CA Aix-en-Provence, ch. 1-2, 4 juillet 2024, n° 23/09556
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Sci Jkp Immo (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Neto
Conseillers :
Mme Leydier, Mme Perraut
Avocats :
Me Roux, Me Cotza
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé à effet au 12 décembre 1986, renouvellé le 24 janvier 2006, la société civile immobilière (SCI) JKP Immo a consenti à la société à responsabilité limitée (SARL) [I] et fils, un bail commercial portant sur un local situé [Adresse 1] et [Adresse 3] à [Localité 5], moyennant un loyer annuel initial de base d'un montant de 9 938,28 euros hors charges et taxes et un loyer mensuel actuel de 1 385,42 euros toutes taxes comprises, outre les charges afférentes aux locaux loués.
Par jugement en date du 7 mai 2019, le tribunal de commerce de Toulon a placé la société [I] et fils en redressement judiciaire.
Un plan de redressement judiciaire a été mis place par le même tribunal par jugement en date du 27 octobre 2020.
Le 22 novembre 2022, la société JKP Immo a fait délivrer à la société [I] et fils un commandement de payer la somme principale de 6 855,51 euros au titre d'un arriéré locatif en visant la clause résolutoire insérée au bail.
Soutenant que ledit acte est demeuré infructueux, la société JKP Immo a, par exploit d'huissier en date du 9 février 2023, assigné la société [I] et fils devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Toulon aux fins notamment d'entendre constater la résiliation du bail, ordonner son expulsion et la condamner à lui payer des sommes provisionnelles.
Par ordonnance contradictoire en date du 4 juillet 2023, ce magistrat a :
- constaté la résiliation du bail à compter du 22 décembre 2022 ;
- dit qu'à défaut pour la société [I] et fils d'avoir libéré les lieux deux semaines après la signification de l'ordonnance, il serait procédé à son expulsion et à celle de tous occupants de son chef, avec l'assistance de la force publique, si besoin est, et au transport des meubles laissés dans les lieux aux frais de l'expulsée dans tel garde-meuble désigné par elle ou, à défaut, par le bailleur aux risques et périls de la société [I] et fils;
- condamné la société [I] et fils à verser à la société JKP Immo la somme provisionnelle de 15 006,17 euros arrêtée au 1er mai 2023 à valoir sur la dette de loyers, charges et indemnités d'occupation, avec intérêts au taux légal ;
- condamné la société [I] et fils à verser à la société JKP Immo, à titre provisionnel, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du dernier loyer pratiqué majoré des charges, soit 1 385,42 euros, à compter de la signification de la décision et jusqu'à parfaite libération des lieux ;
- rejeté tous les autres chefs de demandes ;
- condamné la société [I] et fils à verser à la société JKP Immo la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [I] et fils aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer.
Suivant déclaration au greffe transmise le 18 juilet 2023, la société [I] et fils a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions dûment reprises.
Dans ses dernières conclusions transmises le 7 septembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens soulevés, elle sollicite de la cour qu'elle réforme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau qu'elle :
- constate que les conditions de la clause résolutoire du bail signé par les parties sont réunies ;
- constate que sa dette locative est de 15 006,17 euros, mois de mai 2023 compris ;
- juge qu'elle pourra s'acquitter de cette somme, en plus des loyers courants, en 36 mensualités de 429 euros, le premier versement devant intervenir avant le 15 du mois suivant le mois de signification de la décision à intervenir et les versements suivants le 15 de chaque mois ;
- suspende les effets de la clause résolutoire pendant le cours de ces délais, laquelle serait réputée n'avoir jamais joué si elle se libère de sa dette dans ce délai et si les loyers courants, augmentés des charges et taxes afférentes, étaient payés pendant le cours de ce délai dans les conditions fixées par le bail commercial ;
- juge, qu'à défaut depaiement d'une seule des mensualités à bonne date dans les conditions ci-dessus fixées ou du loyer courant, augmenté des charges et taxes afférents à leur échéance, et 8 jours après l'envoi d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception :
* la totalité de la somme restant due deviendra exigible ;
* la clause résolutoire reprendra son plein effet ;
* faute de départ volontaire des lieux loués, il pourra être procédé à son expulsion et celle de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique si nécessaire ;
* le sort des meubles trouvés sur place sera régi par les articles L 433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
* elle sera tenue, jusqu'à la libération effecive des lieux, à payer à la société JKP Immo une indemnité d'occupation provisionnelle égale au montant du loyer, augmenté des charges et taxes afférents, qui aurait été dû si le bai s'était poursuivi ;
* le cas échéant, l'indemnité d'occupation ne pourra excéder la somme de 1 385,42 euros correspondant au dernier montant du loyer ;
- déboute la société JKP Immo de ses demandes ;
- la condamne à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- la condamne aux dépens, avec distraction au rpofit de Me Laurène Roux, avocat sur son affirmation de droit.
