CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 27 juin 2024, n° 24/11053
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Fédération du Parti Socialiste de l'Essonne (Association)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Masseron
Conseillers :
Mme Chopin, M. Najem
Avocats :
Me Vignes, Me Jakubowicz, Me Peru, Me Regis
EXPOSE DU LITIGE
Europe Ecologie les Verts, La France Insoumise, le Parti Socialiste et le Parti Communiste Français ont conclu un accord, dans le cadre de la campagne électorale des élections législatives des 30 juin et 7 juillet 2024, pour présenter un candidat unique de la gauche rassemblée sous l'étiquette « Nouveau Front Populaire » (NFP).
La sixième circonscription de l'Essonne a dans ces conditions désigné pour candidat M. [C], député sortant, qui n'a pas souhaité utiliser l'appellation Nouveau Front Populaire. Mme [M] [K] s'est présentée dans la même circonscription sous l'étiquette « Nouveau Front Populaire ».
Par ordonnance du 19 juin 2024, M. [C] et l'association Fédération du parti socialiste de l'Essonne « Le poing et la rose » (la Fédération du parti socialiste de l'Essonne) ont été autorisés à assigner en référé à heure indiquée Mme [K] aux fins d'interdiction d'utilisation par elle du logo « Nouveau Front Populaire » dans le cadre de la campagne électorale des élections législatives en cours dans la 6ème circonscription de l'Essonne, au sein de laquelle M. [C] et Mme [K] sont tous deux candidats.
Par exploit du 19 juin 2024, M. [C] et la Fédération du parti socialiste de l'Essonne ont fait assigner Mme [K] devant le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry pour une audience du 21 juin 2024 à 11 heures aux fins de voir ordonner la cessation du trouble manifestement illicite issu de l'utilisation par Mme [K] de l'appellation « NFP ».
Par ordonnance contradictoire du 21 juin 2024, le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry s'est déclaré incompétent rationae materiae sur les demandes formées par M. [C] et par la Fédération du parti socialiste de l'Essonne à l'encontre de Mme [M] [K], a rejeté les demandes principale et reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et toute autre demande principale et reconventionnelle plus ample ou contraire, laissant à M. [C] et à la Fédération du parti socialiste de l'Essonne la charge des dépens de l'instance.
Par déclaration du 24 juin 2024, M. [C] et la Fédération du parti socialiste de l'Essonne ont relevé appel de cette décision.
Par ordonnance du 24 juin 2024, ils ont été autorisés à assigner à jour fixe Mme [K] devant la cour d'appel de Paris pour une audience du 26 juin 2024 à 14h30.
Dans leurs conclusions déposées et signifiées le 25 juin 2024, M. [C] et la Fédération du parti socialiste de l'Essonne demandent à la cour, au visa des articles 485 et 835 du code de procédure civile, de :
- les dire recevables et bien fondés en leur appel,
- infirmer l'ordonnance entreprise en ce que statuant sur la compétence, elle dispose :
Se déclare incompétente rationae materiae sur les demandes formées par Monsieur [C] et par la Fédération du parti socialiste de l'Essonne à l'encontre de Madame [M] [K] ;
Rejette les demandes principale et reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toute autre demande principale et reconventionnelle plus ample ou contraire ;
Laisse à Monsieur [C] et à la Fédération du parti socialiste de l'Essonne la charge des dépens de l'instance.
