Décisions
CA Chambéry, 2e ch., 13 juin 2024, n° 20/00491
CHAMBÉRY
Autre
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COUR D'APPEL de CHAMBÉRY
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 13 Juin 2024
N° RG 20/00491 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GOAM
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 04 Décembre 2019, RG 17/01403
Appelants
Mme [B] [J] [A] épouse [V] tant personnellement qu'en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 7] - HONGRIE, demeurant [Adresse 6]
Mme [I] [R] [S] [V] intervenante volontaire en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
née le [Date naissance 3] 2002 à [Localité 8] - SUISSE, demeurant [Adresse 6]
M. [D] [G] [N] [V] - intervenant volontaire en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
né le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 9] - SUISSE, demeurant [Adresse 6]
Représentés par Me Agnès UNAL, avocat postulant au barreau d'ANNECY et Me Anne-Sophie RAMOND, avocat plaidant au barreau de PARIS
Intimée
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est sis [Adresse 5]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Hélène ROTHERA, avocat au barreau d'ANNECY
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COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 26 mars 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
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EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre acceptée du 18 août 2006, la société Caisse régionale de crédit mutuel des Savoie a accordé à Mme [B] [A] et à son mari, M. [Y] [V], un prêt immobilier d'un montant de 552 533 CHF, remboursable en 300 mois, avec des mensualités ajustables. Le contrat a été réitéré en la forme authentique par acte du 19 octobre 2006.
Par acte d'huissier du 26 septembre 2017, les époux [V] ont assigné la société CRCAMS en vue, notamment, de faire prononcer la nullité du contrat de prêt, de faire condamner la banque au paiement de dommages et intérêts en réparation des dommages causés par le manquement à l'obligation d'information et de conseil et de faire déclarer nulle la clause de stipulation des intérêts des prêts litigieux.
Par jugement contradictoire du 4 décembre 2019, le tribunal de grande instance d'Annecy a :
- déclaré irrecevables les demandes formées par les emprunteurs,
- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [B] [A] et M. [Y] [V] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 1er avril 2020, les époux [V] ont interjeté appel du jugement.
M. [Y] [V] est décédé le [Date décès 4] 2021. Viennent à sa succession, outre son épouse, ses enfants, Mme [I] [V] et M. [D] [V] (ci-après les consorts [V]).
Par acte du 31 janvier 2022, les consorts [V] ont assigné en intervention forcée la société CNP.
Par ordonnance en date du 13 octobre 2022 du conseiller chargé de la mise en état, cette intervention forcée a été déclarée irrecevable.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les consorts [V] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du 4 décembre 2019 rendu par le tribunal de grande d'instance d'Annecy en ce qu'il a déclaré l'action des emprunteurs prescrite,
Statuant à nouveau :
- les recevoir en leurs demandes et les dire bien fondées,
- débouter la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* déclarer le contrat de prêt souscrit auprès contraire à l'ordre public économique,
En conséquence,
- déclarer le contrat de prêt litigieux nul et non avenu,
- constater que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,
- ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,
- constater leur compensation à due concurrence,
* déclarer abusive la clause faisant peser sur l'emprunteur le taux de change du contrat de prêt,
En conséquence,
- déclarer ladite clause nulle et non écrite,
- prononcer la nullité du contrat de prêt litigieux,
- constater que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,
- ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,
- constater leur compensation à due concurrence,
* dire et juger que la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son obligation d'information et de conseil,
- condamner la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 235 474,00 euros à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
* constater que la clause de calcul des intérêts conventionnels est dite lombarde et se basent sur une année de 360 jours,
En conséquence,
- prononcer la nullité de la clause de stipulation d'intérêts du prêt litigieux,
- prononcer la substitution du taux légal applicable au jour de la conclusion du contrat de prêt, au taux d'intérêts conventionnels, depuis la conclusion du contrat de prêt,
En tout état de cause,
- condamner la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Caisse régionale de crédit mutuel des Savoie demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en date du 4 décembre 2019 en ce qu'il a déclaré irrecevables car prescrites les actions des consorts [V],
A titre subsidiaire,
- rejeter les demandes des consorts [V] en ce qu'elles sont non fondées,
- dire et juger que le contrat de prêt n'est pas contraire à l'ordre public économique,
- dire et juger non abusive la clause relative au taux de change,
- dire et juger que qu'elle n'a pas manqué à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde,
- dire et juger que la clause d'intérêts ne peut être considérée comme nulle et non avenue et qu'il ne peut y être substitué le taux d'intérêt légal,
- rejeter par voie de conséquence l'intégralité des demandes formalisées par les consorts [V],
A titre extrêmement subsidiaire,
dire et juger que les consorts [V] ne justifient pas de préjudice et notamment au titre de la perte de chance de contracter dans des meilleures conditions,
- rejeter toutes autres demandes.
En tout état de cause
- condamner les consorts [V] au paiement d'une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Hélène Rothera, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 septembre 2023.
L'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2023 et renvoyée, à la demande du conseil des consorts [V] à l'audience du 26 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire la cour relève que les consorts [V] exposent que l'assureur n'a refusé de prendre en charge à 100% le prêt au titre du décès de M. [Y] [V] mais que ce refus ne pourrait entraîner, le cas échéant, que la responsabilité de l'assureur. Au demeurant, les consorts [V] n'en tirent aucune conclusion sur la question de la responsabilité du banquier.
1. Sur le caractère abusif de la clause relative au remboursement et au risque de change
1.1 Sur la prescription
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Elle a précisé que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive relèvent de l'ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l'autonomie procédurale ; que, cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (point 27).
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), elle a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13 ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.130).
Dès lors, il convient en l'espèce d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit prescrite l'action en constatation du caractère abusif de la clause faisant porter le risque de change sur les emprunteurs, le caractère abusif de la clause litigieuse n'ayant, en l'espèce, pas encore été constaté. Cette action sera déclarée recevable.
1.2 Sur le fond
Les consorts [V] exposent que la clause de l'offre de prêt intitulée 'remboursement' énonce que l'emprunteur supportera intégralement le risque de change. Ils estiment que, en cas de variation défavorable du taux de change, il existe un risque 'de pertes dramatiques' pour l'emprunteur. Ils appuient ce raisonnement sur le fait qu'ils peuvent être amené à devoir rembourser, en vertu de cette clause, des échéances (dont le montant est fixe en francs suisses mais pas nécessairement en monnaie nationale) pour une durée supérieure à celle de l'engagement initial. Ils en déduisent le caractère abusif de cette clause.
L'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, applicable au temps de la conclusion des prêts litigieux (aujourd'hui article L 212-1 du Code de la consommation), dispose que : 'dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat'.
Il convient de relever que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de ce texte, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. A cet égard, la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d'« objet principal du contrat », couvre une clause contractuelle insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat et que, par conséquent, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a.C-186/16).
En l'espèce, la clause discutée (remboursement des échéances) constitue bien l'objet principal du contrat des prêts immobiliers souscrits entre les appelants et l'intimée et ne peut donc être considérée comme abusive que si elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible. Il est tout aussi constant que le caractère abusif d'une clause s'apprécie au regard de toutes les circonstances qui entourent la conclusion du contrat au moment où il est conclu et de toutes les autres clauses du contrat.
La clause est ainsi rédigée : 'Les remboursements s'effectueront dans la devise du Prêt par utilisation de devises préalablement disponibles ou par achat de devises au comptant ou à terme, par débit du compte de l'Emprunteur.
Il supportera donc intégralement, en cas d'achat de devises au comptant, le risque de change'.
Selon la cour de justice de l'Union Européenne, l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s'entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (C-26/13 du 30 avril 2014).
En l'espèce, la clarté grammaticale ne fait pas de doute et, au fond, le mécanisme du remboursement en devise est parfaitement décrit : soit le remboursement se fait par utilisation de devises disponibles sur un compte spécifique, soit il se fait par l'achat de devises. Et c'est seulement dans ce dernier cas que l'emprunteur supporte, aux termes de la clause, le risque de change.
Or la cour relève qu'il est constant que Mme [B] [A] et M. [Y] [V] travaillaient tous les deux en Suisse au moment de l'emprunt litigieux. Il en résulte qu'il y avait bien un intérêt pour eux à souscrire un prêt dans la monnaie dans laquelle ils étaient rémunérés, surtout en présence de taux d'intérêts très attractifs. Il n'existait donc, aux termes du contrat litigieux, aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, dont l'un d'eux est informaticien et l'autre commercial, et qui ont fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France destiné à la location, de recourir à un prêt dans une devise qui est celle de leur rémunération, avec des échéances remboursables dans la même devise. La cour de cassation décide à ce sujet que : 'Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances' relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif' (cass. civ.1ère, 1er mars 2023, n°21-20.260).
Il sera observé, pour le surplus, que la jurisprudence, relative aux contrats 'Helvet Immo' citée par les appelants au soutien de leurs prétentions, se rapporte à des prêts libellés dans une devise étrangère mais remboursables dans la devise nationale, situation ne correspondant pas au cas d'espèce.
Par conséquent, les consorts [V] seront déboutés de leur demande en constatation du caractère abusif de la clause de remboursement du prêt et relative au risque de change et des demandes subséquentes.
2. Sur la nullité des contrats pour non respect de l'ordre public économique
Les consorts [V] exposent que la prescription d'une action en nullité commence à courir au jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action. Ils estiment que cette date coïncide logiquement avec celle à laquelle ils sont en mesure d'agir efficacement. Ils considèrent que, dans leur cas, ce point se situe au moment, où ils ont été destinataires de la synthèse du projet d'expertise relatif à leur prêt faisant état d'anomalie dans les calculs financiers, soit en décembre 2015.
La cour relève cependant que, comme cela a été jugé ci-dessus, Mme [B] [A] et M. [Y] [V] n'étaient pas exposés à un quelconque risque de change puisqu'ils étaient rémunérés dans la devise de remboursement, en l'espèce, des francs suisses. Dès lors, la remise d'un rapport d'expertise privée en décembre 2015 n'apportait rien de nouveau pour eux, par rapport à l'ensemble des informations claires dont ils disposaient aux termes de l'offre de prêt. Dans la mesure où Mme [B] [A] et M. [Y] [V] avaient connaissance des éléments leur permettant d'agir dès la conclusion du contrat, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la réitération notariée du prêt, soit le 17 octobre 2006. Il en résulte que l'action engagée le 26 septembre 2017 l'a été plus de 5 ans plus tard et qu'elle est donc irrecevable comme prescrite. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Au surplus, il convient de relever que, sur le fond, leur action en nullité se fonde sur la rédaction de la clause de remboursement en devise qu'ils estiment contraire à l'ordre public économique. Or, en l'espèce, le contrat concerne des emprunteurs rémunérés dans la monnaie de remboursement, de sorte que le contrat n'est, quoiqu'il en soit, pas contraire à cet ordre public économique.
3. Sur l'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels
Il résulte de l'article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et de l'article 2224 du code civil, que l' action en déchéance du droit aux intérêts du prêteur immobilier se prescrit par cinq ans et qu'un tel délai court à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur invoquée (cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n°21-23.183).
Lorsque la simple lecture d'une offre de prêt permet à l'emprunteur de déceler son irrégularité, le point de départ du délai de prescription de l' action en déchéance du droit aux intérêts se situe au jour de l'acceptation de l'offre, sans report possible tiré de la révélation postérieure d'autres irrégularités (cass. civ. 1ère, 5 janvier 2022, n°20-16.350 ; 22 mars 2023, n°21-20.977).
La date à laquelle l'emprunteur prend connaissance du caractère erroné du taux effectif global procède d'une constatation de fait relevant du pouvoir souverain des juges du fond (cass. civ. 1ère, 9 décembre 2015, pourvoi n° 14-29.615 ; cass. civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-12.803), sauf pour ceux-ci à user de motifs propres à caractériser une telle connaissance (civ., 19 mars 2015, n° 14-11.121 ; cass. civ. 1ère, 9 juillet 2015, n° 14-12.939). Le point de départ du délai de prescription est acquis au jour de la souscription du prêt, uniquement si l'emprunteur est en mesure de se convaincre par lui-même, à cette date, de l'erreur affectant le calcul du taux effectif global (cass. civ. 1ère, 16 avril 2015, n° 14-17.738 ; cass. civ. 1ère, 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-15.835).
En l'espèce, les consorts [V] fondent leur demande de déchéance du droit aux intérêts sur le fait que des erreurs affectaient le calcul du TEG (calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours dite 'Lombarde') sans qu'il leur soit possible, dans la mesure où ils sont profanes, de les détecter et de s'en convaincre par eux-mêmes. Ils fixent donc le point de départ de cette action en décembre 2015, soit le moment où ils ont découvert les erreurs après avoir pris connaissance des conclusions d'un rapport d'expertise amiable.
La société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie estime pour sa part que les contrats visaient clairement les modes de calcul du TEG, de sorte que le délai de prescription de l'action a commencé à courir au moment de la souscription des prêts litigieux.
Le contrat litigieux stipule, au titre de la clause 2.5 'taux du prêt' que : 'les intérêts sont calculés sur le montant restant dû en capital du prêt en devise et sur la base d'une année égale à 360 jours (sauf pour la Livre Sterling : 365 jours), conformément aux usages commerciaux'. Il en résulte que, de manière parfaitement claire, les emprunteurs étaient en mesure de se convaincre par eux-mêmes de la seule cause susceptible d'affecter le TEG dont ils se plaignent, c'est-à-dire un calcul fondé sur une base de 360 jours. Au demeurant, la cour rappelle qu'un tel calcul n'emporte pas en lui-même la déchéance du droit aux intérêts et qu'il faudrait encore démontrer que son utilisation a entraîné une erreur de TEG supérieure à la décimale.
Ainsi c'est par une exacte appréciation des faits que le tribunal a considéré que le point de départ de la prescription de l'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels devait être fixé au jour de l'acceptation de l'offre et que, par conséquent, l'action intentée plus de 5 ans plus tard était irrecevable comme prescrite. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
4. Sur l'action en responsabilité
4.1 Sur la prescription
Les consorts [V] soutiennent que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité doit être fixé au jour où les emprunteurs ont pris connaissance de la synthèse du projet d'expertise relatif à leur prêt en devise faisant état d'anomalie dans les calculs financiers, soit en décembre 2015. Dans la mesure où l'assignation date de 2017, ils estiment leur action non prescrite.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie estime pour sa part que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité doit être fixé au jour de l'octroi du crédit.
Il est constant en jurisprudence, au visa de l'article 2224 du code civil, qu'il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement (cass. civ. 1ère, 1er mars 2023, n°21-20.260). Il s'en déduit que le point de départ du délai quinquennal de la prescription de droit commun de l'article'2224 du code civil est le jour de la réalisation du risque contre lequel l'emprunteur consommateur devait être averti (cass. civ. 1ère, 5'janv. 2022, n°'20-18.893).
En l'espèce, au regard des métiers des emprunteurs, il convient de considérer qu'ils ont la qualité d'emprunteur non avertis. Rien ne démontre en effet qu'ils sont des emprunteurs d'habitude où que l'un ou l'autre possède des compétences particulières en matière de mathématiques financières ou de techniques bancaires. Par ailleurs, l'existence d'une expertise privée qui a attiré leur attention sur des erreurs de calculs contenues dans le contrat de prêt. C'est ainsi qu'ils ont été sensibilisés à la possibilité de ne pas avoir été correctement informés ou mis en garde par la banque. Dès lors que ce rapport leur a été remis en décembre 2015 et que l'action en responsabilité a été introduite en septembre 2017, cette action est parfaitement recevable. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
4.2 Sur le fond
A titre liminaire, concernant les plaintes des consorts [V] sur le non respect par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie d'un devoir de conseil, la cour rappelle qu'il est constant que le banquier n'est pas débiteur d'un devoir de conseil général à l'égard de son client, et n'est susceptible d'engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à une situation dont elle a connaissance. Dans ce cas, la preuve du caractère inadapté du conseil incombe à l'emprunteur. Or en l'espèce, il a été proposé à des emprunteurs travaillant en Suisse et rémunérés en francs suisses un prêt dans cette devise avec des taux d'intérêts attractifs par rapport à un prêt en euros. Le prêt était donc parfaitement adapté à la situation des emprunteurs.
Le banquier n'est, au demeurant, en raison du devoir de non-immixtion, pas tenu d'un devoir de conseil, sauf s'il a contracté une obligation spécifique à cet égard. En l'espèce, les consorts [V] ne démontrent pas que la banque aurait contracté spécifiquement une telle obligation. Ils seront donc déboutés de leurs demandes relatives à la violation par la banque de son devoir de conseil.
4.2.1 Sur la violation du devoir de mise en garde concernant la souscription d'une assurance individuelle perte d'emploi
Les consorts [V] exposent que le contrat de prêt ne les informe pas sur les risques liés à la perte d'emploi en Suisse pour un transfrontalier surtout pour un prêt en francs suisses destiné à l'acquisition d'un bien situé en France et dont la valeur est faite en euros. Ils estiment que, compte tenu du risque d'un fort taux d'endettement et de la connaissance par la banque du risque lié à la perte d'un emploi en Suisse pour un travailleur français, elle aurait dû conseiller explicitement ses clients sur les possibilités de souscription individuelle d'une assurance couvrant spécifiquement ce risque ou de s'assurer que le refus de souscrire une telle assurance était éclairé. Ils ajoutent enfin que le risque s'est réalisé dans la mesure où M. [Y] [V] a perdu son emploi en 2007 et que c'est à la banque de démontrer qu'elle s'est acquittée de son obligation d'information.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie expose que les emprunteurs n'ont pas demandé, dans leur bulletin à l'assurance de groupe, à bénéficier d'une assurance perte d'emploi. Elle ajoute que, selon les déclarations des appelants seul M. [Y] [V] aurait perdu son emploi en Suisse de sorte que Mme [B] [A] peut être considérée comme percevant encore ses revenus en francs suisses. Elle en conclut que les emprunteurs ne prouvent pas l'existence d'un préjudice. Elle rappelle que la situation des emprunteurs doit être appréciée à la date de souscription du prêt.
Il est constant en jurisprudence que le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat, celui-ci étant tenu de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts (cass. ch. mixte., 29 juin 2007, n° 05-21.104, Bull. 2007). Le prêteur n'est, en revanche, tenu d'aucun devoir de mise en garde si la charge de remboursement n'excède pas la capacité financière de l'emprunteur (cass. civ. 1ère, 19 novembre 2009, n° 08-13.601). La capacité financière est souverainement appréciée par les juges du fond (cass. civ. 1ère, 10 septembre 2015, n° 14-18.851 ; cass. civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-10.199). Elle est appréciée au jour de la conclusion du contrat de prêt (cass. civ. 1ère, 9 juillet 2015, n°14-18.559). Pour mettre en jeu la responsabilité de la banque, il incombe à l'emprunteur d'établir qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, sa situation financière justifiait l'accomplissement d'un tel devoir (cass. civ. 1ère, 19 décembre 2013, n° 12-20.606, 12-20.607).
En l'espèce, les consorts [V] ne fournissent aucune pièce de nature à démontrer que leur situation financière, au moment du prêt, justifiait l'accomplissement d'une mise en garde particulière. Au contraire, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie fournit une fiche (pièce n°39) comportant les éléments non contestés suivants : les emprunteurs avaient à eux deux un revenu mensuel traduit en euros d'environ 12 000 euros et un revenu disponible après décompte des charges de 8 414 euros. A ces ressources devaient s'ajouter les revenus locatifs escomptés du bien financé. Or les échéances du prêt étaient évaluées, en équivalent euros, à 5 118,09 euros par trimestre soit environ 1 706 euros par mois. Il en résulte que Mme [B] [A] et M. [Y] [V] étaient très largement en capacité financière de faire face au prêt, la banque n'étant, en l'absence de tout autre élément rapporté par les emprunteurs, pas tenue de s'acquitter envers eux d'un devoir de mise en garde relatif à l'assurance perte d'emploi.
Les consorts [V] seront donc déboutés de leur d'indemnisation se rapportant au non respect par la banque de son devoir de mise en garde pour la souscription d'une assurance.
4.2.2 Sur la violation du devoir d'information
Les consorts [V] reprochent encore à la banque de ne pas les avoir informés sur le danger que représentait la souscription d'un prêt en devise, notamment sur le risque de voir considérablement augmenter le capital à rembourser en cas de conversion du prêt en euros. Ils dénoncent le caractère inintelligible de l'offre et disent que prêtent à confusion :
- le fait que le prêt est libellé comme un 'prêt tout habitat en devises',
- le fait que le montant du prêt n'est pas indiqué en francs suisses mais exprimé comme la contre-valeur d'un montant en euros,
- le fait que la clause 1.12 'plan de financement' est intégralement libellée en euros,
- la rédaction de la clause contre-valeur qui donne le sentiment que le prêt est basé sur des montant en euros qu'il faut convertir en francs suisse,
- la rédaction du tableau d'amortissement en euros.
Les emprunteurs dénoncent encore l'absence d'information sur les risque liés au taux de change.
Il convient de noter que les contrats de prêts litigieux ne visent pas une possibilité de conversion du prêt en euros.
La cour rappelle qu'il a été jugé ci-dessus que, dans le cas particulier de Mme [B] [A] et M. [Y] [V], il n'existait aucun risque lié à la variation du taux de change s'agissant d'emprunteurs rémunérés directement dans la monnaie de paiement des échéances. Aucune faute liée au devoir d'information ne saurait donc être retenue à cet égard.
La cour rappelle encore que les prêts en cause ne constituent pas des emprunts libellés en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur au sens de l'arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation rendu le 30 mars 2022 et entraînant en effet une obligation d'information particulière sur le mécanisme en cause (n°2022-004769).
Pour le surplus il y a lieu de constater que le préjudice invoqué par les consorts [V] résulte du fait que : 'le prêt en francs suisses contracté dépend en partie du taux de change EUR/CHF qui n'est pas fixe et peut évoluer de manière importante' (conclusions p.63). Or cette question de la variation du taux de change, lequel au demeurant n'affecte aucunement la situation des débiteurs travaillant en Suisse, est sans lien avec les manquements invoqués tels que listés ci-dessus.
Par conséquent, même à les supposer établis, les défauts d'information invoqués sont sans lien de causalité avec le préjudice revendiqué. Dès lors, les consorts [V] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
5. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les consorts [V] qui succombent seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, distraction au profit de maître Hélène Rothera, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile. Ils seront, dans le même temps, déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable de faire supporter par les consorts [V] partie des frais irrépétibles exposés par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie en première instance et en appel. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point et les consorts [V] seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en nullité du contrat de prêt,
- déclaré irrecevable prescrite l'action en nullité de la clause se stipulation d'intérêts,
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Dit recevables les actions en nullité de la clause concernant le risque de change et en responsabilité de la banque,
Déboute Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] de l'ensemble de leur demandes au titre de l'action en nullité de la clause concernant le risque de change et de l'action en responsabilité de la banque,
Condamne in solidum Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] aux dépens de première instance et d'appel, maître Hélène Rothera, avocat, étant autorisée à recouvrer directement auprès d'eux ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Déboute Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] à payer à la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance et en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 13 juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente
2ème Chambre
Arrêt du Jeudi 13 Juin 2024
N° RG 20/00491 - N° Portalis DBVY-V-B7E-GOAM
Décision déférée à la Cour : Jugement du Tribunal de Grande Instance d'ANNECY en date du 04 Décembre 2019, RG 17/01403
Appelants
Mme [B] [J] [A] épouse [V] tant personnellement qu'en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
née le [Date naissance 1] 1968 à [Localité 7] - HONGRIE, demeurant [Adresse 6]
Mme [I] [R] [S] [V] intervenante volontaire en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
née le [Date naissance 3] 2002 à [Localité 8] - SUISSE, demeurant [Adresse 6]
M. [D] [G] [N] [V] - intervenant volontaire en sa qualité d'ayant droit de Mr [Y] [V], décédé
né le [Date naissance 2] 2005 à [Localité 9] - SUISSE, demeurant [Adresse 6]
Représentés par Me Agnès UNAL, avocat postulant au barreau d'ANNECY et Me Anne-Sophie RAMOND, avocat plaidant au barreau de PARIS
Intimée
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DES SAVOIE, dont le siège social est sis [Adresse 5]
prise en la personne de son représentant légal
Représentée par Me Hélène ROTHERA, avocat au barreau d'ANNECY
-=-=-=-=-=-=-=-=-
COMPOSITION DE LA COUR :
Lors de l'audience publique des débats, tenue le 26 mars 2024 avec l'assistance de Madame Sylvie DURAND, Greffière présente à l'appel des causes et dépôt des dossiers et de fixation de la date du délibéré,
Et lors du délibéré, par :
- Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente, à ces fins désignée par ordonnance de Madame la Première Présidente
- Monsieur Edouard THEROLLE, Conseiller,
- Monsieur Fabrice GAUVIN, Conseiller,
-=-=-=-=-=-=-=-=-=-
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon offre acceptée du 18 août 2006, la société Caisse régionale de crédit mutuel des Savoie a accordé à Mme [B] [A] et à son mari, M. [Y] [V], un prêt immobilier d'un montant de 552 533 CHF, remboursable en 300 mois, avec des mensualités ajustables. Le contrat a été réitéré en la forme authentique par acte du 19 octobre 2006.
Par acte d'huissier du 26 septembre 2017, les époux [V] ont assigné la société CRCAMS en vue, notamment, de faire prononcer la nullité du contrat de prêt, de faire condamner la banque au paiement de dommages et intérêts en réparation des dommages causés par le manquement à l'obligation d'information et de conseil et de faire déclarer nulle la clause de stipulation des intérêts des prêts litigieux.
Par jugement contradictoire du 4 décembre 2019, le tribunal de grande instance d'Annecy a :
- déclaré irrecevables les demandes formées par les emprunteurs,
- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [B] [A] et M. [Y] [V] aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration du 1er avril 2020, les époux [V] ont interjeté appel du jugement.
M. [Y] [V] est décédé le [Date décès 4] 2021. Viennent à sa succession, outre son épouse, ses enfants, Mme [I] [V] et M. [D] [V] (ci-après les consorts [V]).
Par acte du 31 janvier 2022, les consorts [V] ont assigné en intervention forcée la société CNP.
Par ordonnance en date du 13 octobre 2022 du conseiller chargé de la mise en état, cette intervention forcée a été déclarée irrecevable.
Dans leurs conclusions notifiées par voie électronique le 6 janvier 2022, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, les consorts [V] demandent à la cour de :
- infirmer le jugement du 4 décembre 2019 rendu par le tribunal de grande d'instance d'Annecy en ce qu'il a déclaré l'action des emprunteurs prescrite,
Statuant à nouveau :
- les recevoir en leurs demandes et les dire bien fondées,
- débouter la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
* déclarer le contrat de prêt souscrit auprès contraire à l'ordre public économique,
En conséquence,
- déclarer le contrat de prêt litigieux nul et non avenu,
- constater que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,
- ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,
- constater leur compensation à due concurrence,
* déclarer abusive la clause faisant peser sur l'emprunteur le taux de change du contrat de prêt,
En conséquence,
- déclarer ladite clause nulle et non écrite,
- prononcer la nullité du contrat de prêt litigieux,
- constater que les parties doivent être remises en la même situation que si l'opération litigieuse n'avait jamais existé,
- ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et,
- constater leur compensation à due concurrence,
* dire et juger que la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie a manqué à son obligation d'information et de conseil,
- condamner la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 235 474,00 euros à parfaire, à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
* constater que la clause de calcul des intérêts conventionnels est dite lombarde et se basent sur une année de 360 jours,
En conséquence,
- prononcer la nullité de la clause de stipulation d'intérêts du prêt litigieux,
- prononcer la substitution du taux légal applicable au jour de la conclusion du contrat de prêt, au taux d'intérêts conventionnels, depuis la conclusion du contrat de prêt,
En tout état de cause,
- condamner la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie à leur payer la somme de 6 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 décembre 2021, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Caisse régionale de crédit mutuel des Savoie demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement en date du 4 décembre 2019 en ce qu'il a déclaré irrecevables car prescrites les actions des consorts [V],
A titre subsidiaire,
- rejeter les demandes des consorts [V] en ce qu'elles sont non fondées,
- dire et juger que le contrat de prêt n'est pas contraire à l'ordre public économique,
- dire et juger non abusive la clause relative au taux de change,
- dire et juger que qu'elle n'a pas manqué à ses obligations d'information, de conseil et de mise en garde,
- dire et juger que la clause d'intérêts ne peut être considérée comme nulle et non avenue et qu'il ne peut y être substitué le taux d'intérêt légal,
- rejeter par voie de conséquence l'intégralité des demandes formalisées par les consorts [V],
A titre extrêmement subsidiaire,
dire et juger que les consorts [V] ne justifient pas de préjudice et notamment au titre de la perte de chance de contracter dans des meilleures conditions,
- rejeter toutes autres demandes.
En tout état de cause
- condamner les consorts [V] au paiement d'une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Hélène Rothera, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 25 septembre 2023.
L'affaire a été fixée à l'audience du 28 novembre 2023 et renvoyée, à la demande du conseil des consorts [V] à l'audience du 26 mars 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire la cour relève que les consorts [V] exposent que l'assureur n'a refusé de prendre en charge à 100% le prêt au titre du décès de M. [Y] [V] mais que ce refus ne pourrait entraîner, le cas échéant, que la responsabilité de l'assureur. Au demeurant, les consorts [V] n'en tirent aucune conclusion sur la question de la responsabilité du banquier.
1. Sur le caractère abusif de la clause relative au remboursement et au risque de change
1.1 Sur la prescription
Par arrêt du 10 juin 2021 (C-776/19 à C-782/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, lus à la lumière du principe d'effectivité, doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation nationale soumettant l'introduction d'une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l'acceptation de l'offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l'ensemble de ses droits découlant de cette directive.
Elle a précisé que les modalités de mise en oeuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive relèvent de l'ordre juridique interne des États membres en vertu du principe de l'autonomie procédurale ; que, cependant, ces modalités ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d'équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union (principe d'effectivité) (point 27).
Par arrêt du 9 juillet 2020 (C-698/18 et C-699/18), elle a dit pour droit que l'article 2, sous b), l'article 6, § 1, et l'article 7, § 1, de la directive 93/13 ainsi que les principes d'équivalence, d'effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l'action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d'une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l'exécution intégrale de ce contrat, lorsqu'il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu'à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
Il s'en déduit que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu'énoncé à l'article 2224 du code civil et à l'article L. 110-4 du code de commerce, de l'action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d'un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses (cass. civ. 1ère, 12 juillet 2023, n°22-17.130).
Dès lors, il convient en l'espèce d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit prescrite l'action en constatation du caractère abusif de la clause faisant porter le risque de change sur les emprunteurs, le caractère abusif de la clause litigieuse n'ayant, en l'espèce, pas encore été constaté. Cette action sera déclarée recevable.
1.2 Sur le fond
Les consorts [V] exposent que la clause de l'offre de prêt intitulée 'remboursement' énonce que l'emprunteur supportera intégralement le risque de change. Ils estiment que, en cas de variation défavorable du taux de change, il existe un risque 'de pertes dramatiques' pour l'emprunteur. Ils appuient ce raisonnement sur le fait qu'ils peuvent être amené à devoir rembourser, en vertu de cette clause, des échéances (dont le montant est fixe en francs suisses mais pas nécessairement en monnaie nationale) pour une durée supérieure à celle de l'engagement initial. Ils en déduisent le caractère abusif de cette clause.
L'article L. 132-1 ancien du code de la consommation, applicable au temps de la conclusion des prêts litigieux (aujourd'hui article L 212-1 du Code de la consommation), dispose que : 'dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat'.
Il convient de relever que l'appréciation du caractère abusif des clauses, au sens de ce texte, ne porte pas sur la définition de l'objet principal du contrat pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible. A cet égard, la Cour de justice de l'Union Européenne a dit pour droit que l'article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que la notion d'« objet principal du contrat », couvre une clause contractuelle insérée dans un contrat de prêt libellé en devise étrangère, n'ayant pas fait l'objet d'une négociation individuelle et selon laquelle le prêt doit être remboursé dans la même devise étrangère que celle dans laquelle il a été contracté, dès lors que cette clause fixe une prestation essentielle caractérisant ce contrat et que, par conséquent, cette clause ne peut pas être considérée comme étant abusive, pour autant qu'elle soit rédigée de façon claire et compréhensible (arrêt du 20 septembre 2017, Andriciuc e.a.C-186/16).
En l'espèce, la clause discutée (remboursement des échéances) constitue bien l'objet principal du contrat des prêts immobiliers souscrits entre les appelants et l'intimée et ne peut donc être considérée comme abusive que si elle n'est pas rédigée de façon claire et compréhensible. Il est tout aussi constant que le caractère abusif d'une clause s'apprécie au regard de toutes les circonstances qui entourent la conclusion du contrat au moment où il est conclu et de toutes les autres clauses du contrat.
La clause est ainsi rédigée : 'Les remboursements s'effectueront dans la devise du Prêt par utilisation de devises préalablement disponibles ou par achat de devises au comptant ou à terme, par débit du compte de l'Emprunteur.
Il supportera donc intégralement, en cas d'achat de devises au comptant, le risque de change'.
Selon la cour de justice de l'Union Européenne, l'exigence selon laquelle une clause contractuelle doit être rédigée de manière claire et compréhensible doit s'entendre comme imposant non seulement que la clause concernée soit intelligible pour le consommateur sur un plan grammatical, mais également que le contrat expose de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme de conversion de la devise étrangère auquel se réfère la clause concernée ainsi que la relation entre ce mécanisme et celui prescrit par d'autres clauses relatives au déblocage du prêt, de sorte que ce consommateur soit mis en mesure d'évaluer, sur le fondement de critères précis et intelligibles, les conséquences économiques qui en découlent pour lui (C-26/13 du 30 avril 2014).
En l'espèce, la clarté grammaticale ne fait pas de doute et, au fond, le mécanisme du remboursement en devise est parfaitement décrit : soit le remboursement se fait par utilisation de devises disponibles sur un compte spécifique, soit il se fait par l'achat de devises. Et c'est seulement dans ce dernier cas que l'emprunteur supporte, aux termes de la clause, le risque de change.
Or la cour relève qu'il est constant que Mme [B] [A] et M. [Y] [V] travaillaient tous les deux en Suisse au moment de l'emprunt litigieux. Il en résulte qu'il y avait bien un intérêt pour eux à souscrire un prêt dans la monnaie dans laquelle ils étaient rémunérés, surtout en présence de taux d'intérêts très attractifs. Il n'existait donc, aux termes du contrat litigieux, aucun risque de change au préjudice des emprunteurs, dont l'un d'eux est informaticien et l'autre commercial, et qui ont fait le choix, en toute conscience, pour financer l'achat d'un bien immobilier situé en France destiné à la location, de recourir à un prêt dans une devise qui est celle de leur rémunération, avec des échéances remboursables dans la même devise. La cour de cassation décide à ce sujet que : 'Après avoir relevé que les clauses « montant du prêt » et « modalités de paiement des échéances' relatives à l'objet des contrats étaient parfaitement claires concernant des prêts consentis en francs suisses, remboursables dans la même devise, que les emprunteurs percevaient leurs revenus en francs suisses au temps de la conclusion des contrats et qu'il n'existait aucun risque de change, la cour d'appel en a exactement déduit, sans être tenue de procéder à la recherche prétendument omise, que les clauses ne présentaient pas un caractère abusif' (cass. civ.1ère, 1er mars 2023, n°21-20.260).
Il sera observé, pour le surplus, que la jurisprudence, relative aux contrats 'Helvet Immo' citée par les appelants au soutien de leurs prétentions, se rapporte à des prêts libellés dans une devise étrangère mais remboursables dans la devise nationale, situation ne correspondant pas au cas d'espèce.
Par conséquent, les consorts [V] seront déboutés de leur demande en constatation du caractère abusif de la clause de remboursement du prêt et relative au risque de change et des demandes subséquentes.
2. Sur la nullité des contrats pour non respect de l'ordre public économique
Les consorts [V] exposent que la prescription d'une action en nullité commence à courir au jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action. Ils estiment que cette date coïncide logiquement avec celle à laquelle ils sont en mesure d'agir efficacement. Ils considèrent que, dans leur cas, ce point se situe au moment, où ils ont été destinataires de la synthèse du projet d'expertise relatif à leur prêt faisant état d'anomalie dans les calculs financiers, soit en décembre 2015.
La cour relève cependant que, comme cela a été jugé ci-dessus, Mme [B] [A] et M. [Y] [V] n'étaient pas exposés à un quelconque risque de change puisqu'ils étaient rémunérés dans la devise de remboursement, en l'espèce, des francs suisses. Dès lors, la remise d'un rapport d'expertise privée en décembre 2015 n'apportait rien de nouveau pour eux, par rapport à l'ensemble des informations claires dont ils disposaient aux termes de l'offre de prêt. Dans la mesure où Mme [B] [A] et M. [Y] [V] avaient connaissance des éléments leur permettant d'agir dès la conclusion du contrat, le point de départ de la prescription doit être fixé à la date de la réitération notariée du prêt, soit le 17 octobre 2006. Il en résulte que l'action engagée le 26 septembre 2017 l'a été plus de 5 ans plus tard et qu'elle est donc irrecevable comme prescrite. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.
Au surplus, il convient de relever que, sur le fond, leur action en nullité se fonde sur la rédaction de la clause de remboursement en devise qu'ils estiment contraire à l'ordre public économique. Or, en l'espèce, le contrat concerne des emprunteurs rémunérés dans la monnaie de remboursement, de sorte que le contrat n'est, quoiqu'il en soit, pas contraire à cet ordre public économique.
3. Sur l'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels
Il résulte de l'article L. 312-33 du code de la consommation, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016, de l'article L. 110-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et de l'article 2224 du code civil, que l' action en déchéance du droit aux intérêts du prêteur immobilier se prescrit par cinq ans et qu'un tel délai court à compter du jour où l'emprunteur a connu ou aurait dû connaître l'erreur invoquée (cass. civ. 1ère, 22 mars 2023, n°21-23.183).
Lorsque la simple lecture d'une offre de prêt permet à l'emprunteur de déceler son irrégularité, le point de départ du délai de prescription de l' action en déchéance du droit aux intérêts se situe au jour de l'acceptation de l'offre, sans report possible tiré de la révélation postérieure d'autres irrégularités (cass. civ. 1ère, 5 janvier 2022, n°20-16.350 ; 22 mars 2023, n°21-20.977).
La date à laquelle l'emprunteur prend connaissance du caractère erroné du taux effectif global procède d'une constatation de fait relevant du pouvoir souverain des juges du fond (cass. civ. 1ère, 9 décembre 2015, pourvoi n° 14-29.615 ; cass. civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-12.803), sauf pour ceux-ci à user de motifs propres à caractériser une telle connaissance (civ., 19 mars 2015, n° 14-11.121 ; cass. civ. 1ère, 9 juillet 2015, n° 14-12.939). Le point de départ du délai de prescription est acquis au jour de la souscription du prêt, uniquement si l'emprunteur est en mesure de se convaincre par lui-même, à cette date, de l'erreur affectant le calcul du taux effectif global (cass. civ. 1ère, 16 avril 2015, n° 14-17.738 ; cass. civ. 1ère, 9 septembre 2020, pourvoi n° 19-15.835).
En l'espèce, les consorts [V] fondent leur demande de déchéance du droit aux intérêts sur le fait que des erreurs affectaient le calcul du TEG (calcul des intérêts sur la base d'une année de 360 jours dite 'Lombarde') sans qu'il leur soit possible, dans la mesure où ils sont profanes, de les détecter et de s'en convaincre par eux-mêmes. Ils fixent donc le point de départ de cette action en décembre 2015, soit le moment où ils ont découvert les erreurs après avoir pris connaissance des conclusions d'un rapport d'expertise amiable.
La société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie estime pour sa part que les contrats visaient clairement les modes de calcul du TEG, de sorte que le délai de prescription de l'action a commencé à courir au moment de la souscription des prêts litigieux.
Le contrat litigieux stipule, au titre de la clause 2.5 'taux du prêt' que : 'les intérêts sont calculés sur le montant restant dû en capital du prêt en devise et sur la base d'une année égale à 360 jours (sauf pour la Livre Sterling : 365 jours), conformément aux usages commerciaux'. Il en résulte que, de manière parfaitement claire, les emprunteurs étaient en mesure de se convaincre par eux-mêmes de la seule cause susceptible d'affecter le TEG dont ils se plaignent, c'est-à-dire un calcul fondé sur une base de 360 jours. Au demeurant, la cour rappelle qu'un tel calcul n'emporte pas en lui-même la déchéance du droit aux intérêts et qu'il faudrait encore démontrer que son utilisation a entraîné une erreur de TEG supérieure à la décimale.
Ainsi c'est par une exacte appréciation des faits que le tribunal a considéré que le point de départ de la prescription de l'action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels devait être fixé au jour de l'acceptation de l'offre et que, par conséquent, l'action intentée plus de 5 ans plus tard était irrecevable comme prescrite. Le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point.
4. Sur l'action en responsabilité
4.1 Sur la prescription
Les consorts [V] soutiennent que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité doit être fixé au jour où les emprunteurs ont pris connaissance de la synthèse du projet d'expertise relatif à leur prêt en devise faisant état d'anomalie dans les calculs financiers, soit en décembre 2015. Dans la mesure où l'assignation date de 2017, ils estiment leur action non prescrite.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie estime pour sa part que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité doit être fixé au jour de l'octroi du crédit.
Il est constant en jurisprudence, au visa de l'article 2224 du code civil, qu'il résulte de ce texte que l'action en responsabilité de l'emprunteur non averti à l'encontre du prêteur au titre d'un manquement à son devoir de mise en garde se prescrit par cinq ans à compter du jour du premier incident de paiement, permettant à l'emprunteur d'appréhender l'existence et les conséquences éventuelles d'un tel manquement (cass. civ. 1ère, 1er mars 2023, n°21-20.260). Il s'en déduit que le point de départ du délai quinquennal de la prescription de droit commun de l'article'2224 du code civil est le jour de la réalisation du risque contre lequel l'emprunteur consommateur devait être averti (cass. civ. 1ère, 5'janv. 2022, n°'20-18.893).
En l'espèce, au regard des métiers des emprunteurs, il convient de considérer qu'ils ont la qualité d'emprunteur non avertis. Rien ne démontre en effet qu'ils sont des emprunteurs d'habitude où que l'un ou l'autre possède des compétences particulières en matière de mathématiques financières ou de techniques bancaires. Par ailleurs, l'existence d'une expertise privée qui a attiré leur attention sur des erreurs de calculs contenues dans le contrat de prêt. C'est ainsi qu'ils ont été sensibilisés à la possibilité de ne pas avoir été correctement informés ou mis en garde par la banque. Dès lors que ce rapport leur a été remis en décembre 2015 et que l'action en responsabilité a été introduite en septembre 2017, cette action est parfaitement recevable. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point.
4.2 Sur le fond
A titre liminaire, concernant les plaintes des consorts [V] sur le non respect par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie d'un devoir de conseil, la cour rappelle qu'il est constant que le banquier n'est pas débiteur d'un devoir de conseil général à l'égard de son client, et n'est susceptible d'engager sa responsabilité que dans le cas où elle lui a fourni un conseil inadapté à une situation dont elle a connaissance. Dans ce cas, la preuve du caractère inadapté du conseil incombe à l'emprunteur. Or en l'espèce, il a été proposé à des emprunteurs travaillant en Suisse et rémunérés en francs suisses un prêt dans cette devise avec des taux d'intérêts attractifs par rapport à un prêt en euros. Le prêt était donc parfaitement adapté à la situation des emprunteurs.
Le banquier n'est, au demeurant, en raison du devoir de non-immixtion, pas tenu d'un devoir de conseil, sauf s'il a contracté une obligation spécifique à cet égard. En l'espèce, les consorts [V] ne démontrent pas que la banque aurait contracté spécifiquement une telle obligation. Ils seront donc déboutés de leurs demandes relatives à la violation par la banque de son devoir de conseil.
4.2.1 Sur la violation du devoir de mise en garde concernant la souscription d'une assurance individuelle perte d'emploi
Les consorts [V] exposent que le contrat de prêt ne les informe pas sur les risques liés à la perte d'emploi en Suisse pour un transfrontalier surtout pour un prêt en francs suisses destiné à l'acquisition d'un bien situé en France et dont la valeur est faite en euros. Ils estiment que, compte tenu du risque d'un fort taux d'endettement et de la connaissance par la banque du risque lié à la perte d'un emploi en Suisse pour un travailleur français, elle aurait dû conseiller explicitement ses clients sur les possibilités de souscription individuelle d'une assurance couvrant spécifiquement ce risque ou de s'assurer que le refus de souscrire une telle assurance était éclairé. Ils ajoutent enfin que le risque s'est réalisé dans la mesure où M. [Y] [V] a perdu son emploi en 2007 et que c'est à la banque de démontrer qu'elle s'est acquittée de son obligation d'information.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie expose que les emprunteurs n'ont pas demandé, dans leur bulletin à l'assurance de groupe, à bénéficier d'une assurance perte d'emploi. Elle ajoute que, selon les déclarations des appelants seul M. [Y] [V] aurait perdu son emploi en Suisse de sorte que Mme [B] [A] peut être considérée comme percevant encore ses revenus en francs suisses. Elle en conclut que les emprunteurs ne prouvent pas l'existence d'un préjudice. Elle rappelle que la situation des emprunteurs doit être appréciée à la date de souscription du prêt.
Il est constant en jurisprudence que le banquier dispensateur de crédit est tenu à l'égard de l'emprunteur non averti d'une obligation de mise en garde lors de la conclusion du contrat, celui-ci étant tenu de justifier avoir satisfait à cette obligation à raison des capacités financières de l'emprunteur et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts (cass. ch. mixte., 29 juin 2007, n° 05-21.104, Bull. 2007). Le prêteur n'est, en revanche, tenu d'aucun devoir de mise en garde si la charge de remboursement n'excède pas la capacité financière de l'emprunteur (cass. civ. 1ère, 19 novembre 2009, n° 08-13.601). La capacité financière est souverainement appréciée par les juges du fond (cass. civ. 1ère, 10 septembre 2015, n° 14-18.851 ; cass. civ. 1ère, 15 juin 2016, n° 15-10.199). Elle est appréciée au jour de la conclusion du contrat de prêt (cass. civ. 1ère, 9 juillet 2015, n°14-18.559). Pour mettre en jeu la responsabilité de la banque, il incombe à l'emprunteur d'établir qu'à l'époque de la souscription du prêt litigieux, sa situation financière justifiait l'accomplissement d'un tel devoir (cass. civ. 1ère, 19 décembre 2013, n° 12-20.606, 12-20.607).
En l'espèce, les consorts [V] ne fournissent aucune pièce de nature à démontrer que leur situation financière, au moment du prêt, justifiait l'accomplissement d'une mise en garde particulière. Au contraire, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie fournit une fiche (pièce n°39) comportant les éléments non contestés suivants : les emprunteurs avaient à eux deux un revenu mensuel traduit en euros d'environ 12 000 euros et un revenu disponible après décompte des charges de 8 414 euros. A ces ressources devaient s'ajouter les revenus locatifs escomptés du bien financé. Or les échéances du prêt étaient évaluées, en équivalent euros, à 5 118,09 euros par trimestre soit environ 1 706 euros par mois. Il en résulte que Mme [B] [A] et M. [Y] [V] étaient très largement en capacité financière de faire face au prêt, la banque n'étant, en l'absence de tout autre élément rapporté par les emprunteurs, pas tenue de s'acquitter envers eux d'un devoir de mise en garde relatif à l'assurance perte d'emploi.
Les consorts [V] seront donc déboutés de leur d'indemnisation se rapportant au non respect par la banque de son devoir de mise en garde pour la souscription d'une assurance.
4.2.2 Sur la violation du devoir d'information
Les consorts [V] reprochent encore à la banque de ne pas les avoir informés sur le danger que représentait la souscription d'un prêt en devise, notamment sur le risque de voir considérablement augmenter le capital à rembourser en cas de conversion du prêt en euros. Ils dénoncent le caractère inintelligible de l'offre et disent que prêtent à confusion :
- le fait que le prêt est libellé comme un 'prêt tout habitat en devises',
- le fait que le montant du prêt n'est pas indiqué en francs suisses mais exprimé comme la contre-valeur d'un montant en euros,
- le fait que la clause 1.12 'plan de financement' est intégralement libellée en euros,
- la rédaction de la clause contre-valeur qui donne le sentiment que le prêt est basé sur des montant en euros qu'il faut convertir en francs suisse,
- la rédaction du tableau d'amortissement en euros.
Les emprunteurs dénoncent encore l'absence d'information sur les risque liés au taux de change.
Il convient de noter que les contrats de prêts litigieux ne visent pas une possibilité de conversion du prêt en euros.
La cour rappelle qu'il a été jugé ci-dessus que, dans le cas particulier de Mme [B] [A] et M. [Y] [V], il n'existait aucun risque lié à la variation du taux de change s'agissant d'emprunteurs rémunérés directement dans la monnaie de paiement des échéances. Aucune faute liée au devoir d'information ne saurait donc être retenue à cet égard.
La cour rappelle encore que les prêts en cause ne constituent pas des emprunts libellés en devise étrangère, stipulant que celle-ci est la monnaie de compte et que l'euro est la monnaie de paiement et ayant pour effet de faire peser le risque de change sur l'emprunteur au sens de l'arrêt de la première chambre civile de la cour de cassation rendu le 30 mars 2022 et entraînant en effet une obligation d'information particulière sur le mécanisme en cause (n°2022-004769).
Pour le surplus il y a lieu de constater que le préjudice invoqué par les consorts [V] résulte du fait que : 'le prêt en francs suisses contracté dépend en partie du taux de change EUR/CHF qui n'est pas fixe et peut évoluer de manière importante' (conclusions p.63). Or cette question de la variation du taux de change, lequel au demeurant n'affecte aucunement la situation des débiteurs travaillant en Suisse, est sans lien avec les manquements invoqués tels que listés ci-dessus.
Par conséquent, même à les supposer établis, les défauts d'information invoqués sont sans lien de causalité avec le préjudice revendiqué. Dès lors, les consorts [V] seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts.
5. Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Conformément à l'article 696 du code de procédure civile, les consorts [V] qui succombent seront tenus in solidum aux dépens de première instance et d'appel, avec pour ces derniers, distraction au profit de maître Hélène Rothera, avocat, par application de l'article 699 du code de procédure civile. Ils seront, dans le même temps, déboutés de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile comme n'en remplissant pas les conditions d'octroi.
Il n'est pas inéquitable de faire supporter par les consorts [V] partie des frais irrépétibles exposés par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel des Savoie en première instance et en appel. Le jugement déféré sera infirmé sur ce point et les consorts [V] seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a :
- déclaré irrecevable comme prescrite l'action en nullité du contrat de prêt,
- déclaré irrecevable prescrite l'action en nullité de la clause se stipulation d'intérêts,
Infirme le jugement déféré pour le surplus,
Dit recevables les actions en nullité de la clause concernant le risque de change et en responsabilité de la banque,
Déboute Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] de l'ensemble de leur demandes au titre de l'action en nullité de la clause concernant le risque de change et de l'action en responsabilité de la banque,
Condamne in solidum Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] aux dépens de première instance et d'appel, maître Hélène Rothera, avocat, étant autorisée à recouvrer directement auprès d'eux ceux d'appel dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision,
Déboute Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum Mme [B] [A], Mme [I] [V] et M. [D] [V] à payer à la société Caisse régionale du Crédit Agricole Mutuel des Savoie la somme globale de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure en première instance et en cause d'appel.
Ainsi prononcé publiquement le 13 juin 2024 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile, et signé par Madame Alyette FOUCHARD, Conseillère faisant fonction de Présidente et Madame Sylvie DURAND, Greffière.
La Greffière La Présidente