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Décisions

Cass. 3e civ., 4 juillet 2024, n° 23-12.670

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Défendeur :

V France (SAS), Antigua (SAS), Alexis Offroy-Jean-Philippe Banel - Stéphane Duval - Mélanie Lecomte-Mathieu Keromnes (Selarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Pety

Avocats :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret, SARL Gury & Maitre, SCP Le Guerer, Bouniol-Brochier

Lyon, du 22 novembre 2022

22 novembre 2022

1. Il est donné acte à M. [R] du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société Antigua.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 22 novembre 2022), en 2004, la société Valority France, devenue la société V France, a proposé à M. [R] d'acquérir, aux fins de défiscalisation, des lots dans un programme de réhabilitation d'une clinique devant être transformée en immeuble d'habitation de trente-neuf logements destinés à la location.

3. Par acte sous seing privé du 18 mai 2004, M. [R] a conclu avec la société Crest une promesse synallagmatique de vente portant sur quatre appartements.

4. Puis, par acte authentique du 27 décembre 2004 établi par M. [G], notaire au sein de la société civile professionnelle [G]-Offroy-Banel-Duval, devenue la SELARL Offroy-Banel-Duval-Lecomte-Keromnes (le notaire), il a acquis les lots promis.

5.Les travaux de réhabilitation de l'immeuble, confiés par l'association syndicale libre créée à cette fin, par un acte du 27 décembre 2004, à une société ultérieurement mise en liquidation judiciaire, d'une durée prévue de dix-huit mois, ont été achevés avec retard par une autre entreprise, le 21 juillet 2010.

6. M. [R] a donné ses lots à bail à compter du mois de septembre 2010.

7. Par actes du 11 juin 2013, il a assigné, notamment, la société Valority France et le notaire, aux fins de les voir condamner in solidum à lui payer diverses sommes en réparation de ses préjudices matériel et moral.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

8. M. [R] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors « que le conseiller en gestion de patrimoine est tenu d'un devoir d'information et de conseil, l'obligeant à alerter l'acquéreur d'un bien immobilier dans un but de défiscalisation sur tous les risques de l'opération ; que, pour écarter toute faute de la part de la société Valority France au titre de son obligation d'information et de conseil, l'arrêt retient que le dossier de présentation de la Résidence des Lices de [Localité 6] et le dossier de réservation remis à M. [R] avant tout engagement, comprenant le projet de compromis de vente, le nom du notaire rédacteur de l'acte de vente, l'estimation par un architecte du prix des travaux de réhabilitation, l'étude fiscale réalisée par un avocat fiscaliste lui ont permis d'être précisément informé sur l'opération envisagée et que M. [R], qui a été destinataire d'une étude fiscale complète datée du 16 mars 2004, ne peut prétendre avoir ignoré qu'une telle opération était affectée d'un aléa, un investissement dans une opération de réhabilitation comportant nécessairement une part d'aléa quant à la réalisation des travaux ; qu'en statuant ainsi, par des motifs dont il ne ressort pas que la société Valority France aurait alerté M. [R] sur les risques de l'opération tenant aux aléas de la construction, au délai de mise en location, aux aléas du marché locatif et à l'incidence de l'ensemble de ces éléments sur le bénéfice fiscal attendu, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

9. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

10. Pour rejeter la demande d'indemnisation de M. [R], l'arrêt retient qu'il a été destinataire d'une étude fiscale complète du projet, établie par un avocat fiscaliste, de sorte qu'il ne peut prétendre avoir ignoré que l'opération de réhabilitation était affectée d'un aléa quant à la réalisation des travaux.

11. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à établir que la société V France avait exécuté son obligation d'information et de conseil en appelant l'attention de M. [R] sur l'ensemble des risques du placement proposé, notamment ceux inhérents à la conduite des travaux de réhabilitation et à un possible retard dans leur exécution, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le second moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

12. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande en paiement de dommages-intérêts dirigée contre le notaire in solidum avec l'intermédiaire en opérations immobilières, alors « que le notaire est tenu d'une obligation de conseil l'obligeant à éclairer les parties sur les effets et les risques de l'acte reçu par lui, quelles que soient les compétences et connaissances des parties ; qu'au cas présent, M. [R] reprochait à Me [G], notaire qui avait reçu l'acte authentique du bien objet de l'opération de défiscalisation, de ne pas l'avoir alerté que les risques inhérents [à] une telle opération, notamment en ce qui concerne les aléas de la construction ; que, pour écarter toute faute du notaire à ce titre, l'arrêt retient que M. [R] ne pouvait ignorer que tout investissement dans une opération de réhabilitation, qu'il soit ou non de nature fiscale, comporte nécessairement une part d'aléa quant à la réalisation des travaux et qu'il a été mis en garde sur les risques de l'opération grâce à l'information complète qui lui a été donnée par Me [L], avocat fiscaliste, sur les aspects fiscaux de l'opération ; qu'en statuant ainsi, cependant que les connaissances et compétences de M. [R] ne dispensaient pas le notaire de son obligation de conseil et que l'information donnée par Me [L] portait sur les seuls aspects fiscaux de l'opération, la cour d'appel a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil :

13. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

14. Pour écarter la responsabilité du notaire et rejeter la demande indemnitaire formée à son encontre, l'arrêt retient que M. [R] a été mis en garde sur les risques de l'opération par la remise d'une étude fiscale complète, de sorte qu'il ne pouvait ignorer que tout investissement dans une opération de réhabilitation, qu'il soit ou non de nature fiscale, comporte nécessairement une part aléatoire quant à la conduite des travaux, que le préjudice par lui invoqué résulte des difficultés survenues dans la réalisation des travaux que le notaire, qui n'a pas participé à la désignation de l'entreprise générale et dont il ne pouvait prévoir la défaillance, n'a pas à assumer.

15. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser le respect, par le notaire, de son devoir de conseil et, le cas échéant, de mise en garde de M. [R] en ce qui concerne notamment les conséquences et risques des stipulations convenues, lesquels comprenaient les aléas liés à la réhabilitation de l'immeuble, quelles que soient les connaissances personnelles de l'intéressé, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Mise hors de cause

16. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société V France, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Dit n'y avoir lieu à mettre hors de cause la société V France ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;

Condamne la société V France et la SELARL Offroy-Banel-Duval-Lecomte-Keromnes aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.