme [D] et Mme [O] ou M. [X] des divergences de vue concernant la gouvernance de l'entreprise, notamment sur le recours à M. [I] en qualité de censeur du conseil de surveillance, sur les rôles respectifs de Mme [D] et de M. [X] ainsi que la convention de prestation de services conclue entre la société de M. [X] et la société Fides (voir notamment courriels en pièces 27 bis, 29, 30, 36 à 39 des appelants).

Ainsi, dans un mail du 2 mars 2020, soit deux mois avant la décision de révocation, (pièce 39 des appelants) adressé à Mme [O], Mme [D] s'interroge sur le rôle de M. [X] en écrivant que ses interventions sont « plus que surprenantes alors que ce dernier est supposé « pour des raisons qui lui appartiennent prendre du champ » (pièce 39) et indique : « vous comprendrez donc que les mises en cause directes et définitives que vous émettez vis-à-vis de moi-même et de l'ensemble du management sont non seulement injustes mais préjudiciables. Elles nous invitent à nous interroger sur l'avenir de la relation qui est la nôtre et qui, vous le savez bien, ne peut reposer que sur une relation de confiance entre Apax et le directoire et la reconnaissance objective des performances et valeurs des différents collaborateurs et du travail que nous accomplissons. »

Est également produit aux débats le rapport d'audit « Korn Ferry » daté du 6 mars 2020 (pièce 40 des appelants) établi à la demande de la société Entoria à pour identifier les causes de dysfonctionnement à la suite d'absorption d'une autre société.

Ce rapport fait un état de la gouvernance de la société Entoria dont fait partie l'intimée et, après avoir identifié les aspects positifs et négatifs propose des voies d'amélioration.

A ces égards, il est indiqué en page 22, dans les points d'amélioration, « fatigue généralisée, surtout au niveau du management ; tiraillement entre dynamisme collectif et l'aventure entrepreneuriale d'une part, et les dysfonctionnements d'organisation, de mode de management, ainsi que le rythme effréné d'autre part.

A la page 26 au paragraphe intitulé « analyse de la situation actuelle », il est notamment indiqué dans « les forces et points d'appui » : « drive de la présidente, avec une combinaison de vision, de connaissance marché, d'un sens du développement commercial, de réactivité tout terrain et de capacité à incarner l'entreprise en interne et en externe » et dans les points d'amélioration « hyper-réactivité de la présidente qui génère de la déresponsabilisation, du désordre, limite la prise d'initiative et de parole, entre crainte et respect ; provoque également des réflexes de dissimulation et d'auto-protection quant aux problèmes qui fâchent. »

Il est écrit ensuite (p. 27, priorités d'action) : « Entoria bénéficie d'une équipe de tête très engagée, alliant orientation action et impératif de la réactivité ; mais emportée par l'urgence, la crise et probablement insuffisamment épaulée, elle a développé des comportements hyper-interventionnistes et cassants qui génèrent de l'entropie et de la tension dans la conduite des activités' »

A la suite de ce rapport, Mme [O] a fait part de ses observations critiques à Mme [D] dans un courriel du 12 mars 2020 (pièce 5 de l'intimée, mail du 12 mars 2020).

Ainsi, dans ce message, cette dernière reprend à son compte les critiques du rapport à l'égard du management et écrit: « [le rapport] confirme malheureusement les inquiétudes que j'avais évoquées avec vous et qui m'avaient conduite à vous proposer un soutien par la société Aglity Initiative ([E] [I]) ».

Mme [O] conclut son message en indiquant : « cette attitude, qui vous positionne en porte-à-faux vis-à-vis des collaborateurs, je vous ai déjà alertée sur ce point, me conduit à m'interroger sur votre capacité à vous maintenir à la présidence de Fides acquisitions. Il apparaît que vous n'adhérez pas dans les faits à la décision prise par le conseil de surveillance du 24 février dernier, dont l'objectif était justement de tenter d'améliorer la gouvernance de la société. En conséquence, je vous invite désormais à vous interroger sur votre maintien à la présidence et, a minima, à vous remettre en question sur les points que j'ai évoqués, sur lesquels aucun dialogue n'a pu s'ouvrir, y compris depuis l'intervention d'Agility initiative. »

Le courriel en réponse du 16 mars 2020 de Mme [D] à Mme [O] montre leurs divergences de vue quant aux conclusions à tirer du rapport Korn Ferry.

