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Décisions

CJUE, 8e ch., 11 juillet 2024, n° C-487/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Commission européenne

Défendeur :

République portugaise

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Piçarra

Juges :

M. Jääskinen (rapporteur), M. Gavalec

Avocat général :

M. Rantos

CJUE n° C-487/23

10 juillet 2024

LA COUR (huitième chambre),

1   Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1), en raison du fait qu’elle n’a pas veillé, et ne veille toujours pas, à ce que :

–   les administrations locales, entre l’année 2013 et l’année 2018 ;

–   les entités publiques portugaises dispensant des soins de santé (sous-secteur de la santé), entre l’année 2013 et l’année 2022 ;

–   la région autonome de Madère (Portugal), entre l’année 2013 et l’année 2022, et

–   la région autonome des Açores (Portugal), durant l’année 2013 ainsi qu’entre l’année 2015 et l’année 2022,

s’acquittent de leurs dettes commerciales dans les délais prévus à ces dispositions.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2   Les considérants 3, 9, 23 et 25 de la directive 2011/7 énoncent ce qui suit :

« (3) Dans les transactions commerciales entre des opérateurs économiques ou entre des opérateurs économiques et des pouvoirs publics, de nombreux paiements sont effectués au-delà des délais convenus dans le contrat ou fixés dans les conditions générales de vente. Bien que les marchandises aient été livrées ou les services fournis, bon nombre de factures y afférentes sont acquittées bien au-delà des délais. Ces retards de paiement ont des effets négatifs sur les liquidités des entreprises et compliquent leur gestion financière. Ils sont également préjudiciables à leur compétitivité et à leur rentabilité dès lors que le créancier doit obtenir des financements externes en raison de ces retards de paiement. [...]

[...]

(9) La présente directive devrait réglementer toutes les transactions commerciales, qu’elles soient effectuées entre des entreprises privées ou publiques ou entre des entreprises et des pouvoirs publics, étant donné que les pouvoirs publics effectuent un nombre considérable de paiements aux entreprises. [...]

[...]

(23) En règle générale, les pouvoirs publics bénéficient de flux de recettes plus sûrs, prévisibles et continus que les entreprises. Par ailleurs, bon nombre de pouvoirs publics peuvent obtenir des financements à des conditions plus intéressantes que les entreprises. Dans le même temps, les pouvoirs publics sont moins tributaires de relations commerciales stables pour réaliser leurs objectifs que les entreprises. De longs délais de paiement ou des retards de paiements par les pouvoirs publics pour des marchandises ou des services entraînent des coûts injustifiés pour les entreprises. Il convient dès lors de prévoir des dispositions particulières en matière de transactions commerciales pour la fourniture de marchandises ou la prestation de services par des entreprise[s] à des pouvoirs publics, qui devraient prévoir, notamment, des délais de paiement n’excédant normalement pas trente jours civils, à moins qu’il ne soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que ce soit objectivement justifié par la nature particulière ou par certains éléments du contrat, et n’excédant, en aucun cas, soixante jours civils.

[...]

(25) Dans une grande partie des États membres, les retards de paiement sont particulièrement inquiétants dans le secteur des services de santé. Les systèmes de soins de santé sont souvent obligés, en tant qu’élément fondamental de l’infrastructure sociale en Europe, de concilier besoins des individus et ressources financières disponibles [...]. Tous les systèmes sont confrontés à la nécessité de fixer des priorités parmi les soins de santé, de manière à établir un équilibre entre les besoins des patients individuels et les ressources financières disponibles. Il convient dès lors que les États membres aient la possibilité d’accorder aux entités publiques dispensant des soins de santé une certaine souplesse lorsqu’elles accomplissent leurs obligations. Il y a lieu, à cette fin, d’autoriser les États membres à prolonger, sous certaines conditions, le délai légal de paiement jusqu’à un maximum de soixante jours civils. Toutefois, les États membres devraient faire tout leur possible pour veiller à ce que les paiements dans le secteur des soins de santé soient effectués dans les délais légaux de paiement. »

3   L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le but de la présente directive est la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises et en particulier des [petites et moyennes entreprises (PME)]. »

4   L’article 4 de ladite directive, intitulé « Transactions entre entreprises et pouvoirs publics », dispose, à ses paragraphes 3 et 4 :

« 3. Les États membres veillent, dans des transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, à ce que :

a) le délai de paiement n’excède pas les durées suivantes :

i) trente jours civils après la date de réception, par le débiteur, de la facture ou d’une demande de paiement équivalente ;

ii) lorsque la date de réception de la facture ou d’une demande de paiement équivalente est incertaine, trente jours civils après la date de réception des marchandises ou de prestation des services ;

iii) lorsque le débiteur reçoit la facture ou la demande de paiement équivalente avant les marchandises ou les services, trente jours civils après la date de réception des marchandises ou de prestation des services ;

iv) lorsqu’une procédure d’acceptation ou de vérification, permettant de certifier la conformité des marchandises ou des services avec le contrat, est prévue par la loi ou dans le contrat, et si le débiteur reçoit la facture ou la demande de paiement équivalente plus tôt ou à la date de l’acceptation ou de la vérification, trente jours civils après cette date ;

[...]

4. Les États membres ont la faculté de prolonger les délais visés au paragraphe 3, point a), jusqu’à un maximum de soixante jours civils :

[...]

b) pour les entités publiques dispensant des soins de santé, dûment reconnues à cette fin.

[...] »

5   L’article 12 de la directive 2011/7, intitulé « Transposition », énonce, à son paragraphe 1, premier alinéa :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 1er à 8 et à l’article 10 au plus tard le 16 mars 2013. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »

Le droit portugais

6   Le Decreto-Lei n.o 62/2013 (décret‑loi no 62/2013), du 10 mai 2013 (Diário da República, 1re série, no 90, du 10 mai 2013), a transposé la directive 2011/7 dans l’ordre juridique portugais.

7   Selon l’article 4, paragraphe 3, du décret‑loi no 62/2013, dans les transactions entre entreprises, le délai de paiement est de 30 jours, à compter :

–   de la date de réception de la facture par le débiteur ;

–   de la date de réception effective des marchandises ou de la prestation des services, lorsque la date de réception de la facture est incertaine ou antérieure à celle de la réception des marchandises ou de la prestation des services ;

–   de la date de l’acceptation ou de la vérification, lorsque la loi ou le contrat prévoit une procédure de certification de la conformité des marchandises ou des services et lorsque le débiteur reçoit la facture avant cette date ou à ladite date.

8   En vertu de l’article 5 de ce décret‑loi, les délais prévus à l’article 4, paragraphe 3, de celui‑ci s’appliquent aux transactions commerciales entre entreprises et pouvoirs publics, lorsque ces derniers sont débiteurs. Toutefois, le délai de paiement peut être prolongé, sans excéder 60 jours, lorsque les pouvoirs publics débiteurs sont des entités publiques qui dispensent des soins de santé et qui sont dûment reconnues comme telles, ou lorsqu’un tel délai est expressément prévu par le contrat et est objectivement justifié par la nature ou les caractéristiques particulières de ce dernier.

La procédure précontentieuse

9   Le 28 avril 2017, la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure à la République portugaise et a invité celle‑ci à présenter ses observations sur une violation supposée des obligations lui incombant au titre de l’article 4 de la directive 2011/7. Selon cette lettre, diverses sources indiquaient que, durant l’année 2016, le délai moyen des paiements de leurs dettes commerciales par les entités publiques portugaises avait dépassé les délais prévus par cette directive.

