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Décisions

CA Chambéry, 1re ch., 2 juillet 2024, n° 21/02264

CHAMBÉRY

Autre

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Compagnie Financière (SARL)

Défendeur :

Savoie Entreprises Solutions (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pirat

Conseillers :

Mme Reaidy, M. Sauvage

Avocats :

Me Fillard, Me Gardette, Me Forquin, SCP Raffin & Associes

CA Chambéry n° 21/02264

1 juillet 2024

Faits et procédure

La société [U] équipement hôtelier ([U] équipement) a été créée le 18 juillet 1978 par M. [T] [U].

Elle avait deux activités principales':

- la distribution de produits d'art de la table, de cuisine et d'hygiène auprès des professionnels de l'hôtellerie et des restaurants,

- la réalisation d'installation de cuisines professionnelles.

En 2008, M. [T] [U] a cédé son entreprise à sa fille Mme [B] [U] et à son gendre M. [A] [S].

Dans le cadre d'un montage LBO («'Leverage buy out'» ou «'achat à effet de levier'» qui désigne un montage financier permettant le rachat d'une entreprise par le biais d'une société holding) une société holding [U] expansion a été créée et a fait l'acquisition de près de 95% des parts de la société [U] équipement détenues par son créateur M. [T] [U] moyennant un prix de 3 800 000 euros, financé par un emprunt de 3 millions d'euros, outre un crédit vendeur de 700 000 euros.

Le remboursement de cet emprunt par la société [U] expansion devait être assuré essentiellement par les remontées de dividendes de sa filiale outre les honoraires que la société mère facturait à sa filiale pour rémunérer des prestations de nature administrative et de gestion à hauteur de 400 000 euros par an.

Ces deux sociétés ont été dirigées alternativement par Mme [B] [U] et M. [S].

Le 14 février 2015, M. [S] adressait un message à M. [P] [K], un ami de longue date, pour lui demander s'il pouvait l'aider à hauteur de 500 à 600 000 euros, pour quelques semaines, à faire face à des difficultés de trésorerie.

Par acte sous seing privé du 16 février 2015, intitulé «'convention de prêt à intérêt'» les époux [K], par l'intermédiaire de leur société familiale Compagnie financière [K] (CFB), ont consenti au profit de la société [U] équipement, un prêt d'un montant de 400 000 euros, remboursable en totalité au plus tard le 31 juillet 2015, avec un taux d'intérêts fixe de 3%.

Au titre des garanties, M. [S] et son épouse Mme [B] [U] d'une part, se sont portés cautions solidaires de la société [U] équipement pour un montant en principal de 400 000 euros chacun, d'autre part, ont consenti, en leur qualités d'associés de la SCI JAR, un nantissement de 800 des mille parts sociales de cette dernière.

Par acte du 28 juillet 2015, la société CFB a conclu avec la société [U] équipement, la société [U] expansion et ses associés majoritaires, M. [S] et Mme [U], un protocole d'investissement pour un montant de 2 257 900 euros au profit de la société [U] expansion.

Par acte du même jour, la société CFB a cédé la créance de 400 000 euros qu'elle détenait à l'encontre de la société [U] Équipement à la société [U] expansion, pour un prix de 400 000 euros payé par inscription au compte courant d'associé dont est titulaire la société CFB au sein de la société [U] expansion.

Parallèlement, par ordonnance du 16 mars 2015, le président du tribunal de commerce de Chambéry, saisi à la requête des consorts [U]/[S] d'une demande d'ouverture d'une procédure de conciliation concernant la société [U] expansion et la société [U] équipement, avait désigné M. [L] [C] en qualité de conciliateur.

Par ordonnance du 8 juillet 2015, le président du tribunal de commerce de Chambéry a prorogé la mission du conciliateur jusqu'au 16 août 2015.

Par acte du 6 août 2015, un protocole d'accord a été conclu entre :

- la société [U] expansion et la société [U] équipement, M. [S] et Mme [U] d'une part,

- la Société générale, la société HSBC, la Banque populaire des Alpes, la Lyonnaise de banque et la Banque de Savoie, d'autre part.

Par jugement du 14 septembre 2015, le tribunal de commerce de Chambéry a :

- constaté que la société [U] expansion et la société [U] équipement se trouvaient en état de cessation des paiements et que la signature du protocole d'accord de conciliation conclu avec leurs créanciers et/ou leurs cocontractants le 6 août 2015 ne permettait pas de mettre fin à cet état de cessation des paiements ;

- rejeté en conséquence l'homologation dudit protocole d'accord de conciliation.

Par déclaration au greffe du 18 septembre 2015, la société [U] expansion et la société [U] Équipement ont interjeté appel à l'encontre du jugement du 14 septembre 2015.

Par jugement du 21 septembre 2015, le tribunal de commerce de Chambéry a notamment :

- Dit n'y avoir lieu de modifier ou de rétracter le jugement rendu le 14 septembre 2015';

- Dit que le greffier devra transmettre sans délai au greffe de la cour d'appel de Chambéry le dossier de l'affaire avec les déclarations d'appel et une copie de la décision.

Par arrêt du 29 septembre 2015, la cour d'appel de Chambéry a :

- Infirmé le jugement du 14 septembre 2015 ;

Statuant à nouveau,

- Homologué l'accord de conciliation du 6 août 2015 ;

- Donné à cet accord force exécutoire.

Par jugement du 25 octobre 2016, le tribunal de commerce de Chambéry a

Ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la société [U] équipement et :

- Fixé au 25 avril 2017 la fin de la période d'observation ;

- Fixé au 20 octobre 2016 la date de cessation des paiements.

Par jugement du 8 novembre 2016, le tribunal de commerce de Chambéry a notamment :

- Ouvert une procédure de redressement judiciaire concernant la société [U] expansion ;

- Fixé au 25 avril 2017 la fin de la période d'observation ;

- Fixé au 20 octobre 2016 la date de cessation des payements.

Par jugement du 23 décembre 2016, le tribunal de commerce de Chambéry a notamment :

- Arrêté la cession des éléments d'actif de la société [U] équipement au profit de la société EHG dans les termes de son offre ;

- Fixé la date de cession au 26 décembre 2016.

Par jugement du même jour, le tribunal de commerce de Chambéry a prononcé la liquidation judiciaire de la société [U] expansion.

La société [U] équipement a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 18 septembre 2017.

Par jugement du 15 mai 2019, le tribunal de commerce de Chambéry, saisi à la requête de la société CFB et des époux [K] a notamment :

- Prononcé l'annulation du protocole d'investissement du 28 juillet 2015 en raison du dol commis par Mme [U] et de M. [S] ;

- Condamné in solidum Mme [U] et M. [S] à payer, en deniers ou quittances valables, à la société Compagnie financière [K] la somme de 2 250 000 euros au titre du montant principal.

Par déclaration au greffe du 27 mai 2019, Mme [U] et M. [S] ont interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 8 juin 2021, la cour d'appel de Chambéry a confirmé la décision.

Mme [U] et de M. [S] ont formé un pourvoi en cassation, qui est actuellement en cours.

Par ordonnance du 17 mars 2022, le Premier Président de la Cour de cassation, au visa de l'article 1009-1 du code de procédure civile, a radié le pourvoi en l'absence d'exécution de leurs condamnations par les consorts [U]/[S], puis par ordonnance en date du 7 septembre 2023 il a autorisé la réinscription de l'affaire au rôle de la Cour.

Par actes d'huissier du 4 octobre 2017, la société CFB, et les époux [K] ont fait assigner M. [L] [C] et la société Savoie entreprises solutions, venant aux droits de M. [L] [C] suite à sa retraite, devant le tribunal de grande instance de Chambéry notamment aux fins de réparation de leurs préjudices.

Par jugement du 28 octobre 2021, assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Chambéry, devenu le tribunal judiciaire, a':

- Déclaré irrecevables les demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à l'encontre de la société Savoie entreprises solutions en l'absence d'intérêt à agir en défense de celle-ci ;

- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [C] à l'encontre des demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à son détriment ;

- Déclaré recevables les demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à l'encontre de M. [C] ;

- Dit que M. [C] a engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'encontre de la société Compagnie financière [K] ;

- Condamné M. [C] à payer à la société Compagnie financière [K] la somme de 225 790 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice ;

- Rejeté la demande de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] tendant à ce que cette condamnation soit prononcée in solidum avec tout autre débiteur qui pourrait être condamné à les indemniser de ce même préjudice, en raison de ses propres fautes ayant contribué à la réalisation de ce préjudice ;

- Rejeté la demande de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] tendant à la condamnation de M. [C] à payer à M. [K] la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel ;

- Rejeté la demande de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] tendant à la condamnation de M. [C] à payer à M. [K] et à Mme [D] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie Entreprises Solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive

- Condamné M. [C] à payer à M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] la somme totale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Rejeté la demande de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] tendant à ce que les droits des articles A 444-32 et suivant du code de commerce soient mis à la charge de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné M. [C] aux dépens.

Au visa principalement des motifs suivants':

' La désignation du conciliateur ne concerne que M. [C], de sorte que la responsabilité de la société Savoie entreprises solutions ne saurait être recherchée en sa qualité de commettant ou de mandant de M. [C]';

' La responsabilité civile professionnelle d'un conciliateur peut être engagée en cas de faute personnelle dans l'exercice de ses fonctions, ce qui est le cas en l'espèce';

' M. [C] a commis deux fautes dans l'exercice de ses fonctions de conciliateur, l'une constitutive de son abstention à établir même sommairement la situation financière présente des sociétés [U] expansion et [U] équipement, l'autre en s'abstenant d'intégrer la société Compagnie financière [K] à la procédure de conciliation';

' Une perte de chance à hauteur de 10% apparaît de nature à réparer le préjudice subi par la société Compagnie Financière [K]';

' M. [K] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un quelconque préjudice matériel';

' La faute imputable à M. [C] a eu des répercussions sur le patrimoine de la société CFB, qui est une personne morale distincte de celles de M. et Mme [K] et ces derniers ne produisent aucune pièce permettant d'établir l'existence d'un quelconque préjudice moral.

Par déclaration au greffe du 19 novembre 2021, les époux [K], et la société CFB ont interjeté appel de la décision en toutes ses dispositions hormis en ce qu'elle a':

- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [C] à l'encontre des demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société CFB à son détriment ;

- Déclaré recevables les demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société CFB à l'encontre de M. [C] ;

- Dit que M. [C] a engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'encontre de la société CFB ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société CFB à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société CFB à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné M. [C] aux dépens.

Prétentions et moyens des parties

Par dernières écritures du 16 juin 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, les époux [K] et la société CFB sollicitent l'infirmation des seuls chefs critiqués de la décision et demandent à la cour de :

Sur l'appel principal,

- Les dire recevables et bien fondés en leur appel';

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 28 octobre 2021, en ce qu'il a :

- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [C] à l'encontre des demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à son détriment ;

- Déclaré recevables les demandes formulées par M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à l'encontre de M. [C] ;

- Dit que M. [C] a engagé sa responsabilité civile délictuelle à l'encontre de la société Compagnie Financière [K] ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie Entreprises Solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

- Condamné M. [C] à payer à M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] la somme totale de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions tendant à la condamnation solidaire de M. [K], Mme [D] et la société Compagnie financière [K] à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- Condamné M. [C] aux dépens';

Statuant à nouveau,

- Rejeter l'ensemble des fins de non-recevoir de Savoie entreprises solutions et de M. [C] comme injustifiées et non fondées';

- Déclarer recevable leur action en responsabilité délictuelle engagée à l'encontre de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions';

- Juger la société Savoie entreprises solutions civilement responsable de son mandataire social, représentant, ou subsidiairement préposé co-responsable aux côtés de son représentant';

- Juger que les fautes commises par M. [C] et la société Savoie entreprises solutions, les obligent solidairement à les indemniser de l'intégralité des dommages subis en résultant, que ce soit sur le fondement du préjudice ou de la perte de chance';

- Condamner solidairement M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions'à payer et porter à :

- La société Compagnie financière [K] en réparation de tous ses préjudices la somme de 2 608 749 euros,

- M. [K] pour son préjudice matériel, la somme de 200 000 euros,

- M. [K] et Mme [D] pour leur préjudice moral, la somme de 30 000 euros';

Et ce, in solidum, avec tout autre débiteur qui pourrait être condamné à les indemniser de ces mêmes préjudices, en raison de leurs propres fautes ayant contribué à la réalisation de ces préjudices';

- Condamner les mêmes dans les mêmes conditions à leur payer la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, dans le cadre de la procédure d'appel, outre les droits des articles A 444-32 et suivants du code de commerce portant modification du décret du 12 décembre 1996 n° 96/1080 relatif au tarif des huissiers';

Sur l'appel incident,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chambéry le 28 octobre 2021, en ce qu'il a rejeté la demande de M. [C] et de la société Savoie entreprises solutions tendant à leur condamnation solidaire à leur payer à chacun d'eux la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,';

- Débouter M. [C] et la société Savoie entreprises solutions de leurs demandes financières au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Au soutien de leurs prétentions, les époux [K] et la société CFB font valoir, en substance, que':

' M. [C] a été désigné conciliateur comme représentant de la société Savoie entreprise solutions, agissant comme tel dans le cadre de la conciliation, ce qui engage sa responsabilité aux côtés de celui qui se présente lui-même comme « représentant » de la société Savoie Entreprise Solutions';

' A partir du moment, où M. [C] était informé de l'existence de créanciers et investisseurs en cours de conciliation, il devait aussitôt les appeler à la procédure, celui-ci ayant l'obligation d'appeler à la conciliation, tous les créanciers principaux';

' En l'absence d'éléments financiers et comptables à jour, le conciliateur n'aurait jamais dû commencer la conciliation';

' Qu'elles soient d'imprudence ou intentionnelles, les fautes du conciliateur sont avérées à leur égard.

Par dernières écritures du 2 mai 2022, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [C] et la société SES sollicitent de la cour de :

- Confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré la société CFB et les consorts [K], irrecevables en leur action à l'encontre de la société savoie entreprise solutions';

- Infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevables les demandes formées par la société CFB et les consorts [K] l'encontre de M. [C]';

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [C]'à payer à la société CFB 225 790 euros à titre de dommages et intérêts';

- Infirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [C] à payer à la société CFB et aux consorts [K] 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a condamné aux dépens';

- Prononcer la mise hors de cause de M. [C]';

A titre reconventionnel,

- Condamner solidairement entre eux, la société CFB et les consorts [K], à leur verser la somme de 5 000 euros (chacun), pour procédure abusive et injustifiée';

- Condamner les mêmes, sous la même solidarité, à leur verser, au titre des frais irrépétibles, la somme de 5 000 euros chacun';

- Les condamner aux entiers dépens d'instance et d'appel et ce au profit de Me Forquin avocat sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leurs prétentions, M. [C] et la société SES font valoir, en substance, que':

' La société Savoie entreprises solutions, n'est pas susceptible de voir sa responsabilité engagée puisqu'elle n'a jamais été le conciliateur du groupe [U] équipement;

' M. [C], ne peut répondre personnellement de la faute prétendue, dès lors qu'il agissait par délégation du tribunal de commerce';

' Le conciliateur judiciaire n'a aucune des prérogatives d'un administrateur judiciaire et donc aucun pouvoir de contrainte ou d'investigation à l'encontre du débiteur';

' Le conciliateur n'a pas la main sur le choix des créanciers à appeler à la conciliation';

' Ce n'est qu'en juin 2015 que M. [C] a connu l'existence des consorts [K], non pas comme des créanciers, mais en leur qualité d'associés par leur entrée au capital';

' En tant que signataires du protocole d'investissement, les consorts [S]-[U] contractaient quant à eux une obligation de loyauté et de sincérité à l'égard des consorts [K] et ils étaient tenus de les informer de l'existence des négociations menées avec les banques';

' Les consorts [K] ne démontrent pas qu'en cas de connaissance prise de la conciliation en cours et du refinancement de 2 250 000 euros accordé par les banques, ils auraient renoncé à leur projet de sorte que ceux-ci ne pourraient prétendre qu'à une fraction seulement des sommes investie';

' Les consorts [K] ont été trompés par les consorts [U]-[S] lesquels étaient les seuls à pouvoir rompre le cercle de la confidentialité.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l'audience ainsi qu'à la décision entreprise.

Une ordonnance en date du 29 janvier 2024 a clôturé l'instruction de la procédure. Une ordonnance du 21 février 2024 a révoqué l'ordonnance de clôture. L'affaire a été plaidée à l'audience du 5 mars 2024.

Motifs et décision

I ' Sur les fins de non recevoir

A - Sur la recevabilité de la demande dirigée contre M. [C]

L'article L 611-4 du code de commerce dispose : «'Il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.'»