On peut ainsi lire dans ce message : « je ne retrouve également pas cette sévérité dans la perception qu'en ont les collaborateurs et l'adhésion de ces derniers au mangement de l'entreprise avec des verbatim très positifs de collaborateurs notamment à mon égard (') Je ne peux pas davantage laisser indiquer que je ne me conforme pas aux directives du conseil de surveillance qui a désigné [E] [I] en qualité de censeur du conseil de surveillance' »

Elle conclut : « c'est parce que je considère que ces façons de faire ne sont pas saines que je vous ai demandé un contact direct dans les meilleurs délais pour éviter que ces actions préjudiciables à la société et au moral de nos équipes puissent perdurer' »

Si les conclusions du rapport d'audit sur le management de Mme [D] sont plus nuancées que le laisse entendre l'intimée, il en résulte néanmoins ainsi que différents échanges de courriels précités, comme l'a souligné le tribunal, qu'il existait un climat de défiance du conseil de surveillance à l'égard de Mme [D] et de M. [K] exprimé depuis plusieurs mois, que ces derniers ne pouvaient donc ignorer avant leurs révocations.

Au demeurant, cette situation est confirmée par les mails de « rumeurs » sur le maintien en poste de Mme [D] que cette dernière verse elle-même aux débats (pièces 36 à 37).

Dès lors, au regard de ce qui précède, les révocations des appelants ne peuvent être considérées comme brutales.

Sont également produites plusieurs attestations d'anciens salariés.

Le témoignage de Mme [Y] (pièce 46 des appelants) fait état des circonstances dans lesquelles l'audit « Korn Ferry » a été mené et les consignes qui auraient été données aux personnes auditées du Comex de souligner les difficultés relationnelles rencontrées avec Mme [D].

Dans son attestation, Mme [Y] expose au contraire les bonnes relations entretenues avec Mme [D], son professionnalisme et son absence de comportement tyrannique ou maltraitant avec ses équipes.

C'est également le cas du témoignage de M. [M], qui met en avant les pressions subies par Mme [D] lors des négociations relatives au départ de M. [X] de son poste de président de la société.

Le témoignage de M. [H] (pièce 47 des appelants) rapporte les propos de M. [X] à la suite du départ de Mme [D]. Ce dernier aurait qualifié le management de Mme [D] de « coercitif » et aurait indiqué que le changement de direction était motivé par « le climat délétère au sein des instances dirigeantes » ainsi que par « la perte de confiance de l'équipe dirigeante précédente vis-à-vis des actionnaires majoritaires ».

Si ces témoignages mettent unanimement en avant les qualités professionnelles de Mme [D] et l'absence de difficultés relationnelles entre cette dernière et ses équipes, il ne peut en être toutefois déduit que sa révocation de cette dernière a été abusive au sens de la jurisprudence rappelée ci-dessus étant observé qu'il n'appartient pas à la cour de prendre position sur les griefs opposés tant à Mme [D] qu'à M. [K] à l'occasion de ce litige ou qu'elle aurait subi un harcèlement moral de la part de Mme [O] ou de M. [X] (voir sur ce dernier point, ci-dessous).

- Sur le caractère vexatoire des révocations

Les appelants estiment que leurs révocations ont été vexatoires et qu'elles ont porté atteinte à leur dignité.

Il est constant que les conditions entourant la révocation doivent respecter un équilibre entre les intérêts de la société qui la décide et ceux de la personne révoquée, intérêts entendus pour la société comme la protection de ses intérêts économiques, et pour le mandataire social, comme la préservation de son honneur et de sa réputation. Il appartient aux appelants de rapporter la preuve du caractère brutal et vexatoire de sa révocation qui aurait attenté à leur honneur et leur réputation.

Les appelants évoquent le fait qu'ils ont dû immédiatement après la séance du conseil de surveillance restituer leurs clefs de bureau, leurs ordinateurs, leurs cartes bancaires et qu'ils ont été privés durant la séance du conseil de surveillance de tout accès à leurs mails ou dossiers.

Ces allégations ne sont pas démenties par l'intimée.

Toutefois, la privation des outils de communication, la remise des cartes bancaires ou l'interdiction de saluer les collaborateurs, conséquence de la révocation immédiate, peut se justifier au regard de la préservation des intérêts de la société.

Si le communiqué interne de M. [V] diffusé le jour même du conseil de surveillance ayant révoqué Mme [D] et M. [K] aux salariés du groupe Entoria (voir pièce 43 des appelants) indique par une expression ambivalente que Mme [D] a été « remerciée » pour sa présidence et qu'elle quitte ses fonctions ce jour après que le conseil de surveillance lui a demandé de prendre à l'unanimité « les commandes de l'entreprise », ce communiqué ne comporte pas d'éléments personnels portant en soi atteinte à leur honneur ou leur dignité.

Il en va de même de la publication « Argus » de M. [X] intitulé « ma préoccupation est de remettre l'entreprise sur de bon rails » (pièce 45 des appelants).