10 Par courrier du 29 juin 2017, la République portugaise a répondu à ladite lettre en énumérant une série de mesures qu’elle avait adoptées à cet égard, parmi lesquelles figuraient le décret‑loi no 62/2013 ainsi que plusieurs dispositions tendant à sanctionner les entités publiques en retard et à accroître la transparence de tels paiements.

11 Estimant que les mesures adoptées par la République portugaise n’étaient pas suffisantes, la Commission lui a adressé, le 5 octobre 2017, un avis motivé, conformément à l’article 258 TFUE. Elle y a fait grief à cet État membre d’avoir manqué à ses obligations découlant de l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7, entre l’année 2012 et l’année 2017, en ne s’assurant pas que l’administration publique portugaise payait ses dettes commerciales dans le respect des échéances prévues à ces dispositions. Elle a invité ledit État membre à prendre les mesures nécessaires dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis motivé. Ce délai a expiré le 5 décembre 2017.

12 Par courrier du 16 février 2018, la République portugaise a répondu audit avis motivé en présentant des données chiffrées, dont il ressortait une évolution positive du délai moyen des paiements effectués par les pouvoirs publics entre l’année 2012 et l’année 2017, malgré un dépassement persistant des délais prévus à l’article 4 de la directive 2011/7. En outre, par courrier du 9 avril 2018, cet État membre a demandé à la Commission de suspendre la procédure d’infraction pendant un an, afin d’évaluer les effets produits, durant l’année 2018, par des mesures nationales récemment adoptées.

13 Le 12 juin 2018, la Commission a accepté de suspendre cette procédure pour une période allant du 1er mai 2018 au 30 avril 2019, à condition que la République portugaise prouve une amélioration constante et, à cet effet, lui envoie tous les deux mois un rapport contenant une description détaillée des progrès réalisés ainsi que des informations sur les délais moyens de paiement ventilés par secteur et par région, en mettant l’accent sur le sous-secteur de la santé. Eu égard aux progrès constatés, cette suspension a ultérieurement été prolongée, jusqu’au mois de janvier 2020.

14 La République portugaise a adressé à la Commission, entre le 24 juillet 2018 et le 14 mars 2023, onze rapports et un avenant, qui répertoriaient les délais moyens de paiement des pouvoirs publics portugais.

15 Le 13 décembre 2022, une réunion des représentants du gouvernement portugais et des services de la Commission a eu lieu, afin de permettre à la République portugaise de présenter oralement les données figurant dans ces rapports et, éventuellement, de les mettre à jour ou de les compléter avec les données manquantes.

16 Au cours de ses échanges avec la Commission, cet État membre l’a notamment informée, par courriel du 17 juin 2020, d’un retard de collecte de données lié à la pandémie de COVID‑19 et, par lettre du 2 mars 2023, d’une impossibilité de calculer le délai moyen de paiement global pour la période comprise entre l’année 2020 et l’année 2022, en raison du fait que les données relatives aux administrations locales n’étaient pas disponibles, car la date limite à laquelle ces administrations devaient rendre leurs comptes avait été reportée au 31 mai 2021 à cause de la mise en œuvre d’un nouveau système comptable.

17 Eu égard aux données officielles fournies jusqu’au 14 mars 2023 et aux données manquantes, la Commission a saisi la Cour du présent recours en manquement, le 28 juillet 2023, aux motifs, en substance, que plusieurs entités publiques portugaises s’étaient acquittées de leurs dettes commerciales, de manière systématique et persistante, dans des délais excédant ceux prévus à l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2011/7.

Sur le recours

Argumentation des parties

18 Dans sa requête, la Commission, après avoir évoqué « un manque de communication de la part des autorités portugaises [qui] a déçu ses attentes, fondées sur le devoir de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, [TUE] », rappelle, tout d’abord, que les États membres sont tenus de veiller à ce que, dans les transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, le délai de paiement n’excède pas 30 jours civils, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/7, ou 60 jours civils, lorsqu’un État membre a exercé la faculté, conférée à cet article 4, paragraphe 4, sous b), de prolonger ce premier délai au profit des entités publiques dispensant des soins de santé. Elle relève que la République portugaise a fait usage de cette faculté, en adoptant l’article 5 du décret‑loi no 62/2013.

