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Décisions

CA Lyon, ch. soc. a, 3 juillet 2024, n° 21/01111

LYON

Arrêt

Autre

CA Lyon n° 21/01111

3 juillet 2024

AFFAIRE PRUD'HOMALE

DOUBLE RAPPORTEUR

N° RG 21/01111 - N° Portalis DBVX-V-B7F-NM4H

[R]

C/

Société ROBERT BOSCH FRANCE

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LYON

du 26 Janvier 2021

RG : F 18/02457

COUR D'APPEL DE LYON

CHAMBRE SOCIALE A

ARRET DU 03 Juillet 2024

APPELANTE :

[V] [R]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Sylvaine CHARTIER de la SELARL CHARTIER-FREYCHET AVOCATS, avocat au barreau de LYON

INTIMÉE :

Société ROBERT BOSCH FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat au barreau de LYON et ayant pour avocat plaidant Me Philippe DE LA BROSSE de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat au barreau de LYON

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 02 Avril 2024

Présidée par Nathalie ROCCI, conseillère et Anne BRUNNER, conseillère, magistrats rapporteurs (sans opposition des parties dûment avisées) qui en ont rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistées pendant les débats de Morgane GARCES, greffière

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :

- Catherine MAILHES, présidente

- Nathalie ROCCI, conseillère

- Anne BRUNNER, conseillère

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

rendu publiquement le 03 Juillet 2024 par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

Signé par Catherine MAILHES présidente, et par Morgane GARCES, greffière, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Mme [R] ( ci- après la salariée) a initialement été embauchée par la société Sigma Diesel, société appartenant au groupe Bosch, en qualité d'ouvrière de fabrication, Coefficient 155 de la Convention collective des Mensuels de l'Industrie Métallurgique du Rhône (IDCC 878), par contrat à durée déterminée du 7 septembre 1984 jusqu'au

7 décembre 1984.

La relation de travail s'est poursuivie à durée indéterminée par contrat du 25 février 1985.

Le 25 juin 1985 le contrat de travail de Madame [R] a été transféré à la société Robert Bosch France (ci-après la société), suite à la fusion de cette dernière avec la société Sigma Diesel.

Le 12 octobre 2016 un accord collectif concernant la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) a été négocié entre la société Robert Bosch France et les organisations syndicales présentes au sein de la société.

Ce plan de sauvegarde de l'emploi était consécutif au projet de cessation de l'activité de production des éléments de pompe en ligne du site RBFR de [Localité 5], site sur lequel était employée la salariée, et prévoyait un mécanisme de départ volontaire et anticipé à la retraite dont pourrait bénéficier les salariés les plus âgés, dont Mme [R].

A ce titre il était prévu que les salariés concernés verraient leur contrat de travail suspendu jusqu'au jour de leur retraite. Durant cette suspension, leur serait versé une indemnité correspondant à 80% de leur salaire de référence (moyenne des salaires bruts toutes primes liées au travail comprises, à l'exception des primes exceptionnelles) majoré d'une somme de 500 euros ou, si cela était plus favorable, d'1% du salaire brut.

Une indemnité de départ volontaire à la retraite était également prévue.

Par ailleurs il était expressément prévu que les salariés pouvant bénéficier du mécanisme de « préretraite » ne bénéficieraient pas, s'ils étaient licenciés, des indemnités supplémentaires et complémentaires de licenciement.

Ce Plan a été validé par la DIRECCTE le 27 février 2017.

Le 30 mars 2017, la salariée a adhéré au dispositif de préretraite, entraînant la suspension de son contrat de travail jusqu'à son départ à la retraite.

Le 31 mars 2017, la salariée a signé un avenant en ce sens prévoyant la suspension de son contrat de travail du 1er janvier 2018 au 31 mars 2022, avec le versement durant cette période, d'une indemnité de pré-retraite correspondant à 80% de son salaire.

