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Décisions

CA Rennes, 1re ch., 2 juillet 2024, n° 24/00266

RENNES

Arrêt

Autre

CA Rennes n° 24/00266

2 juillet 2024

1ère Chambre

ARRÊT N°213

N° RG 24/00266

N° Portalis

DBVL-V-B7I-UNTM

(Réf 1ère instance : 23/00417)

S.A.S. LIBERGE

C/

M. [T] [Y]

Mme [L] [P]

Mme [N] [R] épouse [X]

M. [U] [X]

S.A.S. TRAITEMENTS DE L'OUEST S.A.S.

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 2 JUILLET 2024

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Monsieur Philippe BRICOGNE, Président de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l'audience publique du 6 mai 2024 devant Madame Véronique VEILLARD, magistrat rapporteur, tenant seul l'audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial

ARRÊT :

réputé contradictoire, prononcé publiquement le 2 juillet 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

****

APPELANTE :

La société LIBERGE, SAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Brest sous le n°830.354.775, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Localité 2]

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LX RENNES-ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Damien JOST de la SELEURL JOST-JURIDIAG, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS :

La société TRAITEMENTS DE L'OUEST, SAS immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Quimper sous le n°880.369.673, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

Pépinière d'Entreprises

[Adresse 10]

[Localité 3]

Représentée par Me Christophe LHERMITTE de la SELEURL GAUVAIN, DEMIDOFF & LHERMITTE, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Bruno HALLOUET de la SELARL CHEVALLIER ET ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de BREST

Monsieur [T] [Y]

né le 23 Novembre 1991 à [Localité 8] (29)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Madame [L] [P]

née le 11 Mai 1991 à [Localité 11] (35)

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentés par Me Camille METZ de la SELARL BRITANNIA, avocat au barreau de BREST

Madame [N] [R] épouse [X]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Régulièrement assignée par acte de commissaire de justice délivré le 4 mars 2024 à sa personne, n'a pas constitué

Monsieur [U] [X]

[Adresse 7]

[Localité 5]

Régulièrement assigné par acte de commissaire de justice délivré le 4 mars 2024 à sa personne, n'a pas constitué

FAITS ET PROCÉDURE

1. Par compromis de vente en date du 27 novembre 2021, M. [Y] et Mme [P] se sont portés acquéreurs, par l'intermédiaire de l'agence immobilière La Roche Immo, auprès de M. et Mme [X] d'une maison d'habitation située sur la commune de [Localité 9].

2. A l'occasion des visites préalables à la signature du compromis de vente, l'agence immobilière a informé les acquéreurs de la présence d'infiltrations au niveau du mur séparant le salon et les chambres au rez-de-chaussée. Pour y remédier, un traitement hydrofuge a été réalisé par la société Traitement de l'Ouest.

3. Postérieurement à la signature du compromis, les acquéreurs ont signalé la découverte de nouvelles infiltrations de l'autre côté du mur. La société Traitement de l'Ouest est intervenue une nouvelle fois pour y remédier.

4. Le 28 septembre 2021, la société Liberge a réalisé un état parasitaire annexé au compromis de vente établissant la présence de champignons lignivores et de petites vrillettes.

5. Le 4 mars 2022, la vente a été réitérée par acte authentique.

6. Postérieurement à la signature définitive de la vente, les acquéreurs ont signalé la découverte de nouvelles infiltrations et de moisissures dans différentes pièces de la maison.

7. Une expertise amiable et contradictoire sollicitée par les acquéreurs s'est tenue le 13 avril 2023. Le rapport de l'expert en date du 2 juin 2023 a constaté la présence des désordres et infiltrations allégués par les acquéreurs ainsi que d'un taux d'humidité élevé.

8. Par acte d'huissier du 5 octobre 2023, M. [Y] et Mme [P] ont fait assigner en référé M. et Mme [X], la société Traitement de l'Ouest et la société Liberge aux fins d'expertise judiciaire au motif de l'existence de désordres subsistants à la suite de l'acquisition du bien.

9. La société Liberge s'est opposée à sa participation à la procédure d'expertise demandée par les acquéreurs devant le juge des référés.