19 En outre, la Commission fait valoir qu’il ressort des points 40 à 42 et 45 à 47 de l’arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement) (C‑122/18, EU:C:2020:41), d’une part, que l’obligation énoncée à l’article 4 de la directive 2011/7 vise le respect effectif des délais prévus à celui‑ci et, d’autre part, que cette interprétation est conforme aux objectifs de ladite directive, mentionnés à l’article 1er, paragraphe 1, ainsi qu’aux considérants 3, 9 et 23 de celle‑ci, qui mettent en évidence que, à cet article 4, paragraphes 3 et 4, le législateur de l’Union a entendu imposer aux États membres des obligations renforcées. Elle en infère que les paiements effectués par des pouvoirs publics dans un délai dépassant 30 jours ou, en ce qui concerne le secteur des soins de santé, 60 jours constituent, en eux‑mêmes, un manquement aux dispositions de ces paragraphes 3 et 4.

20 Ensuite, la Commission soutient que, en l’occurrence, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7, en raison du fait qu’elle n’a pas veillé, et ne veille toujours pas, à ce que les entités publiques portugaises mentionnées au point 1 du présent arrêt s’acquittent de leurs dettes commerciales dans les délais prévus à ces dispositions, pendant les périodes visées à ce point.

21 Au sujet de ces périodes, la Commission précise que, bien que son avis motivé ait mentionné l’année 2012, il n’y a pas lieu de prendre en compte les données y afférentes, car celles‑ci sont antérieures à la date limite de transposition de la directive 2011/7, à savoir le 16 mars 2013. En revanche, les données afférentes à l’année 2013 seraient pertinentes, dès lors que les autorités portugaises les ont présentées comme étant relatives au quatrième trimestre de l’année 2013.

22 La Commission indique qu’elle reproche à la République portugaise également des agissements qui sont, certes, survenus après la date d’expiration du délai imparti dans cet avis motivé, à savoir après le 5 décembre 2017, mais qui sont, toutefois, « de même nature » et, dès lors, « constitutifs du même comportement » que les faits considérés dans ledit avis, de sorte que l’objet de sa requête pourrait s’étendre à ces agissements, selon la jurisprudence de la Cour relative à de tels cas de figure.

23 Enfin, elle souligne que, conformément au point 65 de l’arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement) (C‑122/18, EU:C:2020:41), la circonstance que les retards de paiement des pouvoirs publics d’un État membre, dans les transactions commerciales couvertes par la directive 2011/7, soient en voie d’amélioration ne saurait faire obstacle à ce que la Cour constate que cet État membre a manqué aux obligations lui incombant en vertu du droit de l’Union. La Commission demande à la Cour de procéder à une telle constatation dans la présente affaire.

24 Dans son mémoire en défense, la République portugaise soutient qu’elle n’a pas enfreint le principe de coopération loyale. À cet égard, elle met en avant sa détermination à respecter les obligations issues de la directive 2011/7, moyennant l’adoption d’une série de mesures communiquées à la Commission, ainsi que sa collaboration permanente et constructive avec cette institution. Cet État membre affirme que les autorités portugaises n’ont jamais prétendu que la pandémie de COVID‑19 aurait rendu impossible la collecte de données. Ledit État membre fait valoir, comme lors de la phase précontentieuse, que le changement du système comptable au sein des administrations locales constitue un motif valable de ne pas avoir transmis les données manquantes, dès lors que celles‑ci n’étaient pas disponibles « de manière organisée, comparable et susceptible d’être partagée ».

25 Pour ce qui concerne le grief tiré d’une violation de l’article 4 de la directive 2011/7, la République portugaise ne conteste pas intégralement l’allégation de la Commission selon laquelle les délais prévus à cet article n’ont pas été dûment respectés par les pouvoirs publics portugais.

