CA Versailles, ch. com. 3-1, 27 juin 2024, n° 23/01350
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Empruntis l'Agence (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Meurant
Conseillers :
Mme Gautron-Audic, Mme Muller
Avocats :
Me Ndao, Me Bouslama, Me Bencheikh
EXPOSÉ DES FAITS
La société Empruntis L'Agence, ci-après dénommée la société Empruntis, exploite depuis 2005 un réseau de franchisés dans le domaine du courtage en crédit immobilier, exploitée sous la marque Empruntis L'Agence.
La SARL Pierre et Finances avait pour activité le courtage en assurances et autres opérations de financement. Son gérant était M. [I] [G].
Par contrat du 6 novembre 2017, la société Empruntis a conclu un contrat de franchise avec la société Pierre et Finances représentée par M. [G] et en présence de ce dernier, pour une durée de 7 ans.
Par jugement du 5 janvier 2021, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société Pierre et Finances et a nommé la SELAFA MJA en qualité de liquidateur judiciaire.
Par ordonnance du 8 septembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a inscrit la somme de 6.272,47 € à titre de créance chirographaire au passif de la société Pierre et Finances au profit de la société Empruntis au titre de factures de redevances impayées.
Soutenant que M. [G] s'est engagé à titre personnel à exécuter le contrat et notamment les obligations financières en résultant, la société Empruntis a, par acte d'huissier signifié le 3 mai 2022 en application des dispositions de l'article 656 du code de procédure civile, fait assigner M. [G] devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Par jugement du 20 janvier 2023, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- Dit que M. [I] [G] n'est pas tenu à titre de garant personnel à exécuter le contrat de franchise conclu le 6 novembre 2017 et que seule la SARL Pierre et Finances est co-contractant avec la société Empruntis du contrat de franchise ;
- En conséquence, débouté la SAS Empruntis L'Agence de sa demande de paiement des factures impayées ;
- Débouté la SAS Empruntis L'Agence de l'ensemble de ses autres demandes et prétentions ;
- Condamné la SAS Empruntis L'Agence aux dépens ;
- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Par déclaration du 22 février 2023, la société Empruntis a interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 mai 2023, la société Empruntis demande à la cour de :
- Recevoir la société Empruntis L'Agence en son appel et l'y déclarer bien fondé ;
Y faisant droit,
- Infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre du 20 janvier 2023 en toutes ses dispositions ;
Et jugeant à nouveau,
- Juger que M. [I] [G] s'est engagé à titre personnel à exécuter le contrat de franchise conclu le 6 novembre 2017 avec la société Empruntis L'Agence ;
- Condamner M. [I] [G] à verser à la société Empruntis L'Agence la somme de 6.272,47 € TTC au titre des factures impayées, augmentée des intérêts au taux conventionnel prévu par les factures émises par la société Empruntis L'Agence ;
- Condamner M. [I] [G] à verser à la société Empruntis L'Agence la somme de 480 € TTC au titre des indemnités forfaitaires de recouvrement prévues par les factures émises par la société Empruntis L'Agence ;
- Condamner M. [I] [G] à verser à la société Empruntis L'Agence la somme de 39.961,20 € TTC au titre de l'indemnité due à la suite de la résiliation anticipée du contrat de franchise aux torts du franchisé ;
- Condamner M. [I] [G] à verser à la société Empruntis L'Agence la somme de 50.000 € au titre de la réparation de son préjudice moral ;
En tout état de cause,
- Condamner M. [I] [G] à payer à la société Empruntis L'Agence la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner M. [I] [G] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
M. [I] [G], auquel la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelante ont été signifiées respectivement le 7 avril 2023 et le 23 mai 2023 par remise des actes à l'étude, n'a pas constitué avocat et n'a pas conclu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
La société Empruntis fait valoir que M. [G] s'est engagé tant en sa qualité de gérant de sa société Pierre & Finances, qu'à titre personnel, ce qui s'explique selon elle par le caractère intuitu personae du contrat de franchise, qui est d'ailleurs précisé à l'article 3 de la convention. L'appelante souligne que certaines obligations, telles que l'obligation d'honorabilité ou de formation, n'ont de sens que si elles s'appliquent à une personne physique. Elle considère que le tribunal a opéré une confusion entre le cautionnement et le contrat de franchise qui n'est soumis à aucune mention manuscrite. Elle soutient qu'il importe peu que M. [G] n'ait signé qu'une fois le contrat, aucun texte ni jurisprudence n'imposant une double signature, alors que le droit des contrats est basé sur le principe du consensualisme. La société Empruntis reproche aux premiers juges d'avoir retenu qu'elle aurait dû établir, en application de l'article L.519-1 du code monétaire et financier, que M. [G] pouvait exercer l'activité d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement, dès lors qu'aucun texte n'impose une telle démonstration. Elle estime également inopérant l'argument du tribunal suivant lequel elle aurait dû proposer à M. [G] la poursuite du contrat de franchise, comme elle l'a fait auprès de la société MJA en sa qualité de liquidateur de la société Pierre & Finances, alors qu'elle s'est limitée à respecter les dispositions de l'article L.641-11-1 du code de commerce.
*****
Sur l'engagement personnel de M. [G] à exécuter le contrat de franchise
Au soutien de sa demande en paiement, la société Empruntis produit le contrat de franchise du 6 novembre 2017 dont il ressort, en page 2, que le " Franchisé " est ainsi désigné :
" La société Pierre & Finances (') représentée par M. [I] [G] en sa qualité de représentant légal (')
En présence de :
M. [I] [G] (')
Tenu personnellement et solidairement avec la société Pierre & Finances de l'exécution de toutes les obligations mises à la charge du Franchisé aux termes du Contrat, cet engagement solidaire constitue une condition essentielle et déterminante du consentement de Broker France [devenue Empruntis], sans laquelle cette dernière n'aurait pas conclu le présent Contrat " (souligné par la cour).
Il ressort de ces stipulations que lorsque M. [G] a signé le contrat le 6 novembre 2017 sous la mention " Pour le franchisé ", il s'est engagé tant pour sa société Pierre & Finances qu'à titre personnel, sans qu'il soit nécessaire qu'il signe deux fois.
Contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, il importe peu que :
- le contrat précise qu'il a été établi en " deux exemplaires, dont un exemplaire original pour chacune des parties ", puisque le contrat désigne, en qualité de " franchisé ", la société Pierre & Finances représentée par M. [G] et ce dernier à titre personnel, tenu personnellement et solidairement des engagements de sa société ;
- le contrat mentionne " soussignée " ou encore " dénommée " au féminin ; ces mentions ne laissent nullement à penser que seule la société Pierre & Finances est engagée, au regard des stipulations particulièrement claires et précises rappelées supra et dont il ressort que M. [G] est engagé à titre personnel solidairement avec sa société ;
- la société Empruntis ne démontre pas que M. [G] est enregistré à l'Orias, qu'il a souscrit la police d'assurance nécessaire à l'exercice de l'activité exploitée ou encore qu'il a personnellement perçu une rémunération en tant qu'intermédiaire en opérations de banque, dès lors que l'appelante sollicite la condamnation au paiement de M. [G] au titre de son engagement personnel solidaire à exécuter les engagements financiers pris dans le cadre du contrat de franchise et non en tant qu'exploitant de la franchise ;
- le contrat ne comporte pas de mention manuscrite de M. [G] concernant son engagement solidaire, dès lors que M. [G] ne s'est pas engagé en qualité de caution et qu'aucune obligation légale n'impose une telle mention dans le cadre d'un contrat de franchise ;
- la société Empruntis n'ait pas proposé à M. [G] la poursuite d'activité, comme elle l'a pourtant fait à l'égard de la société MJA en qualité de liquidateur judiciaire, dès lors qu'il ressort du courrier du 22 janvier 2021 que l'appelante a adressé au liquidateur, produit en pièce n°8, qu'elle a demandé à ce dernier de se positionner sur la poursuite du contrat dans le cadre des dispositions de l'article L.641-11-1 du code de commerce, qui ne sont pas applicables à M. [G] ;
- la société Pierre & Finances n'ait pas été constituée spécifiquement pour exécuter le contrat de franchise litigieux.
Le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a considéré que M. [G] n'était pas tenu à titre personnel et solidaire avec sa société de l'exécution du contrat de franchise, alors que cet engagement ressort indiscutablement de la convention du 6 novembre 2017.
Sur les demandes en paiement
Sur les factures de redevances impayées
Comme le soutient l'appelante, il ressort de l'article 11 du contrat de franchise que le franchisé est tenu de payer au franchiseur :
- une redevance d'exploitation forfaitaire (article 11.3.1 et article 11.3.2),
- une redevance d'exploitation de régularisation (article 11.3.1 et article 11.3.3).
Si la société Empruntis se prévaut d'une redevance au titre de l'abonnement lié à l'utilisation du logiciel métier Cifacil, elle ne rapporte pas la preuve du caractère contractuel de la redevance invoquée, dès lors qu'il n'en est fait mention ni à l'article 11 relatif aux " droit d'entrée et redevances ", ni à l'annexe 9 consacrée à la " redevance initiale forfaitaire et autres redevances ". Le paiement antérieur et régulier de cette redevance allégué par l'appelante n'est pas démontré.
La société Empruntis produit en pièce n°6 :
- huit factures relatives à la redevance forfaitaire d'exploitation due pour les mois de janvier, février, juin, juillet, août, octobre, décembre 2020 et janvier 2021, d'un montant de 1.440 € TTC chacune, soit 11.520 € TTC au total ;
- deux factures de redevance d'exploitation de régularisation des mois de mai et décembre 2020, d'un montant total de 10.061,15 € TTC ;
Soit une somme totale due au titre des redevances de 21.581,15 € TTC, dont le règlement par le franchisé n'est pas démontré.