10. Par ordonnance du 22 décembre 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Brest a :

- ordonné une expertise et commis pour y procéder M. [O] [B],

- fixé la mission de l'expert ainsi qu'il suit :

- se faire remettre tous les documents utiles par les parties,

- après avoir convoqué les parties, se rendre sur place,

- décrire les désordres allégués dans l'assignation et les pièces existent, le cas échéant, en préciser la ou les causes techniques,

- dire si les désordres sont de nature à porter atteinte à la solidité de l'ouvrage, à le rendre impropre à sa destination ou porter atteinte à la sécurité des personnes,

- vérifier l'intégralité des travaux entrepris par le vendeur et définir dans quelles conditions ils ont été réalisés et s'ils sont conformes aux règles de l'art, rechercher s'il existe des atteintes fongiques et déterminer leurs causes et leurs remèdes,

- indiquer si la société Liberge a réalisé sa mission dans les règles de l'art et dans le respect de la norme AFNOR XP P03-200 ; plus particulièrement, dire si l'état parasitaire pouvait être considéré comme suffisamment alarmant pour un profane,

- rechercher si les vendeurs pouvaient avoir connaissance des désordres avant la vente,

- indiquer au tribunal tous les éléments lui permettant de statuer sur les responsabilités encourues,

- décrire et chiffrer les travaux de reprise sur la base de devis,

- autoriser le cas échéant en cas d'urgence, tous travaux et toutes mesures conservatoires,

- chiffrer les préjudices subis par les demandeurs,

- établir un pré-rapport communiqué aux parties avec un délai pour faire valoir leurs observations,

- fixé les modalités du déroulement des opérations d'expertise et la consignation à la somme de 5.000 € à valoir sur la rémunération de l'expert à verser au greffe du tribunal par M. [Y] et Mme [P] dans le délai d'un mois,

- rejeté les demandes au titre des frais irrépétibles,

- dit que M. [Y] et Mme. [P] sont tenus aux dépens.

11. Le juge des référés a retenu que le motif légitime des acquéreurs au sens de l'article 145 du code de procédure civile, concernant la demande d'expertise judiciaire se déduit du fait que l'état parasitaire établi par la société Liberge serait lacunaire et que de ce fait, le compromis de vente ne mentionnait pas la présence d'une infestation de champignons lignivores et de mérules. Elle aurait également manqué à son devoir de conseil en ne tirant pas les conséquences de ses constatations et en ne recommandant pas de travaux en annexe de son état parasitaire. Ainsi, en raison de la forte probabilité que la responsabilité des défendeurs soit engagée dans une instance au fond, le motif légitime des acquéreurs à demander une expertise judiciaire est établi.

12. La sas Liberge a interjeté appel par déclaration du 16 janvier 2024.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

13. La sas Liberge expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 23 février 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- la recevoir en son appel, le dire bien fondé et y faisant droit,

- infirmer l'ordonnance du 22 décembre 2023 en toutes ses dispositions,

- et statuant à nouveau,

- à titre principal,

- juger irrecevables et en toute hypothèse mal fondées les demandes formées à son encontre en l'absence de motif légitime,

- à titre subsidiaire,

- écarter le chef de mission ainsi formulé : 'indiquer si la société Liberge a réalisé sa mission dans les règles de l'art et dans le respect de la norme AFNOR XP P03-200 ; plus particulièrement, dire si l'état parasitaire pouvait être considéré comme suffisamment alarmant pour un profane,'

- reformuler ce chef de mission dans les termes suivants : 'Déterminer la nature des constatations qui pouvaient être faites par l'opérateur dans le cadre de sa mission, à la lumière des règles de l'art.'

- en tout état de cause, et rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse mal fondée,

- condamner in solidum M. [Y] et Mme [P] à lui verser la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner les mêmes aux dépens recouvrés par maître Verrando.

