CA Bordeaux, 4e ch. com., 3 juillet 2024, n° 22/02180
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Delzongle Aquitaine (SAS)
Défendeur :
Société des Colorants du Sud-Ouest (SAS), Unikalo Charente (SAS), Nuances (SAS), Techno Peint (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Perinet, Me Coulomb, Me Fonrouge, Me Lisimacho
La société par actions simplifiée Delzongle Aquitaine a pour activité le négoce de peintures, papiers peints, revêtements murs et sols en gros, meubles de décoration, tableaux, articles de décoration, tous produits liés à l'aménagement et à la décoration de l'habitat, arts de la table.
La société par actions simplifiées Colorants du Sud Ouest exerce une activité de fabrication et commerce de colorants, formation technique et/ou commerciale liée à l'activité du bâtiment et plus particulièrement dans le domaine de la peinture. Elle commercialise des produits sous la marque Unikalo.
La société par actions simplifiée Nuances est une société holding et centrale de référencement des produits de décoration complémentaires aux produits de peinture distribués au sein du réseau Nuances Unikalo et a pour filiales notamment la société par actions simplifiée Unikalo Charente et la société à responsabilité limitée Techno Peint, spécialisées dans le commerce de peintures, vernis, couleurs, papiers peints.
Par ordonnance du 9 avril 2019, la présidente du tribunal de commerce de Bordeaux a autorisé une mesure d'instruction in futurum sur requête déposée le 27 mars 2019 par la société Delzongle Aquitaine. La SCP [I] [E] [R], huissiers de justice, a été désignée aux fins, notamment, de se faire remettre les copies des contrats de travail de 13 salariés embauchés par les sociétés du groupe Unikalo et a dressé un procès verbal de constat le 24 avril 2019.
Par acte extra judiciaire en date du 25 février 2021, la société Delzongle Aquitaine a fait assigner les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Unikalo Charente et Techno Peint devant le tribunal de commerce aux fins de paiement de diverses sommes en indemnisation de la concurrence déloyale constituée par le débauchage massif de ses salariés.
Par jugement prononcé le 25 mars 2022, le tribunal de commerce a statué ainsi qu'il suit :
- déboute la société Delzongle Aquitaine de l'ensemble de ses demandes ;
- condamne la société Delzongle Aquitaine à verser aux sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne la société Delzongle Aquitaine aux dépens.
La société Delzongle Aquitaine a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 4 mai 2022 et intimé les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances, et Techno Peint.
***
Par dernières conclusions notifiées le 7 mai 2024, la société Delzongle Aquitaine demande à la cour de :
Vu les articles 1240 et 1241 du code civil ,
Vu l'article 1237-3 du code du travail,
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
- déclarer recevable et bien fondé l'appel formé par la société Delzongle Aquitaine ;
Y faisant droit,
- réformer la décision dont appel en ce qu'elle a :
- débouté la société Delzongle Aquitaine de l'ensemble de ses demandes,
- condamné la société Delzongle Aquitaine à verser aux sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Delzongle Aquitaine aux dépens ;
- débouter les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente de leur appel incident ;
Et statuant à nouveau,
- condamner solidairement les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente pour concurrence déloyale ;
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 258.373 euros au titre de l'indemnisation du préjudice économique subi par la société Delzongle Aquitaine avec intérêts de droit à compter de la première mise en demeure ;
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 187.186 euros au titre de l'indemnisation du préjudice moral subi par la société Delzongle Aquitaine avec intérêts de droit à compter de la première mise en demeure ;
- ordonner la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans le journal Sud-Ouest et dans le journal Les Echos, aux frais solidairement supportés par les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente ;
- débouter les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- les condamner solidairement au paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner solidairement les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente au paiement des dépens.
