CA Amiens, 1re ch. civ., 14 mai 2024, n° 23/00517
AMIENS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Avocats :
SCP LEQUILLERIER - GARNIER, SCP LEBEGUE DERBISE
EXPOSE DU LITIGE
M. [I] [X], propriétaire d'une maison à [Localité 4] (60), [Adresse 1], a demandé à 'BMF Rénovation' (M. [G] [D] [C] [S], artisan) la pose d'un carrelage au rez-de-chaussée et à l'étage de sa maison, selon devis accepté du 3 juillet 2013, pour un montant de 11 650 €.
Le carrelage et la colle ont été fournis par M. [X].
Les travaux ont été réalisés sur la seconde partie du mois de juillet 2013.
Un procès-verbal de réception, avec de nombreuses réserves, notamment la réserve 'défaut généralisé de pose', a été régularisée entre les parties le 10 avril 2014.
A la diligence de l'assureur de M. [X], une expertise amiable a mis en évidence un défaut de planéité de la surface carrelée non supérieur à 3 mm, dû à l'utilisation d'une colle inadaptée à la présence d'un plancher chauffant.
Sur assignation du 1er avril 2016 de M. [X], M. [Z] a été désigné par ordonnance de référé en qualité d'expert judiciaire.
Ce dernier a déposé son rapport le 21 avril 2017, préconisant la réfection totale de l'ouvrage pour 67 474 € TTC, et chiffrant le préjudice à la somme de 74574 € TTC en incluant le démontage-remontage des meubles bas de la cuisine (4 000 €) et l'hébergement en gîte pour 6 semaines des demandeurs (2 100 €). Selon l'expert, M. [C] [S] aurait dû refuser d'intervenir avec une colle simple encollage et prévoir des joints plus larges.
M. [X] a assigné M. [G] [C] [S] le 21 février 2020 devant le tribunal judiciaire de Senlis, lequel a mis en cause son assureur, la société Générali Iard, sollicitant :
-les sommes proposées par l'expert : 67 474 € TTC pour la réfection du carrelage, 4 000 € pour le démontage-remontage des meubles bas de la cuisine et 2 100 € pour l'hébergement en gîte pour 6 semaines,
-outre 5 496 € pour le déménagement et le retour des meubles, 954 € pour le gardiennage des meubles, 19 200 € en réparation d'un préjudice d'agrément, et 50 000 € pour un préjudice moral.
Par jugement du 15 novembre 2022, le tribunal de Senlis a :
-rejeté l'exception de prescription biennale soulevée par M. [C] [S] sur le fondement de la garantie biennale de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du code civil,
-déclaré prescrite la demande reconventionnelle en paiement de la facture,
-déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de M. [C] [S] contre son assureur, la société Générali Iard, -dit que M. [C] [S] engage sa responsabilité contractuelle au titre de la pose du carrelage,
-condamné M. [C] [S] à payer à M. [X] la somme de 78 574 € se décomposant comme suit :
- 67 474 € TTC pour la réfection du carrelage,
- 4 000 € pour le démontage-remontage des meubles bas de la cuisine,
- 2 100 € pour l'hébergement en gîte pour 6 semaines,
- 1000 € pour le déplacement des meubles,
- 1 000 € en réparation d'un préjudice d'agrément,
- et 3 000 € pour le préjudice moral,
-débouté M. [X] du surplus de ses demandes,
-condamné M. [C] [S] aux dépens avec distraction pour Maître Priem,
- condamné M. [C] [S] à payer la somme de 2 000 € à M. [X] au titre de ses frais irrépétibles, -Condamné M. [C] [S] à payer celle de 1 000 € à la société Générali Iard au même titre.
Par déclaration du 19 janvier 2023, M. [C] [S] a relevé appel de ce jugement, contre M. [X] uniquement, sur tous les chefs du jugement exceptés ceux qui concernent Générali Iard.
Par conclusions notifiées le 13 avril 2023, M. [C] [S] demande à la cour de :
-'infirmer le Jugement entrepris en toutes ses dispositions',
-'dire et juger l'action introduite par M. [X] irrecevable, car prescrite à compter du 1er août 2015, en application de l'article 1792-3 du code civil',
-condamner M. [X] en tous les dépens, outre une indemnité de 2 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon conclusions notifiées le 21 novembre 2023, M. [X] sollicite de la cour de voir :
-déclarer irrecevable et mal fondé l'appel de M. [C] [S] à l'encontre du jugement, -confirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,
-débouter M. [C] [S] de toutes ses demandes, 'aucune prétention n'étant formée par M. [C] [S] à l'encontre de M. [X] en appel',
-à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour s'estimait saisie, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
-débouter M. [C] [S] de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
-condamner M. [C] [S] à payer à M. [X] la somme de 4 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens.