L'article L 611-6 prévoit que «'le président du tribunal de commerce est saisi d'une requête du débiteur exposant sa situation économique, financière, sociale et patrimoniale, ses besoins en financement ainsi que, le cas échéant, les moyens d'y faire face. Le débiteur peut proposer le nom d'un conciliateur.

La procédure de conciliation est ouverte par le président du tribunal qui désigne un conciliateur.'»

Ainsi, le conciliateur désigné dans le cadre du régime des entreprises en difficultés, à l'instar d'un expert, d'un mandataire ad hoc, d'un mandataire judiciaire ou d'un administrateur, est un auxiliaire de justice à qui est confié une mission rémunérée de sorte que sa responsabilité relève du droit commun.

Avant même la loi du 26 juillet 2005, il avait été jugé que le conciliateur, investi de sa mission par décision judiciaire, était, à titre occasionnel, un auxiliaire de justice au sens de l'article 719 du code de procédure civile (art. 719 CPC: «'les demandes ou contestations relatives aux frais, émoluments et débours qui ne sont pas compris dans les dépens mentionnés à l'article 695, formées par ou contre les auxiliaires de justice et les officiers publics ou ministériels sont soumises aux règles prévues aux articles 704 à 718'») de sorte que l'ordonnance par laquelle le président du tribunal fixait sa rémunération pouvait être frappée d'un recours devant le premier président de la cour d'appel (Com. 17 févr. 1998, pourvoi n° 94-17.292).

Ainsi que le soulignent les appelants, ces derniers ne se fondent pas sur la responsabilité du fait d'un fonctionnement défectueux du service de la justice, mais recherchent la responsabilité d'un professionnel privé en charge d'une mission rémunérée.

Dès lors, le jugement qui a écarté cette fin de non-recevoir, en retenant que la responsabilité professionnelle de M. [C] était susceptible d'être engagée devant le tribunal judiciaire de Chambéry, sera confirmé.

B - Sur la recevabilité de l'action dirigée à l'encontre de la société Savoie entreprises solutions (SES)

En revanche, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la société SES n'avait aucun intérêt à agir en défense et que les demandes dirigées à son encontre étaient irrecevables au motif que seul M. [C] avait été désigné sans qu'il soit fait mention qu'il était le représentant ou le préposé de cette société.

En effet, il résulte des productions que M. [C] qui était le gérant de la société SES, exerçait ses fonctions d'expert-comptable, de conciliateur et d'expert judiciaire dans le cadre de cette structure et non pas à titre personnel en son propre nom.

C'est ainsi que le protocole d'accord qu'il a rédigé mentionne, après l'énoncé des parties prenantes':

«'En présence de M. [L] [C], conseil aux entreprises, représentant le cabinet SES, sis [Adresse 7], pris en sa qualité de conciliateur des sociétés, désigné à cette fonction par ordonnance de M. Jean-Pierre Oliva, président du tribunal de commerce de Chambéry, en date du 16 mars 2015, prolongée d'un mois le 8 juillet 2015, soit jusqu'au 16 août 2015.'»

Par ailleurs, tous les courriers ou courriels émis par M. [C] sont à l'en-tête de la société SES et les factures émises en règlement des diligences effectuées pour cette conciliation, l'ont été par la société SES (pièce 27 [C]).

Enfin, des échanges de courriers sont intervenus entre le conseil de CFB et M. [P] [I], gérant de SES ayant succédé à M. [C], suite au départ à la retraite de ce dernier, et notamment par courrier en date du 20 mars 2017, M. [I] indiquait':

«'Enfin et pour répondre à votre interrogation, je vous précise que j'ai procédé à une déclaration de sinistre auprès de notre assureur responsabilité civile professionnelle, sans que cela constitue une reconnaissance de responsabilité de notre part, et que ce dossier sera instruit, sous la référence KSR 11277796 par l'intermédiaire du Cabinet Verspieren,

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 6].'» (pièce [K] n°31).'

Il résulte ainsi de l'ensemble de ces éléments que si M. [C] a été désigné par le président du tribunal, il ne pouvait exercer la mission confiée que dans le cadre de sa structure professionnelle, de sorte que les demandes dirigées à l'encontre de cette dernière sont recevables et le jugement sera infirmé en ce sens.

II ' Sur les différentes expertises comptables diligentées dans le cadre des sanctions commerciales dont les dirigeants des sociétés [U] ont fait l'objet et les procédures qui ont suivi

La responsabilité de M. [C] ne peut être examinée sans prendre en compte les éléments qui ont été révélés à posteriori par les expertises comptables diligentées à la suite de la liquidation judiciaire des sociétés [U] équipement et [U] expansion.

Par ordonnance du 23 avril 2018, le juge-commissaire intervenant dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société [U] équipement a désigné, sur requête des liquidateurs, M. [E] en qualité de technicien en application de l'article L. 621-9 du code de commerce aux fins notamment de :

- Rechercher tous actes anormaux de gestion et apporter tout éclairage qui s'imposait afin de comprendre les motifs de la déconfiture de la société [U] équipement,

- Examiner et décrire en particulier les relations entre la société [U] équipement et la SCI Doron,

- Examiner les comptes sociaux établis par la société au titre des exercices 2014 et 2015 et rechercher si ceux-ci étaient réguliers et sincères,

- Examiner et donner un avis sur les moyens par lesquels la société [U] équipement s'était trouvée en état de cessation des paiements et, le cas échéant, en situation irrémédiablement compromise,

- Déterminer le cas échéant, l'aggravation de passif entre la date à laquelle la société [U] équipement s'était trouvée irrémédiablement compromise, le cas échéant, la date de cessation des paiements et la date de dépôt de la déclaration de cessation des paiements.

Par ordonnance en date du 4 février 2019, le juge-commissaire intervenant dans le cadre des liquidations judiciaires des sociétés [U] équipement et [U] expansion a étendu la mission de l'expert aux exercices comptables 2012, 2013 et 2016 jusqu'à l'ouverture de la procédure collective de la société [U] équipement, et à la société [U] expansion pour les exercices 2012, 2013, 2014, 2015, 2016 et jusqu'à l'ouverture de la procédure collective de cette société.

M. [E] a déposé ses rapports au greffe du tribunal le 12 septembre 2019.

Par ailleurs, sur requête du ministère public, par jugement avant dire droit du 27 mai 2019, le tribunal de commerce de Chambéry a séparé la demande du ministère public en sanction personnelle à l'encontre de M. [S] de celle dirigée contre Mme [U] et a ordonné une consultation confiée à Mme [Z] avec pour mission de cibler en l'expliquant les agissements de Mme [U] répondant aux articles L 653-4 du code de commerce et/ou L 653-5 6° du code de commerce et ses agissements ne répondant pas aux articles précités.

Mme [Z] a déposé son rapport définitif le 22 janvier 2020.

A la suite de ces rapports, diverses décisions sont intervenues':

- Par arrêt en date du 11 janvier 2022, la présente cour a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Chambéry ayant condamné in solidum les consorts [U]/[S] à payer aux liquidateurs des sociétés [U] la somme de 1 400 000 euros sur le fondement de l'article 651-2 du code de commerce (action en comblement de passif) en retenant dix fautes de gestion autres que de simples négligences.

Cet arrêt a fait l'objet d'une cassation partielle le 5 juillet 2023 concernant deux d'entre elles.

La chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que la condamnation à supporter l'insuffisance d'actif ayant été prononcée en considération de plusieurs fautes de gestion, la cassation encourue à raison de l'une d'entre elles entraînait, en application du principe de proportionnalité, la cassation de l'arrêt de ce chef, et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Grenoble (Com., 5 juillet 2023, pourvoi n° 22-13.290).

Toujours sur la base de ces rapports d'expertise, par deux arrêts distincts en date du 11 janvier 2022, la présente cour a confirmé les jugements du tribunal de commerce ayant prononcé à l'encontre de M. [S] une interdiction de gérer d'une durée de 15 ans et à l'encontre de Mme [U] une interdiction de gérer d'une durée de 10 ans.

- Par deux arrêts en date du 5 juillet 2023 la chambre commerciale de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de Mme [U], et cassé l'arrêt concernant l'interdiction de gérer de M. [S] renvoyant les parties devant la cour d'appel de Grenoble (pourvois n° 22-13.287 et 22-13.289).

- Par ailleurs, par arrêt définitif en date du 11 janvier 2022, la présente cour a confirmé le jugement du tribunal de commerce de Chambéry en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Elicompta, expert comptable ayant établi les états financiers de la société [U] équipement et sa filiale Unitech pour l'exercice clos au 31 décembre 2014, caractérisée par plusieurs erreurs comptables portant sur des sommes importantes qui ont eu pour conséquence d'améliorer artificiellement la situation financière de la société [U] équipement et ont contribué à tromper les investisseurs sur la situation réelle de cette société. La société Elicompta a été condamnée à payer aux liquidateurs de [U] équipement la somme de 140 000 euros à titre de dommages et intérêts.