***
Par dernières écritures notifiées le 26 avril 2024, les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente demandent à la cour de :
Sur la réformation du jugement,
- juger que le tribunal n'a pas répondu aux moyens d'irrecevabilité soulevés par les sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente ;
En conséquence,
- réformer le jugement et, statuant à nouveau,
Vu l'article 2224 du code civil,
Vu l'article 122 du code de procédure civile,
- juger prescrite l'action de la société Delzongle Aquitaine en ce qu'elle vise Monsieur [C], Madame [M], Madame [K], Monsieur [P] et Monsieur [A] ;
- débouter la société Delzongle Aquitaine de toutes ses demandes ;
Sur la confirmation du jugement,
- juger que la société Delzongle Aquitaine n'apporte pas la preuve d'agissements déloyaux imputables aux sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente ;
- juger que la société Delzongle Aquitaine n'apporte pas la preuve d'une désorganisation résultant du départ de ses salariés ;
En conséquence,
Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,
- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu'il a débouté la société Delzongle Aquitaine de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- juger que la société Delzongle Aquitaine ne démontre pas les préjudices qu'elle prétend avoir subis ;
- juger que la société Delzongle Aquitaine ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices qu'elle prétend avoir subis ;
En conséquence,
Vu les articles 6 et 9 du code de procédure civile,
Vu l'article 1240 du code civil,
- débouter la société Delzongle Aquitaine de toutes ses demandes ;
En tout état de cause,
- condamner la société Delzongle Aquitaine à verser aux sociétés Colorants du Sud Ouest, Nuances, Techno Peint et Unikalo Charente la somme de 5.000 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Delzongle Aquitaine aux dépens.
***
L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 mai 2024.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. Sur les conclusions notifiées le 15 mai 2024
1. La société Delzongle Aquitaine (ci-après 'Delzongle') a notifié des conclusions le 15 mai 2024, postérieurement à l'ordonnance de clôture.
Toutefois, cette nouvelle communication a pour objet la mise en conformité des écritures de l'appelante avec les prescriptions du deuxième alinéa de l'article 954 du code de procédure civile.
En effet, les précédentes conclusions de la société Delzongle, notifiées le 7 mai 2024, comportaient des développements nouveaux qui n'avaient pas été présentés de manière formellement distincte.
2. Il convient en conséquence d'admettre aux débats ces dernières conclusions notifiées le 15 mai 2024.
2. Sur la fin de non recevoir
3. L'article 2224 du code civil dispose :
« Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.»
4. Au visa de ce texte, les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint opposent à l'appelante la prescription partielle de son action en ce qu'elle est relative notamment aux embauches de Mesdames [M] et [K] et Messieurs [A], [C] et [P].
Les intimées expliquent que la société Delzongle soutient que ces recrutements auraient eu lieu entre 2008 et 2015 ; que ces faits seraient donc advenus plus de cinq années avant la saisine du tribunal de commerce de Bordeaux par assignation du 25 février 2021 ; que l'action en concurrence déloyale de la société Delzongle est prescrite en ce qu'elle vise indirectement ces salariés.
5. L'appelante répond que l'embauche de ces cinq salariés a fait l'objet d'un aveu judiciaire au sein des conclusions des intimées en première instance, ce qui écarte la fin de non recevoir soutenue à ce titre.
Sur ce,
6. La société Delzongle fonde son action en concurrence déloyale sur le débauchage fautif de plusieurs salariés par les sociétés intimées au cours de la période qui commence le 31 mars 2008 et s'achève le 14 janvier 2022.
7. La discussion relative à la recevabilité de cette action, dont il est constant qu'elle obéit aux règles relatives à la responsabilité civile extracontractuelle, est encadrée par l'article 2224 du code civil, ainsi que le rappellent les sociétés intimées, mais également par les dispositions de l'article 2232 du même code, en vertu desquelles le report du point de départ, la suspension ou l'interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit.
8. Il en résulte que le point de départ du délai de la société Delzongle pour agir se situe au moment où l'appelante a connu les faits lui permettant d'exercer son action, soit au 24 avril 2019, date à laquelle la société [I] [E] [R], huissiers de justice, a établi le procès-verbal de ses constatations.
Par ailleurs, il faut rappeler que la naissance du droit à agir de la société Delzongle se situe à la date de l'embauche de chacun des salariés par l'une des sociétés intimées, dans la limite des vingt années prévues par l'article 2232 du code civil.
Dès lors, puisque le point de départ de la prescription se situe ici au 24 avril 2019, la période visée par l'appelante qui commence le 31 mars 2008 entre dans le champ de la discussion, étant observé qu'il n'est pas discuté que la société Delzongle a saisi le tribunal de commerce dans le délai prévu par l'article 2224 du code civil.
3. Sur l'action en concurrence déloyale
9. L'article 1240 du code civil dispose :
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.»
L'article 1241 du même code énonce :
« Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.»
L'article 1237-3 du code du travail dispose :
« Lorsqu'un salarié ayant rompu abusivement un contrat de travail conclut un nouveau contrat de travail, le nouvel employeur est solidairement responsable du dommage causé à l'employeur précédent dans les cas suivants :
1° S'il est démontré que le nouvel employeur est intervenu dans la rupture ;
2° Si le nouvel employeur a engagé un salarié qu'il savait déjà lié par un contrat de travail ;
3° Si le nouvel employeur a continué d'employer le salarié après avoir appris que ce dernier était encore lié à un autre employeur par un contrat de travail. Dans ce cas, sa responsabilité n'est pas engagée si, au moment où il a été averti, le contrat de travail abusivement rompu par le salarié était venu à expiration, soit s'il s'agit de contrats à durée déterminée par l'arrivée du terme, soit s'il s'agit de contrats à durée indéterminée par l'expiration du préavis ou si un délai de quinze jours s'était écoulé depuis la rupture du contrat.»
10. Au visa de ces textes, la société Delzongle fait grief au jugement déféré de l'avoir déboutée de sa demande en indemnisation du préjudice résultant de la concurrence déloyale exercée par les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint.
L'appelante expose que les intimées ont fautivement engagé 19 salariés de sa division bâtiment, soit plus de 25 % de l'effectif de ce département, cela entre 2011 et 2022 ; que celles-ci, qui constituent un véritable groupe intégré, exercent une activité similaire à la sienne tant en ce qui concerne leur champ d'intervention géographique que l'objet de leur commerce, outre que trois d'entre elles sont, comme elle-même, installées en banlieue bordelaise.
La société Delzongle indique qu'elle a pris le soin de prévoir une clause de non concurrence dans le contrat de travail de ses salariés, clause nécessaire au regard des efforts internes de formation, de l'expérience de ces salariés et de leurs liens privilégiés avec les clients de la société ; qu'elle a d'ailleurs adressé deux mises en demeure à ce titre à la société Unikalo le 14 décembre 2018 et le 10 janvier 2019.
L'appelante soutient que la manoeuvre déloyale du groupe Unikalo consiste à embaucher un salarié par le biais de la société Colorants du Sud Ouest pour ensuite mettre ce salarié à disposition des entités du groupe consolidé au travers de sa holding Nuances, société en charge de la distribution des produits qu'elle fabrique et qui sont identiques à ceux qui sont distribués par la société Delzongle et sur le même secteur géographique ; qu'il s'agit ainsi pour le groupe Unikalo de capter à son profit, sans rien dépenser, le savoir-faire et les compétences des équipes techniques et commerciales de la société Delzongle.
La société Delzongle rappelle que les sociétés du groupe Unikalo ont déjà fait l'objet de condamnations par la cour d'appel de Bordeaux au titre des mêmes manoeuvres déloyales commises au préjudice de la société Fontaine Desmoulin Peinture et de la société Legrand Cerbonnay ; elle verse à son dossier les témoignages des représentants légaux de deux sociétés victimes de ces manoeuvres déloyales et soutient que le groupe Unikalo construit ainsi son développement sur un processus généralisé de débauchage de salariés et de déstabilisation de ses concurrents.
11. Les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint répondent que l'appelante procède à une présentation artificielle des faits dans le but de donner l'impression que les débauchages supposés auraient été le fait d'une seule et même entité juridique, le 'groupe Unikalo', que ces débauchages auraient été massifs et auraient eu un impact considérable sur l'organisation de la société Delzongle.
Les intimées font valoir que le régime de la responsabilité pour concurrence déloyale est un un régime de responsabilité civile personnelle et individuelle, de sorte que l'appréciation du débauchage massif allégué ne peut se faire que pour chaque intimée individuellement et non pas de manière globale à l'échelle du groupe Unikalo ; que les départs de salariés sur lesquels se fonde la société Delzongle se sont échelonnés sur une très longue période et doivent être considérés à l'aune de l'effectif global de l'appelante.
Les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint estiment que, en cause d'appel, la société Delzongle ne développe en réalité son argumentation que sur le départ de deux salariés, M. [N] et M. [T], dont elle peine à démontrer qu'il aurait été le fruit de manoeuvres déloyales de la part de l'une des intimées.
Les intimées soutiennent que, de plus, il doit être démontré que le débauchage allégué a entraîné une véritable désorganisation, non une simple perturbation ou un déplacement de clientèle ; que la société Delzongle ne rapporte pas cette preuve et opère une confusion en présentant la désorganisation subie comme une composante de son préjudice et non comme un élément factuel caractérisant le caractère déloyal des débauchages.
Sur ce,
12. Il est constant en droit que le débauchage massif de salariés d'un concurrent par l'emploi de manoeuvres et qui entraîne la désorganisation du fonctionnement de l'entreprise victime est constitutif de concurrence déloyale ; que, cependant, la simple embauche de salariés d'une entreprise concurrente n'est pas en elle-même fautive et ne devient déloyale que si une faute peut être imputée au nouvel employeur ; que cette faute peut être recherchée dans l'examen des conditions dans lesquelles est intervenue l'embauche des salariés et notamment les moyens mis en oeuvre pour les attirer, ainsi que les circonstances qui entourent leur départ.
13. En l'espèce, la société Delzongle excipe du départ de 19 salariés vers l'une des sociétés du groupe Unikalo au cour de la période du 31 mars 2008 au 14 janvier 2022.
14. Il doit cependant être relevé que l'appelante n'établit que pour quatre salariés leur engagement par les intimées :
- M. [T] le 10 août 2016 par la société Unikalo Charente,
- M. [N] le 29 octobre 2018 par la société Colorants du Sud Ouest,
- M. [Y] le 25 janvier 2019 par la société Techno Peint,
- M. [W] le 7 février 2019 par la société Colorants du Sud Ouest.
Les sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint produisent néanmoins à leur dossier, en mentionnant que ces pièces ont été produites en première instance par la société Delzongle, les contrats de travail conclus :
- le 23 avril 2008 entre M. [A] et la société Unikalo Charente,
- le 2 février 2009 entre M. [C] et la société Unikalo Charente,
- le 2 janvier 2013 entre M. [P] et la société Unikalo Charente
- le 9 janvier 2014 entre Mme [M] et la société Unikalo Charente,
- le 8 juin 2015 entre Mme [K] et la société Techno Peint.
15. Il n'est pas produit aux débats les contrats de travail qui liaient Messieurs [A], [C] et [P] et Mesdames [M] et [K] à la société Delzongle, de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier si ces salariés étaient assujettis à une clause de non concurrence au bénéfice de leur ancien employeur lorsqu'ils ont été engagés par les sociétés Techno Peint et Unikalo Charente.
Il faut cependant relever que le contrat de Mme [M] stipule un article 1er paragraphe 2 ainsi rédigé : « (...) déclare formellement n'être liée à aucune autre entreprise, n'être tenue par aucune clause de non concurrnce et être libre de tout engagement envers son précédent employeur (...)»
De même, le contrat de M. [P] mentionne à l'article 1er alinéa 2 que le salarié déclare formellement n'être lié à aucune autre entreprise.
Le contrat de travail de M. [T] comporte un article 1er paragraphe 3 ainsi rédigé : « Monsieur [X] [T] déclare être libre de tout engagement et n'être tenu par aucune restriction (...) à l'exercice de son activité.»
Les contrats de travail de Messieurs [N], [Y] et [W] stipulent un article 1er paragraphe 2 ainsi rédigé : « Monsieur (...) déclare formellement n'être lié à aucune entreprise et être libre de tout engagement envers son précédent employeur à sa date d'embauche (...) et n'être frappé d'aucune incapacité (...) à l'exercice de son activité.»
16. Il résulte de ces stipulations, qui ne sont contredites par aucun autre élément au dossier de la société Delzongle, qu'il ne peut être retenu contre les sociétés Colorants du Sud Ouest, Techno Peint et Unikalo Charente, nouveaux employeurs des intéressés, que celles-ci auraient été informées, préalablement à ces embauches, du fait que Messieurs [W], [N] et [Y] étaient liés à la société Delzongle par une clause de non concurrence détaillée à l'article 7 du contrat du premier et à l'article 9 du contrat des deux derniers.
Il n'est par ailleurs établi aucune manoeuvre déloyale à la charge des sociétés intimées qui auraient eu pour objet d'inciter Messieurs [A], [C], [P], [N], [Y] et [W] et Mesdames [M] et [K] à quitter les services de la société Delzongle.
17. En ce qui concerne M. [T], il est produit aux débats un arrêt de la chambre sociale de la cour d'appel de Bordeaux en date du 4 janvier 2023 dont la motivation fait mention d'un acte de dissimulation de la société Colorants du Sud Ouest postérieur à l'intervention d'huissiers autorisés, sur requête de la société Delzongle, à procéder à des constatations au sein des sociétés intimées.
L'appelante verse également les deux contrats successifs conclus par M. [T] avec les sociétés du groupe Unikalo, qui doivent être examinés en regard de la clause de non concurrence figurant au contrat de travail conclu le 1er août 2007 avec la société appelante et qui interdit à ce salarié d'exercer son activité dans le même secteur géographique (Haute Vienne et Creuse) au bénéfice d'une société concurrente de la société Delzongle pendant une durée de douze mois à compter de la rupture du contrat.
Or la société Unikalo Charente a engagé M. [T] par contrat du 10 août 2016, alors que le salarié était encore au service de la société Delzongle puisqu'il a démissionné le 5 septembre 2016, étant précisé que le contrat de travail conclu avec la société Unikalo Charente était à effet au 1er décembre 2016.
Puis un 'acte tripartite' a été conclu le 5 février 2018 entre M. [T], la société Unikalo Charente et la société Techno Peint, par lequel ont été actées la rupture amiable du contrat du 10 août 2016 et l'embauche concomitante du salarié par la société Techno Peint.
Il doit être relevé que le premier contrat de travail prévoyait l'obligation pour M. [T] d'exercer son activité en Gironde, tandis que le deuxième l'oblige à travailler en Haute Vienne.
Cette succession de contrats corrobore l'argumentation de la société Delzongle selon laquelle le premier contrat, conclu avec la société Unikalo Charente, aurait eu pour objet de contourner la clause de non concurrence en donnant l'apparence d'un travail accompli en Gironde pendant toute la période d'interdiction, alors même qu'il a été dûment relevé par la chambre sociale de la cour d'appel dans son arrêt du 4 janvier 2023 que M. [T] exerçait déjà son activité en Haute Vienne dès la rupture de son contrat de travail avec la société Delzongle.
Une telle organisation, par les sociétés Unikalo Charente et Techno Peint, de la situation de M. [T] en violation de la clause de non concurrence qui obligeait ce salarié à l'égard de son ancien employeur est constitutive d'une faute.
18. Toutefois, la société Delzongle n'établit pas que cette faute aurait désorganisé le service victime de ce départ, notamment que la démission de M. [T] aurait contraint l'appelante à engager en urgence un VRP susceptible de le remplacer, ou qu'un client important ou une partie de la clientèle se seraient détournés de la société Delzongle à la suite du départ de ce salarié.
Dès lors, la faute des sociétés Unikalo Charente et Techno Peint ne peut être qualifiée de concurrence déloyale. Dans la mesure où l'appelante agit ici en réparation de la concurrence déloyale qu'elle reproche aux sociétés intimées, sa demande en paiement de dommages et intérêts doit être rejetée.
19. Le jugement déféré sera donc confirmé ; il y sera ajouté par la condamnation de la société Delzongle à payer les dépens de l'appel et à verser au intimées une somme globale de 1.500 euros en indemnisation des frais irrépétibles de celles-ci.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,
Révoque l'ordonnance de clôture et prononce la clôture au jour des plaidoiries.
Confirme le jugement prononcé le 25 mars 2022 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Condamne la société Delzongle Aquitaine à payer aux sociétés Colorants du Sud Ouest, Unikalo Charente, Nuances et Techno Peint la somme globale de 1.500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Delzongle Aquitaine à payer les dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.