CA Lyon, 8e ch., 26 juin 2024, n° 23/05703
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SRMB (SAS)
Défendeur :
Les Silos de Jonage (SCCV)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mme Masson-Bessou, M. D'Ussel
Avocats :
Me Laffly, Me Schach, Me Santa-Cruz
Exposé du litige
Selon bail commercial régularisé le 15 décembre 1993, la SCI Les Silos de Jonage a donné en location à la société SRMB un local industriel d'environ 1600 m² à [Localité 2], [Adresse 4], pour un loyer de 250 000 francs hors taxes et hors charges.
Le bail a été renouvelé.
Par acte du 24 novembre 2022, la SCCV Les Silos de Jonage a fait délivrer à la société SRMB un commandement visant la clause résolutoire pour la somme de 113 343,97 € au titre des loyers et charges impayés, outre 12 776,96 € au titre de la clause pénale.
Puis par acte du 1er février 2023, la SCCV Les Silos de Jonage a fait assigner la société SRMB en référé aux fins de voir constater l'acquisition des effets de la clause résolutoire, l'expulsion de la société SRMB et de tous occupants de son chef, ainsi que sa condamnation au paiement de l'arriéré locatif à titre provisionnel, outre indemnité d'occupation jusqu'à libération des lieux, clause pénale et indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 5 juin 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire de Lyon a :
Déclaré recevable l'action de la société Les Silos de Jonage SCCV ;
Constaté la résiliation du bail à la date du 25 décembre 2022 ;
Condamné la société SRMB à payer à la société Les Silos de Jonage la somme provisionnelle de 168 584,10 € au titre des loyers et des charges arrêtés au mois de mai 2023, avec intérêts au taux conventionnel de 2 %, soit 30 104,80 € ;
Condamné la société SRMB et tout occupant de son chef à quitter les lieux, si besoin est par expulsion, avec le concours si nécessaire de la force publique et d'un serrurier ;
Condamné la société SRMB à payer une indemnité d'occupation provisionnelle d'un montant équivalent à celui des loyers et des charges du mois de juin 2023 jusqu'au départ effectif des lieux ;
Dit n'y avoir lieu à application de la clause pénale ;
Condamné la société SRMB aux dépens ;
Condamné la société SRMB à payer à la société Les Silos de Jonage la somme de 1 000 € par application, des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SAS SRMB a interjeté appel par déclaration enregistrée le 12 juillet 2023.
En ses dernières conclusions régularisées au RPVA le 3 octobre 2023, la SAS SRMB demande à la cour d'appel :
Vu l'article L145-46-1 du Code de commerce,
Vu la loi Pinel,
Vu le bail commercial du 15 décembre 1993 vise au commandement visant clause résolutoire,
Infirmer l'ordonnance du 5 juin 2023 rendue par le Tribunal Judiciaire de Lyon.
Statuant à nouveau,
In limine litis,
Enjoindre à l'intimée de produire l'acte d'acquisition des locaux commerciaux sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir.
A défaut,
Déclarer irrecevable la demande pour défaut de qualité à agir ;
Prononcer la nullité du commandement visant clause résolutoire pour décompte erroné sur le fondement du bail commercial du 15/12/1993 visé à l'acte d'huissier.
En tout état de cause,
Débouter l'intimée de l'intégralité de ses fins, moyens et prétentions ;
Condamner l'intimée aux entiers frais et dépens d'appel et de première instance ;
Condamner l'intimée au paiement de la somme de 2 000 € par application de l'article 700 du CPC et 1 000 € au titre des frais de première instance.
Au soutien de ses prétentions, la SAS SRMB fait valoir :
1) Le défaut d'intérêt à agir de la SCCV Les Silos de Jonage car n'étant pas titulaire du contrat de bail, le bail commercial liant la SCI Les Silos, société n'existant plus depuis le 6 avril 2022, tandis que la SCCV a été créée le 20 juillet 2021.
Contrairement à ce qu'indique le premier juge, l'acte de vente demandé n'a jamais été communiqué. La charge de la preuve de cette communication repose sur la SCCV.
2) La nullité du commandement visant la clause résolutoire car délivré à la demande de la SCCV et visant les montants du bail commercial renouvelé en 2015 en se référant au bail commercial du 15/12/1993 (loyer annuel 38 112.25 €) Le décompte est de 30'911, 99 € par trimestre soit 123'647, 96 € annuels (811 077,44 francs) alors que le bail prévoyait un loyer annuel de 250 000 francs. L'intimée ne justifie d'aucune indexation sur le coût de la construction qui aurait été notifiée à l'appelante.