Enfin, une procédure est pendante concernant la responsabilité du commissaire aux comptes M. [R]. En effet, la présente cour, a, par arrêt en date du 5 janvier 2021 (RG 20/00732), confirmé une ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Chambéry ayant sursis à statuer dans l'attente d'une décision définitive concernant la procédure commerciale pour dol lors du protocole d'investissement du 28 juillet 2015 et opposant la société CFB avec les consorts [K] aux consorts [U]/[S].

Il résulte des deux rapports de M. [E] en date du 12 septembre 2019 que':

- Les comptes de la société [U] équipement de 2012 à 2014 n'étaient ni réguliers ni sincères et ne reflétaient pas la situation patrimoniale et la rentabilité de celle-ci.

- La requête aux fins d'ouverture de la conciliation de mars 2015 ne reflète pas la réalité de l'endettement de la société': n'y figurent pas, la dette due au factor CGA de 2 100 000 euros, les retards de paiement auprès de l'Apicil (294 000 euros), la réalité des dettes Urssaf à échoir, des prêts bancaires, etc....

Si la société avait présenté des comptes sincères, les pertes des exercices depuis 2012 seraient apparues et l'analyse qui aurait été faite de la situation aurait été certainement différente.

Selon l'expert M.[E], la société était en cessation de paiements à la fin du premier trimestre 2015.

Il a précisé':

«'A cette date une procédure de redressement judiciaire aurait pu donner au Groupe une chance de se redresser.

Nous estimons que l'exploitation a pu perdurer':

Grâce à l'obtention d'une conciliation basée sur des données financières quant à l'endettement réel erronées et des comptes 2012 à 2014 ne reflétant pas la situation patrimoniale réelle des deux sociétés.

Grâce à deux augmentations de capital réalisées dans des conditions où la situation financière réelle de la société n'avait pas été portée à la connaissance des investisseurs.'»

Selon l'expert, la situation était irrémédiablement compromise au 3ème trimestre 2015 du fait de l'augmentation du passif et des prévisionnels des chiffres d'affaires non atteints.

Pour [U] expansion, l'augmentation de passif entre le 31 décembre 2014 et le jugement de redressement judiciaire de novembre 2016 a été de 388 947 euros et elle a été de 1 452 685 euros pour la société [U] équipement soit un total de 1 841 632 euros.

S'agissant de la société [U] expansion, l'expert M. [E] a précisé que d'une façon générale, il avait constaté des anomalies (qu'il a décrites point par point dans son rapport) propres à remettre en cause la fiabilité des comptes présentés, l'absence de contrôle interne et des prises de décision destinées à une présentation des comptes pouvant induire en erreur le lecteur de ceux-ci.

Aux termes de son rapport en date du 20 janvier 2020, Mme [Z] a relevé les mêmes «'anomalies'» que celles pointées par M. [E].

En conclusion, elle a présenté la chronologie des faits, qui constitue, selon elle, un élément essentiel à l'analyse du dossier, en ces termes':

«'De 2008 à 2012 les sociétés [U] ont supporté des charges contraires à l'intérêt social d'un montant de':

société BEX': 895 830 euros de salaires indus

société BEH': 875 745 euros de travaux indus

soit un total de 1 771 575 euros.

Fin 2012, M. [A] [S] sollicite et obtient un financement complémentaire de 1 200 000 euros auprès d'un pool bancaire à la suite de difficultés de trésorerie.

Le 31 juillet 2013, la société BEH acquiert pour 1 euro symbolique la moitié du capital de la société Unitech en association avec M. [A] [S] et Mme [B] [U]-[S], alors même que la situation de cette société est déjà très obérée.

Le 1er août 2013, la société BEH prend en location-gérance le fonds de commerce de la société Unitech.

Au 30 septembre 2013, deux erreurs préjudiciables de 1 211 513 euros (surévaluation du stock) et 273 171 euros (location gérance) transforment à tort le déficit d'exploitation de la société BEH en un résultat d'exploitation positif de 714 247 euros.

Le 14 février 2015, M. [S] reconnaît que la société BEH a abusé de la confiance de la CGA Compagnie générale d'affacturage pour un montant de 2 100 000 euros. Cette somme sera remboursée de mars à septembre 2015, mettant la société BEH dans une situation financière très difficile.

Le 10 mars 2015': Demande de nomination d'un conciliateur par les dirigeants du groupe [U] auprès du tribunal de commerce de Chambéry. Il est d'évidence que le remboursement de la somme de 2 100 000 euros demandé par CGA (supra) a généré cette situation précaire.

En avril 2015, M. [T] [U] aurait abandonné rétro-activement au 31 décembre 2014 le compte courant qu'il détient dans la société BEX pour un montant de 385 971 euros.

Avril/juillet 2015': la société BEH obtient 693 785 euros de la société Corhofi par la signature d'un contrat de cession-bail (lease-back) pour le moins douteux et non justifié, puisque celui-ci porte sur des marchandises destinées à la revente, à des conditions financières ruineuses.

Le 28 juillet 2015': L'augmentation de capital de la société BEX réservée à la Compagnie financière [K] pour un montant de 2 257 900 euros, prime d'émission incluse, a été réalisée au vu des documents financiers établis, comme on l'a vu supra, au mépris des règles comptables et en l'absence de comptes consolidés.

Le 6 août 2015': signature du protocole de conciliation entre les sociétés BEX, BEH et le pool bancaire en présence de M. [L] [C], conciliateur désigné par le président du tribunal de commerce de Chambéry, sur la base d'informations comptables et financières erronées.

Le 23 décembre 2015': Augmentation du capital de la société BEX pour un montant de 2 500 540 euros, prime d'émission incluse, au profit des fonds FCPI Opportunités régions 2 et FCPI Agipi innovation. Cette augmentation de capital a été réalisée alors même que tous les «'clignotants'» à savoir la trésorerie, la rentabilité et l'activité globale du groupe étaient au «'rouge'».

Le 25 octobre 2016': redressement judiciaire de la société BEH.

Le 13 mars 2017': établissement des comptes annuels arrêtés à la date du 31 décembre 2015 de la société BEH, soit avec un retard de près de 18 mois, par M. [G] [M]. Ces comptes font apparaître une perte abyssale, d'un montant de 7 978 968 euros dont - 3 181 759 euros imputables à l'exercice 2014.

Le 18 mars 2017': liquidation judiciaire de la société BEH.

Ainsi la mise en perspective de tous ces événements et constatations réalisées permettent de considérer que les difficultés financières du Groupe [U] ont commencé dès l'opération de LBO de 2008 eu égard à l'importance des charges contraires à l'intérêt social.

Puis la situation n'a fait que se dégrader compte tenu de':

Une rentabilité insuffisante

La présentation de comptes sociaux inexacts

Des investissements ruineux

Des opérations financières pour le moins douteuses

Un défaut dans la communication financière, et notamment l'absence de comptes consolidés

Une carence des organismes de contrôle (Commissaire aux comptes)

Utilisation de moyens de financement ruineux'»

Puis, après avoir rappelé que le résultat d'exploitation représente l'activité habituelle de la société hors les opérations financières et qu'il est le critère le plus important pour mesurer la rentabilité de l'exploitation, l'experte a présenté le résultat d'exploitation corrigé au titre des exercices 2013 et 2014.

Exercice 2013

avant correction

résultat d'exploitation de la société BEH seul': 714 247 euros (bénéfice)

résultat d'exploitation consolidé du groupe': - 145 182 euros (perte)

après correction

résultat d'exploitation de la société BEH seul': - 1 135 028 euros (perte)

résultat d'exploitation consolidé du groupe': - 1 994 457 euros (perte)

Exercice 2014

avant correction

résultat d'exploitation de la société BEH seul:1 297 691 euros (bénéfice)

résultat d'exploitation consolidé du groupe:1 581 153 euros (bénéfice)

après correction

résultat d'exploitation de la société BEH seul': - 2 626 821 euros (perte)

résultat d'exploitation consolidé du groupe': - 2 343 359 euros (perte)

Mme [Z] a précisé que ces comparatifs illustraient parfaitement les conséquences des nombreuses omissions et erreurs «'opportunes'» commises à l'occasion de l'établissement des comptes annuels lesquelles ont masqué les pertes abyssales qui ont mené à la déconfiture du groupe [U] quelques mois plus tard, écritures décidées par la direction du groupe [U], précisant encore que M. [S], titulaire d'un diplôme d'expertise comptable et ancien juge au tribunal de commerce de Chambéry était parfaitement au fait des règles comptables et fiscales applicables aux sociétés.

III ' Sur la responsabilité de M. [C] et de la société SES

Aux termes de l'article 1382 du code civil devenu l'article 1240, «'tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.'»

A - Sur l'existence de fautes imputables à M. [C] et la société SES

L'article L 611-7 du code de commerce énonce que «'le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers, ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi. Le conciliateur peut, dans ce but obtenir du débiteur tout renseignement utile. Le président du tribunal communique au conciliateur les renseignements dont il dispose et, le cas échéant, les résultats de l'expertise mentionnée au cinquième alinéa de l'article L 611-6.'»

1° l'absence d'investigations

Il est tout d'abord reproché au conciliateur un manque d'investigations concernant le début de l'exercice 2015.

La simple lecture du texte précité montre que contrairement aux allégations des intimés, le conciliateur désigné par le président du tribunal de commerce n'a pas un rôle purement passif visant à la signature d'un accord entre le débiteur et les créanciers que ce dernier aurait préalablement désignés, puisqu'il peut solliciter le débiteur afin d'obtenir tous les renseignements utiles, et que le président du tribunal de commerce doit lui communiquer les éléments dont il dispose.

Le caractère actif du rôle du conciliateur résulte des termes mêmes de la mission qui lui a été confiée dans l'ordonnance du 16 mars 2015, qui était'de':

«'Favoriser la conclusion d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de la société SAS [U] expansion et de la SAS [U] équipement hôtelier susvisées avec leurs principaux créanciers et le cas échéant avec leurs cocontractants habituels';

Présenter toutes propositions se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi.'»

Sa mission consistait donc à appréhender au préalable la situation financière des deux sociétés pour pouvoir parvenir à un accord entre ces dernières et leurs créanciers et pour pouvoir formuler des propositions relatives notamment à la sauvegarde de l'emploi.

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il est produit par les intimés, des pièces relatives à la comptabilité de chaque société [U] (rapport de CP&A Corporate finance du 21 avril 2015 mandaté par Midi capital qui envisageait d'entrer au capital de la société [U] équipement, les rapports du commissaire aux comptes pour chaque société [U], le projet de bilan et soldes intermédiaires de gestion au 31 décembre 2014 de la société [U] équipement, extrait des états de synthèse de la société [U] expansion concernant les événements postérieurs à la clôture de l'exercice, rapport de NGP Finance sur la valorisation de la société [U] équipement en date du 18 février 2014).

Cependant c'est à tort que les premiers juges ont retenu que toutes ces pièces portent au plus tard sur le dernier exercice clos au 31 décembre 2014 et ne prennent pas en compte les opérations postérieures à cette date.

En effet, il y a lieu de se référer au rapport du commissaire aux comptes en date du 15 juin 2015 qui porte sur les comptes annuels de la société [U] équipement pour l'exercice ayant couru du 1er octobre 2013 au 31 décembre 2014 (15 mois) et par lequel ce dernier certifie que les comptes annuels sont, au regard des règles et principes comptables français, réguliers, sincères donnant une image fidèle du résultat des opérations de l'exercice écoulé ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de l'exercice.(pièce [C] n°22).

A ce rapport sont annexés le bilan et les états de synthèse établis par l'expert-comptable, la société Elicompta, lesquels comportent un paragraphe «'Autres informations'», qui fait état des «'Événements postérieurs à la clôture'» à savoir':

La dissolution de la société Unitech le 31 mars 2015 par voie de transmission universelle avec effet rétroactif au 1er janvier 2015,

L'augmentation du capital social de 5 000 euros par incorporation de réserves et élévation du montant nominal de chaque action aux termes d'une AGE du 7 mai 2015.

Force est de constater qu'il n'est fait aucune mention du prêt court terme de 400 000 euros consenti le 15 février 2015 par la société CFB à la société [U] équipement qui constituait pourtant un événement majeur puisque celle-ci devenait l'un des créanciers principaux de [U] équipement.

Ce prêt ne figure d'ailleurs pas non plus dans la requête en ouverture d'une conciliation déposée en mars 2015.

Par ailleurs, la consultation des factures détaillées de la société SES qui a facturé ses prestations au temps passé en listant les diligences effectuées montre que M. [C] a notamment rencontré à plusieurs reprises le directeur administratif et financier, et eu des entretiens téléphoniques avec ce dernier, réalisé des tableaux de gestion et de trésorerie de bilans et de flux ainsi que des bilans prévisionnels 2014, 2015 et 2016, réalisé un tableau synthétique de suivi des emprunts moyen terme de la société [U] équipement, pris connaissance des audits NG Finance et CP&A mandaté par Midi capital, mis à jour en juin 2015 le tableau trésorerie suite à la connaissance du chiffre d'affaires de mars avril et mai 2015, échangé avec le factor CGA sur le fonctionnement du contrat, établi un tableau des éléments détaillés de la dette senior, rencontré et échangé avec les banques et créanciers publics.

Il est bien évident que dans le délai contraint qui lui était imparti (4 mois + prorogation d'un mois article L 611-6 du code de commerce) le conciliateur ne pouvait se livrer à un audit des sociétés [U], étant rappelé que M. [M] expert-comptable en charge de l'établissement des comptes de l'exercice 2015 a été confronté à de nombreuses difficultés et a mis près de dix-huit mois après la date de clôture de l'exercice pour arrêter les comptes, compte tenu notamment du nombre important de corrections et de zones d'incertitudes reposant, selon ses dires, sur l'absence de contrôle interne et d'informations fiables dans l'entreprise.

M. [C] s'est à juste titre appuyé sur l'audit réalisé par le cabinet CP&A mandaté par Midi Capital en vue de la prise de participations de ce fonds, et en tout état de cause, un tel audit ne ressortissait pas de sa mission principale qui consistait à favoriser la conclusion d'un accord amiable des sociétés Boss avec leurs principaux créanciers destiné à mettre fin aux difficultés du groupe.

Le jugement qui a retenu une faute imputable à M. [C] résultant de l'absence d'investigations quant à la situation financière des débitrices qui aurait permis de mettre à jour d'autres dettes dont la créance de la société CFB, sera infirmé.

2° l'absence de prise de contact avec M. [K]

Par ailleurs, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il est établi que le conciliateur n'a pas appelé la société CFB à la procédure de conciliation lorsqu'il a appris le 18 juin 2015 (courriel de M. [S] pièce [C] n°30) que cette dernière, suite au retrait de Midi capital de son projet d'investissement, proposait d'investir la somme de 2 257 900 euros et d'augmenter le capital de la société [U] expansion, proposition qui a permis la conclusion de l'accord ultérieurement homologué par la

présente cour le 29 septembre 2015.

A cet égard, il convient de se référer au compte-rendu de M. [C] concernant la réunion téléphonique du 29 juin 2015 entre les créanciers et les représentants des sociétés [U]':

«'En conclusion, sous condition de la finalisation complète de l'augmentation de capital à hauteur de 2 250 K€, et après avoir pris connaissance du présent document et des annexes rajoutées, les établissements ont indiqué pouvoir présenter à leurs comités les demandes rapidement et revenir vers le conciliateur à ce sujet au plus tard le 17 juillet prochain.

[L] [C] a remercié les participants pour leur participation positive à cette réunion, qui laisse entrevoir un dénouement favorable de la conciliation pour les sociétés et emplois concernés et indiqué qu'afin d'être en mesure de respecter les contraintes du calendrier, il travaillera d'ici cette date à la rédaction d'un projet de protocole afin de le soumettre concomitamment aux parties.'»

Il convient également de se référer au protocole d'accord de conciliation signée par les parties le 6 août 2015, rédigé par M. [C].

Après avoir décrit la nature des activités du groupe [U], l'origine des difficultés, il a rappelé les négociations menées avec les partenaires financiers ainsi':

«'Face aux besoins, le conciliateur et les Banques ont examiné la situation lors d'une première réunion qui s'est tenue le 19 mars 2015 dont le compte-rendu est en annexe 3.

Au cours de cette réunion, les Banques ont néanmoins fait droit aux demandes du conciliateur de maintien des concours court terme qu'ils soient dénoncés ou non et du gel des échéances des crédits amortissables de [U] équipement et de la demande de sursis à exigibilité des annuités du crédit Senior.

Par ailleurs, les Banques ont exprimé la demande de pouvoir disposer d'une documentation comptable auditée et d'un rapport d'audit indépendant sur les contextes et les perspectives de la société.

Prévu dans le cadre des formalités diligentées par Midi Capital, ce rapport a été réalisé par le cabinet CP&A en date du 21 avril 2015 et diffusé aux parties le jour de la deuxième réunion.

Cette dernière s'est tenue, téléphoniquement, le 29 juin 2015, afin de faire le point sur les négociations avec les principaux créanciers, apporter des commentaires et précisions sur le rapport d'audit, actualiser les tableaux d'exploitation et de trésorerie et expliquer les tenants et aboutissants d'une augmentation de capital en cours.

Monsieur [A] [S] a effectivement indiqué qu'il avait 'uvré à mettre au point une augmentation de capital, toujours de 2 250 M€ (montant prévu avec Midi Capital), avec M. [P] [K], ex-hôtelier de la région, qui après avoir vendu son outil de travail, recherche une nouvelle dynamique professionnelle. Il a été précisé que l'opération d'entrée de la Compagnie Financière [K] (CFB) au capital de [U] expansion était en bonne voie avec le versement ce même jour d'un premier versement de 500 000 euros en compte courant d'associé (avec un prêt d'une action).

Depuis le 29 juin, une assemblée générale, tenue le 6 juillet 2015, a ouvert une augmentation de capital au bénéfice de la CFB, les 1 750 000 euros complémentaires ont été versés le 28 juillet 2015 et donc l'augmentation de capital entièrement souscrite.'»

Ainsi que l'ont relevé les premiers juges, l'entrée de la société CFB dans la conciliation apparaissait nécessaire d'une part pour que celle-ci puisse justifier de la solidité de son projet d'investissement auprès des principaux créanciers et d'autre part pour que le conciliateur puisse s'assurer que ce projet participait à la sauvegarde de l'emploi au sein des société [U].

Il sera ajouté que cette prise de contact était d'autant plus importante que la société CFB n'était pas un partenaire purement financier tel que Midi capital mais un associé ayant une expérience professionnelle complémentaire au secteur d'activité dans lequel la société [U] évoluait et qu'il était prévu que la société CFG assurerait la fonction de directeur général mandataire social aux côtés de M. [S] président (cf protocole d'investissement du 28 juillet 2015, pièce CFB n°5).

Or, il n'est pas contesté que le conciliateur n'a pris aucun contact avec M. [P] [K] qui n'a appris l'existence de cette procédure de conciliation qu'en septembre 2015 lorsque le tribunal de commerce a refusé d'homologuer l'accord et les descriptions que M. [C] donne dans le protocole quant aux motivations et à la compétence de M. [K], ne font manifestement que reprendre les dires de M. [S].

Cette absence de connaissance par M. [K] de la procédure de conciliation résulte d'ailleurs d'un document signé par les consorts [U]/[S] en qualité d'associés majoritaires et dirigeants des sociétés [U] en date du 17 septembre 2015 aux termes duquel il est rappelé que la société CFB a signé le 28 juillet 2015 un protocole d'investissement portant sur la souscription au capital social de [U] expansion pour un montant de 2 257 900 euros qui a été réalisé le même jour.

Il est précisé que les décisions prévues au protocole concernant la nomination de CFB directeur général dans chacune des sociétés n'ont pas été réitérées à ce jour.

Les consorts [U]/[S] «'prennent acte que compte tenu de la révélation ces derniers jours de l'existence d'une procédure de conciliation rejetée par le tribunal de commerce suivant jugement du 14 septembre 2015, la société CFB n'entend pas dans l'immédiat accepter un tel mandat.'»

Le conciliateur, en ce qui le concerne, a eu connaissance de l'existence des époux [K] et de leur projet d'investir au capital de la société [U] expansion le 18 juin 2015 soit plus d'un mois avant l'augmentation de capital du 28 juillet 2015 et l'ordonnance du 8 juillet 2015 prorogeant la conciliation jusqu'au 16 août 2015 lui permettait d'attraire la société CFB à la procédure.

En ne prenant pas contact avec M. [K] et en ne le convoquant pas, le conciliateur a commis une faute d'imprudence.

3° L'absence de constat d'irrégularités flagrantes dans la comptabilité

Enfin, alors que, dans le cadre du projet avorté d'investissement de Midi capital dans le capital de [U] équipement, un rapport d'audit a été établi le 21 avril 2015 par le cabinet CP&A, rapport dont M. [C] a eu connaissance (cf facture détaillée de SES mentionnant les diligences effectuées et mentionnant le 24 juin 2015': «'lecture et l'annotation du rapport d'audit en lien avec la connaissance du dossier et le rapprochement avec les documents existants'», pièce [C] n°27), force est de constater que ce dernier qui est pourtant expert-comptable, n'a pas été alerté par la présence de certaines irrégularités dans la comptabilité des sociétés du groupe, relevées par le rapport d'audit, alors même que ces irrégularités ont eu pour effet de donner une image trompeuse de la santé financières des sociétés [U].

Ainsi le rapport d'audit mentionne à plusieurs reprises l'absence de comptes consolidés par [U] expansion en infraction avec les dispositions légales pouvant entraîner des conséquences juridiques (responsabilité des dirigeants, nullité des décisions de l'AG).

L'expert judiciaire, Mme [Z], après avoir rappelé les règles applicables aux sociétés commerciales relatives à l'obligation d'établir des comptes consolidés, a indiqué dans son rapport du 20 janvier 2020 que le groupe [U], constitué des sociétés [U] expansion et [U] équipement, aurait dû établir des comptes consolidés dès l'exercice 2012 et désigner un deuxième commissaire aux comptes.

Elle a relevé l'importance de l'établissement de comptes consolidés qui auraient permis aux tiers d'appréhender les montant des pertes du groupe [U].

Force est de constater que ces manquements n'ont pas alerté le conciliateur expert-comptable.

Ainsi, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu l'existence de fautes commises par M. [C] dans l'exercice de ses fonctions de conciliateur.

A cet égard, les intimés invoquent vainement la légèreté des consorts [K] dans les investissements qu'ils ont effectués, légèreté qui participerait à leurs déboires, alors que':

- Les consorts [K] avaient pleine confiance en leurs amis [U]-[S] avec qui ils avaient été en relation d'affaires.

- Ils indiquent, sans être contredits, s'être entourés des conseils d'un expert-comptable.

- Ils avaient été mis en possession de tous les documents, analyses d'audit mis en 'uvre à l'occasion de l'entrée au capital avortée du fonds d'investissement ISF Midi capital, qui a renoncé à ce projet en juin 2015, non pas à cause d'une opinion défavorable du groupe donnée par les analyses mais du fait du manque de souscriptions nécessaires dans les délais.

S'agissant du prêt de 400 000 euros consenti le 16 février 2015 par la société CFB à la société [U] équipement, il résulte de la convention de prêt que ce dernier était précisément destiné à financer un besoin à court terme de trésorerie de ladite société dans l'attente du dénouement d'une opération d'entrée au capital de la société Midi capital pour un montant de 2 500 000 euros.

Cette avance a fait l'objet d'une cession de créance au profit de la société [U] expansion le 28 juillet 2015 et le prix de 400 000 euros a été payé par inscription au compte courant d'associé de la société CFB au sein de la société [U] expansion, dans le cadre de l'augmentation de capital et de l'entrée de la société CFB au capital de la société [U] expansion.

B - Sur les préjudices de la société CFB et des époux [K] et leurs liens de causalité avec les fautes retenues

1° Sur le préjudice de la société CFB

Pour être réparable, un préjudice doit être direct et certain, même futur et non pas hypothétique (2e Civ., 14 avril 2016, pourvoi n° 15-10.404)

N'est pas hypothétique le préjudice découlant d'une perte de chance, traditionnellement définie comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable (1re Civ., 4 juin 2007, n° 05-20.213; 1ère Civ., 8 mars 2012, n°11-14.234 ; 1ère Civ., 11 janvier 2017, n°15-28.428 ; 1re Civ., 22 juin 2017, n°16-21.296), qui ne se confond pas avec celui résultant d'une chance hypothétique (2e Civ., 16 juillet 2020, n° 19-12.656)

Et toute perte de chance ouvre droit à réparation (2e Civ., 20 mai 2020, n° 18-25.440), même faible (1re Civ., 16 janvier 2013, n° 12-14.439) ou minime (1re Civ., 12 octobre 2016, n° 15-26.147, 15-23.230), le préjudice résultant d'une perte de chance devant être mesuré à la chance perdue et ne pouvant être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée (1ère Civ., 14 février 2018, n°16-27.160 et n° 17-10.389).

En l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément que les premiers juges ont retenu que la faute de M. [C] ne cause pas à la société CFB un préjudice résultant du fait qu'elle ne pourra pas obtenir le remboursement de la somme de 2 257 900 euros mais lui cause un préjudice lié au fait que si elle avait appris l'existence de la procédure de conciliation, elle aurait eu le choix de pas investir la somme de 2 257 900 euros de sorte que son préjudice s'analyse en une perte de chance.

Par ailleurs, le conciliateur, auxiliaire de justice occasionnel, supporte la responsabilité de ses manquements fautifs dès lors que ces derniers ont occasionné une perte de chance pour la société CFB d'éviter de supporter un préjudice né des agissements de tiers, soit en l'espèce les consorts [U]/[S].

Cette perte de chance ne se confond donc pas avec la réparation du préjudice né pour la société CFB des agissements des consorts [U]/[S] qui ont entraîné l'annulation du protocole d'investissement pour dol, par décision de la présente cour en date du 8 juin 2021, qui fait l'objet d'un pourvoi en cours.

Pour quantifier cette perte de chance, il y a lieu de prendre en compte':

- L'aléa que constitue un investissement dans une société, dans la mesure où la bonne ou mauvaise situation future d'une société ne peut être prévue avec certitude,

- Les liens étroits entre les époux [K] associés de la société CFB et les époux [U]/[S] dirigeants des sociétés [U] expansion et [U] équipement, ce qui avait déjà justifié la conclusion d'un prêt de 400 000 euros en février 2015,

- L'obtention par la société CFB de droits d'associés importants au sein de la société [U] expansion en contrepartie d'un investissement conséquent,

Non seulement le désir mais la nécessité d'investir pour M. [K] dans la mesure où, à la suite de la vente d'hôtels par sa holding CFB, il bénéficiait de reports d'imposition de plus-values différés nécessitant que cette dernière réinvestisse dans une PME avant deux ans (pièce [C] n°30),

Le fait que l'ouverture d'une conciliation devant le tribunal de commerce de Chambéry laissait entendre que la situation financière des sociétés [U] expansion et [U] équipement était préoccupante mais non alarmante ou irrémédiablement compromise puisque l'ouverture de cette procédure est conditionnée par l'absence de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours (article L 611-4 du code de commerce) et que l'expert M. [E] a estimé que cette cessation des paiements est intervenue à la fin du premier trimestre 2015, soit pendant la procédure de conciliation.

Il n'est donc pas certain que les consorts [K] auraient, en apprenant l'existence de la conciliation en cours, refusé d'investir, ce d'autant plus qu'ils n'auraient pas été plus éclairés sur la situation réelle de la société puisque les comptes de la société [U] équipement de 2012 à 2014 n'étaient ni réguliers ni sincères et ne reflétaient pas la situation patrimoniale et la rentabilité de celle-ci, étant rappelé qu'il a fallu presque 17 mois à l'expert judiciaire M. [E] pour déposer ses rapports qui mettent à jour les nombreuses et graves irrégularités comptables affectant les comptes des sociétés [U].

A cet égard la société CFB et les consorts [K] invoquent le courriel de M. [C] en date du 14 mars 2015, à l'attention des services fiscaux pour soutenir qu'à cette date les sociétés [U] étaient en état de cessation de paiement, état que, selon eux, le conciliateur n'ignorait pas.

Or, à cette date, le conciliateur attendait sa désignation officielle qui est intervenue le lendemain et cherchait à mettre en place un moratoire avec une absence de poursuites des différents créanciers privés et publics pour la mise en 'uvre d'un plan d'apurement. Il avisait les services fiscaux de l'ouverture d'une procédure de conciliation et de la prochaine saisine de la CCSF et bien évidemment il n'avait pas encore appréhendé la situation financière de la société.

Il sera par ailleurs souligné qu'en décembre 2015, après l'homologation du protocole de conciliation par la présente cour, deux autres investisseurs Sofimac partners et Equity gestion ont accepté de recapitaliser le groupe en souscrivant à une augmentation de capital de 2 500 000 euros.

La réclamation de la société CFB tendant à obtenir la totalité des montants qu'elle a investis repose en fait sur le postulat de l'existence d'une collusion entre le conciliateur et les consorts [U]/[S], soutenant que M. [C] s'est sciemment et en toute connaissance de cause abstenu d'informer et de convoquer la société CFB pour pouvoir mener ses opérations de conciliation à leur terme et obtenir l'accord de conciliation des banques au détriment de la société CFB.

D'une part cette collusion n'est pas démontrée, d'autre part il est avéré qu'elle n'a pas existé au vu de l'échange de courriels du 23 juillet 2015 intervenu entre M. [C] et M. [S]':

Le conciliateur qui finalisait la version 4 du projet de protocole écrivait en ces termes à M. [S]':

«'J'ai rajouté votre date de naissance et modifié la représentation de la société [U] équipement hôtelier.

Questions':

Avez vous un organigramme juridique à jour post augmentation de capital''

Monsieur [K] est-il informé de la restructuration financière en cours avec les banques accompagnées par des créanciers publics'' et/ou de la Conciliation''

Je ne sais pas quel est son degré d'information mais il ne faudrait pas qu'il puisse vous accuser de dol (mensonge par omission) à l'avenir si vous ne lui dites rien.

Merci pour le règlement de ma facture de mai, bien reçu.

J'attends vos remarques avant de diffuser cette V4 rapidement SVP car chaque jour compte par rapport aux décisions des banques avant les départs en congés.'»

La réponse de M. [S] a été la suivante':

«'Je n'ai pas encore d'organigramme. Notre avocate doit justement me le faire parvenir.

[P] est au courant de toutes les discussions avec les banques et notamment de la restructuration financière avec le passage du CT au moyen terme.'»

Par ailleurs M. [C] a adressé à M. [S] et Mme [U] le 17 septembre 2015, le courriel suivant, trois jours après le refus du tribunal de commerce d'homologuer le protocole de conciliation, courriel ayant pour objet «'situation avec le tribunal'»':

«'Bonjour à vous deux,

Même si le sujet est épineux, je suis obligé de revenir dessus car c'est votre responsabilité personnelle (surtout celle d'[B] qui est présidente) qui est en cause.

Je sens depuis 48h00 des échanges avec [P] [K] qui vienne interférer sur ce point (et sur les autres bien sûr) mais il faut bien se rendre compte que sa responsabilité n'est pas engagée sur ce point mais les vôtres.

Donc il faut agir vite avec ou sans son aval (à mon avis, qui n'est que le mien, si vous n'avez pas déposé la déclaration de cessation des paiements avant demain midi au greffe, vous allez entendre parler à nouveau du procureur semaine prochaine dans des termes désagréables et de plus en plus contraignants).'» (pièce n°9 [K])

Ce courriel a été transmis par M. [S] le lendemain à Me Crosnier-Martel avocat des sociétés [U] et à M. [K].

Le conseil donné par le conciliateur n'a pas été suivi d'effet puisque les sociétés [U] ont interjeté appel de la décision le 18 septembre 2015, et que la présente cour a homologué le protocole le 29 septembre suivant.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la perte de chance de ne pas investir sera quantifiée à 5% des sommes investies soit une somme de 112 895 euros et le jugement sera infirmé en ce sens.

En revanche, en l'absence d'élément nouveau, c'est par une motivation pertinente que la cour adopte expressément que les premiers juges ont rejeté la demande de condamnation au paiement de la somme de 200 000 euros sollicitée au titre de l'engagement de caution donné le 23 novembre 2015 ultérieurement à la conciliation par la société CBS au profit du Trésor public et de l'Urssaf en garantie du plan d'apurement accordé par la CCSF le 14 septembre 2015, le choix de se porter caution étant sans lien avec la faute de M. [C].

A cet égard, il sera relevé que les appelants s'insurgent contre l'existence de plusieurs plans d'apurement (mai 2015, septembre 2015, et décembre 2015) qu'ils qualifient de soutien abusif des créanciers publics dont la responsabilité aurait dû être engagée par le liquidateur mais qu'ils omettent de mentionner l'existence d'une deuxième procédure de conciliation qui est intervenue par la suite ainsi qu'il résulte des termes du jugement du tribunal de commerce en date du 25 octobre 2016, ayant prononcé le redressement judiciaire de la société [U] équipement':

«'Attendu que dans sa demande, le débiteur mentionne que sa cessation des paiements remonte au 20 octobre 2016'; que ce constat est corroboré par le rapport du conciliateur précédemment désigné, mentionnant l'existence d'un état de cessation des paiements dans son rapport du 21 octobre 2016'; qu'il convient donc de fixer la cessation des paiements de la société Boss équipement hôtelier au 20 octobre 2016.'»

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de leur demande relative à la perte d'investissement et perte financière des fonds qui auraient pu être investis ailleurs, qui constitue un préjudice purement hypothétique et ne peut s'entendre comme une perte de chance.

Il sera encore confirmé en ce qu'il a rejeté la demande tendant à ce que la condamnation soit prononcée in solidum avec tout autre débiteur qui pourrait être condamné à les indemniser de ces mêmes préjudices, en raison de leurs propres fautes ayant contribué à la réalisation de ces préjudices, les premiers juges ayant retenu à bon droit qu'une telle demande contrevenait aux grands principes de procédure civile et notamment celui de l'article 14 qui énonce que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.

Devant la cour, la société CFB ajoute à ses demandes une réclamation concernant d'autres frais pour un montant de 50 849 euros correspondant à des frais de déplacement et à une rémunération de mandat de direction au sein de la société [U] équipement.

Au soutien de sa demande elle produit la créance qui a été portée par le dirigeant de la société [U] équipement sur la liste des créances en application de l'article R 622-21 du code commerce et qui lui a été adressée par le mandataire judiciaire la société BTSG, le 8 novembre 2016.

Outre le fait que cette demande est sans lien de causalité avec la perte de chance subie, il convient de rappeler les éléments de fait suivants':

Aux termes du protocole d'investissement du 28 juillet 2015, il avait été convenu que la société CFB prendrait une participation de 34% du capital de la société [U] expansion et une action (participation de principe) dans la société filiale.

Il était par ailleurs prévu qu'elle assurerait la direction générale dans les mêmes conditions de durée, de pouvoirs et de rémunération que le président pour la société [U] expansion et dans les mêmes conditions de durée et de pouvoir que le président pour la société [U] équipement.

Ainsi qu'il a été vu supra, à la suite de la découverte de l'existence d'une procédure de conciliation, la société CFB n'a pas souhaité être nommé directeur général de la société [U] expansion et de la société [U] équipement (pièce [K] n°8).

La société [U] expansion ayant pour président M. [S] était présidente de la société [U] équipement.

Il résulte des termes de l'ordonnance de référé du tribunal de commerce de Chambéry du 7 novembre 2016 (pièce [K] n° 27) que M. [S] a démissionné de sa fonction de président de la société [U] expansion le 14 septembre 2016 et que l'assemblée générale du 24 octobre 2016 des associés de la société [U] expansion a':

pris acte de la démission de M. [S] de sa fonction de président de [U] expansion

nommé comme président la société CFB, représentée par M. [K], son gérant à compter du 24 octobre 2016, décidé de révoquer Mme [U]/[S] de son mandat directeur général.

Ainsi la société CFB est devenue présidente de la société [U] expansion à compter de cette AG et indirectement présidente de la société [U] équipement à compter de la même date.

Dès lors l'état des créances porté par la débitrice [U] équipement, dirigée par la société [U] expansion elle-même dirigée par la société CFB l'a été par cette dernière à son profit.

Or, il ne peut être retenu des notes de frais que la société CFB soutient avoir exposées dans le cadre de son activité pour la société [U] équipement, alors qu'elle avait refusé tout mandat avant l'assemblée générale du 24 octobre 2016.

Par ailleurs, figure une facture de la société CFB intitulée «'mandat de direction générale » pour la période allant du 1er septembre au 30 septembre 2016, alors que d'une part elle ne justifie d'aucun mandat sur cette période et qu'en tout état de cause, le protocole d'investissement ne prévoyait rien quant à la rémunération de la société CFB en qualité de directeur général de la société [U] équipement.

La demande ne peut qu'être rejetée.

2° - Sur le préjudice matériel de M. [K]

Ce dernier réclame une somme de 200 000 euros correspondant au travail qu'il indique avoir effectué, en assurant la direction générale de l'entreprise, sans avoir perçu aucune rémunération, sans avoir été remboursé de ses frais de déplacements et sans percevoir les dividendes sur lesquels il pouvait légitimement escompter.

Cette réclamation fait double emploi avec celle formée par la société CFB au titre de sa rémunération et de ses frais exposés pour la direction générale de la société [U] équipement.

Par ailleurs, il ressort des notes de frais auxquelles sont jointes les factures que ces dernières sont au nom de la société CFB et non de M. [K] qui n'a donc pas exposé de dépenses à titre personnel.

En outre, ni le protocole d'investissement ni aucune autre pièce versée au débat ne prévoyait une quelconque rémunération personnelle de M. [K].

C'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que ce dernier ne rapportait pas la preuve d'un préjudice et ont rejeté la demande.

3° Sur le préjudice moral des époux [K]

Si la présente cour a alloué à ces derniers des dommages et intérêts, pour un préjudice moral résultant des man'uvres dolosives dont les époux [K] ont fait l'objet de la part des époux [U]/[S], il sera rappelé que la perte de chance pour les consorts [K] de ne pas investir résultant d'agissements fautifs du conciliateur, ne se confond pas avec la réparation du préjudice résultant des agissements des consorts [U]/[S] qui ont entraîné l'annulation du protocole d'investissement pour dol, par décision de la présente cour en date du 8 juin 2021.

Si la révélation de la situation de la société [U] expansion en septembre 2015 leur a de toute évidence occasionné des inquiétudes et des angoisses, pour autant les époux [K] ne rapportent pas la preuve qu'ils auraient, comme ils le soutiennent, été contraints de vendre leur résidence principale.

Leur préjudice moral sera indemnisé par l'allocation au profit chacun d'eux d'une somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts que M. [C] et la société SES seront condamnés in solidum à leur verser et le jugement sera infirmé en ce sens.

III - Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages-intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise ou d'erreur grossière équipollente au dol, abus de droit qui est d'autant moins constitué en l'espèce que la légitimité de cette action à l'encontre de M. [C] a été en grande partie reconnue par la juridiction du premier degré.

Le jugement qui a rejeté la demande indemnitaire de M. [C] et de la société SES pour procédure abusive, sera confirmé.

IV ' Sur les mesures accessoires

M. [C] et la société SES qui échouent dans la majeure partie de leurs prétentions sont tenus aux dépens exposés devant la cour.

L'équité commande de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel au profit de la société CFB et des consorts [K]

PAR CES MOTIFS

La cour,statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a':

- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par M. [C] à l'encontre des demandes formées par les époux [K] et la société Compagnie financière [K] et déclaré l'action dirigée contre M. [C] recevable,

- Retenu que M. [C] avait engagé sa responsabilité délictuelle à l'égard de la société Compagnie Financière [K], constitutive d'une perte de chance,

- Rejeté la demande des consorts [K] et de la société Compagnie financière [K] tendant à ce que les condamnations soie,nt prononcées in solidum avec tout autre débiteur qui pourrait être condamné à les indemniser de ce même préjudice, en raison de ses propres fautes ayant contribué à la réalisation de ce préjudice,

- Débouté la société CFB de sa demande indemnitaire d'un montant de 200 000 euros au titre de l'engagement de caution souscrit,

- Débouté M. [K] de sa demande indemnitaire d'un montant de 200 000 euros au titre du préjudice matériel de ce dernier,

- Rejeté la demande indemnitaire de M. [C] et de la société SES pour procédure abusive,

- Rejeté la demande des consorts [K] et de la société CFB tendant à ce que les droits des articles A 444-32 et suivants du code de commerce soient mis à la charge de M. [C] et de la société Savoie entreprise solutions,

L'infirme pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare recevables les demandes formées par les époux [K] et la société CFB à l'encontre de la société Savoie entreprise solutions,

Condamne in solidum M. [C] et la société Savoie entreprise solutions à payer à la société CFB la somme de 112 895 euros en réparation de son préjudice,

Condamne in solidum M. [C] et la société Savoie entreprise solutions à payer à M. [P] [K] et Mme [X] [D] épouse [K], chacun la somme de 3 000 euros en réparation de leur préjudice moral';

Déboute la société CFB de sa demande indemnitaire d'un montant de 50 849 euros au titre des frais exposés pour la direction de la société [U] équipement,

Condamne in solidum M. [L] [C] et la société Savoie entreprises solutions aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne in solidum M. [L] [C] et la société Savoie entreprises solutions à payer à la société CFB, M. [P] [K] et Mme [X] [D] épouse [K], ensemble, la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.