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Décisions

Cass. com., 10 juillet 2024, n° 22-21.947

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

PARTIES

Défendeur :

Equip'Jardin Atlantic (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocat général :

Me Lecaroz

Avocats :

Me Descorps-Declère, SCP Waquet, Farge et Hazan

Rennes, 3e ch. com., du 5 juill. 2022

5 juillet 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 5 juillet 2022), le 6 octobre 2017, M. et Mme [X] ont cédé la totalité des titres composant le capital social de la société Tamo motoculture (la société Tamo) à la société Equip'jardin Atlantic (la société Equip'jardin).

2. L'article 3 de l'acte de cession stipule que le prix de cession est fixé à la somme de 250 000 euros, sous la réserve que le montant des capitaux propres retraités de la société Tamo tels que résultant des comptes sociaux de référence soit au moins égal à 262 000 euros, et que les cédants s'engagent irrévocablement à restituer au cessionnaire, à titre de réduction du prix de cession, une somme correspondant à la différence entre la somme de 262 000 euros et le montant des capitaux propres retraités de la société au 30 septembre 2017.

3. La société Equip'jardin a assigné M. et Mme [X] en paiement d'une somme au titre de la clause d'ajustement du prix de cession stipulée à l'acte de cession. Soutenant que cette société avait abusé de l'état de dépendance dans lequel ils se trouvaient à son égard, M. et Mme [X] ont opposé la nullité de cette clause à la demande de la société Equip'jardin.

Enoncé du moyen

4. M. et Mme [X] font grief à l'arrêt de recevoir la demande de la société Equip'jardin, de la dire bien fondée et de les condamner à lui payer, respectivement, les sommes de 137 795 euros et 56 euros, alors :

« 1°/ qu'il y a violence lorsqu'une partie, abusant de l'état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard, obtient de lui un engagement qu'il n'aurait pas souscrit en l'absence d'une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ; qu'en relevant que par lettre d'intention du 18 mai 2017, la société Equip'jardin avait confirmé sa volonté de procéder à l'acquisition de la totalité des parts de la société Tamo pour le prix de 250 000 euros, mais avait alors tenté d'imposer à M. et Mme [X] une clause de réduction du prix en fonction du montant des capitaux propres de cette société au 30 septembre 2017, ce que M. et Mme [X] ont refusé le 23 mai 2017, refus accepté par la société Equip'jardin dans sa lettre d'intention du 24 mai 2017 et par son engagement "irrévocable", le 29 septembre 2017, de "procéder à l'acquisition (…) moyennant le prix de 250 000 euros", que consécutivement à cet engagement "irrévocable", outre les actes de restructuration de la société exigés par la société Equip'jardin pour parvenir à la cession, comprenant notamment le départ de plusieurs salariés et la fermeture d'un établissement secondaire, le 4 octobre 2017, M. [X] a acquis auprès des héritiers de son frère les parts qu'ils détenaient dans ladite société afin de pouvoir réaliser la cession de la totalité des titres "quelques jours plus tard", mais que le projet envoyé à M. et Mme [X] par le conseil de la société Equip'jardin le 4 octobre 2017 à 20 h 15 pour une signature le 6 octobre 2017 au matin avait réintroduit une clause de réduction du prix de cession selon le montant des capitaux propres au 30 septembre 2017, "alors que tous les actes préparatoires à la cession, et notamment les acquisitions, modification des baux commerciaux et de la composition du personnel, avaient été réalisés par les vendeurs", "moins de 48 heures avant la date de signature de l'acte de cession définitif alors que [la société Equip'jardin] savait que [M. et Mme [X]] avaient auparavant manifesté leur opposition sur ce point" et qu'elle avait ce faisant "pour le moins manqué de loyauté" et avait "exigé l'insertion de cette clause à une date à laquelle [M. et Mme [X]] ne pouvaient plus revenir en arrière quant aux opérations de réorganisation de leur personnel, de fermeture d'un établissement, de modification d'un bail commercial et de rachat de parts sociales", de sorte qu'ils "n'étaient plus en situation de refuser la cession aux conditions exigées par la société Equip'jardin en contradiction avec l'ensemble des négociations antérieures" et qu'ils "se trouvaient en état de dépendance", et que la société Equip'jardin "ne justifie pas avoir découvert tout à coup des éléments comptables lui permettant de douter de la fiabilité des comptes qui lui avaient été présentés", mais en considérant néanmoins, pour exclure tout vice du consentement, que "[M. et Mme [X]] ne justifient pas d'actes de pression ou à tout le moins une forme d'intransigeance de la part du cocontractant. S'ils ont indiqué par la suite s'opposer à l'application de la clause, il n'est pas justifié qu'ils aient tenté, avant la signature, de s'opposer aux nouvelles exigences de la société Equip'jardin", la cour d'appel, qui a relevé que la société Equip'jardin avait, de manière déloyale, contraint M. et Mme [X] à accepter une clause qu'ils avaient déjà refusée formellement depuis plusieurs mois mais qu'ils n'étaient plus en mesure de refuser à nouveau moins de 48 heures avant la date de signature du contrat, compte tenu de la profonde restructuration de l'entreprise à laquelle ils avaient d'ores et déjà procédé à la demande de la société Equip'jardin et de l'acquisition des parts des héritiers du frère de M. [X] afin de pouvoir les rétrocéder à la société Equip'jardin, et qui a en conséquence condamné M. et Mme [X], au titre de la clause litigieuse, à restituer à la société Equip'jardin la somme de 135 851 euros sur un prix versé de 250 000 euros, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l'article 1143 du code civil ;

2°/ que le vice du consentement s'apprécie au jour de la conclusion du contrat ; qu'en jugeant également, pour exclure un vice du consentement, que postérieurement à la conclusion de la cession comprenant la clause de réduction du prix litigieuse, un avenant a été conclu pour préciser la notion de capitaux propres retraités et le partage d'une éventuelle indemnité perçue de la part de la société Honda, bien que ledit avenant n'ait pas supprimé la clause de réduction du prix imposée par abus de dépendance dans l'acte de cession du 6 octobre 2017, la cour d'appel a violé les articles article 1130 et 1143 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. Après avoir relevé, par motifs propres, que, le 4 octobre 2017, la société Equip'jardin avait transmis à M. et Mme [X] un projet d'acte de cession à régulariser avant le 6 octobre suivant, comprenant la clause d'ajustement de prix litigieuse et, par motifs adoptés, que ceux-ci avaient été assistés de leur avocat et de leur expert-comptable tout au long des négociations avec la société Equip'jardin, l'arrêt retient que, si M. et Mme [X] se trouvaient en état de dépendance à l'égard de la société Equip'jardin, il n'est pas justifié qu'ils aient tenté, avant la signature de l'acte de cession, de s'opposer aux nouvelles exigences de la société Equip'jardin. L'arrêt ajoute que, par un avenant du 6 octobre 2017 conclu le jour même de la signature de l'acte de cession, M. et Mme [X], d'une part, sont convenus de préciser la notion de capitaux propres retraités énoncée dans la clause d'ajustement de prix, d'autre part, ont inclus une clause de complément de prix au titre d'une éventuelle indemnité perçue de la société Honda et, qu'ainsi, des négociations entre M. et Mme [X] et la société Equip'jardin sur le prix définitif de cession ont eu lieu le jour de la signature du contrat de cession.

6. De ces constatations et appréciations souveraines, faisant ressortir que M. et Mme [X] avaient conservé la faculté de ne pas déférer aux exigences de la société Equip'jardin, la cour d'appel, qui pouvait se fonder sur des éléments concomitants ou postérieurs à la date de formation du contrat afin d'apprécier la réalité du vice du consentement allégué, a pu déduire qu'aucun abus n'était caractérisé à l'encontre de la société Equip'jardin, de sorte que le vice du consentement allégué n'était pas établi.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.