L'instruction a été clôturée le 13 décembre 2023.
M. [X] soutient que les conclusions de M. [C] [S] telles qu'elles sont exprimées ne saisissent la cour d'aucune demande de sorte que, la cour ne devant et ne pouvant statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif de celles-ci (article 910- 4 et 954 du code de procédure civile), ce qui est exact, la cour ne pourrait que confirmer le jugement.
La question est donc de savoir si les conclusions ainsi formulées saisissent la cour d'une prétention :
-'infirmer le Jugement entrepris en toutes ses dispositions',
-'dire et juger que l'action introduite par M. [X] irrecevable, car prescrite à compter du 1er août 2015, en application de l'article 1792-3 du code civil'.
L'irrecevabilité de l'action entraîne que le juge ne peut trancher le fond, ne peut faire droit à la demande ou aux demandes. Les demandes de M. [X] s'arrêteraient au stade de l'irrecevabilité sans pouvoir être accueillies et la cour devrait infirmer le jugement sur le fond.
L'usage de la formule 'dire et juger' signifie qu'il est demandé à la cour de déclarer l'action de M. [X] irrecevable, ce qui entraînerait l'infirmation du jugement sur les chefs de condamnation, ce qui est expressément demandé (- 'infirmer le Jugement entrepris en toutes ses dispositions').
La cour est donc bien saisie d'une prétention.
Le moyen doit être rejeté.
- Sur l'absence de demande dans les conclusions de M. [C] [S].
2. Sur la qualification des travaux et la prescription biennale.
M. [C] [S] soutient que la pose de carrelage relevait des 'autres éléments d'équipement de l'ouvrage' de l'article 1792-3 du code civil, par opposition aux 'éléments d'équipement formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages...' de l'article 1792-2 du même code, dont la garantie est réduite à deux ans, observant en outre que la famille a vécu huit ans dans les lieux sans dommage apparent, et que les défauts de planimétrie sont mineurs.
Aux termes du premier de ces textes, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Aux termes du deuxième, la présomption de responsabilité établie par l'article 1792 s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un bâtiment, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert. Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage.
Aux termes du troisième, les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception.
La loi ne donne aucune définition de la notion d'ouvrage. Le Vocabulaire juridique le définit ainsi : « Terme générique englobant non seulement les bâtiments mais tous les édifices et plus généralement toute espèce de construction, tout élément concourant à la constitution d'un édifice par opposition aux éléments d'équipement » ([N] [U], Vocabulaire juridique, assoc. [Y] [E], Puf, 7e éd., 2005).
Selon M. [H] (Dalloz action, droit de la construction, no 473.90 et suivants), trois conditions sont requises pour qu'il y ait ouvrage au sens de 1792 :
- l'ouvrage doit résulter d'un contrat de louage d'ouvrage ; - l'ouvrage doit être de nature immobilière ;
- l'ouvrage doit être un ouvrage de construction.
En l'espèce, les désordres ont été réservés à la réception. Ils sont en outre sans conséquence sur le gros 'uvre et la structure du bâtiment. Bien qu'étendus, ils ne compromettent pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rendent impropre à sa destination. L'expert n'a d'ailleurs évoqué qu'un ragréage « éventuel », étant en tout état de cause observé que le ragréage n'est qu'une opération simple de préparation du support par lissage.
Il a été jugé que les dallages ne constituent pas des éléments d'équipement soumis à la garantie de bon fonctionnement de l'article 1792-3 du code civil, et que la demande en réparation des désordres les affectant, lorsqu'ils ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ou n'affectent pas sa solidité, ne peut être fondée, avant comme après réception, que sur la responsabilité contractuelle de droit commun (Civ. 3, 13 février 2013, n°12-12016).
Vu les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 du code civil,
Ils relèvent donc de la responsabilité contractuelle de droit commun, comme l'a jugé à bon droit le premier juge.
Le jugement doit être confirmé sur ce point.
A la demande de l'intimé, il convient donc de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, étant précisé que M. [C] [S] n'a pas contesté, à titre subsidiaire, les montants retenus par le premier juge.
3. Sur les demandes accessoires relatives aux dépens et aux frais non compris dans les dépens.
Le jugement est être confirmé. Les dépens d'appel seront mis à la charge de M. [C] [S] partie perdante, ainsi qu'une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile telle que fixée au dispositif.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort,
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Senlis le 15 novembre 2022 en toutes ses dispositions,
Condamne M. [G] [C] [S] aux dépens d'appel et à payer la somme de 1 000 € à M. [I] [X] en application de l'article 700 du code de procédure civile.