Statuant à nouveau,
- dire que le juge des référés du tribunal judiciaire d'Evry a la compétence rationae materiae sur les demandes formées par M. [C] et par la Fédération du parti socialiste de l'Essonne à l'encontre de Mme [K] ;
Evoquant en application de l'article 88 du code de procédure civile,
- interdire à Mme [K] l'utilisation du logo et de la mention du « Nouveau Front Populaire », sur ses éléments de communication de la campagne électorale en cours, autres que ceux prévus par la propagande officielle organisée par la loi (professions de foi, bulletins de vote et affiches apposées sur les panneaux électoraux officiels), et notamment sur les tracts et les publications sur les réseaux sociaux, sous astreinte de 5.000 euros par infraction constatée ;
- ordonner à Mme [K] de retirer toutes les publications autres que celles résultant de la propagande officielle présentant ce logo, sous astreinte distincte de 5.000 euros par infraction constatée ;
- ordonner la publication du dispositif de la décision à venir sur les pages Facebook et X (anciennement Twitter) de Mme [K], dans un délai de 24 heures à compter de la décision à intervenir et jusqu'au jour du second tour des élections législatives, sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois quotidiens au choix des appelants et aux frais de Mme [K] à concurrence de 2.500 euros par publication ;
- se réserver la liquidation de l'astreinte ;
En tout état de cause,
- débouter Mme [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner Mme [K] à verser à M. [C] et à la Fédération du parti socialiste de l'Essonne, la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [C] et la Fédération du parti socialiste de l'Essonne soutiennent notamment que le juge judiciaire est compétent pour prendre les mesures nécessaires pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l'utilisation de procédés de nature à générer la confusion dans l'esprit des électeurs et susceptibles de fausser la sincérité du scrutin. Ils en déduisent que le juge des référés d'[Localité 6] était donc compétent pour faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l'utilisation illégale du logo « Nouveau Front Populaire », hors le matériel électoral dont le contrôle lui échappe en vertu des règles de la séparation des pouvoirs. Ils demandent à la cour d'appel d'évoquer compte tenu de la nécessité qu'une solution soit donnée au litige avant les scrutins électoraux. Ils font valoir que Mme [K] prétend par sa communication être investie par le « Nouveau Front Populaire », ce qui est faux et que cette information inexacte est de nature à créer une confusion dans l'esprit du public, ce qui caractérise un trouble manifestement illicite. Ils précisent qu'ils n'entendent pas se prévaloir du droit des marques.
Par conclusions déposées et notifiées le 26 juin 2024, Mme [K] demande à la cour, au visa des articles 59 de la Constitution du 4 octobre 1958, 31, 122, 446-2, 700, 834 et 835 du code de procédure civile, 1240 du code civil, de :
- confirmer l'ordonnance du juge des référés qui s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes de mesures conservatoires formulées par M. [C] et l'association « Le poing et la rose », fédération de l'Essonne du parti socialiste au profit du juge de l'élection,
- constater l'absence d'intérêt à agir des demandeurs,
- déclarer M. [C] et l'association « Le poing et la rose », Fédération de l'Essonne du parti socialiste, irrecevables en leurs demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire,
- constater l'existence d'une contestation sérieuse et l'absence de trouble manifestement illicite,
En conséquence,
- dire n'y avoir lieu à référé,
En tout état de cause,
- débouter M. [C] et l'association « Le poing et la rose », Fédération de l'Essonne du parti socialiste de leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [C] et la Fédération de l'Essonne du parti socialiste au paiement de la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle soutient notamment que le juge judiciaire est incompétent pour connaître du litige, les actes préliminaires aux opérations électorales ne pouvant être contestés que devant le Conseil constitutionnel, juge de l'élection, à l'occasion du contentieux de ces opérations. Elle précise que les documents électoraux sont ceux dont la finalité est l'obtention des suffrages et que par conséquent, tout support apparaissant comme promouvant ou valorisant un candidat ou son programme est de nature électorale, au sens de l'article R 39 du code électoral, de sorte que le juge judiciaire ne peut statuer sur les demandes de M. [C] qui le conduiraient à interférer dans les opérations électorales, étant relevé que les appelants ne soutiennent ni n'allèguent être propriétaires de la marque « Nouveau Front Populaire ». Elle ajoute que faute d'une décision de son conseil d'administration, l'intervention de l'association « Le poing et la rose » est irrecevable. Elle expose que M. [C] prétend disposer de l'étiquette exclusive « Nouveau front populaire », alors que cette marque a été déposée auprès de l'INPI par La France Insoumise, qui n'est pas partie à l'instance. Elle indique qu'au surplus M. [C] n'a pas souhaité utiliser cette étiquette, de sorte qu'elle pouvait légitimement s'en prévaloir, qu'elle a été investie par le parti « Génération.s », qu'il n'existe par conséquent aucun trouble manifestement illicite, la position de M. [C] quant au Nouveau Front Populaire ayant été rendue publique.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties susvisées pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
SUR CE LA COUR,
A titre liminaire, la cour relève que dans ses conclusions, l'intimée soulève une fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt à agir des demandeurs. Toutefois, s'agissant d'une fin de non-recevoir, la cour ne l'examinera que dans l'hypothèse où l'exception de procédure serait rejetée.
Sur l'exception d'incompétence
Aux termes de l'article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel statue, en cas de contestation, sur la régularité de l'élection des députés et des sénateurs.
Il n'appartient pas aux tribunaux de l'ordre judiciaire d'interférer dans les opérations électorales de nature politique ou dans leurs préliminaires dont le contentieux ressortit au seul juge de l'élection. (TC., 9 mai 1989, n°02577 ; TC., 28 septembre 1998, n°3030 ; Cass., Ass. Plén., 8 mars 1996, n°93-15.274 et n°93-14.903 ; Cons. const., 28 janvier 2022, n°2021-5726).
Cette compétence exclusive s'étend aux documents de propagande électorale officiels et non officiels (CE., 9 juin 2021, n°453327).
En outre, aux termes de l'article 48-1 du code électoral « Les interdictions et restrictions prévues par le présent code en matière de propagande électorale sont applicables a tout message ayant le caractère de propagande électorale diffusé par tout moyen de communication au public par voie électronique. »
La compétence du juge judiciaire des référés est restreinte aux litiges dont la connaissance appartient quant au fond aux juridictions de son ordre (Civ. 1ère , 10 mai 1983, Bull. civ.I n° 144 ; Civ. 1ère, 30 janvier 1985, Bull. n°5l ; Civ. 1ère, 3 mai 1988).
Si le juge judiciaire peut garder une compétence résiduelle, ce n'est que dans les cas où le litige concerne principalement un droit privatif (Cass. Civ. 1ère 9 juillet 2008, n°07-19.664), en cas de délit pénalement réprimé par le code électoral, les lois sur la presse ou le code pénal, ou en cas d'atteinte à la vie privée relevant des prévisions de l'article 9 du code civil.
Au cas présent, les appelants demandent à la cour d'appel d'interdire à Mme [K] l'utilisation du logo et de la mention « Nouveau Front Populaire » sur ses éléments de communication de la campagne électorale en cours, autres que ceux prévus par la propagande officielle organisée par la loi (professions de foi, bulletins de vote et affiches apposées sur les panneaux électoraux officiels), et notamment sur les tracts et les publications sur les réseaux sociaux, et d'ordonner à Mme [K] de retirer toutes les publications autres que celles résultant de la propagande officielle présentant ce logo.
Il sera relevé, en premier lieu, que les différents supports de communication visés dans les écritures des appelants entrent dans le périmètre des dispositions de l'article 48-1 du code électoral et doivent être regardés comme des documents de propagande électorale. A cet égard, ils produisent des publications de l'intimée sur X (pièces 8 à 10) et une capture d'écran (pièce 14). La cour relève que l'ensemble de ces documents diffusés sur des réseaux sociaux présente un contenu qui n'est pas détachable de la campagne électorale en cours.
En second lieu, la compétence de la juridiction judiciaire requiert l'existence d'une atteinte à un droit privatif.
Or, les appelants exposent expressément qu'ils n'entendent pas se prévaloir d'un droit de propriété intellectuelle sur la marque et le logo « Nouveau Front populaire ».
Ils fondent en effet le trouble manifestement illicite dont ils se plaignent sur le risque de confusion dans l'esprit des électeurs et l'atteinte à la sincérité du scrutin, ce qui ne saurait constituer une atteinte à un droit privatif. Au contraire, le trouble allégué n'est pas détachable du cadre de la campagne électorale.
Il s'ensuit que l'utilisation de l'appellation et du logo « Nouveau Front Populaire » par Mme [K] s'inscrit bien dans le cadre d'opérations électorales législatives préalables au scrutin, de sorte que le présent contentieux relève de la compétence du juge de l'élection, le juge judiciaire n'ayant pas vocation à intervenir dans ces opérations électorales.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise.
Y ajoutant, la cour renvoie les parties à mieux se pourvoir en application des dispositions de l'article 81 du code de procédure civile.
Le sort des dépens et des frais irrépétibles a été exactement tranché par le premier juge.
Parties perdantes, M. [C] et l'association Fédération du parti socialiste de l'Essonne « Le poing et la rose » seront condamnés aux dépens de l'appel.
L'équité commande d'allouer à l'intimée la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme l'ordonnance entreprise,
Y ajoutant,
Renvoie les parties à mieux se pourvoir,
Condamne M. [C] et l'association Fédération du parti socialiste de l'Essonne « Le poing et la rose » à payer à Mme [K] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'appel.