Dans ses dernières conclusions transmises le 6 mai 2024, auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé des prétentions et moyens soulevés, la société JKP Immo sollicite de la cour qu'elle :
- confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions
- déboute la société [I] et fils de ses demandes ;
- fixe la créance au passif de la procédure collective ;
- la condamne à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel ;
- la condamne aux dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 13 mai 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il convient de relever que la société [I] et fils, qui ne sollicite que des délais de paiement avec suspension des effets de la clause résolutoire, outre le fait qu'elle discute les dépens et les frais irrépétibles auxquels elle a été condamnée par le premier juge, ne conteste aucunement la constatation de la résiliation du bail insérée dans le bail, faute d'avoir réglé les causes du commandement de payer dans les deux mois de sa délivrance, pas plus que les sommes réclamées, à titre provisionnel, par la société JKP Immo.
Dans ces conditions, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :
- constaté la résiliation du bail à compter du 22 décembre 2022 ;
- condamné la société [I] et fils à verser à la société JKP Immo la somme provisionnelle de 15 006,17 euros arrêtée au 1er mai 2023 à valoir sur la dette de loyers, charges et indemnités d'occupation, avec intérêts au taux légal.
De plus, dès lors que la société JKP Immo n'a formé aucun appel incident, étant donné qu'elle sollicite la confirmation de l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, il n'y a pas lieu de répondre aux moyens de défense soutenus par l'appelante pour s'opposer aux demandes formées par l'intimée devant le premier juge, auxquelles il n'a pas été fait droit, tenant notamment à la demande d'expulsion avec astreinte, au montant de l'indemnité d'occupation, à la majoration des intérêts et à l'anatocisme.
De même, il n'y a pas lieu de répondre à la prétention qu'elle forme dans le dispositif de ses conclusions tendant à la fixation de sa créance au passif de la procédure collective dès lors que cette demande n'est précédée d'aucune demande d'infirmation, et ce, alors même que la société [I] et fils bénéficiait, déjà, en première instance d'un plan de redressement.
Sur les délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire
L'alinéa 2 de l'article L 145-41 du code de commerce dispose que les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil, peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation des effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant l'autorité de chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas si locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, dans la limite deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues.
En l'espèce, les décomptes versés aux débats par la bailleresse révèlent que la dette locative est passée de 6 693,65 euros, échéance du mois de novembre 2022 incluse, lors de la délivrance du commandement de payer, à 19 688,54 euros en août 2023, échéance du mois d'août 2023 incluse.
Il apparaît que le preneur n'a réglé son loyer de janvier 2022 qu'en février 2022, en même temps que celui de février 2022, et son loyer de mars 2022 qu'en avril 2022, en même temps que celui du mois d'avril 2022. S'il a réglé ses loyers de mai, juillet et août 2022, il n'a pas réglé celui de juin et a cessé tout paiement à compter du mois de septembre 2022.
Les difficultés financières rencontrées par la société [I] et fils pour respecter son obligation première en tant que locataire de régler ses loyers et charges, à compter du mois de septembre 2022, apparaissent s'expliquer, non pas par les conséquences résultant des mesures exceptionnelles prises pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19, mais par les travaux de réseaux et d'aménagement de l'espace public entrepris par la commune de [Localité 5] à compter du mois de septembre 2022, à l'endroit même où se situent les locaux loués, tel que cela résulte du document établi par la commune pour informer les citoyens de la date des travaux, de la coupure du journal Var-Matin, en date du 9 décembre 2022, alertant sur le danger encouru par plusieurs commerces en raison des travaux entrepris [Adresse 4], et de la pétition signée par plusieurs commerçants, le 25 octobre 2022, qui se plaignent de la souffrance dans laquelle se trouvent leurs commerces depuis les travaux entrepris en septembre 2022 avec une perte de chiffre d'affaires comprise entre 25 % et 40 %.
Il reste, qu'alors même que la fin des travaux était prévue en mai 2023, la société [I] et fils, qui a pourtant transmis ses dernières conclusions le 7 septembre 2023, n'apporte aucune explication sur les raisons pour lesquelles elle n'a jamais repris le paiement de ses loyers et charges courants.
Si la société [I] et fils comptait sur l'indemnisation que devait lui verser la commune en réparation de ses préjudices commerciaux à la fin de l'année 2023 pour apurer sa dette locative, l'intimée, qui a conclu le 6 mai 2024, soutient n'avoir rien perçu.
Ces éléments établissent donc que la dette locative ne cesse de croître depuis la délivrance du commandement de payer, que la société [I] et fils n'a pas repris le paiement de ses loyers et charges courants depuis le mois d'août 2022, en imputant le loyer réglé en août 2022 sur celui de juin 2022, et qu'elle n'a pas, contrairement à son engagement pris dans ses écritures, apurer intégralement sa dette locative à la fin de l'année 2023.
Par ailleurs, alors même que le chiffre d'affaires réalisé par la société [I] et fils a baissé en 2021, par rapport à 2020, et en 2022, par rapport à 2021, elle ne démontre pas avoir les capacités financières, à ce jour, d'apurer sa dette locative en 24 mensualités, en plus de reprendre le paiement de ses loyers et charges courants, ce qui supposerait des paiements mensuels d'environ 2 200 euros par mois, et ce, en ne tenant compte que de l'arriéré locatif arrêté en août 2023.
Enfin, il n'est pas contesté que la société [I] et fils a déjà rencontré des difficultés financières pour régler ses loyers et charges en raison des conséquences résultant des mesures exceptionnelles prises pendant la crise sanitaire liée à la Covid-19, à la suite de quoi une procédure de redressement judiciaire a été ouverte avec, par la suite, la mise en place de redressement afin de lui permettre d'apurer ses dettes sur 10 ans. Or, la bailleresse n'a pas à pâtir indéfiniment des difficultés rencontrées par sa locataire pour régler ses loyers et charges aux termes convenus.
Il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté la société [I] et fils de ses demandes de délais de paiement et suspension des effets de la clause résolutoire insérée dans le bail.
Elle sera également confirmée en ce qu'elle a ordonné son expulsion et a condamné la société [I] et fils à verser à la société JKP Immo, à titre provisionnel, une indemnité mensuelle d'occupation égale au montant du dernier loyer pratiqué majoré des charges, soit la somme de 1 385,42 euros, à compter de la signification de l'ordonnance, aucun appel incident n'étant formé sur ce point, et ce, jusqu'à la libération des lieux.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société [I] et fils, succombant en appel, il y a lieu de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a condamnée aux dépens de première instance, en ce compris le coût du commandement de payer, et à verser à la société JKP Immo la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle sera également tenue aux entiers dépens de la procédure d'appel.
En outre, l'équité commande de la condamner à verser à la société JKP Immo la somme de 2 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile.
En tant que partie perdante, la société [I] et fils sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant dans les limites de sa saisine,
Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions critiquées ;
Y ajoutant ;
Condamne la SARL [I] et fils à verser à la SCI JKP Immo la somme de 2 000 euros pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute la SARL [I] et fils de sa demande formulée sur le même fondement ;
Condamne la SARL [I] et fils aux entiers dépens de la procédure d'appel.