Si M. [X] explique dans cette publication intervenue après les révocations les raisons de son retour à la tête d'Entoria moins de cinq mois après la nomination de Mme [D] en raison de « divergences stratégiques profondes et répétées avec l'ancienne gouvernance [[U] [D] et [N]-[R] [K], NDLR] », ce document, bien que citant nommément les appelants, se borne à porter une appréciation neutre sur la précédente gouvernance sans propos attentatoire à leur dignité, tels qu'une remise en cause personnelle de leurs qualités personnelles ou professionnelles.

La cour relève en outre que les appelants n'apportent pas d'éléments sur les circonstances de la procédure de licenciement de M. [K] qui serait intervenue dans la suite de sa révocation.

Par ailleurs, les parties ne discutent pas le fait que le procès-verbal de révocation n'a pas été publié dans son intégralité au registre du commerce et des sociétés.

Au regard de ce qui précède, les appelants échouent à démontrer que leurs révocations sont abusives, en ce qu'elles auraient été accompagnées de circonstances ou auraient été prises dans des conditions qui portent atteinte à leur réputation ou à leur honneur, ou en ce qu'elles auraient été décidées brutalement, sans respecter l'obligation de loyauté.

Dans ces conditions, il ne peut être imputé de faute à l'intimée à l'occasion des révocations litigieuse en sorte que les demandes indemnitaires formulées par Mme [D] et de M. [K] au titre de leurs prétendus préjudices professionnel, moraux et de perte de rémunération doivent être rejetées.

2- Sur le harcèlement moral

C'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu que les appelants ne démontraient pas l'existence d'une faute liée à un harcèlement moral considérant à juste titre, que, si les échanges versés aux débats mettent en lumière des tensions entre la présidence et M. [X], ceux-ci relèvent néanmoins de la mission du conseil de surveillance lorsqu'il estime qu'il existe des difficultés dans la gouvernance.

Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [D] et M. [K] de ce chef.

3- Sur la résistance abusive

L'intimée, qui une demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, prétend que l'appel de Mme [D] et de M. [K] s'inscrit dans un contexte d'acharnement judiciaire qui lui a porté préjudice. A cet égard, elle fait valoir qu'outre la présente instance, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes ; qu'ils l'ont assignée le 19 avril 2021 pour demander l'ajournement d'une assemblée générale ; qu'ils ont demandé le 7 septembre 2021 l'annulation d'une assemblée générale. Elle estime que les actions des appelants portent atteinte à sa réputation ; désorganise ses équipes qui doivent organiser sa défense et entraîne une perte financière du fait des frais de procédure.

Mme [D] et M. [K] soutiennent que l'intimée n'apporte pas la preuve d'un abus. Ils contestent l'invocation d'autres procédures au soutien de la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Elle souligne qu'ils sont conscients du mal fondé de leurs demandes alors qu'ils ont été déboutés en première instance. Elle considère que leurs actions judiciaires visent en réalité à faire pression sur elle.

Réponse de la cour

Il en résulte d'une jurisprudence établie que l'exercice d'une action en justice ne saurait être, en soi, constitutif d'une faute, sauf circonstances particulières faisant dégénérer en abus le droit d'agir en justice (par exemple : 2e Civ., 10 mars 2022, pourvoi n° 20-12.161.) Sont abusives les actions manifestant une intention de nuire, un mauvaise fois évidente, les actions dépourvues de fondement ou reposant sur une erreur de droit ou de fait grossière, manifestant une certaine témérité, un acharnement procédural ou encore un comportement essentiellement dilatoire (par exemple : 3e Civ., 12 mai 2021, pourvoi n° 19-21.725).

S'il est indéniable que d'autres litiges ont opposé ou opposent soit M. [K] à l'intimée (jugement du conseil de prud'hommes du 15 novembre 2022, pièce 16 de l'intimée) soit Mme [D] et M. [K] (voir assignation du 7 septembre 2022, pièce 17) à l'intimée, force est de constater qu'au regard des principes rappelés ci-dessus, la société Fides ne démontre en quoi l'appel formé par Mme [D] et M. [K] a dégénéré en abus et ce faisant serait fautif.

En conséquence, la demande indemnitaire de la société Fides sera rejetée.

4- Sur les autres demandes

L'issue du litige implique que les appelants supportent les dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [D] et M. [K] seront condamnés solidairement à payer à la société Fides acquisitions la somme globale de 10 000 euros.

Par ces motifs,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société Fides acquisitions au titre du caractère abusif de l'appel de Mme [D] et M. [K] ;

Condamne Mme [D] et M. [K] aux dépens d'appel ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne solidairement Mme [D] et M. [K] à payer à la société Fides acquisition la somme globale de 10 000 euros.