3) La violation du droit de préférence du locataire qui devait se voir notifier le projet de cession lui permettant dans le délai d'un mois de préempter aux conditions et charges du vendeur et devenir propriétaire des murs commerciaux, pour lesquels elle n'aurait plus eu à verser de loyer.
L'intimée s'est refusée à communiquer l'acte de vente permettant
de connaître les modalités et conditions de vente justifiant de l'intérêt à agir, de connaître la date de vente.
En ses conclusions régularisées au RPVA le 31 octobre 2023, la SCCV Les Silos de Jonage demande à la cour d'appel :
Vu l'article L 145-41-1 du Code de commerce,
Vu l'article 114 du Code de procédure civile,
Vu l'article 700 du Code de procédure civile,
Confirmer l'ordonnance du 5 juin 2023, en toutes ses dispositions.
Ce faisant,
Rejeter l'intégralité des demandes, fins et conclusions de la société SRMB.
Y ajoutant,
Condamner la société SRMB à payer à la SCCV Les Silos de Jonage la somme de 19.601,33 € au titre des indemnités d'occupation dues pour les mois de juin, juillet, et août 2023 ;
Condamner la société SRMB à payer à la société SCCV Les Silos de Jonage la somme de 3.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner la société SRMB aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses conclusions, La SCCV Les Silos de Jonage invoque :
1° Sa qualité de propriétaire : selon acte de vente du 6 novembre 2021 qui avait été adressé à l'appelante et qui est versé aux débats, la SCCV a acquis le bien auprès de la SCI.
La société SRMB connaissait la SCCV Les Silos de Jonage puisqu'elle lui a réglé ses loyers jusqu'à la fin de l'année 2022, date des premières difficultés de paiement.
2° La validité du commandement : la SCCV justifiant de sa qualité de propriétaire,
l'absence d'incohérence, les sommes visées dans le commandement correspondant bien aux loyers exigibles. Le preneur n'avait d'ailleurs jamais contesté le montant des loyers appelés jusqu'à la délivrance du commandement de payer.
L'indexation intervient automatiquement et sans notification annuelle au preneur.
Les augmentations de loyer ont été prises en compte lors des renouvellements successifs ayant successivement établi les loyers à 61 673,63 € HT et hors charges, puis 83 177,52 € HT et hors charges. Le commandement trouve bien son fondement juridique dans le bail initial, successivement renouvelé en 2003 et 2014.
3° L'absence de violation du droit de préférence du preneur : l'immeuble ayant été cédé dans sa globalité, le bailleur n'avait pas à purger de droit de préemption à l'endroit de son preneur.
4° le montant des indemnités d'occupation doit être arrêté à la date du 4 août 2023, date de reprise des lieux selon procès-verbal d'huissier : indemnités d'occupation dues au titre des mois de juin, juillet, et août 2023 à la somme de 19 601,33 €.
Pour plus ample exposé des moyens développés par les parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile il sera fait référence à leurs écritures.
MOTIFS
A titre liminaire, lorsque les demandes des parties tendant à voir la cour "constater" ou "dire et juger" ne constituent pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du Code de procédure civile mais des moyens ou arguments au soutien des véritables prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur celles-ci.
La cour relève que si in limine litis, la société SRMB sollicite voir enjoindre à la société Les Silos de Jonage de produire l'acte d'acquisition des locaux commerciaux sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir, l'acte a été produit au débat rendant la demande sans objet. De plus la cour rappelle que l'instance a été engagée devant le juge des référés en constat de l'acquisition de la clause résolutoire et non devant le juge du fond.
Sur le défaut d'intérêt à agir :
Aux termes de l'article 122 du Code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Si la SCCV Les Silos de Jonage n'est pas le bailleur initial, elle justifie être aux droits de la SCI Les Silos de Jonage après l'acquisition des lieux le 6 novembre 2021. Son défaut d'intérêt pour agir n'est pas démontré. La cour confirme la décision attaquée.
Sur le constat de l'acquisition des effets de la clause résolutoire :
L'article 834 du Code de procédure civile dispose que dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal judiciaire peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.
La juridiction des référés n'est toutefois pas tenue au sens de l'article 834 du Code de procédure civile, de caractériser l'urgence, pour constater l'acquisition de la clause résolutoire et la résiliation de droit d'un bail.
L'article L 145-41 du Code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Le bailleur, au titre d'un bail commercial, demandant la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire comprise dans le bail doit rapporter la preuve de sa créance.
Le juge des référés peut constater la résiliation de plein droit du bail au titre d'une clause contenue à l'acte à cet effet, à condition que :
le défaut de paiement de la somme réclamée dans le commandement de payer visant la clause résolutoire soit manifestement fautif ;
le bailleur soit, de toute évidence, en situation d'invoquer de bonne foi la mise en jeu de cette clause ;
la clause résolutoire soit dénuée d'ambiguïté et ne nécessite pas interprétation ; en effet, la clause résolutoire d'un bail doit s'interpréter strictement.
La cour relève, en l'espèce, que la demande de l'annulation d'un commandement de payer excède les pouvoirs du juge des référés. La contestation de la régularité du commandement de payer n'est pas sérieuse, la SCCV Les Silos de Jonage ayant justifié de sa qualité de propriétaire et le commandement de payer mentionnant les loyers et provisions applicables et exigibles en considération du bail initial et de son renouvellement sans que le preneur ne justifie de grief quant à l'absence de mention des renouvellements.
La société SRMB invoque également au visa de l'article L 145-46-1 du Code de commerce, la violation de son droit de préférence.
Il résulte de cet article que lorsque le propriétaire d'un local à usage de commerce envisage de revendre, il doit informer le locataire du prix et des conditions de la vente, le locataire disposant d'un délai d'un mois se prononcer en vue d'acquérir le local.
Cependant, ces dispositions ne s'appliquent pas en cas de cession globale d'un immeuble comprenant le local commercial.
Or en l'espèce, la SCI Les Silos de Jonage a vendu à la SCCV l'immeuble dans sa globalité et non seulement les locaux objets du contrat de bail avec la société SRMB.
En conséquence, en l'absence de contestation sérieuse et en considération des pièces versées, la cour confirme la décision attaquée en ce qu'elle a constaté la résiliation du bail à la date du 25 décembre 2022 puisque le commandement de payer délivré le 24 novembre 2022 était resté sans effet, et ordonné l'expulsion.
La cour confirme également la condamnation du preneur :
au paiement d'une indemnité d'occupation mensuelle d'un montant équivalent à celui des loyers et des charges dus au mois de juin 2023 jusqu'au départ effectif des lieux ;
au paiement de la somme provisionnelle de 168 584,10 € au titre des loyers et charges arrêtés au mois de mai 2023 avec intérêts au taux conventionnel de 2 %, soit 30 104,80 €.
À hauteur d'appel, la SCCV Les Silos de Jonage a actualisé sa créance au mois d'août 2023 à la somme de 19'601,33 € en précisant avoir repris les lieux selon procès-verbal d'huissier du 4 août 2023.
En considération du décompte, la cour condamne la société SRMB à payer à la SCCV Les Silos de Jonage la somme demandée correspondant aux échéances de juin et juillet 2023, soit 2 fois 8 406,69 € (équivalent loyer mensuel et provision pour charges) outre 1 084,73 € au titre des 4 premiers jours d'août 2024.
Sur les demandes accessoires :
La société SRMB succombant, la cour confirme sur les dépens et sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile. La cour ajoute sa condamnation aux dépens à hauteur d'appel et au paiement de la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel.
Sa propre demande au titre des frais irrépétibles ne peut qu'être rejetée.
PAR CES MOTIFS
Statuant dans les limites de l'appel,
La cour d'appel,
Déclare sans objet la demande relative à la production de l'acte d'acquisition,
Confirme entièrement la décision attaquée.
Y ajoutant,
Vu la reprise des lieux intervenue le 4 août 2023,
Condamne la société SRMB à payer à la SCCV Les Silos de Jonage la somme provisionnelle de 19'601,33 € au titre des indemnités d'occupation dues pour les mois de juin, juillet, et jusqu'au 4 août 2023,
Condamne la société SRMB aux dépens à hauteur d'appel,
Condamne la société SRMB à payer à la SCCV Les Silos de Jonage la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à hauteur d'appel,
Rejette la demande de la SAS SRMB au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.