Cass. 3e civ., 4 juillet 2024, n° 23-11.532
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Époux
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
M. Pety
Avocats :
Me Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, Me Boré, Salve de Bruneton et Mégret, Me Marlange et de La Burgade
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Amiens, 5 juillet 2022), par acte sous seing privé du 28 janvier 2008, M. et Mme [D] (les vendeurs) ont conclu avec M. [R] (l'acquéreur) une promesse synallagmatique de vente portant sur des parcelles avec étang et un chalet à usage d'habitation, au prix de 150 000 euros.
2. M. [L], notaire, a établi l'acte authentique de vente.
3. Ne parvenant pas à revendre ces biens, l'acquéreur s'est rapproché des services communaux qui lui ont transmis un certificat d'urbanisme du 28 novembre 2017 établissant qu'ils étaient situés en zone non constructible.
4. Par actes des 28 juin et 2 juillet 2018, il a assigné les vendeurs et le notaire en annulation de la vente pour dol ainsi qu'aux fins de paiement de diverses sommes. Les vendeurs ont sollicité la garantie du notaire et ce dernier a agi de même à leur encontre.
Examen du moyen
Sur le moyen du pourvoi principal, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
5. Les vendeurs font grief à l'arrêt d'annuler la vente, d'ordonner les restitutions réciproques, de prononcer diverses condamnations au profit de l'acquéreur ainsi qu'un partage de responsabilité entre coobligés, alors « que le dol est exclu lorsqu'il est établi que celui qui s'en prétend victime avait connaissance, au moment où il a contracté, de l'information qu'il reproche à son cocontractant de lui avoir sciemment dissimulée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'acte authentique de vente du chalet litigieux, conclu entre les époux [D] et M. [R] le 18 mars 2018, contenait une clause selon laquelle M. [R], l'acquéreur, avait déclaré « connaître parfaitement le bien vendu et avoir pris lui-même auprès des services compétents tous renseignements concernant les règles d'urbanisme s'appliquant à l'immeuble » ; qu'en retenant que le dol des vendeurs était caractérisé, dans la mesure où les époux [D] avaient volontairement omis d'informer M. [R] des conditions illicites de la construction dudit chalet, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, a violé l'article 1116 (devenu 1137) du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'article 1116 du code civil, dans sa version antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 :
6. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas, et doit être prouvé.
7. Pour retenir la réticence dolosive des vendeurs et annuler la vente, l'arrêt énonce que des restrictions d'usage et de destination inhérentes au bâtiment d'origine construit en 1979 s'appliquent à l'extension réalisée en 1999 et que l'immeuble est classé en zone non constructible, faits connus des vendeurs mais dont ils ont omis d'informer l'acquéreur, le bien vendu étant décrit à usage d'habitation et sans référence aux conditions illicites de sa construction.
8. Il ajoute que cette dissimulation volontaire constitue une réticence dolosive de la part des vendeurs qui connaissaient le caractère déterminant pour l'acquéreur de cette information portant sur une caractéristique essentielle de l'immeuble, quand bien même l'intéressé aurait déclaré dans l'acte de vente connaître parfaitement le bien et avoir pris lui-même auprès des services compétents tous renseignements concernant les règles d'urbanisme s'y appliquant, l'erreur provoquée par la réticence dolosive étant toujours excusable.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations faisant ressortir la connaissance par l'acquéreur de l'information prétendument dissimulée, a violé le texte susvisé.
Portée et conséquences de la cassation
10. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation des dispositions de l'arrêt confirmant le jugement en ce qu'il annule la vente entraîne la cassation des autres chefs de dispositif ordonnant les restitutions réciproques, le partage de responsabilité entre coobligés et les condamnations à dommages et intérêts ainsi qu'aux dépens, dispositions qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Amiens, autrement composée ;
Condamne M. [R] aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.