CA Colmar, 2e ch. A, 4 juillet 2024, n° 22/01511
COLMAR
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Défendeur :
Un Instant d'Évasion (SARL), Allianz Iard (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Diepenbroek
Conseillers :
Mme Denort, Mme Hery
Avocats :
Me Reins, Me Grivaud, Me Bischoff - De Oliveira, Me Generet
FAITS ET PROCÉDURE
Le 7 décembre 2018, Mme [U] [K] s'est rendue dans les locaux de la SARL Un instant d'évasion dont l'activité consiste en la réalisation de soins de beauté en salon, pour un rehaussement des cils avec teinture, avant de prendre l'avion dans l'après-midi pour [Localité 7] (Danemark).
Se plaignant de démangeaisons au niveau des paupières et d''dème des yeux, Mme [K] a consulté un médecin urgentiste le lendemain à [Localité 7].
Le 9 décembre 2018, Mme [K] est rentrée en Alsace et a entamé un parcours de soins face à l'aggravation de ses symptômes pour finalement se voir prescrire des antihistaminiques et un arrêt de travail du 10 au 23 décembre 2018.
Par exploits du 7 août 2019 et du 2 septembre 2019, Mme [K] a fait citer respectivement la société Un instant d'évasion et son assureur, la SA Allianz Iard, devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins de les voir condamner à réparer ses préjudices.
Par jugement du 11 octobre 2021, le tribunal, devenu tribunal judiciaire de Strasbourg, a déclaré la demande de Mme [K] irrecevable faute de de communication des seconds originaux des assignations.
Par exploits du 26 octobre 2021, Mme [K] a, à nouveau fait citer respectivement, la société Un instant d'évasion et son assureur, la SA Allianz Iard, devant le tribunal judiciaire de Strasbourg aux fins de les voir condamner à réparer ses préjudices.
Par jugement contradictoire du 7 mars 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
- débouté Mme [K] de ses demandes ;
- l'a condamnée aux dépens.
Les premiers juges ont considéré que l'évènement préjudiciable subi par Mme [K] ne pouvait être contesté, mais estimaient en revanche qu'elle échouait à rapporter la preuve d'une faute imputable à la société Un instant d'évasion.
Le tribunal a en effet retenu qu'aucun défaut d'information précontractuelle ne pouvait être reproché à la société défenderesse, dès lors que Mme [K] produisait aux débats une pièce numéro 3 qui était une copie d'écran du site de la société Un instant d'évasion indiquant que la teinture des cils était déconseillée aux personnes allergiques au henné, et qu'elle avait initialement affirmé que ce document était la présentation du soin qui lui avait été faite avant la réalisation de la prestation à l'institut de beauté.
Le tribunal a noté qu'elle avait fait observer ultérieurement, en cours de procédure, qu'il s'agissait d'une copie d'écran faite en 2019 et que la mention « Exclus les personnes faisant des réactions au henné » aurait été ajoutée postérieurement. Mais, le tribunal a estimé que Mme [K] ne rapportant pas la preuve de cet ajout tardif, avait à sa disposition l'information qui lui était nécessaire, soulignant qu'il résultait de la lettre de liaison du 12 décembre 2018 de la clinique Rhéna où Mme [K] avait été prise en charge, que celle-ci savait qu'elle était particulièrement sensible au henné.
Le tribunal a estimé que Mme [K] n'établissait pas non plus un manquement de la société Un instant d'évasion à son obligation de sécurité. Le tribunal a par ailleurs précisé que les soins prodigués au corps, soins thérapeutiques, de confort ou esthétiques, relevaient du statut des obligations de moyens et non de résultat.
Le tribunal a donc conclu que la demande de Mme [K] tendant à voir déclarer la société Un instant d'évasion responsable de son dommage était mal fondée.
Mme [U] [K] a interjeté appel de ce jugement le 13 avril 2022 intimant toutes les parties.
L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 5 décembre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 11 mars 2023, puis à nouveau le 13 mars 2024, Mme [K] demande à la cour, au visa des articles 264 et suivants du code de procédure civile, 954, alinéa 3 du même code, 1112-1, 1217 et suivants, 1250 et 1353 du code civil, et L.111-1 du code de la consommation, de la déclarer recevable et biens fondée en son appel, de faire droit à l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, de dire et juger les demandes des intimées irrecevables, et en tout cas mal fondées, de les rejeter intégralement y compris s'agissant d'un appel incident, en conséquence d'infirmer le jugement du 7 mars 2022 en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes et statuant à nouveau, de :
- juger que la société Un instant d'évasion a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle,
- juger la société Un instant d'évasion entièrement responsable des conséquences dommageables qu'elle a subies,
et, à titre principal
- condamner conjointement et solidairement la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard à lui verser la somme de 25 158,77 euros au titre de son entier prejudice, ou, à titre subsidiaire,
- ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer ses préjudices patrimoniaux, extrapatrimoniaux et professionnels,
- dire et juger que de la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard seront parties aux opérations d'expertise,
- condamner conjointement ou solidairement la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard à l'avance des frais d'expertise sous la forme d'une provision de 5 000 euros,
- condamner conjointement ou solidairement la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard à une provision de 10 000 euros à valoir sur ses préjudices,
- réserver ses droits pour la suite du litige,
- réserver ses droits pour compléter ses écrits,
en tout état de cause,
- condamner conjointement ou solidairement la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard à lui verser la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
- condamner conjointement ou solidairement la société Un instant d'évasion et la société Allianz Iard à supporter l'ensemble des frais et dépens de première instance et d'appel.
Au soutien de son appel, l'appelante fait valoir que la jurisprudence considère que les obligations dites de moyens peuvent être évolutives et recevoir une autre qualification. Elle expose que s'agissant de soins à visée esthétique, ils ne doivent pas être considérés de façon péremptoire comme relevant d'une obligation de moyens, puisqu'il y a lieu de distinguer entre, d'une part, les soins prodigués, qui relèvent d'une obligation de moyens, et d'autre part, les produits utilisés, qui relèvent quant à eux d'une obligation de résultat.
Elle soutient qu'en application des articles L.111-1 du code de la consommation, la société Un instant d'évasion était tenue à son égard à une obligation d'information pré-contractuelle quant à la prestation de soins proposée et aux risques encourus afin de lui permettre de consentir, de manière éclairée, au rehaussement et à la teinture de ses cils.
Elle prétend que la société Un instant d'évasion a manqué à son devoir d'information et a donc commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile contractuelle, puisqu'aucune information, ni restriction sur la composition et l'usage du produit utilisé n'ont été portées à sa connaissance avant la réalisation du soin litigieux. Elle allègue que l'information relative à une contre-indication du soin en cas d'allergie au henné n'existait pas non plus sur le site internet de la société Un instant d'évasion au moment où le soin a été commandé et réalisé en décembre 2018, mais qu'elle a été ajoutée postérieurement à l'introduction de l'instance.
Elle affirme que la société Un instant d'évasion ne rapporte pas la preuve qu'elle lui a fournie l'information pré-contractuelle tenant au risque allergène du produit utilisé, comme le lui impose l'article 1112-1 du code civil, ni la preuve de l'exécution de cette obligation conformément à l'article 1353 du code civil. Elle reproche aux premiers juges d'avoir renversé la charge de la preuve en retenant qu'il lui appartenait de prouver ne pas avoir eu l'information pré-contractuelle, alors d'une part, qu'il est impossible de prouver un « élément négatif », à savoir l'absence d'information, et d'autre part, qu'il incombe au professionnel de prouver avoir fourni l'information pré-contractuelle requise.
Elle allègue ensuite que la société Un instant d'évasion a commis un manquement à son obligation de sécurité puisqu'elle n'a pas pris de précautions suffisantes pour garantir l'application du produit utilisé pour la teinture de ses cils en toute sécurité comme la réalisation d'un test préalable sur une autre zone de la peau ou encore en la questionnant sur une possible allergie au henné. Elle prétend par ailleurs que l'intimée n'a pas respecté les prescriptions de l'arrêté du 6 février 2001, fixant la liste des substances qui ne peuvent entrer dans la composition des produits cosmétiques, au rang desquelles figure le p-phénylènediamine présent dans le produit cosmétique utilisé pour la teinture de ses cils par l'intimée, car ce produit est autorisé uniquement pour un usage professionnel et en respectant un certain dosage, soulignant que si le produit utilisé ne contient pas de henné, il est néanmoins à l'origine de sa réaction allergique du fait de la présence de ce composant qui n'est pas autorisé sur les personnes ayant déjà eu une réaction allergique au henné.