14. Elle soutient que :

- les intimés ne justifient pas d'un motif légitime à ce qu'elle participe aux opérations d'expertise,

- le rapport, en mentionnant une infestation quasi-généralisée par divers agents de dégradation biologique du bois et un taux d'hygrométrie particulièrement élevé sur la quasi-totalité de la surface du bien, était inquiétant,

- le rapport proposait un diagnostic complémentaire pour l'examen des zones inaccessibles mais les acquéreurs, faisant preuve d'une certaine légèreté, ne se sont pas manifestés en ce sens entre la promesse de vente en novembre 2021 et sa réitération en mars 2022, ce qui est de nature à caractériser l'absence de motif légitime,

- le diagnostiqueur n'avait pas à établir un audit structurel du bâti de sorte qu'une éventuelle action au fond concernant l'engagement de sa responsabilité serait vouée à l'échec,

- il convient de différencier le diagnostic résultant de l'état parasitaire et le compromis de vente rédigé par l'agence immobilière qui a résumé le diagnostic par une absence de mérules et de champignons lignivores sans vraiment comprendre ce document,

- le motif légitime déduit des carences du diagnostic de l'état parasitaire ne peut pas se déduire de la lecture du compromis de vente rédigé par un professionnel d'un autre secteur,

- l'impartialité et l'indépendance du diagnostiqueur, au sens de l'article L. 271-6 du code de la construction et de l'habitation, interdisent à ce dernier de s'impliquer dans une activité connexe au diagnostic immobilier de sorte qu'il ne peut pas préconiser des travaux ni annexer des devis à son rapport,

- le devoir de conseil a été respecté dès lors que le compromis de vente visait en annexe deux devis prouvant que le rédacteur avait pris mesure de l'ampleur de la dégradation du bien grâce au diagnostic de l'état parasitaire,

- il serait paradoxal que l'annexion de ces deux devis au compromis de vente se retourne contre le diagnostiqueur au motif du non-respect de son devoir de conseil,

- le juge des référés ne peut pas demander à l'expert judiciaire de se prononcer sur le comportement de l'une ou l'autre des parties et de dire s'il est fautif ou non,

- la sphère de compétence de l'expert judiciaire se limite aux considérations objectives,

- confier à l'expert judiciaire l'appréciation du caractère suffisamment alarmant du diagnostic revient à lui conférer le pouvoir d'apprécier la valeur informative du rapport du point de vue d'un acquéreur profane ainsi que la validité du consentement exprimé par l'acquéreur, ce qui ne relève pas de sa mission,

- l'appréciation demandée à l'expert sera subjective alors que le fait d'apprécier la valeur informative du rapport de diagnostic du point de vue de l'acquéreur revient à se prononcer sur la validité de son consentement dans la mesure où celui-ci a décidé d'acheter le bien en ayant connaissance du rapport,

- il convient d'apprécier la valeur informative du rapport en tenant compte du contexte dans lequel la vente est intervenue, à savoir avec deux devis annexés au compromis de vente,

- enfin, la valeur informative du rapport ne peut être appréciée de sorte que la norme NFP 03-200 prévoit expressément que le rapport ne peut comporter 'ni conseils ni offres de services'.

15. M. [Y] et Mme [P] exposent leurs prétentions et moyens dans leurs dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 21 mars 2024 aux termes desquelles ils demandent demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance de référé du 22 décembre 2023 dans toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle vise la norme AFNOR XP P03-200 et la compléter,

- remplacer la référence à la norme AFNOR XP P03-200 par la norme NFP 03-200,

- ajouter le chef de mission suivant : 'plus généralement donner son avis sur les conseils que le diagnostiqueur aurait dû prodiguer à l'acquéreur' à la suite du paragraphe 'plus particulièrement, dire si l'état parasitaire pouvait être considéré comme suffisamment alarmant pour un profane',

- compléter la mission de l'expert de la manière suivante : 'indiquer si la société Liberge a réalisé sa mission dans les règles de l'art et dans le respect de la norme NFP 03-200 ; plus particulièrement, dire si l'état parasitaire pouvait être considéré comme suffisamment alarmant pour un profane plus généralement donner son avis sur les conseils que le diagnostiqueur aurait dû prodiguer à l'acquéreur',

- débouter la société Liberge de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Liberge à leur verser aux consorts une somme de 3.000 € au titre des frais irrépétibles,

- condamner la société Liberge aux dépens.

