Décisions
CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 4 juillet 2024, n° 20/08370
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUILLET 2024
N° 2024/ 134
Rôle N° RG 20/08370 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGHF5
[D] [U]
C/
[Z] [G]
[P] [S]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Karine TOLLINCHI
Me Sophie MORREEL-WEBER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 27 Juillet 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 2019 05546.
APPELANT
Monsieur [D] [U]
né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 9] (02)
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Karine TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Emmanuel BONNEMAIN, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Monsieur [Z] [G]
né le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 8] (83), demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté de Me Sophie MORREEL-WEBER de la SELARL LEX&CO AVOCATS, avocat au barreau de NICE plaidant
Monsieur [P] [S]
né le [Date naissance 2] 1989 à [Localité 6] (83), demeurant [Adresse 7]
représenté et assisté de Me Sophie MORREEL-WEBER de la SELARL LEX&CO AVOCATS, avocat au barreau de NICE plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Laetitia VIGNON, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024,
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Transfer [U], constituée en mai 2012, a pour objet 'la préparation et l'acheminement de commande, la logistique, la location de matériel et de véhicules industriels avec ou sans conducteurs et toutes activités complémentaires'.
Par acte du 14 juin 2018, enregistré le 11 juillet 2018, M. [D] [U], gérant et associé unique de la SARL Transfer [U], a cédé l'intégralité des parts sociales de la société à M. [Z] [G] et M. [P] [S], à raison de 50 parts chacun, pour un prix de 30.000 €, soit 15.000 € chacun.
Chaque cessionnaire a payé la somme de 7.500 € le jour de la cession, la somme restant due devant être réglée le 15 juin 2021, sauf le jeu de la garantie de passif et d'actif ouverte jusqu'au 31 mars 2021.
Par trois assemblée générales extraordinaires du 14 juin 2018 de la société Transfer [U], il a été décidé :
- d'autoriser la cession des parts sociales à M. [Z] [G] et M. [P] [S],
- de prendre acte de la démission de M. [U] de ses fonctions de gérant et de la nomination de deux co-gérants, messieurs [G] et [S],
- de prendre acte du transfert du siège social et du changement de dénomination de la société.
Ces délibérations sociales n'ont cependant jamais été publiées au registre du commerce et des sociétés.
Indiquant avoir découvert que la société était gérée anormalement, qu'une partie de l'actif avait été détournée et que la SARL Transfer [U] semblait en état de cessation des paiements, M. [Z] [G] et M. [P] [S] ont sollicité, par lettres recommandées en date du 19 septembre 2018, la résolution amiable de la cession de parts sociales et notifié leur démission en tant que gérants.
Par assemblée générale extraordinaire du 18 octobre 2018, il a été pris acte de cette démission et de l'absence de candidature au poste de gérant.
Par jugement du 19 novembre 2018, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Transfer [U], procédure convertie en liquidation judiciaire le 10 décembre 2018.
Par acte d'huissier en date du 7 février 2019, M. [Z] [G] et M. [P] [S] ont fait assigner M. [D] [U] devant le tribunal de commerce de Fréjus en nullité de la cession de parts sociales intervenue le 14 juin 2018.
Par jugement en date du 27 juillet 2020, le tribunal de commerce de Fréjus a :
- ordonné la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la société Transfer [U] du 14 juin 2018 au profit de M. [Z] [G] et M. [P] [S],
- condamné M. [D] [U] à payer à M. [Z] [G] et M. [P] [S] la somme de 7.500 € chacun, correspondant aux sommes versées par les acquéreurs, outre intérêts au aux légal à compter de la présente décision,
- débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
- débouté M. [D] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné M. [D] [U] à payer la somme de 2.000 € à parts égales à M. [Z] [G] et M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné M. [D] [U] aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 126,41 € TTC dont 21,07 € de TVA.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :
- dans le contrat de cession, M. [U] confirme que la société n'est pas en état de cessation des paiements, que peu de temps après la cession, un premier jugement a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la SARL Transfer Gaulthier avec une période d'observation de six mois, que sans attendre le délai, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société le 10 décembre 2018 et que la date de cessation des paiements a été modifiée par décision de ce même tribunal du 23 septembre 2019, pour être fixée au 30 juin 2017, soit près d'un an avant la signature de l'acte de cession,
- M. [U] atteste également, dans cet acte, avoir géré la société en bon père de famille et avoir régulièrement souscrit auprès des compagnies d'assurances, les contrats nécessaires à son exploitation, en vigueur à la date de la cession alors que les pièces du dossier révèlent que les garanties étaient suspendues le 26 mai 20187, après une mise en demeure,
- M. [U], en sa qualité de gérant de la société, ne pouvait ignorer cette situation et a commis des manquements à son devoir d'information, justifiant le prononcé de la nullité de l'acte de cession pour dol.
