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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 6, 31 mai 2024, n° 21/15450

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

SMABTP (Sté)

Défendeur :

MUTUELLE DES ARCHITECTES FRANCAIS - MAF (Sté), IDEES D'ARCHITECTES (SARL), ELITE INSURANCE COMPANY LIMITED (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme GUILLAUDIER

Conseillers :

Mme TARDY, Mme SZLAMOVICZ

Avocat :

SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES

TJ Paris, du 29 juin 2021

29 juin 2021

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

M. et Mme [H], en qualité de maîtres d'ouvrage, ont entrepris en 2012 des travaux de surélévation de leur maison individuelle, située au [Adresse 4] à [Localité 9].

Ils ont confié les travaux à la société Ardeco, assurée auprès de la SMABTP, sous la maîtrise d''uvre de la société Idées d'Architectes, assurée auprès de la MAF.

M. et Mme [H] ont souscrit une police d'assurance dommages-ouvrage auprès de la société Elite Insurance.

Les travaux ont débuté le 27 février 2012, et ont été réceptionnés avec réserves le 9 janvier 2013. Les réserves ont été levées le 3 octobre 2013.

Le 9 septembre 2014, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé le redressement judiciaire de la société Ardeco, puis le 11 janvier 2017 sa liquidation judiciaire.

M. et Mme [H] ont déploré des traces d'humidité sur les murs des combles. Le sinistre a été déclaré à la société Elite Insurance le 8 mars 2016.

La société ACS Solutions, agissant au nom et pour le compte de la société Elite Insurance, a missionné le cabinet d'expertise Eurisk pour procéder à un examen des désordres, en rechercher les causes, et les moyens d'y remédier.

L'expert amiable a conclu à l'existence de malfaçons et non-conformités présentes sur la totalité de la couverture du pavillon et la nécessité de travaux de reprise à hauteur de 61 292 euros, comprenant notamment la réfection générale de la couverture.

La société Elite Insurance a demandé à la société CGM Economiste de procéder à la vérification des coûts de reprise des désordres. L'économiste a déposé un rapport le 8 mars 2017.

Le 1er juin 2017, l'expert amiable a arrêté à 61 292 euros TTC le quantum définitif du coût des réparations après vérification par l'économiste de la construction.

Le 8 juin 2017, la SMABTP a informé la société ACS Solutions qu'elle ne ferait pas droit à un recours éventuel.

Le 6 juillet 2017, la société ACS Solutions a présenté auprès de la SMABTP le recours dommages-ouvrage pour le compte de la société Elite Insurance pour la somme de 63 113 euros : 61 292 euros correspondant à l'indemnité versée à M. et Mme [H] en vue de la réfection générale de la couverture, 1 536 euros TTC correspondant à la mesure conservatoire de bâchage de la couverture par la société JML Entreprise et 285 euros correspondant à la note d'honoraires de la société CGM Economiste.

La société ACS l'a relancée le 14 septembre 2017, puis le 15 novembre 2017.

Par courrier du 20 décembre 2017, la SMABTP a réitéré son refus de faire droit au recours de la société Elite Insurance.

Par acte d'huissier en date du 30 août 2019, la société Elite Insurance a assigné la SMABTP devant le tribunal de grande instance de Paris. Par acte d'huissier du 31 octobre 2019, la SMABTP a assigné en garantie la société Idées d'Architectes et la MAF.

Les affaires ont été jointes.

Par décision du 11 décembre 2019 la Cour suprême de Gibraltar a placé la société Elite Insurance sous administration et a désigné en qualité d'administrateurs conjoints M. [M] [I] et M. [X] [G]. Les administrateurs sont intervenus volontairement à l'instance.

Par jugement en date du 29 juin 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué en ces termes :

- rejette la demande de rabat de clôture de la SMABTP ;

- dit que les demandes de la société Elite Insurance sont recevables ;

- rejette la fin de non-recevoir soulevée par la MAF ;

- dit que la société Elite Insurance est subrogée dans les droits de ses assurés ;

- dit que le désordre affectant la toiture relève de la garantie décennale au sens de l'article 1792 du code civil ;

- dit que le désordre est imputable à la société Ardeco ;

- dit que la société Ardeco est responsable de plein droit ;

- dit que la SMABTP doit sa garantie à la société Ardeco ;

- condamne la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 63 113 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

- ordonne la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;

- rejette la demande de condamnation formulée par la SMABTP à l'encontre de la MAF et de la société Idées d'Architectes ;

- rejette la demande de condamnation formulée par la société Elite Insurance à l'encontre de la SMABTP au titre de la résistance abusive ;

- condamne la SMABTP aux dépens ;

- condamne la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamne la SMABTP à verser à la société MAF la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- prononce l'exécution provisoire.