La société Empruntis reconnaît être redevable à l'égard du franchisé de la somme totale de 16.892,68 € TTC au titre de l'exécution du contrat de franchise, de sorte que M. [G] doit être condamné au paiement de la somme de 4.688,47 € TTC.
Chacune des 10 factures stipule qu'en cas de retard de paiement des pénalités " calculées sur la base de trois fois le taux de l'intérêt légal " sont dues, outre " une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 € ".
La société Empruntis limite sa demande concernant les pénalités à 1,5 fois le taux de l'intérêt légal.
En conséquence, la somme précitée sera majorée des pénalités calculées sur la base de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal à compter de la date d'exigibilité de chacune des factures précitées et M. [G] sera condamné au paiement de la somme de 400 € (40 € x 10 factures) au titre de l'indemnité de recouvrement. S'agissant d'une indemnité cette somme n'est pas assortie de la TVA.
Sur l'indemnité de résiliation anticipée du contrat
Comme le soutient l'appelante, il ressort de l'article 17 du contrat de franchise du 6 novembre 2017 que : " Dans le cas d'une résiliation anticipée du Contrat aux torts du Franchisé, le Franchiseur aura droit au versement d'une indemnité par le Franchisé d'un montant égal aux Redevances d'Exploitation que le Franchiseur aurait normalement perçues jusqu'au terme du Contrat sans que cette indemnité ne puisse être supérieure à 24 mois de Redevances d'Exploitation ['].
Le montant de chaque Redevance d'Exploitation due en application du présent alinéa correspondra à la moyenne des Redevances d'Exploitation dues par le Franchisé au cours des six mois précédant la date de résiliation anticipée du Contrat ".
La société Empruntis établit avoir sollicité le liquidateur judiciaire de la société Pierre & Finances à propos de la poursuite du contrat par courrier du 22 janvier 2021. En l'absence de réponse à ce courrier dans le délai d'un mois, le contrat a été résilié de plein droit en application des dispositions de l'article L.641-11-1 III 1° du code de commerce.
Au regard du montant mensuel moyen des redevances d'exploitation, tel qu'il résulte des factures et captures d'écran du logiciel métier produites par le franchiseur, soit 1.665,05 € et alors que le contrat, conclu le 6 novembre 2017 pour une durée de 7 ans (article 15.1 du contrat) a été résilié à compter du 22 février 2021 du fait de la défaillance de la société Pierre & Finance, M. [G], tenu personnellement des obligations résultant du contrat de franchise, sera condamné au paiement de la somme de 39.961,20 € (1.665,05 € x 24 mois). S'agissant d'une indemnité cette somme n'est pas assortie de la TVA.
Sur la violation par M. [G] de son obligation de confidentialité
L'article 10.9 du contrat de franchise stipule :
" Le Franchisé s'engage, tant pour lui-même que, sur le fondement de l'article 1120 du Code civil, pour ses employés, à ne pas divulguer à des tiers les Informations Confidentielles (tel que défini ci-après) dont il aura pu bénéficier.
Sera considérée comme confidentielle et désignée au présent Contrat par le terme " Informations Confidentielles ", toute information :
(i) Obtenue auprès du Franchiseur et/ou à l'occasion de la conclusion, l'exécution et la cessation du Contrat ; et
(ii) Ne se trouvant pas dans le domaine public.
[']
Les obligations ci-avant stipulées se maintiendront ultérieurement à la cessation du Contrat quelle qu'en soit la cause. "
Si la société Empruntis soutient que M. [G] s'est vanté auprès de certains franchisés d'avoir quitté le réseau de franchise sans payer l'indemnité pour résiliation anticipée, divulguant ainsi des informations concernant la cessation de son contrat, qui ont porté préjudice à son image et à sa réputation, la cour constate qu'elle ne communique aucun élément probant permettant de corroborer ses dires, de sorte que sa demande indemnitaire, au titre du préjudice moral, ne peut aboutir.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement doit être infirmé des chefs des dépens et des frais irrépétibles.
M. [G] qui succombe, supportera les dépens de première instance d'appel et sera condamné au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par défaut
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Condamne M. [I] [G] à payer à la société Empruntis L'Agence les sommes suivantes :
- 4.688,47 € TTC, majorés des pénalités calculées sur la base de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal à compter de la date d'exigibilité de chacune des factures,
- 400 € au titre de l'indemnité de recouvrement,
- 39.961,20 € au titre de l'indemnité de résiliation anticipée du contrat ;
Déboute la société Empruntis L'Agence de sa demande indemnitaire au titre du préjudice moral consécutif à la violation de l'obligation de confidentialité ;
Condamne M. [I] [G] aux dépens de première instance et d'appel ;
Condamne M. [I] [G] à payer à la société Empruntis L'Agence la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Bérangère MEURANT, Conseiller faisant fonction de président, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.