16. Ils soutiennent que :

- le motif légitime à ce que la société Liberge participe aux opérations d'expertise réside d'une part, dans le fait que l'état parasitaire est incomplet et manifestement lacunaire, l'opérateur n'ayant pas effectué de sondages approfondis voire destructifs sur les éléments en bois dégradés comme le préconise la norme NFP 03-200, et d'autre part, dans le fait qu'elle a manqué à son devoir d'information et de conseil en ce qu'elle n'a pas alerté les acquéreurs sur l'état du bien,

- le diagnostic avait pour but d'éclairer les acquéreurs sur l'état du bien qui, lors de l'achat, avait l'air en parfait état ne laissant pas présager l'existence des désordres existants,

- le diagnostiqueur n'a pas tiré les conséquences de ses constatations sur la dégradation du bois en ne recommandant pas une investigation plus poussée ou des travaux de traitement ou de remplacement des bois atteints,

- au vu de ces éléments, la responsabilité de la société Liberge lors d'une instance au fond est plausible, sa demande de mise hors de cause lors de l'expertise judiciaire devant alors être rejetée,

- le chef de mission de l'expert judiciaire contesté par la société Liberge relève bien des compétences d'un technicien et non d'un juge puisqu'il s'agit de savoir, d'une part, si la norme NF P03-200 a été respectée et d'autre part, si la société Liberge a respecté son devoir de conseil à l'égard des acquéreurs profanes,

- le chef de mission contesté est régulièrement confié aux experts judiciaires dans le cadre d'ordonnance de référé,

- la mission de l'expert doit être étoffée afin qu'il donne son avis sur les conseils que le diagnostiqueur aurait dû prodiguer aux acquéreurs,

- la société Liberge doit être condamnée aux dépens et frais irrépétibles à hauteur de 3.000 €.

17. La société Traitement de l'Ouest expose ses prétentions et moyens dans ses dernières conclusions remises au greffe et notifiées le 25 mars 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour de :

- lui décerner acte de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur le mérite de l'appel interjeté par la société Liberge,

- lui décerner acte de ce qu'elle formule toutes protestations et réserves sur le principe de son éventuelle responsabilité,

- condamner la société Liberge à lui régler une somme de 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Liberge aux dépens de l'instance en appel,

- confirmer l'ordonnance du 2 décembre 2023 en ce qu'elle a condamné M. [Y] et Mme [P] aux dépens du référé.

18. Elle soutient que :

- sa non-opposition à la demande d'expertise présentée à son encontre est maintenue,

- ses précédentes observations quant aux protestations et réserves sur le principe de son éventuelle responsabilité sont réitérées,

- elle s'en rapporte à la justice concernant le bien-fondé de l'appel introduit par la société Liberge,

- si la société Liberge est déboutée, elle sera considérée comme perdante au sens de l'article 700 du code de procédure et devra l'indemniser des frais exposés dans l'instance à hauteur de 2.500 €,

- la société Liberge sera condamnée aux dépens de la procédure d'appel,

- les demandeurs à l'expertise seront condamnés aux dépens de l'instance en référé.

19. L'instruction de l'affaire a été déclarée close le 2 avril 2024.

20. Pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.

MOTIFS DE L'ARRÊT

1) Sur l'expertise judiciaire

21. L'article 145 du code de procédure civile dispose que 'S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.'

22. En l'espèce, M. [Y] et Mme [P] ont acquis un bien qui, selon le compromis de vente se basant sur l'état parasitaire du 28 septembre 2021 établi par la société Liberge et y étant annexé, présentait 'une absence de traces visibles de mérules ou autres champignons lignivores'.

23. Outre cette mention présente dans le compromis de vente, l'état parasitaire qui y était annexé ne fait état que de la présence de petites et grosses vrillettes, de pourritures fibreuses et cubiques et d'un taux d'hygrométrie élevé sans autre commentaire de nature à informer les acquéreurs sur les conséquences de ces constatations.

24. Cependant, postérieurement à la signature définitive de l'acte de vente, les acquéreurs ont constaté de nombreux désordres consistant en des traces d'humidité, de la moisissure et des traces filandreuses laissant penser à la présence de champignons lignivores, ce qui sera confirmé par un rapport d'expertise amiable du 2 juin 2023 et par un procès-verbal de constat de commissaire de justice du 24 juillet 2023.

25. Or, l'état parasitaire a vocation à éclairer l'acquéreur sur l'état du bien avant l'achat, ce qui implique que le diagnostiqueur expose et explique clairement les conséquences des constats émis dans le rapport, sans pour autant que ce dernier comporte des conseils ou des offres de service comme le prohibe la norme NF P 03-200 à laquelle la société Liberge était soumise lors de l'état parasitaire.