26 S’agissant du fondement factuel de ce grief, cet État membre signale deux erreurs dans les données, relatives à l’année 2017 et à l’année 2018, qui ont été mentionnées dans la requête de la Commission. En outre, ledit État membre fait état de nouvelles données, relatives à l’année 2021 et à l’année 2022, qui concernent les administrations locales et visent à établir que les délais moyens de paiement dans ce secteur sont conformes à la directive 2011/7 depuis l’année 2018.

27 S’agissant du fondement juridique dudit grief, premièrement, la République portugaise insiste sur l’amélioration obtenue, à savoir une réduction de 66 % des délais moyens de paiement, pour l’ensemble de l’administration publique portugaise, entre l’année 2012 et l’année 2022. Deuxièmement, elle infère de cette évolution positive qu’il n’y a pas eu de violation grave, continue ou systématique des obligations découlant de l’article 4 de la directive 2011/7. Troisièmement, elle allègue que les principes de proportionnalité et de coopération loyale s’opposent à ce que la Cour fasse droit au présent recours en manquement. Selon elle, lorsqu’un État membre se trouve sur une trajectoire non équivoque tendant vers l’exécution intégrale de ses obligations, le moyen le moins contraignant qui se trouve à la disposition de l’Union européenne est non pas de sanctionner cet État membre, mais de poursuivre une collaboration active entre la Commission et celui‑ci.

28 Dès lors, la République portugaise demande à la Cour de juger le présent recours non fondé « dans la mesure de ce qui est contesté par la partie défenderesse ».

29 Dans sa réplique, la Commission souligne qu’elle n’a pas demandé à la Cour de constater que la République portugaise avait manqué à son devoir de coopération loyale, mais qu’elle a évoqué le défaut de coopération des autorités portugaises afin d’expliquer l’absence de certaines données dans sa propre requête.

30 Par ailleurs, la Commission corrige les deux erreurs, relatives à l’année 2017 et à l’année 2018, qui ont été signalées dans le mémoire en défense de la République portugaise et elle modifie les conclusions de sa requête en ce sens qu’elle n’invoque plus un manquement à l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2011/7 du fait du comportement des administrations locales durant l’année 2018. En revanche, elle estime que les nouvelles données évoquées par cet État membre dans ledit mémoire, relatives à l’année 2021 et à l’année 2022, ne sont pas pertinentes, puisque la requête ne porte pas sur ces deux années pour ce qui concerne les administrations locales.

31 La Commission considère que la République portugaise a implicitement reconnu avoir manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 4 de la directive 2011/7. S’agissant du premier moyen de défense de cet État membre, tiré d’une réduction des délais de paiement, elle répète que la Cour a déjà jugé qu’une telle amélioration ne signifie pas qu’il n’y a eu aucun manquement. S’agissant du deuxième moyen de défense, tiré de l’absence d’une violation grave, continue ou systématique, elle fait valoir que le manquement allégué perdure depuis dix ans et qu’il présente donc de telles caractéristiques. S’agissant du troisième moyen de défense, fondé sur le principe de proportionnalité, la Commission souligne la longue durée du manquement allégué et la suspension prolongée de la procédure d’infraction qu’elle a accordée audit État membre, sans résultats suffisants pour ne pas devoir introduire le présent recours par la suite.

32 Dans sa duplique, la République portugaise prend acte des corrections apportées par la Commission dans sa réplique, puis elle reprend l’essentiel des moyens exposés dans son propre mémoire en défense. En particulier, cet État membre soutient qu’il serait contre-productif de faire droit au présent recours, dès lors que, sauf en ce qui concerne le secteur de la santé et les secteurs régionaux, il a exécuté intégralement les obligations lui incombant en vertu de la directive 2011/7.

