Décisions
CA Pau, 2e ch - sect. 1, 4 juillet 2024, n° 23/00054
PAU
Arrêt
Autre
PhD/ND
Numéro 24/2226
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 04/07/2024
Dossier : N° RG 23/00054 - N° Portalis DBVV-V-B7H-INFQ
Nature affaire :
Demande en paiement du prix et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix
Affaire :
[S] [R]
[U] [O] épouse [R]
S.C.I. [R]
C/
[E] [W]
[N] [T] épouse [W]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 04 Juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Mai 2024, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalèn eDENIS, Greffière présente à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [S] [R]
né le 11 Avril 1956 à [Localité 6] (64)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 9]
Madame [U] [O] épouse [R]
née le 21 Juillet 1955 à [Localité 9] (64)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 9]
S.C.I. [R]
n° SIREN 448 143 826, prise en la personne de son gérant domicilié en pareille qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentés par Me Jon BERTIZBEREA de la SCP UHALDEBORDE-SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA, avocat au barreau de Bayonne
INTIMES :
Monsieur [E] [W]
né le 04 Décembre 1953 à [Localité 5] (64)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [N] [T] épouse [W]
née le 28 Avril 1967 à [Localité 8] (Russie)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Virginie JULLIEN de la SELARL AQUITAINE AVOCATS, avocat au barreau de Bayonne
sur appel de la décision
en date du 12 DECEMBRE 2022
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
RG : 23/54
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
M. [E] [W] et Mme [N] [T], épouse [W] (les époux [W]), restaurateurs, se sont intéressés à la vente d'un fonds de commerce de restaurant exploité par Mme [U] [O], épouse [R], situé au [Adresse 2] à [Localité 9].
Le 31 juillet 2020, par l'intermédiaire de leur avocat, Me [K], les époux [W] ont rédigé un courrier, intitulé « lettre d'intention », adressé aux époux [R] par laquelle ils se sont portés acquéreur du fonds de commerce moyennent le prix de 60.000 euros sous diverses conditions et la signature d'un nouveau bail commercial notarié, l'acte définitif de vente devant être régularisé avant le 30 septembre 2020.
Mme [R] a accepté les termes de cette lettre qu'elle a contre-signée.
Par mail du 12 octobre 2020, Mme [R] s'est inquiétée auprès de Me [K] de ne pas « connaître la suite donnée à la lettre d'intention d'achat ».
Par mail du 3 novembre 2020, Me [K] lui a répondu : « M. [W] fait le mort bien sûr...je pense qu'il lâchera aux alentours de 8.000 euros pour se dédire, 10.000 euros je ne suis pas sûre...qu'en dites vous ' ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juillet 2021, le conseil des époux [R] a mis en cause la responsabilité des époux [W], considérant qu'ils devaient répondre du préjudice subi par ses clients du fait du refus d'acquérir malgré la perfection de la vente.
En l'absence de toute issue amiable, et suivant exploit du 28 octobre 2021, M. [S] [R] et Mme [U] [O], épouse [R], ont fait assigner les époux [W] par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices, sollicitant les sommes de 8.000 euros au titre de la renonciation fautive à la vente et de 14.000 euros au titre des pertes locatives.
La SCI [R], propriétaire des locaux d'exploitation, est volontairement intervenue à l'instance en reprenant à son compte les demandes indemnitaires au titre des pertes locatives.
Par jugement du 12 décembre 2022, le tribunal de commerce a :
- déclaré recevable l'intervention volontaire de la SCI [R]
- débouté les époux [R] de leurs demandes indemnitaires en réparation de la renonciation à l'acquisition
- débouté la SCI [R] de ses demandes au titre des pertes locatives
- condamné les epoux [R] aux dépens, outre le paiement d'une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 4 janvier 2023, les époux [R] et la SCI [R] ont relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 avril 2024.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 avril 2024 par les appelants qui ont demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- condamner solidairement les époux [W] à payer aux époux [R] la somme de 8.000 euros en raison de la renonciation fautive à l'acquisition du fonds de commerce
- condamner solidairement les époux [W] à payer à la SCI [R] la somme de 14.000 euros au titre des pertes locatives
- condamner solidairement les époux [W] à payer, aux premiers la somme de 3.000 euros, à la seconde celle de 2.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
* Vu les dernières conclusions notifiées le 5 avril 2024 par les époux [W] qui ont demandé à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris et débouter les appelants de leurs demandes.
Subsidiairement de :
- réduire considérablement la somme réclamée par les époux [R] dont le montant n'est pas justifié,
- relever que la SCI [R] ne justifie pas de son préjudice de perte de loyers puisqu'au regard du registre du commerce et des sociétés, Mme [R] exploite toujours le fonds de commerce et verse donc un loyer
- s'il devait être estimé que la SCI [R] subit un préjudice, chiffrer celui-ci à deux mois de loyer.
En tout état de cause de condamner solidairement les appelants à leur payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Les appelants font grief au jugement d'avoir rejeté leurs demandes au motif que la renonciation fautive d'acquérir n'était pas caractérisée alors qu'ils avaient produit les justificatifs sollicités dans la lettre d'intention relatifs à la situation du fonds de commerce, que la purge du droit de préemption n'a pu être effectuée par Me [K], avocate rédactrice en charge de la vente pour le compte des deux parties, en raison de l'inertie des acquéreurs qui, par leur silence dissimulant leur volte-face, ont mis en échec la régularisation de l'acte définitif de vente et l'établissement d'un nouveau bail commercial. Les appelants en déduisent que les acquéreurs ont commis une faute engageant leur responsabilité contractuelle à l'égard de la venderesse et délictuelle à l'égard de la bailleresse, en renonçant à acquérir alors que la vente était parfaite au sens de l'article 1583 du code civil.
Les intimés objectent que la vente, outre son imperfection liée au défaut de consentement donné par M. [R], est en tout état de cause devenue caduque le 30 septembre 2020, faute pour les vendeurs d'avoir satisfait aux conditions requises dans la lettre d'intention indispensables à la régularisation de l'acte de vente définitif et alors que ni les vendeurs ni l'avocate rédacteur ne les ont sollicités ou mis en demeure en vue de régulariser la vente et le bail commercial, les vendeurs ne s'étant manifestés que postérieurement à la caducité de la vente. Les intimés en déduisent que la caducité de la vente est exclusivement imputable aux vendeurs ainsi qu'à la carence de l'avocate rédactrice en charge de la vente du fonds de commerce qui a failli à son obligation de conseil à l'égard des parties, avant et après la caducité de la vente, et tente, dans son courrier du 16 novembre 2023 adressé au bâtonnier de l'ordre des avocats de Bayonne, de se décharger de sa responsabilité en se défaussant sur les acquéreurs.
Cela posé, le document intitulé « lettre d'intention », en date du 31 juillet 2020, rédigée par Me [K], mentionne que les époux [W] s'engagent fermement et irrévocablement à procéder au travers de leur société à l'acquisition du fonds de commerce et que la signature du vendeur au bas de la présente lettre emportera l'engagement irrévocable de céder le fonds de commerce [...] et à promettre de le céder à aucun autre candidat.
Il est également précisé que la signature du document marquera également l'engagement du vendeur à fournir les documents et informations utiles à la constitution du dossier de cession.
Les conditions de la cession sont proposées dans les termes suivants :
- l'acte définitif de cession sera régularisé le 30 septembre 2020 au plus tard, emportant transfert de propriété et constatant paiement du prix de cession au comptant à hauteur de 60.000 euros le jour de la signature de l'acte de cession le 30 septembre 2020
- la présente offre est ferme et définitive sous réserve de la condition suspensive visée ci-après
- il sera procédé entre les parties à un état des lieux et à l'inventaire exhaustif du matériel, mobilier et agencements composant le fonds de commerce
- un nouveau bail commercial sera reçu par Me [P], notaire à [Localité 7], sous les charges et conditions ordinaires moyennant un loyer mensuel HT de 1.000 euros
- [...]
- le contrôle sécurité incendie et des installations électriques et gaz vérification de la hotte de cuisine et extincteurs qui sera diligenté à compter de la signature des présentes ne devra révéler aucune anomalie ou dysfonctionnement
- tous les frais et honoraires ainsi que ceux du bail commercial seront à la charge des acquéreurs
- [...]
- la cession du fonds de commerce s'opérera sous l'unique condition suspensive suivante : que la mairie de [Localité 9] n'exerce pas son droit légal de préemption sur le fonds objet des présentes en application de la loi sur la sauvegarde de l'artisanat et du commerce.
Mme [R] a accepté l'ensemble des conditions de la cession en signant la « lettre d'intention » après en avoir paraphé les pages et mentionné « bon pour cession pour 60.000 euros », en présence de l'avocate rédactrice.
Et, il est constant que Me [K], avocate des époux [W], a été mandatée par les parties pour préparer et rédiger l'acte de cession définitif.
La lettre d'intention, dès lors qu'elle exprimait une volonté ferme et définitive d'acquérir le fonds de commerce selon des conditions et charges définitivement précisées, constitue une offre d'acquérir dont l'acceptation sans réserve par Mme [R], propriétaire du fonds de commerce, a formé une promesse synallagmatique de vente sous diverses conditions à la réalisation desquelles était subordonnée la perfection de la vente.
L'absence de signature de M. [R] est indifférente sur la validité de la promesse de vente dès lors que Mme [R] est la propriétaire du fonds de commerce vendu, mariée sous le régime de la séparation de biens.
Contrairement à ce qu'elle stipule littéralement, la promesse de vente conclue entre les parties est assortie non seulement de la condition suspensive relative à la purge du droit de préemption de la mairie, mais également des conditions suspensives relatives à l'établissement d'un bail commercial moyennant un loyer mensuel HT de 1.000 euros et celle de la production des contrôles de sécurité incendie et des installations électriques et de gaz exempts de défauts, conditions nécessaires à la perfection de la vente.
Et, il résulte des clauses de la promesse de vente que la régularisation de l'acte de cession définitif devait intervenir avant le 30 septembre 2020, de sorte qu'à défaut de réalisation des conditions suspensives avant cette date, et sauf prorogation conventionnelle, la vente devenait caduque.
Par conséquent, pour voir accueillir leur moyen selon lequel les acquéreurs ont fautivement renoncé à acquérir, les appelants doivent rapporter la preuve que les conditions suspensives étaient réalisées au 30 septembre 2020 ou que les acquéreurs en ont empêché la réalisation, la vente étant alors réputée parfaite.
Mais, il ressort des débats que, pendant la période de validité de la promesse de vente expirant le 30 septembre 2020, les appelants ne justifient d'aucune démarche, demande, relance ou convocation portée à la connaissance des époux [W] émanant soit de Mme [R], soit de l'avocate en charge de la vente, soit du notaire en charge du bail, en vue de la préparation de l'acte de cession définitif.
La condition suspensive relative à la purge du droit de préemption n'a pas été levée avant le 30 septembre 2020.
Et, alors que les contrôles de sécurité requis devaient être engagés dès l'acceptation de l'offre d'acquérir, Mme [R] n'a pas fait procéder au contrôle de la sécurité incendie et électrique, seul étant produit un devis établi par l'Apave à cet effet.
En outre, il n'a pas été plus justifié de la communication des premiers contrôles à l'avocate rédactrice ou aux acquéreurs.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la réalisation des contrôles de sécurité et la purge du droit de préemption ne nécessitaient aucune démarche ni collaboration des acquéreurs mais incombaient à la venderesse, celle-ci s'étant contractuellement engagée à fournir les documents et informations requis, ainsi qu'à l'avocate rédactrice, chargée de la purge du droit de préemption et du suivi des diligences mises à la charge des parties dans la perspective de la rédaction de l'acte de cession, le cas échéant en conseillant les parties et en veillant à l'équilibre de leurs intérêts respectifs.
Seule la rédaction du bail commercial, confiée à un notaire, nécessitait une collaboration des parties préalable à la signature de l'acte de vente définitif, mais il n'est justifié d'aucune sollicitation à l'égard des époux [W] à cet effet.
Il ne peut-être fait grief à ces derniers de n'avoir pris eux-mêmes aucune initiative dans la préparation du dossier alors qu'ils n'étaient pas informés de l'état d'avancement des démarches nécessaires à la levée des conditions suspensives, de sorte qu'il ne peut être tiré aucune conséquence fautive de leur attentisme qui n'a fait l'objet, avant la date butoir du 30 septembre 2020, d'aucune interpellation de la part de la venderesse ni de l'avocate rédactrice.
Il ressort au contraire des pièces produites que Mme [R] ne s'est inquiétée du sort de la vente auprès de l'avocate rédactrice que dans le courant du mois d'octobre, les mails versés aux débats étant postérieurs à la date de caducité de la vente.
Dans son courrier déontologique en date du 7 mars 2022 adressé à la bâtonnière de l'Ordre des avocats de Bayonne, l'avocate rédactrice ne fait état d'aucune diligence antérieure au 30 septembre et indique que, suite à la relance de Mme [R], courant octobre : « je me suis donc retournée vers M. [W]...qui avait changé d'avis brusquement et a laissé pourrir la situation ».
Les mails produits et ce courrier démontrent ainsi la tardiveté de la réaction de la venderesse et de l'avocate rédactrice.
Et, il n'est pas démontré que les époux [W] auraient manifesté avant le 30 septembre 2020, un refus, même tacite, d'acquérir ou un comportant qui aurait empêché l'accomplissement des actes nécessaires à la réalisation ou la levée des conditions suspensives.
Il résulte de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui précèdent que la promesse de vente sous conditions suspensives est devenue caduque le 30 septembre 2020, sans faute imputable aux acquéreurs, aucun accord, même tacite, de prorogation de la validité de la promesse de vente n'étant intervenu entre les parties.
Il s'ensuit que le moyen tendant à faire juger le caractère fautif de la renonciation d'acquérir n'est pas fondé.
Et, les époux [W] ne sont pas comptables des spéculations de l'avocate rédactrice tenant à leur responsabilité dans l'échec de la vente dont se sont convaincus, à tort, les époux [R].
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux [R] de leurs demandes indemnitaires et les a condamnés aux dépens et frais irrépétibles, et débouté la SCI [R] de ses demandes indemnitaires.
Les époux [R] et la SCI [R] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris,
y ajoutant,
CONDAMNE in solidum les époux [R] et la SCI [R] aux dépens d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente
Numéro 24/2226
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 04/07/2024
Dossier : N° RG 23/00054 - N° Portalis DBVV-V-B7H-INFQ
Nature affaire :
Demande en paiement du prix et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix
Affaire :
[S] [R]
[U] [O] épouse [R]
S.C.I. [R]
C/
[E] [W]
[N] [T] épouse [W]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 04 Juillet 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Mai 2024, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalèn eDENIS, Greffière présente à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Madame Joëlle GUIROY, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [S] [R]
né le 11 Avril 1956 à [Localité 6] (64)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 9]
Madame [U] [O] épouse [R]
née le 21 Juillet 1955 à [Localité 9] (64)
de nationalité française
[Adresse 4]
[Localité 9]
S.C.I. [R]
n° SIREN 448 143 826, prise en la personne de son gérant domicilié en pareille qualité au siège
[Adresse 2]
[Localité 9]
Représentés par Me Jon BERTIZBEREA de la SCP UHALDEBORDE-SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA, avocat au barreau de Bayonne
INTIMES :
Monsieur [E] [W]
né le 04 Décembre 1953 à [Localité 5] (64)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Madame [N] [T] épouse [W]
née le 28 Avril 1967 à [Localité 8] (Russie)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentés par Me Virginie JULLIEN de la SELARL AQUITAINE AVOCATS, avocat au barreau de Bayonne
sur appel de la décision
en date du 12 DECEMBRE 2022
rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE
RG : 23/54
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
M. [E] [W] et Mme [N] [T], épouse [W] (les époux [W]), restaurateurs, se sont intéressés à la vente d'un fonds de commerce de restaurant exploité par Mme [U] [O], épouse [R], situé au [Adresse 2] à [Localité 9].
Le 31 juillet 2020, par l'intermédiaire de leur avocat, Me [K], les époux [W] ont rédigé un courrier, intitulé « lettre d'intention », adressé aux époux [R] par laquelle ils se sont portés acquéreur du fonds de commerce moyennent le prix de 60.000 euros sous diverses conditions et la signature d'un nouveau bail commercial notarié, l'acte définitif de vente devant être régularisé avant le 30 septembre 2020.
Mme [R] a accepté les termes de cette lettre qu'elle a contre-signée.
Par mail du 12 octobre 2020, Mme [R] s'est inquiétée auprès de Me [K] de ne pas « connaître la suite donnée à la lettre d'intention d'achat ».
Par mail du 3 novembre 2020, Me [K] lui a répondu : « M. [W] fait le mort bien sûr...je pense qu'il lâchera aux alentours de 8.000 euros pour se dédire, 10.000 euros je ne suis pas sûre...qu'en dites vous ' ».
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juillet 2021, le conseil des époux [R] a mis en cause la responsabilité des époux [W], considérant qu'ils devaient répondre du préjudice subi par ses clients du fait du refus d'acquérir malgré la perfection de la vente.
En l'absence de toute issue amiable, et suivant exploit du 28 octobre 2021, M. [S] [R] et Mme [U] [O], épouse [R], ont fait assigner les époux [W] par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices, sollicitant les sommes de 8.000 euros au titre de la renonciation fautive à la vente et de 14.000 euros au titre des pertes locatives.
La SCI [R], propriétaire des locaux d'exploitation, est volontairement intervenue à l'instance en reprenant à son compte les demandes indemnitaires au titre des pertes locatives.
Par jugement du 12 décembre 2022, le tribunal de commerce a :
- déclaré recevable l'intervention volontaire de la SCI [R]
- débouté les époux [R] de leurs demandes indemnitaires en réparation de la renonciation à l'acquisition
- débouté la SCI [R] de ses demandes au titre des pertes locatives
- condamné les epoux [R] aux dépens, outre le paiement d'une indemnité de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 4 janvier 2023, les époux [R] et la SCI [R] ont relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 10 avril 2024.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 5 avril 2024 par les appelants qui ont demandé à la cour d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- condamner solidairement les époux [W] à payer aux époux [R] la somme de 8.000 euros en raison de la renonciation fautive à l'acquisition du fonds de commerce
- condamner solidairement les époux [W] à payer à la SCI [R] la somme de 14.000 euros au titre des pertes locatives
- condamner solidairement les époux [W] à payer, aux premiers la somme de 3.000 euros, à la seconde celle de 2.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
* Vu les dernières conclusions notifiées le 5 avril 2024 par les époux [W] qui ont demandé à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris et débouter les appelants de leurs demandes.
Subsidiairement de :
- réduire considérablement la somme réclamée par les époux [R] dont le montant n'est pas justifié,
- relever que la SCI [R] ne justifie pas de son préjudice de perte de loyers puisqu'au regard du registre du commerce et des sociétés, Mme [R] exploite toujours le fonds de commerce et verse donc un loyer
- s'il devait être estimé que la SCI [R] subit un préjudice, chiffrer celui-ci à deux mois de loyer.
En tout état de cause de condamner solidairement les appelants à leur payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Les appelants font grief au jugement d'avoir rejeté leurs demandes au motif que la renonciation fautive d'acquérir n'était pas caractérisée alors qu'ils avaient produit les justificatifs sollicités dans la lettre d'intention relatifs à la situation du fonds de commerce, que la purge du droit de préemption n'a pu être effectuée par Me [K], avocate rédactrice en charge de la vente pour le compte des deux parties, en raison de l'inertie des acquéreurs qui, par leur silence dissimulant leur volte-face, ont mis en échec la régularisation de l'acte définitif de vente et l'établissement d'un nouveau bail commercial. Les appelants en déduisent que les acquéreurs ont commis une faute engageant leur responsabilité contractuelle à l'égard de la venderesse et délictuelle à l'égard de la bailleresse, en renonçant à acquérir alors que la vente était parfaite au sens de l'article 1583 du code civil.
Les intimés objectent que la vente, outre son imperfection liée au défaut de consentement donné par M. [R], est en tout état de cause devenue caduque le 30 septembre 2020, faute pour les vendeurs d'avoir satisfait aux conditions requises dans la lettre d'intention indispensables à la régularisation de l'acte de vente définitif et alors que ni les vendeurs ni l'avocate rédacteur ne les ont sollicités ou mis en demeure en vue de régulariser la vente et le bail commercial, les vendeurs ne s'étant manifestés que postérieurement à la caducité de la vente. Les intimés en déduisent que la caducité de la vente est exclusivement imputable aux vendeurs ainsi qu'à la carence de l'avocate rédactrice en charge de la vente du fonds de commerce qui a failli à son obligation de conseil à l'égard des parties, avant et après la caducité de la vente, et tente, dans son courrier du 16 novembre 2023 adressé au bâtonnier de l'ordre des avocats de Bayonne, de se décharger de sa responsabilité en se défaussant sur les acquéreurs.
Cela posé, le document intitulé « lettre d'intention », en date du 31 juillet 2020, rédigée par Me [K], mentionne que les époux [W] s'engagent fermement et irrévocablement à procéder au travers de leur société à l'acquisition du fonds de commerce et que la signature du vendeur au bas de la présente lettre emportera l'engagement irrévocable de céder le fonds de commerce [...] et à promettre de le céder à aucun autre candidat.
Il est également précisé que la signature du document marquera également l'engagement du vendeur à fournir les documents et informations utiles à la constitution du dossier de cession.
Les conditions de la cession sont proposées dans les termes suivants :
- l'acte définitif de cession sera régularisé le 30 septembre 2020 au plus tard, emportant transfert de propriété et constatant paiement du prix de cession au comptant à hauteur de 60.000 euros le jour de la signature de l'acte de cession le 30 septembre 2020
- la présente offre est ferme et définitive sous réserve de la condition suspensive visée ci-après
- il sera procédé entre les parties à un état des lieux et à l'inventaire exhaustif du matériel, mobilier et agencements composant le fonds de commerce
- un nouveau bail commercial sera reçu par Me [P], notaire à [Localité 7], sous les charges et conditions ordinaires moyennant un loyer mensuel HT de 1.000 euros
- [...]
- le contrôle sécurité incendie et des installations électriques et gaz vérification de la hotte de cuisine et extincteurs qui sera diligenté à compter de la signature des présentes ne devra révéler aucune anomalie ou dysfonctionnement
- tous les frais et honoraires ainsi que ceux du bail commercial seront à la charge des acquéreurs
- [...]
- la cession du fonds de commerce s'opérera sous l'unique condition suspensive suivante : que la mairie de [Localité 9] n'exerce pas son droit légal de préemption sur le fonds objet des présentes en application de la loi sur la sauvegarde de l'artisanat et du commerce.
Mme [R] a accepté l'ensemble des conditions de la cession en signant la « lettre d'intention » après en avoir paraphé les pages et mentionné « bon pour cession pour 60.000 euros », en présence de l'avocate rédactrice.
Et, il est constant que Me [K], avocate des époux [W], a été mandatée par les parties pour préparer et rédiger l'acte de cession définitif.
La lettre d'intention, dès lors qu'elle exprimait une volonté ferme et définitive d'acquérir le fonds de commerce selon des conditions et charges définitivement précisées, constitue une offre d'acquérir dont l'acceptation sans réserve par Mme [R], propriétaire du fonds de commerce, a formé une promesse synallagmatique de vente sous diverses conditions à la réalisation desquelles était subordonnée la perfection de la vente.
L'absence de signature de M. [R] est indifférente sur la validité de la promesse de vente dès lors que Mme [R] est la propriétaire du fonds de commerce vendu, mariée sous le régime de la séparation de biens.
Contrairement à ce qu'elle stipule littéralement, la promesse de vente conclue entre les parties est assortie non seulement de la condition suspensive relative à la purge du droit de préemption de la mairie, mais également des conditions suspensives relatives à l'établissement d'un bail commercial moyennant un loyer mensuel HT de 1.000 euros et celle de la production des contrôles de sécurité incendie et des installations électriques et de gaz exempts de défauts, conditions nécessaires à la perfection de la vente.
Et, il résulte des clauses de la promesse de vente que la régularisation de l'acte de cession définitif devait intervenir avant le 30 septembre 2020, de sorte qu'à défaut de réalisation des conditions suspensives avant cette date, et sauf prorogation conventionnelle, la vente devenait caduque.
Par conséquent, pour voir accueillir leur moyen selon lequel les acquéreurs ont fautivement renoncé à acquérir, les appelants doivent rapporter la preuve que les conditions suspensives étaient réalisées au 30 septembre 2020 ou que les acquéreurs en ont empêché la réalisation, la vente étant alors réputée parfaite.
Mais, il ressort des débats que, pendant la période de validité de la promesse de vente expirant le 30 septembre 2020, les appelants ne justifient d'aucune démarche, demande, relance ou convocation portée à la connaissance des époux [W] émanant soit de Mme [R], soit de l'avocate en charge de la vente, soit du notaire en charge du bail, en vue de la préparation de l'acte de cession définitif.
La condition suspensive relative à la purge du droit de préemption n'a pas été levée avant le 30 septembre 2020.
Et, alors que les contrôles de sécurité requis devaient être engagés dès l'acceptation de l'offre d'acquérir, Mme [R] n'a pas fait procéder au contrôle de la sécurité incendie et électrique, seul étant produit un devis établi par l'Apave à cet effet.
En outre, il n'a pas été plus justifié de la communication des premiers contrôles à l'avocate rédactrice ou aux acquéreurs.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, la réalisation des contrôles de sécurité et la purge du droit de préemption ne nécessitaient aucune démarche ni collaboration des acquéreurs mais incombaient à la venderesse, celle-ci s'étant contractuellement engagée à fournir les documents et informations requis, ainsi qu'à l'avocate rédactrice, chargée de la purge du droit de préemption et du suivi des diligences mises à la charge des parties dans la perspective de la rédaction de l'acte de cession, le cas échéant en conseillant les parties et en veillant à l'équilibre de leurs intérêts respectifs.
Seule la rédaction du bail commercial, confiée à un notaire, nécessitait une collaboration des parties préalable à la signature de l'acte de vente définitif, mais il n'est justifié d'aucune sollicitation à l'égard des époux [W] à cet effet.
Il ne peut-être fait grief à ces derniers de n'avoir pris eux-mêmes aucune initiative dans la préparation du dossier alors qu'ils n'étaient pas informés de l'état d'avancement des démarches nécessaires à la levée des conditions suspensives, de sorte qu'il ne peut être tiré aucune conséquence fautive de leur attentisme qui n'a fait l'objet, avant la date butoir du 30 septembre 2020, d'aucune interpellation de la part de la venderesse ni de l'avocate rédactrice.
Il ressort au contraire des pièces produites que Mme [R] ne s'est inquiétée du sort de la vente auprès de l'avocate rédactrice que dans le courant du mois d'octobre, les mails versés aux débats étant postérieurs à la date de caducité de la vente.
Dans son courrier déontologique en date du 7 mars 2022 adressé à la bâtonnière de l'Ordre des avocats de Bayonne, l'avocate rédactrice ne fait état d'aucune diligence antérieure au 30 septembre et indique que, suite à la relance de Mme [R], courant octobre : « je me suis donc retournée vers M. [W]...qui avait changé d'avis brusquement et a laissé pourrir la situation ».
Les mails produits et ce courrier démontrent ainsi la tardiveté de la réaction de la venderesse et de l'avocate rédactrice.
Et, il n'est pas démontré que les époux [W] auraient manifesté avant le 30 septembre 2020, un refus, même tacite, d'acquérir ou un comportant qui aurait empêché l'accomplissement des actes nécessaires à la réalisation ou la levée des conditions suspensives.
Il résulte de l'ensemble des considérations de droit et de fait qui précèdent que la promesse de vente sous conditions suspensives est devenue caduque le 30 septembre 2020, sans faute imputable aux acquéreurs, aucun accord, même tacite, de prorogation de la validité de la promesse de vente n'étant intervenu entre les parties.
Il s'ensuit que le moyen tendant à faire juger le caractère fautif de la renonciation d'acquérir n'est pas fondé.
Et, les époux [W] ne sont pas comptables des spéculations de l'avocate rédactrice tenant à leur responsabilité dans l'échec de la vente dont se sont convaincus, à tort, les époux [R].
Par conséquent, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté les époux [R] de leurs demandes indemnitaires et les a condamnés aux dépens et frais irrépétibles, et débouté la SCI [R] de ses demandes indemnitaires.
Les époux [R] et la SCI [R] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
Les parties seront déboutées de leurs demandes fondée sur l'article 700 du code de procédure civile en appel.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris,
y ajoutant,
CONDAMNE in solidum les époux [R] et la SCI [R] aux dépens d'appel,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente