CA Montpellier, 4e ch. civ., 4 juillet 2024, n° 22/01514
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Agence Yachting Méditerranée (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Soubeyran
Conseillers :
M. Bruey, Mme Franco
Avocats :
Me Auché, Me Da Cunha, Me Garrigue, Me Arpaillange
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS Agence Yachting Méditerranée (ci-après l'agence) est une société spécialisée dans la vente de navires à moteurs et à voile ; elle intervient régulièrement en qualité d'intermédiaire à la vente ou à la location.
Le 8 octobre 2019, un compromis de vente a été signé entre Mme [F] [Z] et M. [K], vendeur, en présence de l'agence en sa qualité d'intermédiaire, pour un navire de marque Bavaria, modèle 35 sport, moyennant le prix de 62 900 €.
A la suite d'une panne moteur, et à la demande de Mme [Z] une expertise amiable a été diligentée. Ainsi, en février 2020, M. [C] [L], expert maritime et fluvial a été mandaté. Le 10 mars 2020, l'expert a déposé son rapport.
En raison de l'état d'urgence sanitaire, les discussions relatives au navire auraient été provisoirement suspendues. De ce fait, l'agence soutient que l'acte définitif de vente du navire aurait été signé le 15 mai 2020 et antidaté par Mme [Z] au 14 mars 2020. Le 20 mai 2020, Mme [Z] aurait procédé au paiement du prix.
Le 25 mai 2020, le navire a été livré.
Mme [Z] aurait constaté divers désordres lors de la livraison. Partant, entre juin et septembre 2020, plusieurs lettres recommandées ont été adressées à l'agence afin d'obtenir réparation, sans succès.
C'est dans ce contexte que par acte du 2 mars 2021, Mme [Z] a fait assigner M. [K], la SAS Agence Yachting Méditerranée et son dirigeant, M. [R] [W] afin notamment d'obtenir leur condamnation au titre de frais de réparation du navire.
Par jugement du 8 février 2022, le tribunal judiciaire de Perpignan a :
Débouté Mme [Z] de l'intégralité de ses prétentions à l'encontre de M. [K], de l'agence et de M. [W] ;
Condamné Mme [Z] à payer à M. [W] la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive;
Rejeté le surplus des demandes reconventionnelles ;
Rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires ;
Condamné Mme [Z] à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile :
la somme de 1000 € à M. [K]
la somme de 1000 € à la SAS Agence Yachting Méditerranée
la somme de 1000 € à M. [W]
Condamné M. [Z] aux dépens ;
Dit que la décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
Le 17 mars 2022, Mme [Z] a relevé appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 16 avril 2024, Mme [Z] demande en substance à la cour d'infirmer le jugement entrepris notamment en ce qu'il l'a déboutée de ses prétentions, l'a condamnée à payer 2 000 € pour procédure abusive et 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux dépens, et statuant à nouveau, de :
Déclarer Mme [Z] recevable et bien fondé en son appel ;
Débouter M. [K], la SAS Agence Yachting Méditerranée et M. [W] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
Condamner M. [K], seul ou solidairement avec la SAS Agence Yachting Méditerranée, au paiement de la somme de 13 913,06 € au profit de Mme [Z] en réparation du préjudice financier causé par l'absence de délivrance conforme du navire et les inexécutions contractuelles constatées ou en diminution du prix de vente ;
Condamner M. [K], seul ou solidairement avec la SAS Agence Yachting Méditerranée, au paiement de la somme de 4 000 € au profit de Mme [Z] en réparation du préjudice moral causé par l'absence de délivrance conforme du navire et les inexécutions contractuelles constatées ;
Condamner la SAS Agence Yachting Méditerranée, seule ou solidairement avec M. [K], au paiement de la somme de 13913,06 € au profit de Mme [Z] en réparation du préjudice financier causé par la faute délictuelle commise par cette dernière au regard de son obligation de conseil ;
Condamner la SAS Agence Yachting Méditerranée, seule ou solidairement avec M. [K], au paiement de la somme de 4 000 € au profit de Mme [Z] en réparation du préjudice moral causé par la faute délictuelle commise par cette dernière au regard de son obligation de conseil ;
Confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a rejeté les demandes formulées par M. [K] et la SAS Agence Yachting Méditerranée aux fins de condamnation de Mme [Z] au paiement de la somme de 2 000 € à chacun en réparation de leur préjudice moral pour procédure abusive ;
En tout état de cause, condamner in solidum M. [K] et la SAS Agence Yachting Méditerranée à payer à Mme [Z] une somme de 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et à supporter les dépens en application des articles 695 et 696 du même code.
Par uniques conclusions remises par voie électronique le 5 août 2022, la SAS Agence Yachting Méditerranée demande en substance à la cour de :
Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes, retenu la responsabilité de Mme [Z] à l'égard de M. [W], la condamnant à 2 000€ à titre de dommages et intérêts et a condamné Mme [Z] aux dépens et à payer une somme de 1 000 € à chaque requis de première instance au titre de l'article 700 du CPC ;
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a pas fait droit aux demandes présentées par la SAS Agence Yachting Méditerranée et M. [K] au titre de la procédure abusivement engagée par Mme [Z] ;
Juger que M. [W] ne peut en aucun cas être maintenu dans la procédure, n'ayant strictement aucun lien de droit contractuel, délictuel ou quasi-délictuel à l'égard de Mme [Z]. Le mettre purement et simplement hors de cause, sauf à admettre sa demande reconventionnelle présentée en première instance et maintenue en cause d'appel ;
Juger que Mme [K] et la SAS Agence Yachting Méditerranée n'ont commis aucune faute de nature contractuelle ou délictuelle de nature à engager leur responsabilité ;
Débouter Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
Condamner Mme [Z] à payer à la SAS Agence Yachting Méditerranée et M. [K] une somme de 2 000 € chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral ;
Condamner Mme [Z] à payer à M. [W], la SAS Agence Yachting Méditerranée et M. [K] une somme de 2 500€ chacun au titre des dispositions de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Vu l'ordonnance de clôture du 16 avril 2024 et la nouvelle ordonnance du 7 mai 2024 la révoquant et prononçant la clôture à cette nouvelle date.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Mme [Z] agit à l'encontre de son vendeur sur le fondement combiné des articles 1603 à 1615 du code civil édictant à sa charge une obligation de délivrance conforme aux spécifications convenues entre les parties, comprenant tous les accessoires comme tout ce qui est destiné à l'usage de la chose vendue.
Elle lui reproche des défauts entrés dans le champ contractuel tirés de l'annonce, du compromis de vente et de l'expertise de M.[L]. Elle en tire la preuve par le courriel adressé par le skipper professionnel ayant rapatrié le navire de [Localité 6] jusqu'à [Localité 8], de ses échanges de courriers avec l'agence et d'un procès-verbal de constat d'huissier du 6 octobre 2020.
Elle soutient le caractère abusif de la clause opposée par M.[K] selon laquelle elle s'est engagée à prendre le navire dans l'état où il se trouverait au jour de l'entrée en jouissance.
Le vendeur et son mandataire concluent que c'est après négociations que les acquéreurs (ils englobent dans ce pluriel M.[S], compagnon de Mme [Z]) ont obtenu l'accord du vendeur sur le prix de 62900€ et la prise en charge de menus travaux, notamment une réparation provisoire de la sellerie du cockpit. Il n'a jamais été convenu d'une réparation à neuf de la sellerie et il ne peut être reproché des accessoires manquants alors que le rapport [L] valait inventaire. Ils stigmatisent le comportement de l'acquéreur qui aurait pris selon ses dires possession du navire en l'état de ruine flottante en mai 2020 et aurait attendu octobre 2020 pour en faire établir le constat.
Dans un contrat de vente soumis aux articles 1604 à 1624 du code civil,
le vendeur s'oblige à mettre une chose conforme à la disposition de l'acheteur ; la chose mise à disposition doit être conforme à ce qui a été convenu.
La conformité s'apprécie par rapport aux normes juridiques et techniques entrées dans le champ contractuel, aux stipulations du contrat.
Mme [Z], débitrice en preuve, échoue à établir qu'elle a fait entrer dans le champ contractuel les spécifications de l'état des accessoires au titre du défaut de conformité dont elle se prévaut, excepté s'agissant de l'état de la sellerie du cockpit.
Alors que sur ce point, le compromis de vente du 8 octobre 2019 spécifie la réparation des coussins extérieurs, entre autres réparations et prises en charge dont il n'est pas contesté qu'elles ont été réalisées, les autres accessoires figurant dans l'annonce diffusée par l'agence, dont elle dénonce l'absence ou le mauvais état, n'ont pas fait l'objet de telles spécifications de telle sorte que Mme [Z] ne caractérise pas qu'elle a voulu les considérer comme caractéristiques essentielles du bien vendu.
L'attestation d'expertise dont Mme [Z] s'empare précise que l'inventaire parmi lesquels figurent des accessoires dont Mme [Z] soutient l'absence ou le défaut de conformité n'est pas contractuel, mention qu'elle ne combat utilement.
Elle ne peut qu'être déboutée de telles réclamations, au demeurant additionnelles à celle présentée en première instance, qu'elle limitait alors à la seule somme de 7044,60€ n'intéressant que le devis relatif à la réfection complète d'un ensemble de 9 éléments d'assise.
Sur l'état de la sellerie, entré dans le champ contractuel par la mention du compromis, Mme [Z] établit qu'il n'a pas été satisfait à l'engagement du vendeur, pris par son mandataire, de procéder à la réparation.
Le courriel du skipper professionnel qui a convoyé le navire de [Localité 6] au port du [Localité 7] à [Localité 8] mentionne que le 29 mai 2020, date qui constitue le jour de délivrance et de mise en possession de l'acheteuse, la sellerie du cockpit est globalement en très mauvais état.
Mme [Z] l'a toujours évoqué dans ses courriers adressés à l'agence et le constat d'huissier qu'elle a fait établir, sans que les circonstances de l'espèce ne relève sa tardiveté au regard de l'évolution du contentieux, en porte en pages 10 et suivantes le constat dépourvu d'ambiguïté quant à l'absence de réparation effective de la sellerie, fut elle provisoire comme évoquée par les intimés. Le devis du sellier du 10 février 2020 à hauteur de 7044,60€, complété par la facture de réfection partielle du 11 juin 2020, constitue l'exacte réparation du préjudice subi par Mme [Z], le vendeur ne pouvant se prévaloir de sa propre turpitude pour n'avoir pas procédé ou fait procéder conformément à son engagement à la réparation de la sellerie, de telle sorte qu'il doit assumer le coût d'une réfection complète.
Il est constant que la résistance opposée par le vendeur à la demande légitime de Mme [Z] de le voir satisfaire à ses engagements l'a contrainte à diverses démarches pré-contentieuses demeurées sans réponse et lui a fait subir moult tracas. Une somme de 2000€ sera allouée en réparation du préjudice moral par elle subi.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté les demandes indemnitaires de Mme [Z] dirigées contre le vendeur sur le fondement contractuel.
S'agissant de l'action de Mme [Z] contre l'agence, le fondement ne peut qu'en être extra contractuel comme le lui a justement rappelé le premier juge. Il est nécessaire que Mme [Z] démontre une faute, un préjudice et un lien de causalité. Au titre des fautes délictuelles, elle invoque la rédaction de l'annonce sans vérification de l'existence ou de la qualité des éléments listés, l'absence de surveillance de la parfaite signature par chacune des parties de l'acte de vente et la régularité de son contenu ; le défaut d'accomplissement des formalités subséquentes à la vente.
Or, n'ayant pas fait entrer dans le champ contractuel l'inventaire des accessoires figurant à l'annonce, Mme [Z] ne peut se prévaloir d'aucune faute de l'agence génératrice de préjudice, n'invoquant pas même un manquement à l'obligation de conseil ; aucun préjudice n'est caractérisé en lien de causalité avec les échanges par courriers aux fins de signature de l'acte de vente dans la période du confinement liée à la crise sanitaire ; pas plus n'est-il de préjudice né du retard dans la délivrance du carnet de francisation obtenu en cours d'instance devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Marseille dès lors que Mme [Z] n'invoque pas dans le présent contentieux l'indemnisation d'un quelconque préjudice de jouissance, se limitant à présenter contre l'agence une demande de réparation du préjudice financier identique à celle présentée contre son vendeur.
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté toute demande dirigée contre l'agence.
S'agissant de la condamnation de Mme [Z] au paiement de la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts au titre de la procédure abusive, l'appréciation erronée de ses droits par Mme [Z] qui avait cru nécessaire d'assigner M. [W], son seul interlocuteur personne physique, ne constitue pas un abus de droit à même d'ouvrir droit à réparation.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il l'a condamnée de ce chef.
Pas plus le rejet de l'action contre l'agence n'est-il de nature à établir l'exercice d'un abus de Mme [Z] dans l'exercice de son droit d'agir à son encontre.
Partie perdante au sens de l'article 696 du code de procédure civile, M. [K] supportera les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant contradictoirement
Confirme le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Z] de l'intégralité de ses demandes dirigées contre l'agence Yachting Méditerranée et contre M. [R] [W] et l'a condamnée à payer à chacun des deux la somme de 1000€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
L'infirme sur le surplus, statuant à nouveau et y ajoutant
Condamne M. [D] [K] à payer à Mme [F] [Z] la somme de 7044,60€ au titre de la non conformité du navire et celle de 2000€ en réparation du préjudice moral.
Déboute Monsieur [W] de sa demande indemnitaire au titre de la procédure abusive.
Déboute Mme [F] [Z] du surplus de ses demandes contre M. [D] [K].
Condamne M. [D] [K] aux dépens de première instance et d'appel.
Condamne M. [D] [K] à payer à Mme [F] [Z] la somme de 2500€ en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit n'y avoir lieu à d'autres applications de ces dispositions en cause d'appel.