Appréciation de la Cour

33 À titre liminaire, il importe de relever que la Commission a précisé qu’elle n’entendait pas fonder le présent recours en manquement sur une violation du devoir de coopération loyale, contrairement à ce que la République portugaise a évoqué dans son mémoire en défense. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner cet aspect.

34 Par son grief unique, la Commission soutient que la République portugaise a manqué aux obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7, en raison du fait qu’elle n’a pas veillé, et ne veille toujours pas, à ce que ses pouvoirs publics respectent, dans le cadre du paiement de leurs dettes commerciales, des délais n’excédant pas une durée de 30 ou de 60 jours civils selon les cas. Ce dernier délai est autorisé dans le secteur des soins de santé lorsque l’État membre concerné a fait usage de la faculté, prévue à cet article 4, paragraphe 4, sous b), de prolonger les délais visés audit article 4, paragraphe 3.

35 Plus précisément, la Commission reproche à la République portugaise un dépassement des délais de paiement prévus à ces dispositions par :

–   les administrations locales, entre l’année 2013 et l’année 2017 ;

–   les entités publiques dispensant des soins de santé, entre l’année 2013 et l’année 2022 ;

–   la région autonome de Madère, entre l’année 2013 et l’année 2022, et

–   la région autonome des Açores, durant l’année 2013 ainsi qu’entre l’année 2015 et l’année 2022.

36 À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, sous a), de la directive 2011/7, lu à la lumière du considérant 23 de celle‑ci, les États membres sont tenus de veiller à ce que, dans des transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, le délai de paiement n’excède pas une durée de 30 jours civils, à compter des circonstances factuelles que ce paragraphe 3, sous a), énumère. Quant à l’article 4, paragraphe 4, de cette directive, lu à la lumière du considérant 25 de celle‑ci, il accorde aux États membres la faculté de prolonger ce délai, jusqu’à un maximum de 60 jours civils, pour ceux des pouvoirs et des entités publics que ce paragraphe 4 vise [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, point 38], parmi lesquels figurent, audit paragraphe 4, sous b), les entités publiques dispensant des soins de santé qui sont dûment reconnues à cette fin. En l’occurrence, la République portugaise a procédé à une telle prolongation, à l’article 5 du décret‑loi nº 62/2013.

37 En outre, la Cour a jugé que l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2011/7 impose aux États membres non seulement de prévoir des délais maximaux de paiement conformes à ces dispositions, mais également de veiller au respect effectif de ces délais par leurs pouvoirs publics dans le cadre des transactions commerciales entre ceux‑ci et des entreprises [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, points 40, 48, 53 et 57]. Ainsi que la Commission l’a observé, la Cour s’est fondée, en particulier, sur les objectifs de cette directive, tels qu’ils ressortent de l’article 1er, paragraphe 1, ainsi que des considérants 3, 9 et 23 de celle‑ci, pour estimer que le législateur de l’Union a entendu imposer aux États membres des obligations renforcées à cet article 4, paragraphes 3 et 4 [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, points 45 à 47].

38 En deuxième lieu, s’agissant du cadre temporel dans lequel s’inscrit le présent recours en manquement, il y a lieu de relever que la Commission soutient, en substance, que la République portugaise a manqué aux obligations lui incombant, en vertu de l’article 4 de la directive 2011/7, durant une période qui s’étend, globalement, de l’année 2013 à l’année 2022, ainsi que cela est exposé au point 35 du présent arrêt.

39 Pour ce qui concerne le début de la période pertinente, il convient de constater que le présent recours vise des retards de paiement intervenus à partir de l’année 2013, dès lors que, comme la Commission l’a indiqué à juste titre, d’une part, la date limite de transposition de la directive 2011/7 a été fixée au 16 mars 2013 en vertu de l’article 12, paragraphe 1, de celle‑ci et, d’autre part, les données relatives à cette année 2013 sont à prendre en compte dans la mesure où les autorités portugaises les ont présentées comme étant relatives au quatrième trimestre de ladite année 2013.

40 Pour ce qui concerne la fin de la période pertinente, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre concerné telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, de sorte que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour [arrêts du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, point 58, et du 14 mars 2024, Commission/Espagne (Directive 91/676), C‑576/22, EU:C:2024:227, point 75 ainsi que jurisprudence citée].

41 En outre, l’objet d’un recours en manquement, au titre de l’article 258 TFUE, est en principe fixé par l’avis motivé, de telle sorte que le recours doit être fondé sur les mêmes motifs et moyens que ce dernier. L’objet de ce recours peut néanmoins s’étendre à des faits postérieurs à cet avis motivé pour autant qu’ils soient de même nature et constitutifs d’un même comportement que les faits visés par celui‑ci [voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 2006, Commission/Espagne, C‑221/04, EU:C:2006:329, point 28, et du 29 juin 2023, Commission/Portugal (Valeurs limites – NO2), C‑220/22, EU:C:2023:521, point 46 ainsi que jurisprudence citée].

42 En l’espèce, le délai imparti à la République portugaise dans l’avis motivé de la Commission, en date du 5 octobre 2017, a expiré le 5 décembre de la même année. Selon la Commission, cet État membre n’est pas parvenu à remédier au manquement allégué, à la suite de la suspension, intervenue à la demande dudit État membre, de la procédure d’infraction, qui a eu lieu à partir du 1er mai 2018 jusqu’au mois de janvier 2020.

43 Bien que les allégations de la Commission relatives à la période allant de l’année 2018 à l’année 2022 portent sur des agissements de la République portugaise postérieurs à cet avis motivé, ceux‑ci sont, toutefois, de même nature et constitutifs d’un même comportement que ceux qui y étaient visés, à savoir le fait de ne pas avoir veillé à ce que les pouvoirs publics portugais respectent de manière effective les délais de paiement prévus à l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2011/7. Partant, l’objet du présent recours en manquement peut s’étendre à ces agissements postérieurs.

44 Il résulte des considérations qui précèdent que ce recours porte valablement sur la période visée par la Commission, qui s’étend de l’année 2013 à l’année 2022.

45 En troisième lieu, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, la procédure visée à l’article 258 TFUE repose sur la constatation objective du non-respect, par un État membre, des obligations que lui imposent les traités ou un acte de droit dérivé. Partant, dès lors qu’une telle constatation a été établie, il est sans pertinence que le manquement résulte de la volonté de l’État membre auquel il est imputable, de sa négligence ou bien encore de difficultés techniques auxquelles celui‑ci aurait été confronté [voir, en ce sens, arrêts du 1er février 2001, Commission/France, C‑333/99, EU:C:2001:73, points 33 et 36, ainsi que du 25 janvier 2024 Commission/Irlande (Trihalométhanes dans l’eau potable), C‑481/22, EU:C:2024:85, points 90 et 91].

46 En l’occurrence, il ressort des données qui ont été communiquées par la République portugaise à la Commission, lors de la procédure précontentieuse, et qui figurent dans les annexes de la requête que les violations du droit de l’Union mentionnées dans les conclusions de la réplique, rectifiant cette requête, et exposées au point 35 du présent arrêt sont avérées.

47 À cet égard, il ressort des pièces du dossier soumis à la Cour que les délais moyens de paiement par les pouvoirs publics portugais excèdent toujours ceux prévus à l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7. Ce constat s’impose pour les administrations locales, pour la région autonome de Madère, pour la région autonome des Açores et pour les entités publiques dispensant des soins de santé, les retards de paiement étant sensiblement plus importants dans ces trois derniers cas.

48 Ainsi, il apparaît que, en ne veillant pas à ce que ses pouvoirs publics respectent de manière effective les délais de paiement prévus à l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7, la République portugaise a manqué, dans la mesure indiquée par la Commission, aux obligations lui incombant en vertu de ces dispositions.

49 En quatrième et dernier lieu, s’agissant des trois moyens de défense avancés par la République portugaise pour tenter de minimiser, voire de justifier, le fait de ne pas s’être conformée à ces obligations, il y a lieu de relever ce qui suit.

50 Premièrement, la République portugaise fait valoir une amélioration des délais moyens de paiement pour l’ensemble de l’administration publique portugaise, qui consisterait en une progression de 142 jours pour l’année 2012 à 48 jours pour l’année 2022, soit une réduction de 66 %.

51 Toutefois, ainsi que la Commission l’a relevé, la circonstance, à la supposer établie, que la situation relative aux retards de paiement des pouvoirs publics dans les transactions commerciales couvertes par la directive 2011/7 soit en voie d’amélioration ne saurait faire obstacle à ce que la Cour constate qu’un État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, point 65].

52 Deuxièmement, la République portugaise soutient, en substance, que le manquement allégué ne pourrait être constaté qu’en présence d’une violation grave, continue et systématique des obligations imposées à l’article 4 de la directive 2011/7, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.

53 Cependant, la Cour a déjà souligné que de telles considérations ne sont pas de nature à écarter l’existence d’un manquement de l’État membre concerné aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphes 3 et 4, de la directive 2011/7. En outre, puisque le recours en manquement a un caractère objectif, le manquement aux obligations qui incombent aux États membres en vertu du droit de l’Union est considéré comme existant, quelles que soient l’ampleur ou la fréquence des situations incriminées [voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 2020, Commission/Italie (Directive lutte contre le retard de paiement), C‑122/18, EU:C:2020:41, point 64, et du 10 mars 2022, Commission/Belgique (Déduction des rentes alimentaires), C‑60/21, EU:C:2022:172, point 33].

54 Troisièmement, pour ce qui est de l’argument de la République portugaise selon lequel les principes de proportionnalité et de coopération loyale s’opposent à ce qu’il soit fait droit au présent recours dès lors qu’elle s’approcherait de l’exécution intégrale des obligations qui lui incombent et que, partant, le moyen le moins contraignant à la disposition de l’Union serait non pas de sanctionner cet État membre mais de poursuivre la collaboration active ayant été engagée entre la Commission et celui‑ci, il importe de rappeler que la Commission dispose du pouvoir d’apprécier l’opportunité d’agir contre un État membre et de choisir le moment où elle initiera la procédure en manquement à son égard. Il appartient à la Cour non pas de contrôler une telle appréciation, mais d’examiner si le manquement reproché existe ou non [voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2014, Commission/Grèce, C‑677/13, EU:C:2014:2433, point 50, et du 25 mars 2021, Commission/Hongrie (Taux d’accise sur les cigarettes), C‑856/19, EU:C:2021:253, point 57].

55 En l’occurrence, la Commission souligne à juste titre que, avant d’introduire le présent recours en manquement, elle a suspendu la procédure d’infraction, à la demande de la République portugaise, et cela durant une longue période, eu égard à certains progrès réalisés par cet État membre.

56 En outre, une argumentation telle que celle de la République portugaise est sans incidence sur l’appréciation de la matérialité du manquement allégué, laquelle dépend de l’existence de faits prouvés établissant ce manquement, et non du comportement de l’État membre concerné au cours de la procédure d’infraction.

57 Par conséquent, les trois moyens de défense avancés par la République portugaise doivent être rejetés.

58 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de constater que, en ne veillant pas à ce que ses pouvoirs publics respectent de manière effective les délais de paiement prévus à l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions.

Sur les dépens

59 En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête :

1) En ne veillant pas à ce que ses pouvoirs publics respectent de manière effective les délais de paiement prévus à l’article 4, paragraphe 3, et paragraphe 4, sous b), de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ces dispositions.

2) La République portugaise est condamnée aux dépens.