Par déclaration en date du 10 août 2021, la SMABTP a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d'appel de Paris la société Elite Insurance, M. [M] [I], M. [X] [N] [G], la société MAF et la société Idées d'Architectes.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 juillet 2022, la SMABTP demande à la cour de :

In limine litis

- annuler le jugement dont appel pour défaut de respect du contradictoire,

- prononcer la nullité de l'exploit introductif d'instance,

- débouter la société Elite Insurance de toutes ses demandes,

A défaut,

- réformer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a écarté toute résistance abusive de la SMABTP, avec toutes les conséquences de droit et en conséquence,

- débouter la société Elite Insurance, M. [M] [I] et M. [X] [N] [G] de leur appel incident,

A titre principal

- juger que les rapports d'expertise amiable ne sont pas suffisants pour établir la responsabilité de la société Ardeco,

- juger que la société Elite Insurance ne produit pas l'intégralité du contrat ' signé du souscripteur - qui pourrait justifier de sa qualité d'assureur dommages-ouvrage,

- juger que la société Elite Insurance ne produit pas la moindre preuve comptable d'un paiement qui pourrait justifier de sa qualité de subrogée,

- juger que la société Elite Insurance ne justifie pas avoir versé le moindre euro à qui que ce soit,

- juger que la société Elite Insurance ne peut donc prétendre avoir un quelconque intérêt ou qualité pour agir à l'encontre de la SMABTP,

- juger que la société Elite Insurance n'est aucunement subrogée dans les droits du bénéficiaire de la police dommages- ouvrage à l'égard des indemnités consenties,

- juger qu'il incombe au maître de l'ouvrage qui agit sur le fondement de l'article 1792 du code civil de rapporter la preuve que les conditions d'application de ce texte sont réunies,

- juger que la société Elite Insurance ne peut pas avoir plus de droits que le créancier originaire,

- débouter, en conséquence, et en toute hypothèse, la société Elite Insurance de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions, notamment de son appel incident,

Subsidiairement

- condamner le cabinet Idées d'Architectes et son assureur la société MAF conjointement et solidairement ou à défaut in solidum, à relever intégralement la SMABTP de toutes condamnations qui pourraient intervenir à son encontre, en principal, intérêts, frais et accessoires, au profit d'Elite Insurance,

En toute hypothèse

- condamner la société Elite Insurance à verser à la SMABTP une somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Elite Insurance aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction de ces derniers au profit de Maître Sarra Jougla, avocat aux offres de droit, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 9 novembre 2022, la société Elite Insurance, représentée par ses administrateurs, M. [M] [I] et M. [X] [N] [G], demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 29 juin 2021 en ce qu'il :

- condamne la SMABTP à verser à la compagnie Elite Insurance la somme de 63 113 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

- rejette la demande de condamnation formulée par la compagnie Elite Insurance à l'encontre de la SMABTP au titre de la résistance abusive,

- le confirmer en toutes ses autres dispositions ;

- rejeter par conséquent l'appel principal de la SMABTP comme étant mal fondé ;

Et, statuant à nouveau et procédant à cette occasion à la rectification d'erreur matérielle qui s'impose :

- condamner la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 65 726,02 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter du 6 juillet 2017 ;

- condamner la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- rejeter toutes autres prétentions dirigées à l'encontre de la société Elite Insurance sous administration et/ou de ses administrateurs ;

- condamner encore la SMABTP ou toute succombante à payer à la société Elite Insurance la somme de 2 800 euros au titre de ses frais irrépétibles d'appel en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la SMABTP ou toute succombante aux entiers dépens de l'instance d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 3 novembre 2022, la société MAF et la société Idées d'Architectes demandent à la cour de :

- dire la SMABTP non fondée en son appel,

- juger que les conditions de nature à engager la responsabilité de la société Idées d'Architectes ne sont pas démontrées ;