Par déclaration en date du 31 août 2020, M. [D] [U] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 15 avril 2024, M. [D] [U] demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement querellé,
Y faire droit,
- réformer ledit jugement en toutes ses dispositions et le mettre à néant,
Vu les articles 1130 et 1137 nouveau du code civil,
- dire et juger que régulièrement informés par leur conseil de la situation financière et comptable de la SARL Transfer [U] entre la signature du compromis du 12 février 2018 et la signature de l'acte de cession du 14 juin 2018, situation à l'origine d'une diminution du prix de vente de 150.000 €, les cessionnaires ne rapportent pas la preuve ni de la dissimulation invoquée, ni de son caractère intentionnel, ni du caractère déterminant de cette prétendue dissimulation sur leur consentement,
- dire et juger qu'en permettant au cessionnaire de réduire de 150.000 € le prix de leur acquisition en l'état de la situation financière et comptable de la SARL Transfer [U] dont les intimés achetaient les parts, le vendeur a rempli son obligation pré-contractuelle d'information,
- dire n'y avoir lieu à annulation de l'acte de cession de parts sociales du 14 juin 2018,
- condamner M. [Z] [G] et M. [P] [S] au paiement chacun de la somme complémentaire de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible au 21 juin 2021,
- débouter les intimés de leurs demandes,
- condamner solidairement M. [Z] [G] et M. [P] [S] au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Tollinchi-Bujoli-Tollinchi sous ses offres et affirmations de droits.
M. [Z] [G] et M. [P] [S], suivant leurs dernières conclusions notifiées le 10 avril 2024, demandent à la cour de :
Vu les articles 1104, 1112-1, 1130 et 1137 du code civil,
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a:
* ordonné la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la société Transfer [U] du 14 juin 2018 au profit de M. [Z] [G] et M. [P] [S],
* condamné M. [D] [U] à payer à M. [Z] [G] et M. [P] [S] la somme de 7.500 € chacun, correspondant aux sommes versées par les acquéreurs, outre intérêts au aux légal à compter de la présente décision,
* condamné M. [D] [U] à payer la somme de 2.000 € à parts égales à M. [Z] [G] et M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :
* débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
- condamner M. [D] [U] au paiement de la somme de 75.000 € au titre du préjudice moral et financier de M. [Z] [G] et 75.000 € au titre du préjudice moral et financier de M. [P] [S],
En tout état de cause,
- condamner M. [D] [U] au paiement de la somme de 6.000 € à M. [Z] [G] et 6.000 € à M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure,
- débouter M. [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 16 avril 2024.
MOTIFS
M. [G] et M. [S] sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité de l'acte de cession de parts sociales en date du 14 juin 2018 pour dol et non respect par le vendeur de son obligation d'information pré-contractuelle.
Ils soutiennent que nonobstant l'arrêt de cette cour du 23 novembre 2023 infirmant le jugement du tribunal de commerce ayant modifié rétroactivement la date de cessation des paiements de la SARL Transfer [U], cette société était objectivement dans une telle situation un an avant la cession, en ce que le montant du passif est d'une importance telle qu'il suffit à lui seul à démontrer que son origine est antérieure à la signature de l'acte du 14 juin 2018.
Ils relatent avoir découvert postérieurement à la vente et en dépit des déclarations de l'appelant dans l'acte que de nombreuses factures étaient impayées, de même que les redevances de crédit-bail des camions que les camions conduits par les salariés de l'entreprise roulaient sans être assurés, que certains contrats essentiels au fonctionnement de la société avaient été résiliés avant, qu'aucune cotisation URSSAF n'avait été honorée en 2018 et que l'ensemble des dettes de l'entreprise au 14 juin 2018 leur a été dissimulé. Ils ajoutent qu'il est en outre apparu que la société faisait l'objet de multiples réclamations de la part de ses créanciers et de procédures contentieuses. Ils précisent qu'à côté de telles dettes, l'actif était ridiculement faible et que si le prix de vente a été effectivement baissé entre le compromis et la signature de l'acte définitif, il n'en demeure pas moins qu'ils n'auraient jamais accepté de payer un tel prix pour une société en état de cessation des paiements.
M. [U] conteste une telle analyse, il fait grief aux premiers juges d'avoir occulté certains éléments essentiels et notamment l'existence d'un compromis signé entre les parties le 12 février 2018 prévoyant un prix de cession de 180.000 €, lequel devait être révisé en plus ou moins en fonction notamment du bilan au 31 décembre 2017, lequel fait apparaître une perte de 120.530 € et que les parties ont décidé d'en tenir compte lors de la réitération de la vente trois mois plus tard en ramenant le prix à 30.000 €. Ils ajoutent que les intimés étaient assistés pendant les négociations par leur expert-comptable, que M. [S] était salarié de la société et la connaissait donc parfaitement et que c'est précisément compte tenu du passif existant et révélé avant la vente, que le prix a été divisé par six, l'acte de cession mentionnant au demeurant que l'entreprise n'était pas à jour du règlement de ses cotisations sociales. Il ajoute que le jugement modifiant rétroactivement la date de cessation des paiements de la société au 30 juin 2017 a été infirmé par cette cour, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'au moment de la cession, la SARL Transfer [U] était dans une telle situation.
Conformément à l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
L'article 1130 dispose que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que sans eux, l'une des parties n'auraient pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Enfin, en vertu de l'article 1112-1, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.
Il appartient à M. [G] et M. [S] de démontrer d'une part, le caractère intentionnel de la dissimulation invoquée et, d'autre part, le caractère déterminant de leur consentement, à savoir que M. [U] aurait agi sciemment en vue de les tromper.
En premier lieu, il ne peut être retenu, comme l'ont indiqué les premiers juges, que la SARL Transfer [U] était en état de cessation des paiements 30 juin 2017, soit un an avant la signature de l'acte de cession, situation que le vendeur, en sa qualité de gérant ne pouvait ignorer.
En effet, la cour de céans, dans son arrêt du 23 novembre 2023, a infirmé le jugement du tribunal de commerce de Fréjus en date du 23 septembre 2019 ayant rétroactivement reporté la date de cessation des paiements de la société au mois de juin 2017, a relevé que le jugement de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire en date du 10 décembre 2019 a maintenu la date de cessation des paiements au 14 novembre 2018 et qu'il existait pas d'élément sur la situation financière de la SARL Transfer [U] de nature à remettre en cause cette date.
Pour le surplus, il ressort des pièces produites que l'acte de cession litigieux a été précédé d'un compromis 'de cession de parts sociales sous conditions suspensives' en date du 12 février 2018 qui comporte une clause intitulée ' Prix ' et rédigée comme suit :
' La présente promesse est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 180.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2016. Ledit prix serra révisé, en plus ou moins, en fonction du bilan au 31 décembre 2017 puis d'une situation comptable arrêtée au jour de l'entrée en jouissance du cessionnaire. Lequel prix est payable comptant au jour de la réitération des présentes.'
L'acte de cession de parts sociales définitif régularisé le 14 juin 2018, précise s'agissant du prix que :
' 1. Cession par M. [U] à M. [G]
La présente cession est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 15.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2017. Lequel prix est payable comme suit:
- 7.500 € comptant ce jour, des deniers personnel du cessionnaire (...)
- 7.500 € le 15 juin 2021, sans intérêt, ni indexation.
2. Cession par M. [U] à M. [S]
La présente cession est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 15.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2017. Lequel prix est payable comme suit:
- 7.500 € comptant ce jour, des deniers personnel du cessionnaire (...)
- 7.500 € le 15 juin 2021, sans intérêt, ni indexation.'
Cet acte comporte une clause de garantie d'actif et de passif qui précise que la SARL Transfer [U] :
- a été gérée en bon père de famille,
- est à jour de ses déclaration de ses déclarations fiscales et sociales et du règlement des impôts mais elle n'est pas à jour du règlement des cotisations URSSAF, retraite et prévoyance, dont elle est redevable,
- ne fait l'objet d' objet d'aucune réclamation ou de mesures pré-contentieuses et n'est partie à aucune procédure contentieuse,
- a, depuis le 1er janvier 2018, exercé son activité dans des conditions normales par rapport à ce qui se pratiquait antérieurement.
Il est stipulé que 'D'une manière générale, le cédant déclare et garantit n'avoir pas sciemment occulté ou présenté de manière déformée des éléments de manière à fausser la prise de décision du cessionnaire de procéder à la signature de l'acte de cession en vue de l'acquisition des titres de la société ' et que ' Le bilan comptable arrêté au 31 décembre 2017, ci-annexé, a été établi conformément aux principes comptables légaux et usuels. Il représente la situation financière de la société à la date du 31 décembre 2017.'
Il est enfin précisé que les annexes sont les suivantes :
- état des inscriptions,
- inventaire du matériel,
- engagements de crédits baux et locations longue durée 2016-2017,
- bulletins de salaires d'avril 2018 des dix salariés,
- bilan 2017.
Les intimés produisent en pièces 3 à 9, les annexes à l'acte de cession et notamment le bilan de l'entreprise au 31 décembre 2017 incluant également l'exercice N-1, à savoir au 31 décembre 2016 qui met en évidence qu'au 31 décembre 2017:
- les dettes fournisseurs sont de 113.017,59 € ( contre 72.507,94 € sur l'exercice précédent),
- les dettes fiscales et sociales s'élèvent à 222.990,81 € ( 162.964,29 € au 31 décembre 2016) incluant:
* des dettes de salaires vis-à-vis des employés,
* l'URSSAF ( 44.252,38), les caisses de prévoyance, de retraite de congés payés et la CARCEPT,
* les dettes fiscales, essentiellement la TVA dont la TVA collectée 20% ( 49.552,92 €) ou la TVA à décaisser ( 9.864 €), la taxe d'apprentissage et la formation continue,
- d'autres dettes ' clients' pour 129.810,99 € contre 59.723,96 € précédemment.
Le bilan fait ainsi état d'un passif supérieur à 500.000 €.
Par ailleurs, le compte de résultat qui est également joint mentionne des charges d'exploitation pour un total de 1.418.077,04 € soit un montant supérieur au chiffre d'affaires. Le résultat d'exploitation est négatif et s'établit au 31 décembre 2017 à - 106.698,20 € et le résultat courant avant impôt à - 108.998,14 €.
La simple lecture de ces documents, dont les acquéreurs ont eu connaissance, révèle qu'au 31 décembre 2017, la situation de l'entreprise, non seulement s'est profondément dégradée depuis l'exercice précédent, mais est totalement compromise puisque le résultat d'exploitation ne peut combler un passif déclaré de 500.000 €.
Ces éléments n'ont été aucunement dissimulés à M. [G] et [S] qui ne pouvaient ignorer que, déjà en 2017, la société n'était plus en mesure de régler la totalité des salaires, ni d'honorer l'ensemble de ses cotisations sociales et fiscales. Il était évident, en raison de l'importance des dettes que la société allait faire l'objet de poursuites, à tout le moins de la part des organismes sociaux.
Au demeurant, l'état des inscriptions, qui était également annexé à l'acte de cession, mentionne au titre des années 2017-2018, l'existence de dettes inscrites en vertu d'avis de poursuites
(CARCEPT et URSSAF).
Il ne peut être donc être soutenu que le vendeur n'a pas respecté son devoir d'information pré-contractuelle puisque les pièces comptables qui ont été communiquées attestent de la situation particulièrement obérée de l'entreprise au 31 décembre 2017 et qui ne pouvait, en l'état de l'ampleur du passif, que se détériorer. Sur ce point, M. [U] n'a rien dissimulé, étant relevé que M. [G] et M. [S] en étaient parfaitement conscients puisqu'ils ont acquis les parts sociales au prix de 30.000 €, contre 180.000 € dans le compromis, soit une division par six compte tenu du bilan 2017, étant précisé que seule la moitié du prix de cession était exigible au jour de la vente et l'autre moitié, seulement trois ans plus tard sans aucun intérêt.
De même, les intimés ne caractérisent pas les manoeuvres qui auraient été pratiquées par le gérant en vue de les amener à régulariser la cession alors que précisément ils ont contracté à des conditions substantiellement différentes de ce qui était initialement convenu, à savoir une diminution plus que conséquente du prix justement pour tenir compte du passif existant et révélé avant la vente de nature à compromettre la survie de la société. Ils étaient donc informés, en l'état des éléments financiers dont ils disposaient, de l'état de l'entreprise au 31 décembre 2017 qui ne pouvait que se détériorer au cours des premiers mois de l'année 2018 et ils ne peuvent soutenir, dans ces conditions, qu'un passif conséquent leur a été dissimulé.
Le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de cession de parts sociales au visa des articles 1112-1, 1130 et 1137 du code civil, doit donc être infirmé.
Par voie de conséquence, les intimés ne peuvent qu'être déboutés de leurs demandes tendant :
- d'une part, au remboursement de la somme de 7.500 € qu'ils ont chacun versée au titre du prix de cession,
- d'autre part, à obtenir l'allocation de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice.
En revanche et en l'absence de nullité du contrat de cession, M. [U] est fondé en sa demande reconventionnelle aux fins d'obtenir le paiement du solde du prix de cession qui ne lui a pas été réglé.
M. [G] et M. [S] seront donc condamnés au paiement, chacun de la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Fréjus déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
Déboute M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande d'annulation de l'acte de cession de parts sociales du 14 juin 2018,
Déboute M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de remboursement de la somme de 7.500 € à chacun au titre du prix de cession versé,
Condamne M. [Z] [G] à payer à M. [D] [U] la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021,
Condamne M. [P] [S] à payer à M. [D] [U] la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021,
Condamne M. [Z] [G] et M. [P] [S] à payer à M. [D] [U] la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Z] [G] et M. [P] [S] aux dépens de première instance et de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chambre 3-4
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUILLET 2024
N° 2024/ 134
Rôle N° RG 20/08370 - N° Portalis DBVB-V-B7E-BGHF5
[D] [U]
C/
[Z] [G]
[P] [S]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Karine TOLLINCHI
Me Sophie MORREEL-WEBER
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Commerce de FREJUS en date du 27 Juillet 2020 enregistré au répertoire général sous le n° 2019 05546.
APPELANT
Monsieur [D] [U]
né le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 9] (02)
demeurant [Adresse 5]
représenté par Me Karine TOLLINCHI de la SCP CHARLES TOLLINCHI - CORINNE PERRET-VIGNERON, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, et assisté de Me Emmanuel BONNEMAIN, avocat au barreau de DRAGUIGNAN, plaidant
INTIMES
Monsieur [Z] [G]
né le [Date naissance 4] 1984 à [Localité 8] (83), demeurant [Adresse 1]
représenté et assisté de Me Sophie MORREEL-WEBER de la SELARL LEX&CO AVOCATS, avocat au barreau de NICE plaidant
Monsieur [P] [S]
né le [Date naissance 2] 1989 à [Localité 6] (83), demeurant [Adresse 7]
représenté et assisté de Me Sophie MORREEL-WEBER de la SELARL LEX&CO AVOCATS, avocat au barreau de NICE plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 21 Mai 2024 en audience publique. Conformément à l'article 804 du code de procédure civile, Madame Laetitia VIGNON, Conseiller a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
Madame Gaëlle MARTIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juillet 2024,
Signé par Madame Anne-Laurence CHALBOS, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Transfer [U], constituée en mai 2012, a pour objet 'la préparation et l'acheminement de commande, la logistique, la location de matériel et de véhicules industriels avec ou sans conducteurs et toutes activités complémentaires'.
Par acte du 14 juin 2018, enregistré le 11 juillet 2018, M. [D] [U], gérant et associé unique de la SARL Transfer [U], a cédé l'intégralité des parts sociales de la société à M. [Z] [G] et M. [P] [S], à raison de 50 parts chacun, pour un prix de 30.000 €, soit 15.000 € chacun.
Chaque cessionnaire a payé la somme de 7.500 € le jour de la cession, la somme restant due devant être réglée le 15 juin 2021, sauf le jeu de la garantie de passif et d'actif ouverte jusqu'au 31 mars 2021.
Par trois assemblée générales extraordinaires du 14 juin 2018 de la société Transfer [U], il a été décidé :
- d'autoriser la cession des parts sociales à M. [Z] [G] et M. [P] [S],
- de prendre acte de la démission de M. [U] de ses fonctions de gérant et de la nomination de deux co-gérants, messieurs [G] et [S],
- de prendre acte du transfert du siège social et du changement de dénomination de la société.
Ces délibérations sociales n'ont cependant jamais été publiées au registre du commerce et des sociétés.
Indiquant avoir découvert que la société était gérée anormalement, qu'une partie de l'actif avait été détournée et que la SARL Transfer [U] semblait en état de cessation des paiements, M. [Z] [G] et M. [P] [S] ont sollicité, par lettres recommandées en date du 19 septembre 2018, la résolution amiable de la cession de parts sociales et notifié leur démission en tant que gérants.
Par assemblée générale extraordinaire du 18 octobre 2018, il a été pris acte de cette démission et de l'absence de candidature au poste de gérant.
Par jugement du 19 novembre 2018, le tribunal de commerce de Fréjus a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Transfer [U], procédure convertie en liquidation judiciaire le 10 décembre 2018.
Par acte d'huissier en date du 7 février 2019, M. [Z] [G] et M. [P] [S] ont fait assigner M. [D] [U] devant le tribunal de commerce de Fréjus en nullité de la cession de parts sociales intervenue le 14 juin 2018.
Par jugement en date du 27 juillet 2020, le tribunal de commerce de Fréjus a :
- ordonné la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la société Transfer [U] du 14 juin 2018 au profit de M. [Z] [G] et M. [P] [S],
- condamné M. [D] [U] à payer à M. [Z] [G] et M. [P] [S] la somme de 7.500 € chacun, correspondant aux sommes versées par les acquéreurs, outre intérêts au aux légal à compter de la présente décision,
- débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
- débouté M. [D] [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamné M. [D] [U] à payer la somme de 2.000 € à parts égales à M. [Z] [G] et M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- condamné M. [D] [U] aux entiers dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe liquidés à la somme de 126,41 € TTC dont 21,07 € de TVA.
Pour statuer en ce sens, le tribunal a retenu que :
- dans le contrat de cession, M. [U] confirme que la société n'est pas en état de cessation des paiements, que peu de temps après la cession, un premier jugement a ouvert une procédure de redressement judiciaire de la SARL Transfer Gaulthier avec une période d'observation de six mois, que sans attendre le délai, le tribunal de commerce a prononcé la liquidation judiciaire de la société le 10 décembre 2018 et que la date de cessation des paiements a été modifiée par décision de ce même tribunal du 23 septembre 2019, pour être fixée au 30 juin 2017, soit près d'un an avant la signature de l'acte de cession,
- M. [U] atteste également, dans cet acte, avoir géré la société en bon père de famille et avoir régulièrement souscrit auprès des compagnies d'assurances, les contrats nécessaires à son exploitation, en vigueur à la date de la cession alors que les pièces du dossier révèlent que les garanties étaient suspendues le 26 mai 20187, après une mise en demeure,
- M. [U], en sa qualité de gérant de la société, ne pouvait ignorer cette situation et a commis des manquements à son devoir d'information, justifiant le prononcé de la nullité de l'acte de cession pour dol.
Par déclaration en date du 31 août 2020, M. [D] [U] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 15 avril 2024, M. [D] [U] demande à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté à l'encontre du jugement querellé,
Y faire droit,
- réformer ledit jugement en toutes ses dispositions et le mettre à néant,
Vu les articles 1130 et 1137 nouveau du code civil,
- dire et juger que régulièrement informés par leur conseil de la situation financière et comptable de la SARL Transfer [U] entre la signature du compromis du 12 février 2018 et la signature de l'acte de cession du 14 juin 2018, situation à l'origine d'une diminution du prix de vente de 150.000 €, les cessionnaires ne rapportent pas la preuve ni de la dissimulation invoquée, ni de son caractère intentionnel, ni du caractère déterminant de cette prétendue dissimulation sur leur consentement,
- dire et juger qu'en permettant au cessionnaire de réduire de 150.000 € le prix de leur acquisition en l'état de la situation financière et comptable de la SARL Transfer [U] dont les intimés achetaient les parts, le vendeur a rempli son obligation pré-contractuelle d'information,
- dire n'y avoir lieu à annulation de l'acte de cession de parts sociales du 14 juin 2018,
- condamner M. [Z] [G] et M. [P] [S] au paiement chacun de la somme complémentaire de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible au 21 juin 2021,
- débouter les intimés de leurs demandes,
- condamner solidairement M. [Z] [G] et M. [P] [S] au paiement de la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de la SCP Tollinchi-Bujoli-Tollinchi sous ses offres et affirmations de droits.
M. [Z] [G] et M. [P] [S], suivant leurs dernières conclusions notifiées le 10 avril 2024, demandent à la cour de :
Vu les articles 1104, 1112-1, 1130 et 1137 du code civil,
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a:
* ordonné la nullité de l'acte de cession de parts sociales de la société Transfer [U] du 14 juin 2018 au profit de M. [Z] [G] et M. [P] [S],
* condamné M. [D] [U] à payer à M. [Z] [G] et M. [P] [S] la somme de 7.500 € chacun, correspondant aux sommes versées par les acquéreurs, outre intérêts au aux légal à compter de la présente décision,
* condamné M. [D] [U] à payer la somme de 2.000 € à parts égales à M. [Z] [G] et M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- réformer le jugement de première instance en ce qu'il a :
* débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
- condamner M. [D] [U] au paiement de la somme de 75.000 € au titre du préjudice moral et financier de M. [Z] [G] et 75.000 € au titre du préjudice moral et financier de M. [P] [S],
En tout état de cause,
- condamner M. [D] [U] au paiement de la somme de 6.000 € à M. [Z] [G] et 6.000 € à M. [P] [S] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de la procédure,
- débouter M. [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 16 avril 2024.
MOTIFS
M. [G] et M. [S] sollicitent la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité de l'acte de cession de parts sociales en date du 14 juin 2018 pour dol et non respect par le vendeur de son obligation d'information pré-contractuelle.
Ils soutiennent que nonobstant l'arrêt de cette cour du 23 novembre 2023 infirmant le jugement du tribunal de commerce ayant modifié rétroactivement la date de cessation des paiements de la SARL Transfer [U], cette société était objectivement dans une telle situation un an avant la cession, en ce que le montant du passif est d'une importance telle qu'il suffit à lui seul à démontrer que son origine est antérieure à la signature de l'acte du 14 juin 2018.
Ils relatent avoir découvert postérieurement à la vente et en dépit des déclarations de l'appelant dans l'acte que de nombreuses factures étaient impayées, de même que les redevances de crédit-bail des camions que les camions conduits par les salariés de l'entreprise roulaient sans être assurés, que certains contrats essentiels au fonctionnement de la société avaient été résiliés avant, qu'aucune cotisation URSSAF n'avait été honorée en 2018 et que l'ensemble des dettes de l'entreprise au 14 juin 2018 leur a été dissimulé. Ils ajoutent qu'il est en outre apparu que la société faisait l'objet de multiples réclamations de la part de ses créanciers et de procédures contentieuses. Ils précisent qu'à côté de telles dettes, l'actif était ridiculement faible et que si le prix de vente a été effectivement baissé entre le compromis et la signature de l'acte définitif, il n'en demeure pas moins qu'ils n'auraient jamais accepté de payer un tel prix pour une société en état de cessation des paiements.
M. [U] conteste une telle analyse, il fait grief aux premiers juges d'avoir occulté certains éléments essentiels et notamment l'existence d'un compromis signé entre les parties le 12 février 2018 prévoyant un prix de cession de 180.000 €, lequel devait être révisé en plus ou moins en fonction notamment du bilan au 31 décembre 2017, lequel fait apparaître une perte de 120.530 € et que les parties ont décidé d'en tenir compte lors de la réitération de la vente trois mois plus tard en ramenant le prix à 30.000 €. Ils ajoutent que les intimés étaient assistés pendant les négociations par leur expert-comptable, que M. [S] était salarié de la société et la connaissait donc parfaitement et que c'est précisément compte tenu du passif existant et révélé avant la vente, que le prix a été divisé par six, l'acte de cession mentionnant au demeurant que l'entreprise n'était pas à jour du règlement de ses cotisations sociales. Il ajoute que le jugement modifiant rétroactivement la date de cessation des paiements de la société au 30 juin 2017 a été infirmé par cette cour, de sorte qu'il ne peut être soutenu qu'au moment de la cession, la SARL Transfer [U] était dans une telle situation.
Conformément à l'article 1137 du code civil, le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
L'article 1130 dispose que l'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que sans eux, l'une des parties n'auraient pas contracté ou aurait contracté à des conditions différentes. Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné.
Enfin, en vertu de l'article 1112-1, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant. Ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d'information peut entraîner l'annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants.
Il appartient à M. [G] et M. [S] de démontrer d'une part, le caractère intentionnel de la dissimulation invoquée et, d'autre part, le caractère déterminant de leur consentement, à savoir que M. [U] aurait agi sciemment en vue de les tromper.
En premier lieu, il ne peut être retenu, comme l'ont indiqué les premiers juges, que la SARL Transfer [U] était en état de cessation des paiements 30 juin 2017, soit un an avant la signature de l'acte de cession, situation que le vendeur, en sa qualité de gérant ne pouvait ignorer.
En effet, la cour de céans, dans son arrêt du 23 novembre 2023, a infirmé le jugement du tribunal de commerce de Fréjus en date du 23 septembre 2019 ayant rétroactivement reporté la date de cessation des paiements de la société au mois de juin 2017, a relevé que le jugement de conversion du redressement judiciaire en liquidation judiciaire en date du 10 décembre 2019 a maintenu la date de cessation des paiements au 14 novembre 2018 et qu'il existait pas d'élément sur la situation financière de la SARL Transfer [U] de nature à remettre en cause cette date.
Pour le surplus, il ressort des pièces produites que l'acte de cession litigieux a été précédé d'un compromis 'de cession de parts sociales sous conditions suspensives' en date du 12 février 2018 qui comporte une clause intitulée ' Prix ' et rédigée comme suit :
' La présente promesse est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 180.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2016. Ledit prix serra révisé, en plus ou moins, en fonction du bilan au 31 décembre 2017 puis d'une situation comptable arrêtée au jour de l'entrée en jouissance du cessionnaire. Lequel prix est payable comptant au jour de la réitération des présentes.'
L'acte de cession de parts sociales définitif régularisé le 14 juin 2018, précise s'agissant du prix que :
' 1. Cession par M. [U] à M. [G]
La présente cession est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 15.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2017. Lequel prix est payable comme suit:
- 7.500 € comptant ce jour, des deniers personnel du cessionnaire (...)
- 7.500 € le 15 juin 2021, sans intérêt, ni indexation.
2. Cession par M. [U] à M. [S]
La présente cession est consentie par le cédant et acceptée par le cessionnaire moyennant le prix de 15.000 € pour la cession envisagée, et ce sur la base du bilan de la société arrêté au 31 décembre 2017. Lequel prix est payable comme suit:
- 7.500 € comptant ce jour, des deniers personnel du cessionnaire (...)
- 7.500 € le 15 juin 2021, sans intérêt, ni indexation.'
Cet acte comporte une clause de garantie d'actif et de passif qui précise que la SARL Transfer [U] :
- a été gérée en bon père de famille,
- est à jour de ses déclaration de ses déclarations fiscales et sociales et du règlement des impôts mais elle n'est pas à jour du règlement des cotisations URSSAF, retraite et prévoyance, dont elle est redevable,
- ne fait l'objet d' objet d'aucune réclamation ou de mesures pré-contentieuses et n'est partie à aucune procédure contentieuse,
- a, depuis le 1er janvier 2018, exercé son activité dans des conditions normales par rapport à ce qui se pratiquait antérieurement.
Il est stipulé que 'D'une manière générale, le cédant déclare et garantit n'avoir pas sciemment occulté ou présenté de manière déformée des éléments de manière à fausser la prise de décision du cessionnaire de procéder à la signature de l'acte de cession en vue de l'acquisition des titres de la société ' et que ' Le bilan comptable arrêté au 31 décembre 2017, ci-annexé, a été établi conformément aux principes comptables légaux et usuels. Il représente la situation financière de la société à la date du 31 décembre 2017.'
Il est enfin précisé que les annexes sont les suivantes :
- état des inscriptions,
- inventaire du matériel,
- engagements de crédits baux et locations longue durée 2016-2017,
- bulletins de salaires d'avril 2018 des dix salariés,
- bilan 2017.
Les intimés produisent en pièces 3 à 9, les annexes à l'acte de cession et notamment le bilan de l'entreprise au 31 décembre 2017 incluant également l'exercice N-1, à savoir au 31 décembre 2016 qui met en évidence qu'au 31 décembre 2017:
- les dettes fournisseurs sont de 113.017,59 € ( contre 72.507,94 € sur l'exercice précédent),
- les dettes fiscales et sociales s'élèvent à 222.990,81 € ( 162.964,29 € au 31 décembre 2016) incluant:
* des dettes de salaires vis-à-vis des employés,
* l'URSSAF ( 44.252,38), les caisses de prévoyance, de retraite de congés payés et la CARCEPT,
* les dettes fiscales, essentiellement la TVA dont la TVA collectée 20% ( 49.552,92 €) ou la TVA à décaisser ( 9.864 €), la taxe d'apprentissage et la formation continue,
- d'autres dettes ' clients' pour 129.810,99 € contre 59.723,96 € précédemment.
Le bilan fait ainsi état d'un passif supérieur à 500.000 €.
Par ailleurs, le compte de résultat qui est également joint mentionne des charges d'exploitation pour un total de 1.418.077,04 € soit un montant supérieur au chiffre d'affaires. Le résultat d'exploitation est négatif et s'établit au 31 décembre 2017 à - 106.698,20 € et le résultat courant avant impôt à - 108.998,14 €.
La simple lecture de ces documents, dont les acquéreurs ont eu connaissance, révèle qu'au 31 décembre 2017, la situation de l'entreprise, non seulement s'est profondément dégradée depuis l'exercice précédent, mais est totalement compromise puisque le résultat d'exploitation ne peut combler un passif déclaré de 500.000 €.
Ces éléments n'ont été aucunement dissimulés à M. [G] et [S] qui ne pouvaient ignorer que, déjà en 2017, la société n'était plus en mesure de régler la totalité des salaires, ni d'honorer l'ensemble de ses cotisations sociales et fiscales. Il était évident, en raison de l'importance des dettes que la société allait faire l'objet de poursuites, à tout le moins de la part des organismes sociaux.
Au demeurant, l'état des inscriptions, qui était également annexé à l'acte de cession, mentionne au titre des années 2017-2018, l'existence de dettes inscrites en vertu d'avis de poursuites
(CARCEPT et URSSAF).
Il ne peut être donc être soutenu que le vendeur n'a pas respecté son devoir d'information pré-contractuelle puisque les pièces comptables qui ont été communiquées attestent de la situation particulièrement obérée de l'entreprise au 31 décembre 2017 et qui ne pouvait, en l'état de l'ampleur du passif, que se détériorer. Sur ce point, M. [U] n'a rien dissimulé, étant relevé que M. [G] et M. [S] en étaient parfaitement conscients puisqu'ils ont acquis les parts sociales au prix de 30.000 €, contre 180.000 € dans le compromis, soit une division par six compte tenu du bilan 2017, étant précisé que seule la moitié du prix de cession était exigible au jour de la vente et l'autre moitié, seulement trois ans plus tard sans aucun intérêt.
De même, les intimés ne caractérisent pas les manoeuvres qui auraient été pratiquées par le gérant en vue de les amener à régulariser la cession alors que précisément ils ont contracté à des conditions substantiellement différentes de ce qui était initialement convenu, à savoir une diminution plus que conséquente du prix justement pour tenir compte du passif existant et révélé avant la vente de nature à compromettre la survie de la société. Ils étaient donc informés, en l'état des éléments financiers dont ils disposaient, de l'état de l'entreprise au 31 décembre 2017 qui ne pouvait que se détériorer au cours des premiers mois de l'année 2018 et ils ne peuvent soutenir, dans ces conditions, qu'un passif conséquent leur a été dissimulé.
Le jugement entrepris en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de cession de parts sociales au visa des articles 1112-1, 1130 et 1137 du code civil, doit donc être infirmé.
Par voie de conséquence, les intimés ne peuvent qu'être déboutés de leurs demandes tendant :
- d'une part, au remboursement de la somme de 7.500 € qu'ils ont chacun versée au titre du prix de cession,
- d'autre part, à obtenir l'allocation de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice.
En revanche et en l'absence de nullité du contrat de cession, M. [U] est fondé en sa demande reconventionnelle aux fins d'obtenir le paiement du solde du prix de cession qui ne lui a pas été réglé.
M. [G] et M. [S] seront donc condamnés au paiement, chacun de la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
Vu l'article 696 du code de procédure civile,
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par mise à disposition au greffe et par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement du tribunal de commerce de Fréjus déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de dommages et intérêts,
Et statuant à nouveau,
Déboute M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande d'annulation de l'acte de cession de parts sociales du 14 juin 2018,
Déboute M. [Z] [G] et M. [P] [S] de leur demande de remboursement de la somme de 7.500 € à chacun au titre du prix de cession versé,
Condamne M. [Z] [G] à payer à M. [D] [U] la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021,
Condamne M. [P] [S] à payer à M. [D] [U] la somme de 7.500 € au titre du solde du prix de vente exigible depuis le 15 juin 2021,
Condamne M. [Z] [G] et M. [P] [S] à payer à M. [D] [U] la somme de 2.500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [Z] [G] et M. [P] [S] aux dépens de première instance et de la procédure d'appel qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE PRESIDENT