Par la suite, deux autres avenants de suspension de son temps de travail avec maintien de rémunération ont été régularisés, le 4 juillet et le 7 septembre 2017, afin de préparer la cessation d'activité du site de [Localité 5].

Le 31 mars 2022, la convention prévoyant la suspension du contrat de travail de la salariée a pris fin et la concluante a fait valoir ses droits à la retraite.

Le 6 août 2018, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Lyon afin de :

- à titre principal, faire annuler l'avenant de suspension de son contrat de travail du

31 mars 2017, obtenir sa réintégration et en conséquence son indemnisation à ce titre, - à titre subsidiaire, voir indemniser la perte de chance de bénéficier d'une offre de reclassement,

- en tout état de cause, voir indemniser l'exécution déloyale de son contrat de travail par son employeur et la discrimination dont elle a fait l'objet.

La société a été convoquée devant le bureau de conciliation et d'orientation par courrier recommandé avec accusé de réception signé le 8 août 2018.

Par jugement du 26 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Lyon a :

- Dit et jugé que la SAS Robert Bosch France a respecté l'ensemble de ses obligations légales et conventionnelles ;

- Dit et jugé que Mme [V] [R] a adhéré librement et volontairement au dispositif contractuel de préretraite ;

- Dit et jugé valable l'avenant d'adhésion au dispositif de préretraite conclu par

Mme [V] [R] le 30 mars 2017 ;

- Dit et jugé valide l'avenant de suspension du contrat de travail de Mme [V] [R] du 30 mars 2017 ;

Par conséquent

- Débouté Mme [V] [R] de sa demande de réintégration ;

- Débouté Mme [V] [R] de sa demande de rappels de salaires et des congé payés afférents ;

- Débouté Mme [V] [R] de ses demandes indemnitaires ;

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;

- Débouté Mme [V] [R] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté la SAS Robert Bosch France de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- Laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

Selon déclaration électronique de son avocat remise au greffe de la cour le 16 février 2021, Mme [R] a interjeté appel dans les formes et délais prescrits de ce jugement qui lui a été notifié le 26 janvier 2021, aux fins d'infirmation du jugement en toutes ses dispositions.

Aux termes des dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le

31 janvier 2024, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

A titre principal,

- Constater que son consentement a été vicié par violence, dol ou erreur ;

- Condamner la Société Robert Bosch France à lui verser des dommages et intérêts en réparation des préjudices qu'elle a subi de ce fait et de les fixer à 100 000,00 euros

nets ;

A titre subsidiaire,

- Condamner la Société Robert Bosch à des dommages et intérêts au titre de la perte de chance de bénéficier d'une offre de reclassement : 80 000,00 euros nets ;

En tout état de cause,

- Condamner la Société Robert Bosch à des dommages et intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat de travail: 15 000,00 euros nets ;

- Condamner la Société Robert Bosch à des dommages et intérêts en réparation de la discrimination dont Mme [R] a été victime : 30 000,00 euros ;

- Débouter la société Robert Bosch France de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions

- Dire que les condamnations porteront intérêts de droit à compter du jour de la

demande ;

- Condamner la société Robert Bosch France à verser à Mme [R] la somme de 3 000,00 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, outre aux entiers dépens.

Selon les dernières conclusions de son avocat remises au greffe de la cour le 12 février 2024, la société Robert Bosch France demande à la cour de :

- Constater le respect par la société Robert Bosch France de l'ensemble de ses obligations légales et conventionnelles ;

- Constater la validité de l'avenant d'adhésion au dispositif de préretraite conclu par Mme [R] le 30 mars 2017 ;

En conséquence,

- Confirmer le jugement dont appel ;

- Débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes ;

- La condamner au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens des parties il est fait expressément référence au jugement entrepris et aux conclusions des parties sus-visées.

MOTIFS DE LA DÉCISION

- Sur la nullité du contrat de suspension du temps de travail

A) Sur la nullité à raison d'un dol et d'une violence

La salariée soutient qu'elle n'a accepté de signer l'avenant suspendant son contrat de travail et la plaçant en retraite anticipée que suite aux pressions et aux man'uvres exercées sur elle par son employeur.

Sur la violence, la salariée soutient que l'employeur a exploité son état de dépendance économique, afin de contraindre son consentement.

La salariée expose que :

- la société lui a, à maintes reprises, indiqué que si elle refusait d'adhérer au dispositif de « préretraite », malgré la perte de revenus qu'elle allait subir, elle serait nécessairement licenciée au 31 décembre 2017 ;

- cet état de fait ressort tant du courrier du 25 novembre 2016, que de la note adressée par la direction aux collaborateurs le 1er mars 2017, dans le cadre desquels la société emploie le futur de l'indicatif en menaçant la salariée, outre les autres salariés les plus âgés de la société, d'un licenciement s'ils refusaient le départ en « préretraite » ;

- la pression exercée alors sur elle par la société est d'autant plus condamnable que l'entreprise était parfaitement consciente de la précarité économique dans laquelle elle se trouvait compte tenu de ses multiples alertes sur sa situation ;

- la société s'est exemptée de toute information des salariés concernés par ce plan, notamment s'agissant de son obligation de reclassement ;

Sur le dol, la salariée soutient que la société a en outre effectué des man'uvres afin de surprendre son consentement :

La salariée fait valoir que :

- la société lui a sciemment dissimulé le fait que si une procédure de licenciement économique était engagée à son encontre, elle serait nécessairement contrainte de respecter son obligation de reclassement dans le Groupe auquel elle appartient ;

- la société est restée volontairement floue à ce sujet sans jamais indiquer explicitement à la concluante que si elle refusait d'adhérer au plan de départ anticipé à la retraite, elle ferait certes l'objet d'une procédure de licenciement économique, mais non sans bénéficier de recherches de reclassement ;

- jusqu'à son adhésion effective, la société a systématiquement seulement fait mention du licenciement envisagé ;

- les « Notes de Direction » ou encore « Notes aux collaborateurs », communiquées en première instance sont totalement taisantes sur les possibilités de reclassement des salariés éligibles à la préretraite, à défaut d'adhésion au plan de départ anticipé ;

- quant au 'point d'orientation conseil' animé par un cabinet externe, rien n'établit de manière certaine que ce cabinet ait pris le soin d'exposer aux salariés concernés par le plan de retraite anticipée toutes leurs options, notamment celle du reclassement en cas de refus d'adhésion ;

- la société a entériné ses manoeuvres frauduleuses à l'égard de ses employés en arguant de difficultés économiques inexistantes afin de justifier la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi et de proposer à ses salariés des plans de départ à la retraite anticipés.

La société fait observer en réponse que le plan de sauvegarde de l'emploi a fait l'objet de la plus large concertation et a été porté à la connaissance de l'ensemble des parties prenantes, institutions représentatives du personnel, organisations syndicales, DIRRECTE, collectivité des salariés et la salariée elle-même.

La société expose que :

- le comité central d'entreprise et le CHSCT du site de [Localité 5] ont chacun pour leur part désigné le cabinet Syndex en qualité d'expert, qui a rendu ses rapports les

9 et 12 décembre 2016 ;

- le comité central d'entreprise, le comité d'établissement et le CHSCT ont rendu leurs avis courant janvier 2017, sur le projet de cessation de l'activité de production des éléments de pompe en ligne du site ;

- parallèlement, elle a engagé des négociations avec les organisations syndicales représentatives dans l'entreprise, lesquelles ont abouti à la conclusion, le

12 octobre 2016 d'un accord signé à l'unanimité et à un avenant le 16 février 2017 ;

- ces accords ont été validés par la DIRECCTE le 27 février 2017 et notamment en ce que le PSE contenu dans l'accord collectif unanime comporte un dispositif de départ anticipé à la retraite, au moyen d'une suspension de contrat de travail, avec une rémunération brute égale à 80% du salaire de référence destiné aux salariés susceptibles de bénéficier d'une retraite à taux plein et au plus tard 60 + mois après le 31/12/17 (...).

S'agissant de l'information des salariés, la société expose que :

- le 13 octobre 2016, une note d'information a été adressée aux salariés qui précisait, en plus des éléments relatifs au dispositif de préretraite, des mesures d'accompagnement pour le reclassement ;

- dès le17 octobre 2016, les partenaires sociaux ont convenu de mettre en place, pour l'accompagnement des salariés : un point d'orientation conseil animé par le cabinet Sodie, spécialisé dans le reclassement professionnel, et un point d'orientation conseil retraite animé par le cabinet Oasis ;

- contrairement à ce qui est soutenu par la salariée, la société n'est débitrice d'aucune obligation légale d'information individuelle des salariés ;

- il ne saurait lui être reproché d'avoir distingué dans le cadre de l'information diffusée aux salariés les procédures de cessation anticipée d'activité et de licenciement dont les objets, les bénéficiaires, les modalités et les risques diffèrent ;

- elle a adressé le 25 novembre 2016 une lettre circulaire à l'ensemble des salariés susceptibles de bénéficier du dispositif de préretraite, les informant de la possibilité dont ils disposaient d'adhérer audit dispositif ;

- une note d'information a été adressée le 1er mars 2017 à l'ensemble des collaborateurs de la société afin de les tenir informés de l'avancement de la procédure ;

- elle n'a jamais dissimulé aux salariés la mise en oeuvre d'un plan de reclassement.

S'agissant de la situation de Mme [R] en particulier, la société soutient que :

- dés le 17 novembre 2016, la salariée a bénéficié d'un rendez-vous avec la direction concernant le calcul de son salaire de référence pour l'allocation de préretraite, manifestant ainsi dés le début de la procédure, son intérêt pour ce dispositif, puis d'un second rendez-vous ;

- par courrier du 25 novembre 2016, soit postérieurement aux manifestations d'intérêt de la salariée pour le dispositif de retraite, elle a, conformément aux dispositions du PSE, adressé à la salariée, un courrier l'informant de la possibilité de bénéficier du

dispositif ;

- par courrier du 10 mars 2017, elle a interrogé la salariée sur ses intentions en matière de reclassement à l'étranger, courrier auquel la salariée n'a pas apporté de réponse ;

- quinze jours plus tard, Mme [R] a sollicité auprès de la direction des ressources humaines l'organisation d'un rendez-vous pour signature de son avenant d'adhésion au dispositif de préretraite signé le 30 mars 2017.

****

La lettre circulaire du 25 novembre 2016, adressée à chaque salarié, dont Mme [R], après avoir rappelé les quatre conditions cumulatives exigées pour pouvoir bénéficier du dispositif de préretraite dans le cadre du plan de départ anticipé à la retraite par suspension du contrat de travail, indique :

'(...)

Compte tenu de votre âge et de votre ancienneté au sein de notre entreprise, il semblerait que vous puissiez bénéficier du dispositif de départ anticipé à la retraite pour une durée maximale de 63 mois avec une éligibilité en 2017.

Ainsi, dans cette hypothèse, votre demande de départ anticipé devrait être formulée auprès du service des ressources humaines avant le 31 mars 2017.

Passé ce délai, les personnes qui seraient éligibles au dispositif de préretraite pour une durée maximum de 63 mois et qui ne choisiraient pas se verraient notifier un licenciement au plus tard le 31 décembre 2017. Dans ce cadre, seule l'indemnité conventionnelle de licenciement leur serait versée et non les indemnités complémentaires liées à l'âge et à l'ancienneté prévue par le plan de sauvegarde de l'emploi.

(...).

La salariée soutient que ce courrier serait constitutif d'une violence ou de pression dès lors qu'il ne lui aurait été laissé aucun choix entre le départ anticipé à la retraite et le licenciement, et qu'elle n'aurait pas reçu une information suffisante sur l'obligation de reclassement de l'employeur.

Il apparaît cependant qu'elle a été destinataire, comme chacun des collaborateurs de la société, d'une note d'information datée du 1er mars 2017 rappelant d'une part les dates limites de dépôt des candidatures à la préretraite, d'autre part, que le point d'orientation conseil accompagnera d'abord les salariés dans la recherche d'un reclassement interne conformément aux dispositions prévues dans l'accord PSE.

Cette note précisait que même si la recherche de reclassement portera en priorité sur les emplois en France, un courrier recommandé sera envoyé vers le 10 mars 2017 aux salariés qui n'auront pas fait acte de candidature à la pré retraite et dont le poste est supprimé, en vue de recenser leur intérêt pour un poste de reclassement à l'étranger.

Mme [R], qui était dans ce cas de figure, a bien reçu ce courrier daté du

10 mars 2017, l'interrogeant sur ses intentions en matière de reclassement à l'étranger dans le cadre de son éventuel licenciement pour motif économique.

Ainsi, Mme [R] a été informée que le choix qui s'offrait à elle était soit d'adhérer au dispositif de départ anticipé à la retraite, soit de faire l'objet d'un licenciement économique impliquant nécessairement la mise en oeuvre de l'obligation de reclassement, dès lors qu'il résulte des dispositions de l'article L.1233-4 du code du travail que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. (...).

Et le contrôle de la Direccte porte précisément sur l'intégration, dans le plan de sauvegarde de l'emploi, d'un plan de reclassement visant à faciliter le reclassement des salariés dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment celui des salariés âgés ou présentant des caractéristiques spéciales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, conformément aux dispositions de l'article L. 1233-61 du code du travail.

La Direccte ayant validé le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi, la salariée n'est pas fondée à soutenir que la société se serait sciemment abstenue de toute information relative à son obligation de recherche de reclassement.

Par ailleurs, l'obligation de reclassement s'inscrit dans la procédure de licenciement, de sorte que la salariée qui a décidé d'opter pour un départ anticipé à la retraite par suspension de son contrat de travail le 31 mars 2017 n'est pas davantage fondée à reprocher à la société de ne lui avoir adressé aucune offre interne de reclassement ou au sein du groupe Bosch.

Il en résulte que l'adhésion de Mme [R] au dispositif de départ anticipé à la retraite n'a été obtenue ni par violence, ni par aucune manoeuvre frauduleuse.

La salariée soulève à titre subsidiaire la nullité de son consentement à raison d'une erreur.

La salariée expose que si par impossible la Cour ne reconnaissait ni l'existence d'un dol, ni d'une violence ayant vicié son consentement, elle devra, à tout le moins, constater l'existence d'une erreur commise par les parties dans la formation du contrat, la société Robert Bosch ne connaissant en réalité aucune difficulté économique lors de la mise en place de son plan de sauvegarde de l'emploi.

Elle invoque son préjudice matériel et moral résultant de la diminution de ses revenus pendant la période de suspension de son contrat de travail, et la précarité de sa situation dont l'employeur n'ignorait rien compte tenu de ses multiples alertes à ce sujet.

La société fait valoir en réponse que la remise en cause du motif économique du projet est un débat dénué de portée et conclut au rejet des demandes de la salariée sur ce fondement.

****

La salariée conteste l'existence des difficultés économiques invoquées par la société lors de la mise en place du PSE, mais n'apporte dans le débat aucun élément que ce soit sur la suppression, la transformation ou la modification d'un élément substantiel d'un contrat de travail refusée par les salariés, ou encore sur les indicateurs économiques visés par l'article L. 1233-3 du code du travail permettant d'apprécier la réalité des difficultés économiques de la société.

Le jugement doit par conséquent être confirmé en ce qu'il a jugé que la salariée avait adhéré librement et volontairement au dispositif contractuel de préretraite et en ce qu'il a validé l'avenant d'adhésion au dispositif en question ainsi que l'avenant de suspension du contrat de travail de la salariée.

- Sur les demandes de dommages-intérêts

1°) au titre du non-respect de l'obligation précontractuelle d'information

La salariée soutient, au visa des dispositions de l'article 1112-1 du Code Civil, que la société n'a pas rempli son obligation précontractuelle d'information, et lui a ainsi fait perdre la chance de bénéficier d'un reclassement.

Elle soutient qu'en omettant de l'informer de ce qu'elle aurait pu bénéficier d'offres de reclassement interne ou à l'échelle du groupe dans le cas d'une procédure de licenciement économique mise en oeuvre à son encontre, la société lui a caché une information prépondérante et lui a fait perdre une chance de bénéficier d'une offre de reclassement.

La société rejette cette argumentation en faisant valoir :

- d'une part, que la salariée ne rapporte pas la preuve de l'obligation d'information sur laquelle elle entend se fonder ;

- d'autre part, et en tout état de cause, qu'elle a parfaitement respecté ses obligations d'information légales et conventionnelles à l'égard de la salariée.

****

L'article 1112-1 du Code Civil dispose :

« Celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant.

Néanmoins, ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation.

Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.

Il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie.

Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir.

Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants. ».

Au terme des développements ci-avant, il ne résulte pas des débats que la société aurait retenu une information ignorée de la salariée, ni que cette information aurait eu une importance déterminante pour le consentement de la salariée.

2°) au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée soutient au visa des dispositions de l'article L 1222-1 du code du travail et de l'article 1231-1 du code civil, que la société a exercé des violences sur sa personne en parfaite connaissance de cause de la précarité de sa situation financière, qu'elle a décrit fallacieusement des difficultés économiques inexistantes pour justifier la mise en place d'un PSE et qu'elle lui a sciemment dissimulé des informations importantes sur le bénéfice d'un reclassement.

En l'absence de vice du consentement ayant entaché l'adhésion de la salariée au plan de départ anticipé à la retraite et de remise en cause sérieuse des difficultés économiques invoquées à l'appui du plan de sauvegarde de l'emploi, la salariée n'est pas fondée en sa demande d'indemnisation au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail.

3°) au titre de la discrimination

La salariée soutient qu'en lui dissimulant, ainsi qu'aux autres salariés âgés de la société, l'existence d'une procédure de reclassement, la société a contraint ses salariés âgés à accepter leur préretraite, ce qui caractérise une discrimination fondée sur l'âge par le plan de mise à la retraite anticipée.

La société fait valoir en réponse que le plan de sauvegarde de l'emploi peut prévoir de mesures distinctes suivant les catégories de salariés à condition que :

- tous les salariés de l'entreprise placés dans une situation identique puissent bénéficier de l'avantage accordé,

- et que les règles déterminant les conditions d'attribution de cet avantage soient préalablement définies et contrôlables.

****

Le principe de non discrimination en raison de l'âge n'est pas applicable à la rupture d'un contrat de travail résultant de l'adhésion volontaire d'un salarié à un dispositif de pré-retraite prévu par un accord collectif et la salariée n'établit pas la rupture d'égalité entre tous les salariés âgés de la société au regard de la mise en oeuvre du plan de départ anticipé.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ses demandes indemnitaires.

- Sur les demandes accessoires

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens et en ce qu'il a rejeté toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les parties conserveront en outre la charge de leurs propres dépens d'appel.

L'équité et la situation économique respective des parties justifient qu'il ne soit pas fait application de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Statuant contradictoirement et publiquement par mise à disposition au greffe, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;

Dans la limite de la dévolution,

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais d'appel ;

CONDAMNE chacune des parties au paiement des dépens à proportion de ceux engagés par chacune, tant en appel qu'en première instance.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE