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Décisions

CA Paris, Pôle 1 - ch. 10, 27 juin 2024, n° 23/19425

PARIS

Arrêt

Autre

CA Paris n° 23/19425

27 juin 2024

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRET DU 27 JUIN 2024

(n° , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 23/19425 - N° Portalis 35L7-V-B7H-CIT4A

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Novembre 2023 -Juge de l'exécution de BOBIGNY RG n° 23/01728

APPELANTE

S.A. CREDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 5]

représentée par Me Elise BARANIACK de la SCP BOSQUE ET ASSOCIES, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, toque : PB 173

plaidant par Me Paul BUISSON, avocat au barreau du VAL D'OISE

INTIMES

Monsieur [J] [V]

[Adresse 3]

[Localité 8]

n'a pas constitué avocat

Madame [Y] [K] épouse [V]

[Adresse 1]

[Localité 6]

n'a pas constitué avocat

SERVICE DES IMPÔTS DES PARTICULIERS DE [Localité 8]

VENANT AUX DROITS DE LA TRÉSORERIE PRINCIPALE DE [Localité 9]

[Adresse 4]

[Localité 8]

n'a pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 22 Mai 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre

Madame Catherine LEFORT, Conseillère

Madame Valérie DISTINGUIN, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Valérie Distinguin, conseiller dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : M. Grégoire GROSPELLIER

ARRET :

- REPUTE CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Bénédicte PRUVOST, Présidente de chambre et par Grégoire GROSPELLIER, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

Suivant commandements de payer valant saisie immobilière des 27 et 31 octobre 2022, le Crédit Foncier de France poursuit la vente d'un pavillon sis [Adresse 3] à [Localité 8] pour paiement d'une créance d'un montant de 155.039,11 euros arrêtée au 6 septembre 2022, outre intérêts postérieurs au taux de 4,30 % et ce, en vertu d'un acte authentique en date du 3 septembre 2010, contenant offre de prêt au profit de M. [J] [V] et Mme [Y] [K] [V].

M. et Mme [V] ont été assignés par actes d'huissier à l'audience d'orientation du tribunal judiciaire de Bobigny du 28 mars 2023, lors de laquelle ils n'ont pas comparu.

Par jugement du 30 mai 2023, le juge de l'exécution a ordonné la réouverture des débats et a invité les parties à faire valoir leurs observations sur le caractère abusif de la clause de déchéance du terme et la prescription de la créance. Il a sollicité un historique du compte.

Par jugement du 14 novembre 2023, le juge de l'exécution a :

- dit abusive et réputée non écrite la clause de déchéance du terme stipulée à l'article 11 des conditions générales du contrat de prêt consenti le 3 septembre 2010,

- retenu à la somme de 13.135,95 euros, correspondant aux 15 échéances impayées entre le 6 juillet 2020 et le 6 septembre 2022, cotisations d'assurance comprises, outre intérêts conventionnels postérieurs au 6 septembre 2022, au taux conventionnel du prêt, la créance du Crédit Foncier de France,

- ordonné la vente forcée des biens immobiliers et fixé les modalités de la vente.

Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a relevé qu'à la lecture de l'article 11 du contrat de prêt intitulé « cas d'exigibilité anticipée ' déchéance du terme », le prononcé de la déchéance du terme était à la seule discrétion du prêteur, sans qu'il ait à mettre préalablement le débiteur en demeure dès lors que les sommes empruntées sont immédiatement exigibles et qu'il n'est donc pas permis au débiteur de remédier à l'inexécution dénoncée dans un délai raisonnable.

Il a ajouté que l'appréciation du caractère abusif d'une clause contractuelle devant se faire préalablement à l'examen des modalités d'exécution du contrat, il était indifférent qu'une mise en demeure ait été adressée aux débiteurs leur octroyant un délai de 30 jours pour régulariser.

Par déclaration en date du 12 décembre 2023, le Crédit Foncier de France a interjeté appel du jugement.

Autorisé par ordonnance du 22 décembre 2023, le Crédit Foncier de France a fait assigner à jour fixe M. et Mme [V] d'avoir à comparaître devant la cour d'appel de Paris à l'audience du mercredi 22 mai 2024.

Par conclusions n° 2 signifiées le 21 mai 2024, le Crédit Foncier de France demande à la cour de :

déclarer recevable l'appel interjeté ;

constater que la clause de déchéance du terme n'est pas abusive au regard de l'ensemble des dispositions du contrat ;

En tout état de cause,

déclarer valable la saisie initiée ;

constater qu'il a valablement prononcé la déchéance du terme du contrat de prêt et qu'il dispose d'une créance certaine, liquide et exigible ;

Et en conséquence,

infirmer le jugement entrepris du 14 novembre 2023 en ce qu'il a dit abusive la clause de déchéance du terme du contrat de prêt, réputé non écrite cette clause et retenu la créance du Crédit Foncier de France au montant des échéances impayées ;

fixer le montant de la créance à la somme de 157.966,17 euros arrêtée au 15 décembre

2023 ;

confirmer le jugement du 14 novembre 2023, en ce qu'il a ordonné la vente forcée des biens immobiliers visés au commandement de payer aux fins de saisie immobilière en date des 27 et 31 octobre 2022 et organisé les modalités de cette vente,

A titre subsidiaire,

fixer le montant de la créance du poursuivant aux échéances impayées et échues, dont le montant total s'élève à la somme de 38. 468,01 euros ;

En conséquence, sur la vente forcée,

ordonner la vente forcée, conformément aux dispositions de l'article R 322-26 du Code des procédures civiles d'exécution, des biens et droits immobiliers ci-dessus décrits,

déterminer les modalités de la vente,

fixer la date de l'audience à laquelle il sera procédé à la vente forcée des biens et droits immobiliers ci-dessus décrits, sur la mise à prix fixée dans le cahier des conditions de vente,

fixer les modalités de visite de l'immeuble saisi, dans le cas où la vente forcée de celui-ci serait ordonnée, en autorisant l'intervention de la SAS Leroy-Beaulieu

[N] [L], huissiers de Justice à [Localité 7] (93) ou tout autre huissier de justice qu'il plaira à la juridiction de nommer, lequel pourra, si besoin est, se faire assister de tous ceux dont l'intervention lui sera nécessaire pour remplir sa mission et notamment pour lui permettre de faire procéder aux diagnostics nécessaires à la vente, une publicité supplémentaire sur Internet (Licitor), que les dépens consisteront en frais privilégiés de vente.

Au soutien de son appel, le Crédit Foncier de France fait valoir que l'article L 212-1 du code de la consommation énonce que le caractère abusif d'une clause doit s'apprécier au regard de l'ensemble des clauses du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat. Il rappelle que la recommandation n°04-03 du 27 mai 2004, de la commission des clauses abusives et notamment sa section F) relative à « l'exigibilité par anticipation », indique que ces clauses sont abusives si elles sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure où elles tendent à laisser penser que l'établissement de crédit dispose d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, d'une part l'existence d'une inobservation commise par l'emprunteur, d'autre part une inexactitude dans les déclarations de l'emprunteur, et qu'au surplus, elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance, que ces clauses apparaissent significativement déséquilibrées.

Il fait observer qu'en l'espèce, à aucun moment il n'a laissé croire aux époux [V] qu'ils n'avaient aucun recours.

Enfin, il fait valoir que si la clause ne prévoit pas d'autre formalité qu'une lettre recommandée avec accusé de réception pour prononcer la déchéance du terme, il a néanmoins accordé les plus larges délais aux débiteurs pour s'acquitter de leur dette et, le 3 mars 2022, leur a été adressée une lettre de mise en demeure de régler la somme de 20.354,61 euros leur laissant un délai raisonnable de 30 jours pour régulariser la situation.

M. et Mme [V], régulièrement assignés à personne par actes du 13 et 16 janvier 2024, ainsi que le Service des Impôts des Particuliers de [Localité 8], créancier inscrit assigné par acte du 16 janvier 2024, n'ont pas constitué avocat.

MOTIFS

Sur la demande de vente forcée :

Il résulte de l'article L.311-2 du code des procédures civiles d'exécution que pour procéder à une saisie immobilière le créancier doit être muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible.

L'article L.212-1 alinéa 1er du code de la consommation dispose que dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Il énonce en son second alinéa que le caractère abusif d'une clause s'apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat.

Par un arrêt du 22 mars 2023 (n°21-16.044), et dans le prolongement de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne issue des arrêts du 26 janvier 2017 et 8 décembre 2022, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a décidé qu'était abusive comme créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement, une clause d'un contrat de prêt immobilier prévoyant la résiliation de plein droit du contrat après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, rappelant dans un arrêt du même jour qu'il incombait au juge d'examiner d'office l'existence d'un tel abus.

En l'espèce, l'article 11 du contrat de prêt est ainsi rédigé :

« A la discrétion du prêteur, le prêt pourra être résilié et les sommes empruntées au principal, intérêts et accessoires deviendront immédiatement et intégralement exigibles de plein droit, sans autre formalité qu'une lettre recommandée avec accusé de réception dans l'un des cas suivants :

- (')

- défaut de paiement à bonne date de tout ou partie des échéances d'une fraction du capital venant à échéance ou de toutes sommes avancées par le prêteur tant sur le présent prêt qu'au titre de l'un quelconque des prêts finançant le bien objet de la présente offre (') »

Ainsi, cette clause est clairement de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, qui se voit, sans autre avertissement préalable qu'une lettre recommandée avec accusé de réception, imposer le remboursement immédiat de la totalité du prêt au bon vouloir du prêteur.

Le CFF prétend cependant qu'il a accordé les plus larges délais aux consorts [V] pour régler les arriérés d'échéances impayées avant de prononcer la déchéance du terme, laquelle n'est intervenue qu'à la suite d'une mise en demeure signifiée par huissier et leur octroyant un ultime délai de 30 jours.

Mais il importe peu que le CFF ait accordé des délais aux époux [V] depuis 2018, année au cours de laquelle sont apparus les premiers incidents de paiement et qu'il leur ait adressé une mise en demeure leur laissant un délai raisonnable pour régulariser leur situation préalablement au prononcé de la déchéance du terme du 7 octobre 2014, dès lors que les conditions effectives de mise en 'uvre de la clause sont sans effet sur la validité de celle-ci qui doit être appréciée in abstracto. En d'autres termes, il importe peu que le CFF ait octroyé dans les faits plusieurs délais, puis par une dernière mise en demeure un délai de 30 jours avant de prononcer la déchéance du terme, dès lors que les délais ainsi fixés ne dépendaient que de lui et demeuraient par conséquent discrétionnaires, caractérisant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectives du professionnel et du consommateur au détriment de ce dernier.

Le CFF rappelle ensuite que les clauses sont abusives si elles sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dans la mesure notamment où elles laissent croire que le consommateur ne peut recourir au juge pour contester le bien-fondé de cette déchéance. Il fait alors observer à la cour qu'à aucun moment, il n'a laissé croire aux époux [V] qu'ils n'avaient aucun recours, puisque l'article 11 critiqué ne mentionne pas qu'aucun recours ne peut être formé à l'encontre du prononcé de la déchéance du terme et que le contrat, qui doit être lu dans sa globalité, contient deux articles, les articles 22 ' médiation - et 23 - droit applicable- qui indiquent clairement que les emprunteurs peuvent avoir recours soit à un médiateur, soit aux juridictions françaises.

Cependant, le caractère totalement discrétionnaire de la clause de déchéance tel que relevé plus avant, suffit à lui seul à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur, peu important que cette clause de déchéance n'ait pas prévu une interdiction pour les emprunteurs de recourir au juge pour la contester ou qu'il soit, à l'inverse, indiqué la fin du contrat en ses articles 22 et 23 qu'ils pourront en cas de litige avoir recours à un médiateur ou aux juridictions françaises, l'information donnée quant à l'existence de recours amiables ou judiciaires, au demeurant ouverts sans qu'il soit nécessaire de s'appuyer sur les clauses d'un contrat, ne permettant pas de compenser le déséquilibre né du caractère discrétionnaire de la clause de déchéance.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la clause d'exigibilité immédiate doit être réputée non écrite, de sorte que la déchéance du terme n'a pas été valablement mise en 'uvre. Dès lors, la créance du CFF ne peut être considérée comme étant exigible en sa totalité.

Le créancier poursuivant ne peut donc prétendre qu'aux échéances du prêt impayées et échues, dont le montant total s'élève à la somme de 38. 468,01 euros au vu du décompte arrêté au 15 décembre 2023, produit à hauteur d'appel.

Le jugement sera par conséquent confirmé en toutes ses dispositions, sauf sur le montant retenu au titre au titre de la créance du Crédit Foncier de France, constituée des échéances impayées et échues.

Sur les demandes accessoires :

Succombant en son appel, le CFF sera condamné aux entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Bobigny sauf en ce qu'il a fixé à la somme de 13 135,95 euros le montant de la créance du Crédit Foncier de France au titre des échéances impayées et échues,

STATUANT A NOUVEAU,

FIXE à la somme de 38. 468,01 euros le montant de la créance du Crédit Foncier de France au titre des échéances impayées et échues arrêté au 15 décembre 2023, en ce compris les cotisations d'assurances, les pénalités de retard et les intérêts contractuels à cette date,

CONDAMNE le Crédit Foncier de France aux dépens d'appel.

Le greffier, Le président,