26. Il s'évince de ces constatations que la responsabilité contractuelle du diagnostiqueur est susceptible d'être recherchée sur le fondement du manquement à son obligation d'information et de conseil et au regard du rapport de l'état parasitaire qui semble à ce stade des débats être incomplet et lacunaire.

27. En conséquence, M. [Y] et Mme [P] disposent bien d'un intérêt légitime à agir en référé probatoire aux fins d'expertise judiciaire notamment contre le diagnostiqueur dont il convient de rejeter la demande de mise hors de cause.

28. L'ordonnance sera confirmée sur ce point.

2) Sur la mission de l'expert

29. L'article 238 du code de procédure civile dispose que 'Le technicien doit donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis.

Il ne peut répondre à d'autres questions sauf accord écrit des parties.

Il ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique.'

30. En l'espèce, l'expertise a pour finalité de déterminer l'ampleur des désordres existants, leurs causes et leurs conséquences et, concernant la société Liberge en particulier, de dire si le rapport d'état parasitaire du 28 septembre 2021 réalisé par ses soins était de nature à informer conformément à la norme applicable les acquéreurs sur l'état du bien avant l'achat et notamment sur la présence des désordres et les conséquences qui s'y attachent.

31. Pour ce faire, l'expert judiciaire doit pouvoir apprécier le contenu de l'état parasitaire par rapport aux constatations faites sur place, et ce au regard de la norme NF P 03-200 à laquelle la société Liberge était alors soumise.

32. Le paragraphe 4.1 de la norme afnor NF P 03-200 précise en revanche que le rapport ne peut 'comporter ni conseils ni offres de service' et que l'expert doit apprécier ledit rapport au regard de cette dite norme. Il ne saurait donc être confié à l'expert une mission de se prononcer sur les conseils que le diagnostiqueur aurait dû prodiguer à l'acquéreur.

33. De même, le chef de mission qui confère à l'expert le pouvoir de dire si le rapport était suffisamment alarmant du point de vue d'un acquéreur profane relève d'une appréciation subjective dans le sens où l'expert serait conduit à se prononcer sur la valeur du consentement des acquéreurs par rapport au contenu du rapport de l'état parasitaire avec comme référentiel la vision d'un acquéreur profane, ce qui ne peut être retenu.

34. Sous le bénéfice de ces observations, le chef de mission qui doit être confié à l'expert judiciaire au regard de la finalité de l'expertise doit être formulé comme suit : 'indiquer si la société Liberge a réalisé sa mission dans les règles de l'art et dans le respect de la norme afnor NF P 03-200.'

35. L'ordonnance sera partiellement confirmée sur ce point.

3) Sur les dépens et les frais irrépétibles

36. Succombant en sa demande principale de mise hors de cause, la société Liberge supportera les dépens d'appel.

37. Le jugement sera confirmé s'agissant des dépens de première instance.

38. Enfin, eu égard aux circonstances de l'affaire, il n'est pas inéquitable de condamner la société Liberge à payer à M. [Y] et Mme [P] la somme de 1.000 € et à la société Traitement de l'Ouest la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles exposés par eux en première instance et en appel et qui ne sont pas compris dans les dépens.

39. L'ordonnance sera infirmée s'agissant des frais irrépétibles de première instance tandis que les demandes de la société Liberge de ce chef seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme l'ordonnance du juge des référés du tribunal judiciaire de Brest du 22 décembre 2023 en ce qu'elle a visé la norme AFNOR XP P03-200 et dit que l'expert devait dire si l'état parasitaire pouvait être considéré comme suffisamment alarmant pour un profane,

La confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Dit que l'expert judiciaire aura pour mission :

- indiquer si la société Liberge a réalisé sa mission dans les règles de l'art et dans le respect de la norme AFNOR NF P 03-200,

Condamne La sas Liberge aux dépens d'appel,

Condamne La sas Liberge à payer à M. [T] [Y] et Mme [L] [P] la somme de 1.000 € et à la société Traitement de l'Ouest la somme de 500 € au titre des frais irrépétibles,

Rejette le surplus des demandes.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE