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Décisions

CA Montpellier, 4e ch. civ., 4 juillet 2024, n° 23/05241

MONTPELLIER

Arrêt

Infirmation partielle

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Soubeyran

Conseillers :

M. Bruey, Mme Franco

Avocats :

Me Faraj, Me Musso, Me Guillemain

TJ Montpellier, du 12 mai 2022, n° 11-20…

12 mai 2022

FAITS ET PROCÉDURE

Le 13 janvier 2019, Mme [Y] [D] a acquis auprès de M. [R] [E] unvéhicule Mercedes classe C immatriculé [Immatriculation 5] affichant un kilométrage de 237 989 km moyennant la somme de 3 000 €.

L'assureur juridique de Mme [D], la société Aviva, a fait diligenter une expertise amiable.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 juillet 2019, l'assureur a vainement mis en demeure M.[E] de payer la somme de 3 656 € correspondant au prix de vente du véhicule et au coût de la facture de remorquage.

C'est dans ce contexte que par acte du 17 décembre 2019, Mme [D] a fait assigner M. [E] devant le tribunal d'instance de Montpellier au visa des articles 1641 et suivants du code civil, et des articles L.217-4 et suivants du code de la consommation, aux fins que soit prononcée la résolution de la vente et d'obtenir indemnisation.

Par jugement contradictoire du 12 mai 2022, le tribunal judiciaire de Montpellier a :

Débouté Mme [D] de son action sur le fondement de la garantie légale des vices cachés ;

Ordonné la résolution de la vente du véhicule Mercedes classe C immatriculé [Immatriculation 5] intervenue le 13 janvier 2019 entre M. [E] et Mme [D], pour manquement du vendeur a son obligation de délivrance conforme ;

Condamné, en conséquence, M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 3 000 € au titre de la restitution du prix de vente ;

Dit que le défendeur devra reprendre le véhicule à ses frais exclusifs ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 156 € au titre des frais de remorquage ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 454,37 € au titre des frais de réparations ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 508,32 € au titre des frais d'assurance ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 6 000 € au titre des frais de gardiennage ;

Débouté Mme [D] de sa demande tendant à condamner M. [E] au paiement de la somme de 1 715,56 € en remboursement de la facture d'achat de son nouveau véhicule;

Débouté Mme [D] de sa demande tendant à condamner M. [E] au paiement de la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile (ci-après CPC) ;

Débouté M. [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du CPC ;

Condamné M. [E] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Le 1er juillet 2022, M. [E] a relevé appel de ce jugement.

Par ordonnance sur requête du 19 mai 2023, le conseiller de la mise en état de la cour de ce siège a prononcé la radiation du rôle de l'affaire enregistrée sous le n° RG 22/03537, dit que la procédure pourra faire l'objet d'une réinscription au rôle seulement sur justificatif de l'exécution de la décision de première instance et condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de l'incident.

Par ordonnance de référé du 18 octobre 2023, la cour a constaté que l'exécution provisoire du jugement rendu le 12 mai 2022 par le tribunal judiciaire de Montpellier n'a pas été ordonnée, déclaré sans objet la demande de M. [E] tendant à l'arrêt de l'exécution provisoire de cette décision et condamné ce dernier aux dépens.

PRÉTENTIONS

Par uniques conclusions remises par voie électronique le 1er septembre 2022, M. [E] demande en substance à la cour de réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de :

Déclarer le véhicule vendu par M. [E] n'est affecté d'aucun vice caché ;

Juger que la vente est valable et qu'il n'y a pas lieu à prononcer la résolution ;

Déclarer que le véhicule est conforme à la vente ; déclarer que Mme [D] a utilisé le véhicule d'une manière excessive par rapport à son usage habituel ;

Déclarer qu'un mécanicien est intervenu sur le véhicule ;

Débouter Mme [D] de toutes ses demandes ;

Condamner Mme [D] au paiement de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises par voie électronique le 23 janvier 2024, Mme [D] demande en substance à la cour de:

Confirmer la décision déférée en ce que le tribunal judiciaire a :

Ordonné la résolution de la vente du véhicule Mercedes classe C immatriculé [Immatriculation 5] intervenue le 13 janvier 2019 entre M. [E] et Mme [D], pour manquement du vendeur a son obligation de délivrance conforme ;

Condamné, en conséquence, M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 3 000 € au titre de la restitution du prix de vente ;

Dit que le défendeur devra reprendre le véhicule à ses frais exclusifs ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 156 € au titre des frais de remorquage ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 454,37 € au titre des frais de réparations ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 1 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté M. [E] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamné M. [E] aux dépens, en ce compris les frais d'expertise judiciaire ;

Rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

Infirmer la décision déférée en ce que le tribunal judiciaire a:

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 6 000 € au titre des frais de gardiennage ;

Condamné M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 508,32 € au titre des frais d'assurance ;

Débouté Mme [D] de sa demande tendant à condamner M. [E] au paiement de la somme de 1500 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée ;

Statuant à nouveau,

Condamner M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 18 258 € arrêtée au 18 novembre 2022 au titre des frais de gardiennage, somme à parfaire jusqu'à la récupération effective du véhicule par M. [E] ;

Condamner M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 1 307,57 € au titre des frais d'assurance, somme à parfaire jusqu'à la récupération effective du véhicule par M.[E] ;

Condamner M. [E] au paiement de la somme de 1 500€ de dommages et intérêts pour résistance abusive et injustifiée;

Assortie la condamnation de M. [E] à venir récupérer le véhicule litigieux à ses frais d'une astreinte de 150 € par jour prenant effet 8 jours après signification de la décision à intervenir ;

En tout état de cause,

Rejeter l'ensemble des demandes, fins et conclusions de M.[E] ;

Condamner M. [E] à payer à M. [D] la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de procédure en ce compris les frais d'expertise judiciaire.

Vu l'ordonnance de clôture du 25 avril 2024.

Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS :

- Sur la garantie des vices cachés

L'article 1641 du code civil dispose que : « Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».

En application de ces dispositions l'acquéreur doit établir l'existence d'un vice, sa gravité et son antériorité à la vente.

Par de justes motifs que la cour ne peut qu'adopter le premier juge a débouté M. [E] de ses demandes sur le fondement des dispositions sus-visées après avoir mis en exergue les observations de l'expert judiciaire selon lesquelles le moment de l'apparition du vice ne pouvait être précisément déterminé et déduisant à juste titre de ces observations expertales qu'il ne pouvait être déterminé avec certitude que le vice était antérieur à la vente et que dès lors, les conditions de la mise en oeuvre de la garantie des vices cachés n'étaient pas réunies, le fait, invoqué par l'appelante, que l'expert ait indiqué que « le défaut est apparu peu de temps après la vente et qu'il n'est pas la conséquence d'une usure normale ou d'un mauvais usage du véhicule » n'étant pas de nature à établir la condition de l'antériorité du vice exigée par le texte sus-visé.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] de ses demandes fondées sur la garantie légale des vices cachés.

- Sur le défaut de conformité

L'article L. 217-4 du code de la consommation applicable entre un professionnel et un particulier dispose que « le vendeur est tenu de livrer un bien conforme au contrat et répond des défauts de conformité existant lors de la délivrance ».

Et d'après l'article L. 217-5, « le bien est conforme au contrat:

- s'il est propre à l'usage habituellement attendu d'un bien semblable,

- s'il correspond à la description donnée par le vendeur et possède les qualités que celui-ci a présentées à l'acheteur sous forme d'échantillon ou de modèle ;

- s'il présente les qualités qu'un acheteur peut légitimement attendre eu égard aux déclarations publiques faites par le vendeur, par le producteur ou par son représentant, notamment dans la publicité ou l'étiquetage ;

- Ou s'il présente les caractéristiques définies d'un commun accord par les parties ou est propre à tout usage spécial recherché par l'acheteur, porté à la connaissance du vendeur et que ce dernier a accepté ».

L'article L. 217-7 du code de la consommation dans sa rédaction applicable au litige fait bénéficier l'acheteur d'une présomption simple : les défauts de conformité qui se révèlent dans les six mois de la vente d'un véhicule d'occasion sont présumés exister à ce moment, sauf au vendeur à prouver que l'origine de la défectuosité est postérieure à la délivrance.

Ainsi, dès lors que le défaut est révélé dans le délai de six mois à compter de la délivrance du bien, le consommateur est dispensé d'établir que le défaut de conformité existait à la date de la livraison du bien, le consommateur n'étant par ailleurs tenu que de prouver l'existence du défaut et non d'établir la cause de celui-ci ni que son origine est imputable au vendeur.

En l'espèce, M. [E] soutient qu'il ne ressort pas de l'expertise que le désordre est apparu dans le délai prévu par les dispositions sus-visées faisant valoir outre les observations de l'expert, le fait que le contrôle technique n'a fait apparaître aucun défaut sur le moteur et ajoutant que Mme [D] a fait un usage anormal du véhicule pour avoir parcouru plus de 9000 km en quatre mois.

Mme [D] fait valoir de son côté qu'elle est bien-fondée conformément à ce que jugé en première instance sur le fondement de la garantie légale de conformité due par le vendeur professionnel, à obtenir la résolution de la vente du véhicule tombé en panne dans les quatre mois suivant son acquisition contestant avoir fait un usage anormal du véhicule, le modèle et la marque du véhicule litigieux étant capable de parcourir plus de 500 000 km.

Il est acquis que le véhicule d'occasion acquis par Mme [D] le 15 janvier 2009 est tombé en panne le 15 mai suivant.

L'expert judiciaire indique qu'il n'est plus roulant suite à une avarie majeure due à une rupture soudaine d'éléments mécaniques localisés sur la cylindrée n° 3 suite à des défauts de combustion.

Il précise que ces défauts rendent le véhicule impropre à sa destination, le moteur étant hors d'usage et devant être remplacé, ajoutant que ce désordre n'était pas décelable par un profane et était présent très peu de temps après la cession soit « moins de six mois » et n'est pas la conséquence d'une usure normale ou d'un mauvais usage du véhicule.

Ces observations expertales permettent de considérer d'une part que le véhicule acquis auprès d'un professionnel de la vente automobile, tombé en panne et hors d'usage dès le quatrième mois de son acquisition, et après avoir parcouru seulement 9000 km, est bien impropre à l'usage attendu d'un bien semblable, le seul fait que le véhicule soit d'occasion n'exonérant pas le vendeur de répondre des défauts de conformité du bien vendu (Cass Civ 1ère 09/05/2019 18-15.706), et que d'autre part, ce défaut de conformité s'est bien révélé dans le délai de six mois prévu par l'article L.217-7 du code de la consommation de sorte que Mme [D] bénéficie de la présomption d'antériorité édictée par ce texte.

Et la cour ne peut que constater que M. [E] échoue à écarter cette présomption par le seul rappel de l'absence de mentions relatives au défaut du moteur dans le procès-verbal de contrôle technique et lors des révisions effectuées courant mars et juin 2019, un contrôle technique n'étant en mesure que de détecter des désordres présentant des signes apparents, et l'expert ayant précisé s'agissant des travaux de révision effectués à la diligence de Mme [D] que les factures afférentes à ces prestations ne mentionnaient pas les codes défauts relevés.

Il suit de l'ensemble de ces observations, que le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de résolution de la vente sur le fondement de la garantie légale de conformité, la réparation du véhicule n'étant pas envisageable au regard de son coût supérieur à la valeur vénale du bien.

- Sur les demandes de dommages et intérêts

> les frais de gardiennage

M. [E] conclut à titre subsidiaire à l'infirmation du jugement l'ayant condamné à payer des frais au titre du gardiennage du véhicule au motif que Mme [D] ne justifie pas de l'existence d'un contrat d'entreprise signé avec le garage Prost où est stationné le véhicule.

Mme [D] sollicite, quant à elle, l'infirmation de ce chef du jugement déféré au motif que le premier juge a commis une erreur de calcul quant au montant des sommes devant lui être allouées de ce chef s'élevant à 18 258 euros, faisant valoir que l'Eurl Prost lui a indiqué que des frais de gardiennage seraient facturés, ce qui a été également indiqué à l'expert judiciaire.

A défaut de facture produite par Mme [D] au soutien de cette demande et en l'état des contradictions constatées par la cour dans les dires du garage Prost lequel a indiqué à l'expert mandaté par l'assureur de Mme [D] qu'il ne facturerait pas de frais de gardiennage (page 6 du rapport) pour affirmer ensuite le contraire devant l'expert judiciaire, la cour estime que Mme [D] ne justifie du caractère certain de sa créance afférente à ces frais de sorte qu'elle en sera déboutée, le jugement étant infirmé sur ce point.

> les frais d'assurance

Il sera fait droit à la demande non contestée de Mme [D] d'actualisation de l'indemnisation au titre des frais d'assurance qui ont continué à courir depuis le jugement déféré non exécuté, M. [E] étant condamné à lui payer de ce chef la somme de 1307,57 euros.

> la demande indemnitaire au titre de la résistance abusive

L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits et la défense à une action en justice introduite à son encontre n'est pas, en soi, constitutive d'une faute susceptible de justifier l'octroi d'une indemnité pour résistance abusive de sorte que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] de ce chef de demande.

> sur la demande de prononcé d'une astreinte

Mme [D] forme en cause d'appel la demande de condamnation de M. [E] au paiement d'une astreinte de 150 euros par jour assortissant la condamnation de ce dernier à récupérer le véhicule litigieux.

Cependant, la cour ne disposant pas à ce stade d'éléments suffisants pour préjuger de l'inexécution de sa décision par l'appelant, ne fera pas droit à cette demande.

Partie succombante, M. [E] sera condamné aux dépens d'appel par application de l'article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. [E] à payer à Mme [D] les sommes de :

- 6000 euros au titre des frais de gardiennage,

- 508,32 euros au titre des frais d'assurance.

Statuant à nouveau de ces chefs,

Déboute Mme [D] de sa demande au titre des frais de gardiennage,

Condamne M. [E] à payer à Mme [D] la somme de 1307 euros au titre des frais d'assurance.

Confirme le jugement pour le surplus,

Y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,

Condamne M.[E] aux dépens d'appel.

Le condamne à payer à Mme [D] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.