Elle précise enfin avoir, dès le soir du 7 décembre, jour de l'application des soins, commencé à ressentir des démangeaisons au niveau des paupières ; que l'absence de constatation immédiate du dommage matériel ne fait pas obstacle à l'existence d'un lien de causalité et à l'imputabilité du dommage constaté ultérieurement aux soins prodigués ; qu'elle apporte de manière irréfutable la preuve des dommages qu'elle a subis qu'elle détaille.
Elle soutient qu'en application de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure civile, l'irrecevabilité et l'absence de fondement de sa demande d'indemnisation soulevées par les intimées, doivent être rejetées, puisque ces prétentions n'ont pas été reprises dans le dispositif de leurs conclusions d'appel du 25 août 2022.
* Par leurs conclusions récapitulatives transmises par voie électronique le 14 mars 2023, les sociétés Un instant d'évasion et Allianz Iard demandent à la cour, de :
- déclarer l'appel de Mme [K] irrecevable et en tout cas mal fondé,
en conséquence,
- le rejeter,
- confirmer le jugement tribunal judiciaire de Strasbourg du 7 mars 2022 en toutes ses dispositions,
- débouter Mme [K] de toutes ses demandes, fins et conclusions comme étant irrecevables et mal fondées,
- débouter Mme [K] aux entiers frais et dépens de la procédure d'appel et à leur payer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elles soutiennent, sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, que l'engagement de la responsabilité contractuelle de la société Un instant d'évasion suppose la preuve par Mme [K] d'un fait générateur, d'un dommage et d'un lien de causalité entre les deux. Elles font valoir que s'agissant du fait générateur, il convient de distinguer selon que l'obligation inexécutée est de moyen ou de résultat, cette distinction déterminant la preuve de l'inexécution.
Elles exposent que l'obligation de soins à visée esthétique est une obligation de moyens, car ils sont réalisés sur le corps humain et donc soumis à des réactions imprévisibles même en respectant les règles de l'art, de sorte qu'il incombe à Mme [K] d'établir une faute professionnelle de la société Un instant d'évasion. Elles prétendent que l'appelante est défaillante dans l'administration de cette preuve. Elles ne contestent pas en revanche qu'il convient de distinguer entre les soins prodigués et le produit utilisé, puisque ce dernier est soumis à une obligation de sécurité qui est de résultat, mais précisent que cette obligation de sécurité ne joue qu'en cas de produit défectueux, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Elles réfutent tout manquement de la société Un instant d'évasion à son obligation d'information précontractuelle dont la preuve de son exécution peut être rapportée par tous moyens, y compris par les allégations de la partie adverse, qui affirmait d'abord avoir été informée des risques inhérents au soin litigieux par la présentation qui en était faite sur le site internet, pour ensuite changer de version en alléguant que la contre-indication relative à l'allergie au henné aurait été ajoutée par la suite sans le démontrer, ce qui suffit donc à invalider cette nouvelle version. Elles en déduisent que
la production par l'appelante, à l'appui de sa première assignation, d'une pièce numéro 3 qu'elle présentait comme l'information qui lui avait été donnée, démontre qu'elle a été informée de la contre-indication du soin litigieux aux personnes allergiques au henné. Elles affirment ainsi que le libellé de la pièce numéro 3 a depuis lors été modifié pour les besoins de la cause.
S'agissant du manquement à l'obligation de sécurité tenant au produit utilisé, elles exposent qu'en application de l'arrêté du 6 février 2001, la prohibition du composant dénommé p-phénylènediamine dans la composition du produit destiné à la coloration des cils ne concerne pas les produits à « usage professionnel » mais uniquement à « usage général » ; la société Un instant d'évasion a donc bien utilisé un produit bénéficiant d'une autorisation. Contrairement à ce qu'avance l'appelante, elles allèguent que la société Un instant d'invasion n'a pris aucun risque pour effectuer le soins litigieux, ni mis en danger sa cliente, l'utilisation du produit ayant été conforme aux prescriptions du fabricant qui, au demeurant, ne préconisait aucunement un test préalable avant de l'appliquer sur les cils, et ajoutent que le produit utilisé ne souffrait d'aucune défectuosité. Elles précisent qu'il n'est pas d'usage de faire un test préalable pour des produits de teinture dans les salons de coiffure ou dans les salons d'esthétique, ce qui se justifie par la soumission du professionnel à une obligation d'information pré-contractuelle.
Elles ajoutent que le produit utilisé par la société Un instant d'évasion était un produit de la marque Combinal, spécifiquement conçu pour la teinture des cils et ne comportant pas d'henné ; que ce produit est exempt de toute dangerosité intrinsèque et sollicitent ainsi la confirmation du jugement sur l'absence de manquement à l'obligation de sécurité tenant au produit utilisé.
Elles exposent que la responsabilité contractuelle du débiteur ne peut être engagée que si l'inexécution contractuelle cause un préjudice au créancier, seul le dommage prévisible étant réparable d'après l'article 1231-3 du code civil, et que si le dommage est une suite immédiate et directe de l'inexécution du contrat par application de l'article 1231-4 du code civil. Or, l'absence de révélation de l'appelante de son allergie au henné rend le dommage imprévisible, et en l'absence de constatation immédiate des symptômes, la preuve d'un lien de causalité entre les soins pratiqués par la société un instant d'invasion, et le dommage allégué n'est pas établi.
Elles invoquent également la force majeure dont les conditions telles que prévues par l'article 1218 du code civil sont réunies en l'espèce du fait l'absence de révélation par l'appelante de son allergie au henné, bien qu'elle ait été informée de la contre-indication. Elles prétendent que cette faute de Mme [K] est à tout le moins une cause d'exonération partielle.
Elles soulèvent l'irrecevabilité et l'absence de fondement de la demande d'indemnisation formulée par l'appelante aux motifs que celle-ci chiffre ses préjudices sans avoir appelé son organisme social en déclaration de jugement commun comme l'exige l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale et sans que lesdits préjudices aient été évalués par une expertise médicale selon la nomenclature Dintilhac.
Elles considèrent que les montants sollicités ne sont pas justifiés, et qu'il n'y pas lieu de lui accorder une provision sur l'indemnisation de préjudices dont elle ne rapporte
pas la preuve. Elles rappellent en outre que le préjudice causé par un manquement à une obligation d'information est une perte de chance et que l'indemnisation ne peut être que partielle et n'est jamais égale à l'avantage qui aurait été tiré si l'événement manqué s'était réalisé.
Elles prétendent enfin que les demandes d'expertise et de provisions de l'appelante qui ne sont pas motivées en droit, constituent aussi des demandes nouvelles, car formées pour la première fois à hauteur d'appel, et donc irrecevables en vertu de l'article 564 du code civil. Par ailleurs, si par application de l'article 144 du code procédure civile les mesures d'instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, par application de l'article 146 du même code en aucun cas une mesure d'instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l'administration de la preuve.
Pour l'exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs dernières conclusions notifiées et transmises par voie électronique aux dates susvisées.
MOTIFS
A titre liminaire, la cour constate en premier lieu, que les conclusions transmises par voie électronique par Mme [K] le 11 mars 2024 sont irrecevables en application de l'article 802 du code de procédure civile pour avoir été déposées après le prononcé de l'ordonnance de clôture.
En deuxième lieu, Mme [K] prétend vainement que l'irrecevabilité et l'absence de fondement de sa demande d'indemnisation soulevées par les intimées doivent être rejetées en application de l'article 954, alinéa 3 du code de procédure civile puisqu'elles ne figurent pas dans le dispositif des conclusions des intimées du 25 août 2022, alors d'une part que ces conclusions ne sont pas les dernières, d'autre part que les intimées ont conclu, dès leurs premières conclusions d'appel, à la confirmation du jugement, et au débouté de l'appelante, les moyens n'ayant pas à être repris dans le dispositif des conclusions, et que les fins de non-recevoir peuvent être soulevées en tout état de cause.
En troisième lieu, si en application de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, l'organisme de sécurité sociale dont dépend Mme [K] doit être appelé à la cause, la sanction n'est pas l'irrecevabilité de sa demande mais le cas échéant, la nullité du jugement liquidant le préjudice, prononcée à la demande cet organisme, et Mme [K] sera le cas échéant invitée à l'appeler en cause.
I) Sur la responsabilité de la société Un instant d'évasion
L'appelante reproche à la société Un instant d'évasion d'avoir commis un manquement à son devoir d'information précontractuelle ainsi qu'à son obligation de sécurité.
Selon l'article 1112-1 du code civil, il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie, et selon l'article L.111-1 du code de la consommation « avant que le consommateur ne soit lié par un contrat de vente de biens ou de
fourniture de services, le professionnel communique au consommateur, de manière lisible et compréhensible, les informations suivantes : 1° Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, compte tenu du support de communication utilisé et du bien ou service concerné (') ».
Il résulte de ces dispositions que la société Un instant d'évasion était bien débitrice à l'égard de Mme [K], au moment de la conclusion du contrat, d'une obligation d'information précontractuelle sur la nature de la prestation et des produits utilisés ainsi que sur les contre-indications, et les risques éventuellement présentés par le produit utilisé, en cas d'allergie à l'un de ses composants.
Il appartient à l'institut de beauté de rapporter la preuve qu'il a satisfait à cette obligation d'information en démontrant que Mme [K] avait eu connaissance au moment de la conclusion du contrat, et au plus tard au moment de la réalisation du soin, de l'existence d'une contre-indication pour les personnes allergiques au henné.
Contrairement à ce qu'allèguent les intimées, et à ce qu'a retenu le tribunal, il ne peut être considéré que Mme [K] aurait reconnu de manière non équivoque que l'information relative à une contre-indication en cas d'allergie au henné lui avait été délivrée avant la réalisation des soins litigieux, le 7 décembre 2018, par le biais de sa pièce n° 3 correspondant à une copie d'écran du site internet de l'institut de beauté, du seul fait du libellé de cette pièce dans le bordereau joint à sa première assignation du 7 août 2019, à savoir « présentation du soin fait à la demanderesse, site internet de la société Un instant d'évasion ».
En effet, si le libellé de la pièce n° 3 dans le bordereau joint à la première assignation peut sembler ambigu, il ressort toutefois de la lecture même de cette assignation, qui est produite aux débats par les intimées, que Mme [K] affirmait au contraire qu'aucune information, ni restriction quelconques ne lui avaient été indiquées quant au produit utilisé, ce qui exclut toute reconnaissance du fait qu'elle aurait été dûment informée de l'existence de contre-indications au soin.
Au surplus, dans sa seconde assignation du 26 octobre 2021, elle précisait que la pièce intitulée 'présentation du soin' n'avait été produite que pour permettre à la juridiction de se faire une idée de la prestation réalisée, telle qu'elle existait en février 2019, et de constater que l'information relative à une contre-indication du soin, en cas d'allergie au henné, avait été ajoutée postérieurement à la date à laquelle le soin litigieux avait été commandé, puis réalisé, à savoir en décembre 2018.
Force est de constater que la date du 19 février 2019 figure bien sur la copie d'écran du site internet versée aux débats par l'appelante, et qu'elle est en effet postérieure à la date de la commande et de la réalisation du soin.
Par voie de conséquence, la seule production de cette copie d'écran ne peut suffire à démontrer que l'information nécessaire a été dûment apportée à Mme [K], ce qu'il appartient à la société Un instant d'évasion d'établir.
En outre, le seul fait que la contre-indication du soin litigieux pour les personnes allergiques au henné figure sur le site internet de la société Un instant d'évasion, n'est pas en lui-même suffisant pour établir que Mme [K] en avait effectivement eu connaissance par la consultation de ce site avant la réalisation de la prestation.
La société Un instant d'évasion sur qui pèse la charge de la preuve ne démontre pas qu'elle a satisfait à son obligation d'information ni avant la conclusion du contrat, ni au moment de la réalisation du soin, en s'assurant auprès de sa cliente de l'absence d'une éventuelle allergie contre-indiquant la réalisation de la prestation qui concernait une partie du corps particulièrement fragile et sensible, et ce faisant a engagé sa responsabilité contractuelle en ne prenant pas toutes les précautions nécessaires pour éviter tout risque de réaction allergique.
Mme [K] invoque également un manquement à l'obligation de résultat tenant à la sécurité du produit utilisé.
Un tel manquement n'est pas démontré dès lors d'une part, qu'il est établi et non contesté que le produit p-phénylènediamine incriminé, entrant dans la composition du produit Combinal utilisé pour la coloration des cils, est autorisé pour les teintures de cils en usage professionnel, ce qui est le cas en l'espèce, et qu'il n'est par ailleurs nullement démontré que le produit aurait été défectueux ou qu'il aurait été utilisé dans des conditions non conformes aux préconisations du fabricant, ce qu'il appartient à Mme [K] de démontrer, et cette preuve ne pouvant résulter de la seule survenue du dommage; ni de l'absence de test laquelle n'est pas usuelle en la matière.
Le jugement sera néanmoins, au vu de ce qui précède, infirmé en ce qu'il a retenu que la preuve d'une faute de la société Un instant d'évasion n'était pas rapportée.
II) Sur le préjudice et le lien de causalité
Il est suffisamment établi par les photographies jointes au message adressé par Mme [K] à la gérante de la société Un instant d'évasion, via la messagerie du site Facebook, dès le 9 décembre 2018, ainsi que par les attestations concordantes de quatre amies de Mme [K] qui l'accompagnaient lors de son voyage à [Localité 7] attestant que celle-ci a développé une réaction de type allergique au niveau des yeux dans la nuit du 7 au 8 décembre 2018 pour laquelle elle a dû se rendre en consultation au service des urgences de l'hôpital de cette ville, ainsi que par les certificats médicaux produits et par la lettre de liaison de la clinique Rhéna du 12 décembre 2018, que Mme [K] a subi un important 'dème allergique au niveau des yeux, dans les heures ayant suivi la coloration de ses cils, en lien de causalité directe avec le soin pratiqué par la société Un instant d'évasion.
Toutefois le préjudice résultant d'un manquement à une obligation d'information consiste seulement en une perte de chance d'avoir pu renoncer à la réalisation du soin et ainsi éviter le dommage. Il est constant que Mme [K] avait connaissance de son allergie au henné de sorte que si elle avait été dûment informée du risque allergique, la probabilité qu'elle ait renoncé au rehaussement de cils avec teinture qu'elle envisageait est très forte, cette perte de chance pouvant donc être estimée à 90 %.
Il convient d'infirmer le jugement en tant qu'il a rejeté la demande de Mme [K] tendant à déclarer la société Un instant d'évasion responsable de son dommage, et de la condamner à réparation de ce dommage à concurrence de 90 %, l'intimée ne pouvant arguer d'une absence de révélation par Mme [K] de son allergie alors qu'il lui appartenait précisément de se renseigner auprès de sa cliente, ni d'un cas de force majeure, la survenance du dommage n'étant ni imprévisible, ni irrésistible.
Toutefois, en l'absence d'éléments d'appréciation suffisants pour permettre à la cour de se prononcer sur les différents chefs de préjudice invoqués par Mme [K], il convient d'accueillir sa demande subsidiaire d'expertise, étant précisé que cette demande, qui n'est pas nouvelle en cause d'appel puisqu'elle avait déjà été formée en première instance, est recevable, et qu'il en est de même de la demande de provision.
En l'état des éléments versés aux débats, il est incontestable que Mme [K] a subi à tout le moins un préjudice esthétique temporaire et qu'elle a enduré des souffrances qu'il appartiendra toutefois à l'expert de quantifier précisément. En l'état des éléments d'appréciation dont la cour dispose, il lui sera une alloué une provision d'un montant de 5 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice.
Les missions confiées à l'expert seront précisées dans le dispositif de l'arrêt.
Les dépens et frais exclus des dépens seront réservés. Il n'y a pas lieu de prévoir une provision ad litem.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l'article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
DÉCLARE irrecevables les conclusions transmises par voie électronique par Mme [K] le 11 mars 2024 ;
REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Un instant d'évasion et la société Allianz tenant à l'absence de mise en cause de l'organisme de sécurité sociale dont dépend Mme [K] ;
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu entre les parties par le tribunal judiciaire de Strasbourg le 7 mars 2022,
Statuant à nouveau,
DÉCLARE la société Un instant d'évasion responsable du préjudice subi par Mme [U] [K] ;
DIT que le préjudice de Mme [U] [K] est une perte de chance évaluée à 90 % de renoncer aux soins pratiqués le 7 décembre 2018 par la SARL Un instant d'évasion ;
SURSOIT à statuer sur l'évaluation du préjudice de Mme [U] [K] ;
ORDONNE la réouverture des débats et la révocation de l'ordonnance de clôture ;
INVITE Mme [K] à appeler en cause l'organisme de sécurité sociale lui ayant versé des prestations ;
ORDONNE une expertise médicale confiée au docteur [N]-[Z] [J]
[Adresse 5]
Tél : [XXXXXXXX02] Fax : [XXXXXXXX01]
Avec la mission suivante :
1°) Prendre connaissance du dossier et de tous documents médicaux utiles recueillis tant auprès de la victime que de tous tiers détenteurs, avec l'accord de celle-ci ;
2°) Examiner Mme [U] [K] et décrire les lésions causées par le soin cosmétique pratiqué le 7 décembre 2018 en indiquant les traitements appliqués, leur évolution, leur état actuel et un éventuel état antérieur en précisant son incidence ;
3°) Déterminer la date de consolidation ;
4°) Pour la phase avant consolidation :
- décrire les éléments de préjudice fonctionnel temporaire, en précisant si la victime a subi une ou des périodes d'incapacité temporaire totale ou partielle,
- décrire les souffrances endurées et les évaluer dans une échelle de 1 à 7,
- décrire un éventuel préjudice esthétique temporaire,
5°) Pour la phase après consolidation
- décrire les éléments de déficit fonctionnel permanent entraînant une limitation d'activité ou un retentissement sur la vie personnelle, en chiffrer le taux,
- dire s'il existe un retentissement professionnel
- dire si des traitements ou soins futurs sont à prévoir,
- dire si les lésions entraînent un préjudice esthétique permanent, le décrire et l'évaluer sur une échelle de 1 à 7,
- dire en quoi les séquelles diminuent l'agrément de la vie
6°) donner son avis sur tous les autres chefs de préjudice qui seraient invoqués par la victime,
7°) s'adjoindre, en tant que de besoin, tout sapiteur d'une spécialité autre que la sienne,
8°) prendre en compte les observations des parties ;
DIT qu'il sera procédé aux opérations d'expertise en présence des parties ou celles-ci convoquées par lettres recommandées avec demandes d'avis de réception, et leurs conseils avisés par lettres simples ;
DIT que l'expert devra entendre les parties en leurs observations, ainsi que, le cas échéant, consigner leurs dires et y répondre dans son rapport ;
DIT qu'en cas de refus de sa mission par l'expert, d'empêchement ou de retard injustifié, il sera pourvu d'office à son remplacement ;
FIXE à 840 € (huit cent quarante euros) le montant à valoir sur la rémunération de l'expert que Mme [U] [K] devra consigner sur la plate-forme numérique de la Caisse des dépôts et consignations accessible au lien suivant : www.consignations.fr, avant le 30 septembre 2024, sous peine de caducité de la désignation de l'expert ;
DIT que Mme [U] [K] devra transmettre au greffe, dès sa réception, le récépissé de consignation ;
DIT que l'expert déposera son rapport au secrétariat-greffe en 4 exemplaires dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle il aura été avisé du versement de la consignation, date de rigueur, sauf prorogation qui serait accordée sur rapport de l'expert à cet effet ;
REJETTE la demande de provision ad litem ;
RENVOIE l'affaire à l'audience de mise en état du 5 novembre 2024 pour vérification du paiement de l'avance sur les frais d'expertise ;
CONDAMNE la SARL Un instant d'évasion et la SA Allianz Iard, in solidum, à payer à Mme [U] [K] la somme provisionnelle de 5 000 euros (cinq mille euros) à valoir sur la réparation intégrale de son préjudice ;
RÉSERVE les dépens et l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.