- débouter la SMABTP de son appel en garantie formulé tant à l'encontre de la société Idées d'Architectes qu'à l'encontre de la société MAF, recherchée en qualité d'assureur de la société Idées d'Architectes ;

- confirmer le jugement du 29 juin 2021 en ce que la SMABTP a été déboutée de son appel en garantie à l'encontre de la société Idées d'Architectes et de la société MAF recherchée en qualité d'assureur de la société Idée d'Architectes :

En tout état de cause :

- juger la société MAF recevable et bien fondée à opposer le cadre et les limites de la police d'assurance, dont sa franchise contractuelle ;

Réponse de la cour :

- rejeter toute demande de condamnation qui excèderait le cadre et les limites de sa police d'assurance, dont sa franchise contractuelle ;

Pour le surplus

- rejeter toutes demandes, fins et conclusions en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société MAF et de la société Idées d'Architectes ;

- condamner la SMABTP ou tout autre succombant au paiement d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner les mêmes aux entiers dépens dont distraction sera faite, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 15 février 2024.

MOTIVATION

Sur l'annulation du jugement

Moyens des parties :

La SMABTP sollicite l'annulation du jugement en ce qu'elle n'a pu conclure au fond devant le tribunal judiciaire, en violation du principe de contradiction.

Les autres parties ne concluent pas sur ce point.

Selon l'article 542 du code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la cour d'appel.

L'article 16 du code de procédure civile dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui- même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

En l'espèce, la société Elite Insurance a assigné la SMABTP devant le tribunal de grande instance de Paris par acte d'huissier en date du 30 août 2019, et par acte d'huissier du 31 octobre 2019, la SMABTP a assigné en garantie la société Idées d'Architectes et la MAF. Les affaires ont été jointes. Les sociétés MAF puis Elite Insurance ont conclu les 19 octobre 2020 et 4 janvier 2021, et l'instance a été clôturée le 4 mars 2021 sans que la SMABTP ait répondu.

La SMABTP n'explique pas les motifs qui l'auraient empêchée de conclure en réponse à la demanderesse principale alors qu'elle a été assignée le 30 août 2019 et que la clôture a été prononcée le 4 mars 2021, de même qu'elle n'indique pas pour quel motif elle aurait été empêchée de répondre aux conclusions de la société MAF en date du 19 octobre 2020, ou à celles de la société Elite Insurance le 4 janvier 2021, pas plus qu'elle ne justifie avoir sollicité le renvoi pour répondre aux conclusions avant que la clôture ne soit prononcée. Son absence de réponse aux conclusions adverses n'apparaît donc résulter que de son inertie, et non d'un empêchement impérieux de conclure dans les délais de la procédure.

Par conséquent, c'est à bon droit, et sans violation du principe de contradiction, que les premiers juges ont prononcé la clôture le 4 mars 2021 et refusé de rabattre celle-ci.

La cour rejette la demande d'annulation du jugement.

Sur les exceptions de procédure soulevées par la SMABTP

Moyens des parties :

La SMABTP soutient que le jugement plaçant la société Elite Insurance sous administration n'est pas exécutoire faute d'exequatur et de production du certificat conforme à l'annexe 1 de l'article 53 du règlement n° 1215-2012 du Parlement européen et du Conseil européen concernant la compétence judiciaire et que la société a délivré assignation sans son administrateur désigné en 2019 et qu'aucun des deux administrateurs n'est intervenu lorsque la liquidation a été prononcée, la procédure étant irrecevable.

Au visa de l'article 74 du code de procédure civile, la société Elite Insurance réplique que l'appel en garantie formé par la SMABTP avant de soulever des exceptions de procédure, qui constitue une défense au fond, rend ses exceptions irrecevables. Elle ajoute que l'accord de retrait du Royaume-Uni en date du 31 janvier 2020, a ouvert une période de transition jusqu'au 31 décembre 2020 au cours de laquelle le Royaume-Uni a continué à appliquer le droit européen, incluant la reconnaissance de plein droit dans l'Union européenne d'une procédure d'insolvabilité principale ouverte au Royaume-Uni pendant cette période, de sorte qu'aucune décision d'exequatur n'est requise. Elle précise que le 'Brexit' n'a pas entraîné l'annulation des contrats d'assurance. Enfin, elle fait observer que la décision de placement sous administration est intervenue après la délivrance de l'assignation de la SMABTP et que ses administrateurs sont intervenus volontairement par conclusions signifiées le 31 janvier 2020.

Réponse de la cour :

L'article 73 du code de procédure civile dispose que constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. L'article 74 précise que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir. Il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public.

Les moyens soulevés par la SMABTP, tirés de l'irrégularité de l'acte introductif d'instance délivré par la société Elite Insurance, constituent des exceptions de procédure.

Il est constant que la partie qui a appelé des tiers en garantie, ce qui constitue une défense au fond, est irrecevable à soulever ultérieurement une exception de procédure (Cass., 2e Civ., 12 avril 2012, n° 11-14.741).

En l'espèce, la SMABTP a été assignée par la société Elite Insurance par acte du 30 août 2019, et par acte d'huissier du 31 octobre 2019, la SMABTP a assigné en garantie la société Idées d'Architectes et la MAF, sans avoir préalablement soulevé les exceptions de procédure qu'elle fait valoir devant la cour.

Dès lors, ces exceptions sont irrecevables.

Sur les fins de non-recevoir soulevées par la SMABTP

Moyens des parties :

La SMABTP soulève plusieurs fins de non-recevoir tirées du caractère non contradictoire de l'expertise amiable et du défaut de qualité à agir de la société Elite Insurance d'une part car elle n'est pas l'assureur signataire du contrat d'assurance dommages-ouvrage et d'autre part car elle ne justifie pas du paiement subrogatoire.

La société Elite Insurance soutient que le rapport d'expertise diligentée à la demande de l'assureur dommages-ouvrage est une exception au principe selon lequel le juge ne peut se fonder sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande d'une partie puisque la procédure est prévue par les articles L. 242-1 et A. 243-1 du code des assurances. Elle fait valoir qu'elle verse les conditions générales et particulières du contrat d'assurance dommages-ouvrage. Elle précise que Elite Insurance Newton Chambers est sa succursale au Royaume-Uni, le siège social étant à Gibraltar, que cette succursale est dénuée de personnalité juridique et que la société ACS est son mandataire de gestion de sinistre. Enfin, elle soutient justifier du paiement subrogatoire fait aux époux [H].

Réponse de la cour :

L'article 122 du code de procédure civile énonce que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

1) Sur la fin de non-recevoir tirée du caractère non contradictoire de l'expertise amiable

En l'espèce, l'appréciation de la nécessité de corroborer l'expertise amiable non contradictoire établie par l'assureur dommages-ouvrage dans le cadre de la procédure de l'article L. 242-1 du code des assurances par d'autres éléments ne conditionne pas la recevabilité des demandes de la partie qui se prévaut de cette expertise amiable, mais leur bien fondé, de sorte que la fin de non-recevoir soulevée de ce chef par la SMABTP doit être rejetée.

2) Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Elite Insurance

Il résulte des pièces versées aux débats par la société Elite Insurance que les époux [H] ont signé les conditions particulières d'une police dommages-ouvrage proposée par la 'compagnie Elite Insurance Company Ltd' et que la signature de l'assureur est précédée de la mention 'apporteur : 44041 Kerjam Courtage', ce qui est un rappel de l'identité de l'apporteur du contrat mais non l'identité du signataire, puis la mention 'pour l'assureur' suivie d'une signature illisible et la précision en-dessous 'EISL - Elite Insurance Newton Chambers.' EISL est, des pièces produites, le mandataire de distribution de la société Elite Insurance, ce que la SMABTP ne conteste pas. La SMABTP soutient que le contrat a été conclu par une société Elite Insurance Newton Chambers, alors que la société Elite Insurance indique que ce nom n'est pas celui d'une personne morale mais celui de sa succursale au Royaume-Uni, dénuée de personnalité juridique.

Il appartient à la SMABTP, qui soulève la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Elite Insurance, d'en rapporter la preuve. Or, elle ne justifie pas que Elite Insurance Newton Chambers est la personne morale signataire du contrat et donc assureur dommages-ouvrage au bénéfice des époux [H] en lieu et place de la société Elite Insurance.

Par conséquent, cette fin de non-recevoir sera rejetée.

Quant à la fin de non-recevoir tirée du défaut de preuve du paiement subrogatoire, la société Elite Insurance verse à la procédure les justificatifs (ses pièces 2, 28, 29, 30 et 31) de ce que la société ACS Solutions, qui a effectué les paiements aux époux [H], pour lesquels ceux-ci ont signé deux quittances subrogeant la société Elite Insurance dans leurs droits, est son mandataire de gestion de sinistre habilité à effectuer les paiements d'indemnité pour son compte et que cette société, recevant des fonds de sa part, a indemnisé M. et Mme [H]. La société Elite Insurance justifie donc avoir effectué, par l'intermédiaire de son mandataire et pour son compte, le paiement subrogatoire établissant sa qualité à agir.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré la société Elite Insurance recevable à agir.

Sur le recours subrogatoire de la société Elite Insurance

Moyens des parties :

La société Elite Insurance fait valoir que la toiture du pavillon des époux [H] présentait des désordres la rendant impropre à son usage par défaut de couverture, et que ces désordres décennaux sont imputables à la société Ardeco en charge des travaux. Elle conteste leur caractère apparent et rappelle que ce caractère s'apprécie en la personne du maître d'ouvrage, ici profane. Elle sollicite la condamnation de la SMABTP, assureur de la société Ardeco, à lui verser la somme de 65 726,02 euros TTC représentant les travaux qu'elle a préfinancés ainsi que le bâchage conservatoire et les honoraires du cabinet Eurisk, expert amiable, et de la société CGM Economiste, intervenue en qualité d'économiste de la construction. Elle soutient que le tribunal a commis une erreur matérielle en indiquant que le coût du sinistre s'était élevé à la somme non discutée de 65 726,02 euros TTC mais en ne lui allouant dans le dispositif que la somme de 63 113 euros. Elle demande que le point de départ des intérêts soit fixé au 6 juillet 2017, date de son premier recours amiable contre la SMABTP.

La SMABTP réplique qu'il appartient à l'assureur dommages-ouvrage subrogé dans les droits du maître d'ouvrage de rapporter la preuve du caractère caché des désordres à la réception.

La société Elite Insurance fonde son recours sur l'action directe à l'égard de l'assureur du responsable, la société Ardeco, assurée par la SMABTP, étant en liquidation judiciaire.

1) Sur la rectification d'erreur matérielle

Selon l'article 462 du code de procédure civile, les erreurs et omissions matérielles qui affectent un jugement, même passé en force de chose jugée, peuvent toujours être réparées par la juridiction qui l'a rendu ou par celle à laquelle il est déféré, selon ce que le dossier révèle ou, à défaut, ce que la raison commande.

La requête en rectification d'erreur matérielle ne tend qu'à réparer les erreurs ou omissions matérielles qui affectent une décision et ne peut aboutir à une modification des droits et obligations reconnus aux parties dans la décision déférée.

En l'espèce, le tribunal a, dans les motifs de l'arrêt, estimé le coût global du sinistre subi par la société Elite Insurance à la somme de 65 726,02 euros TTC et ajouté que 'la SMABTP sera condamnée à verser cette somme à la compagnie Elite Insurance.' Or, par une erreur matérielle, dans le dispositif du jugement la SMABTP a été condamnée à payer une autre somme, de 63 113 euros, à la société Elite Insurance.

Par suite, l'arrêt est entaché d'une erreur matérielle dont il convient d'ordonner la rectification, conformément à ce qui précède.

2) Sur la nature des désordres, leur imputabilité et leur indemnisation

L'article 1792 du code civil dispose que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.

Il est constant que le caractère apparent d'un vice de construction s'apprécie au regard du maître d'ouvrage lui-même et pas du technicien qui l'assiste dans les opérations de réception. Il appartient au maître d'ouvrage qui se prévaut de la garantie décennale de rapporter la preuve de la réunion des conditions de celle-ci, et donc de prouver que le dommage n'était pas apparent (Cass., 3e Civ., 2 mars 2022, n° 21-10753).

En l'espèce, lors de la première visite de l'expert amiable du cabinet Eurisk ayant donné lieu à un rapport préliminaire le 3 mai 2016, celui-ci a constaté de l'humidité sur les murs de part et d'autre des fenêtres de toit et l'écaillage de la peinture dans la chambre et la cage d'escalier. Il a précisé ne pas constater d'anomalie de la toiture en zinc, 'inaccessible en l'absence de trappe de visite et de moyen d'accès sécurisé.'

Une seconde réunion d'expertise s'est tenue le 22 juin 2016 et a donné lieu au rapport d'expertise du 25 août 2016, par lequel l'expert indique qu'il a été procédé à des investigations par la société JML Entreprise qui a relevé de nombreuses malfaçons ou non-façons en toiture, dont :

- soudures des chatières inexistantes ou mal exécutées,

- pliage des joints debouts incomplets et siliconés en brisis,

- raccord cheminée grossièrement soudé,

- emboîtement des joints debouts inversé,

- raccords des longueurs de gouttière siliconés sans dilatation possible,

- pour les vélux et lucarnes : aucune soudure, raccords au silicone, cadres vissés par l'extérieur dans le zinc, joints debouts supérieurs supprimés et remplacés par des bandes de zinc siliconées...

Il a conclu que 'la couverture présente des malfaçons et des non-conformités génératrices de désordres sur sa totalité nécessitant une réfection générale', étant précisé qu'à l'issue des investigations, deux bâches protectrices ont été mises en place.

La SMABTP a mandaté la société Cabinet Penel pour procéder à une expertise amiable. L'expert s'est rendu sur place le 5 janvier 2017 et a constaté les mêmes infiltrations que le cabinet Eurisk précédemment, et a formulé des constats similaires sur la toiture :

- absence de retombée de zinc en extrêmité de lucarne,

- absence de joints horizontaux entre deux feuilles de zinc qui sont juxtaposées, cloutées ou vissées et sommairement mastiquées,

- le couvre-joint du faîtage zinc est fixé de façon cloutée et non mastiquée, - éléments de gouttières siliconées sans lyre de dilatation...

Cet expert a conclu à l'existence de malfaçons graves et 'indignes d'un ouvrage de couverture.' 'Comme notre confrère, nous considérons que cet ouvrage de couverture est irréparable (...) Sa réfection totale s'impose.'

Ces malfaçons, relevées dans les deux rapports d'expertise amiable, ont entraîné des infiltrations qui ont été constatées par les maîtres d'ouvrage trois ans après la réception de l'ouvrage. M. et Mme [H] ne sont pas des professionnels de la construction et ne pouvaient constater les désordres relevés de par la nature technique de ceux-ci (manquements aux règles de l'art), mais également, ainsi que l'a relevé l'expert du cabinet Eurisk lors de sa première visite, car la toiture est inaccessible en l'absence de trappe de visite et de système d'accès sécurisé.

Par conséquent, ces désordres, apparus postérieurement à la réception de l'ouvrage survenue le 9 janvier 2013, n'étaient pas apparents pour les maîtres d'ouvrage profanes, et rendent l'ouvrage impropre à son usage, les vices de la toiture l'empêchant d'assurer le couvert de l'ouvrage en considération des infiltrations et de l'humidité importante constatées dans la maison.

Il résulte du cahier des clauses administratives particulières (pièce 3 de la société Elite Insurance) que la société Ardeco était chargée de l'ensemble des travaux de rénovation de l'immeuble, en ce compris la réfection de la toiture. Les désordres relèvent donc de sa sphère d'intervention.

La SMABTP, qui ne dénie pas sa garantie à la société Ardeco, doit donc être condamnée à rembourser la société Elite Insurance des sommes avancées au titre de la garantie dommages-ouvrage. Elle ne discute pas les sommes sollicitées par l'assureur dommages-ouvrage.

Le jugement sera donc confirmé, en tenant compte de la rectification d'erreur matérielle énoncée supra, en ce qu'il a condamné la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 65 726,02 euros TTC.

Les intérêts courront à compter du 14 septembre 2017, date de réception de la relance de paiement par la SMABTP (cf. son courrier en réponse du 20 décembre 2017, pièce 19 de la société Elite Insurance), faute de preuve de l'envoi du premier courrier de réclamation du 6 juillet 2017, et le jugement sera infirmé à ce titre.

Sur le recours en garantie de la SMABTP

Moyens des parties :

La SMABTP demande la garantie totale de la société Idées d'Architectes, maître d'oeuvre, et de son assureur la société MAF ou à défaut à hauteur de 70 % selon le pourcentage de responsabilité retenu par la société Cabinet Penel, faisant valoir d'une part que le maître d'oeuvre engage sa responsabilité décennale au regard des malfaçons constatées et d'autre part que les désordres étaient généralisés à toute la toiture et n'auraient pas dû échapper au maître d'oeuvre qui n'a pas formulé de réserves à la réception, manquant ainsi à son devoir de conseil.

Les sociétés Idées d'Architectes et MAF concluent à la confirmation du jugement qui a rejeté l'appel en garantie de la SMABTP et soutiennent que la société ne rapporte pas la preuve d'une faute délictuelle du maître d'oeuvre et d'un lien de causalité avec le dommage.

Réponse de la cour :

Selon l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La SMABTP indique que le maître d'oeuvre engage sa responsabilité décennale au vu des désordres constatés. Cependant, la société Elite Insurance n'a pas recherché la responsabilité de la société Idées d'Architectes et la SMABTP ne peut fonder son appel en garantie du maître d'oeuvre sur le fondement des dispositions de l'article 1792 du code civil.

Sur le fondement de l'article 1240 du code civil, elle soutient que le maître d'oeuvre a commis une faute par manquement à son devoir de conseil en n'attirant pas l'attention de ses clients, lors de la réception, sur les désordres apparents.

Cependant, le manquement au devoir de conseil du maître d'oeuvre lors de la réception des travaux, soulevé par la SMABTP, est sans lien de causalité avec le dommage constitué par l'existence de désordres sur la toiture.

Par conséquent, la décision des premiers juges de rejeter le recours en garantie de la SMABTP à l'encontre de la société Idées d'Architectes et de son assureur la société MAF doit être confirmée.

PAR CES MOTIFS:

La société Elite Insurance soutient que le comportement de la SMABTP caractérise une résistance abusive, en raison de son absence aux réunions d'expertise dommages-ouvrage, de son refus de paiement alors que la société savait que les désordres étaient de nature décennale et enfin parce qu'elle a soulevé de façon dilatoire des fins de non-recevoir non soulevées en première instance.

La SMABTP conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté la demande de la société Elite Insurance à ce titre.

Réponse de la cour :

Les premiers juges ont considéré que la société Elite Insurance ne caractérisait pas l'existence d'une faute de la part de la SMABTP lui ayant causé un préjudice justifiant l'allocation de dommages-intérêts pour résistance abusive.

En l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle approuve, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et des droits des parties. Il convient en conséquence de confirmer la décision déférée sur ce point.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la SMABTP, partie succombante, sera condamnée aux dépens et à payer à la société Elite Insurance la somme de 2 800 euros au titre des frais irrépétibles et aux sociétés Idées d'Architectes et MAF la somme de 1 500 euros au même titre. La demande de la SMABTP de ce chef sera rejetée.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé aux avocats en ayant fait la demande et pouvant y prétendre.

REJETTE la demande d'annulation du jugement rendu le 29 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris,

DECLARE irrecevables les exceptions de procédure soulevées par la SMABTP,

REJETTE les fins de non-recevoir soulevées par la SMABTP et tirées du caractère non contradictoire de l'expertise amiable et du défaut de qualité à agir de la société Elite Insurance,

DIT que dans le jugement rendu le 29 juin 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, par suite d'une erreur matérielle, le dispositif doit être rectifié ainsi qu'il suit :

le paragraphe suivant :

'CONDAMNE la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 63 113 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision'

sera remplacé par le paragraphe suivant :

'CONDAMNE la SMABTP à verser à la société Elite Insurance la somme de 65 726,02 euros TTC avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision'

CONFIRME le jugement en ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a assorti la condamnation à paiement de la SMABTP en faveur de la société Elite Insurance au titre des désordres qu'elle a préfinancés des intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Statuant à nouveau,

ASSORTIT la condamnation de la SMABTP à payer à la société Elite Insurance la somme de 65 726,02 euros TTC des

Y ajoutant,

CONDAMNE la SMABTP aux dépens d'appel,

ADMET les avocats qui en ont fait la demande et peuvent y prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la SMABTP à payer à la société Elite Insurance la somme de deux mille huit cent euros (2 800 euros) au titre des frais irrépétibles et aux sociétés Idées d'Architectes et MAF la somme de mille cinq cent euros (1 500 euros) au même titre,

REJETTE la demande de la SMABTP de ce chef.