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Décisions

CJUE, 8e ch., 11 juillet 2024, n° C-279/23

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Skarb Państwa ‑ Dyrektor Okręgowego Urzędu Miar w K.

Défendeur :

Z. sp.j.

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Piçarra (rapporteur)

Juges :

M. Jääskinen, M. Gavalec

Avocat général :

M. Rantos

Avocat :

Mme Pluta-Gabryś

CJUE n° C-279/23

10 juillet 2024

LA COUR (huitième chambre),

1   La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (JO 2011, L 48, p. 1).

2   Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Skarb Państwa (Trésor public, Pologne), représenté par le Dyrektor Okręgowego Urzędu Miar w K. (directeur de l’office régional des mesures à K.) (ci‑après l’« office des mesures ») à Z. sp.j., une société de droit polonais, au sujet d’une demande d’indemnisation forfaitaire pour les frais de recouvrement exposés par cet office en raison de retards de paiement successifs de Z afférents à des services de référencement d’instruments de mesure fournis par ledit office.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3   Les considérants 12, 17 et 19 de la directive 2011/7 énoncent :

« (12) Les retards de paiement constituent une violation du contrat qui est devenue financièrement intéressante pour les débiteurs dans la plupart des États membres, en raison du faible niveau ou de l’absence des intérêts pour retard de paiement facturés et/ou de la lenteur des procédures de recours. Un tournant décisif visant à instaurer une culture de paiement rapide, au sein de laquelle une clause contractuelle ou une pratique excluant le droit de réclamer des intérêts devrait toujours être considérée comme manifestement abusive, est nécessaire pour inverser cette tendance et pour décourager les retards de paiement. Ce tournant devrait aussi inclure l’introduction de dispositions particulières portant sur les délais de paiement et sur l’indemnisation des créanciers pour les frais encourus et devrait prévoir, notamment, que l’exclusion du droit à l’indemnisation pour les frais de recouvrement est présumée être un abus manifeste.

[...]

(17) Le paiement d’un débiteur devrait être considéré comme en retard, aux fins de l’exigibilité d’intérêts pour retard de paiement, si le créancier ne dispose pas de la somme due à la date convenue, alors qu’il a rempli ses obligations contractuelles et légales.

[...]

(19) Il est nécessaire de prévoir une indemnisation équitable des créanciers pour les frais de recouvrement exposés en cas de retard de paiement de manière à décourager lesdits retards de paiement. Les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement, pour lesquels la présente directive devrait fixer un montant forfaitaire minimal susceptible d’être cumulé aux intérêts pour retard de paiement. L’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement. L’indemnisation pour les frais de recouvrement devrait être déterminée sans préjudice des dispositions nationales en vertu desquelles une juridiction nationale peut accorder au créancier une indemnisation pour des dommages et intérêts supplémentaires en raison du retard de paiement du débiteur. »

4   L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », prévoit :

« 1. Le but de la présente directive est la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales, afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, en améliorant ainsi la compétitivité des entreprises et en particulier des [petites et moyennes entreprises (PME)].

2. La présente directive s’applique à tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales.

[...] »

5   Aux termes de l’article 2, points 1 à 4, de ladite directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1) “transactions commerciales”, toute transaction entre des entreprises ou entre des entreprises et les pouvoirs publics qui conduit à la fourniture de marchandises ou à la prestation de services contre rémunération ;

2) “pouvoir public”, tout pouvoir adjudicateur, tel que défini à l’article 2, paragraphe 1, point a), de la directive 2004/17/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, portant coordination des procédures de passation des marchés dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des transports et des services postaux (JO 2004, L 134, p. 1),] et à l’article 1er, paragraphe 9, de la directive 2004/18/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114)], indépendamment de l’objet ou de la valeur du contrat ;

3) “entreprise”, toute organisation, autre que les pouvoirs publics, agissant dans l’exercice d’une activité économique ou professionnelle indépendante, même lorsque cette activité n’est exercée que par une seule personne ;

4) “retard de paiement”, tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal et lorsque les conditions spécifiées à l’article 3, paragraphe 1, ou à l’article 4, paragraphe 1, sont remplies ».

6   L’article 3 de la directive 2011/7, intitulé « Transactions entre entreprises », est libellé comme suit :

« 1. Les États membres veillent à ce que, dans les transactions commerciales entre entreprises, le créancier soit en droit de réclamer des intérêts pour retard de paiement sans qu’un rappel soit nécessaire quand les conditions suivantes sont remplies :

a) le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales ; et

b) le créancier n’a pas reçu le montant dû à l’échéance, sauf si le débiteur n’est pas responsable du retard.

[...] »

7   L’article 4 de cette directive, intitulé « Transactions entre entreprises et pouvoirs publics », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, dans des transactions commerciales où le débiteur est un pouvoir public, le créancier soit en droit d’obtenir, à l’expiration du délai fixé aux paragraphes 3, 4 et 6, les intérêts légaux pour retard de paiement, sans qu’un rappel soit nécessaire, quand les conditions suivantes sont remplies :

a) le créancier a rempli ses obligations contractuelles et légales ; et

b) le créancier n’a pas reçu le montant dû à l’échéance, sauf si le débiteur n’est pas responsable du retard. »

8   L’article 6 de ladite directive, intitulé « Indemnisation pour les frais de recouvrement », prévoit :

« 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales conformément à l’article 3 ou à l’article 4, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 [euros].

2. Les États membres veillent à ce que le montant forfaitaire visé au paragraphe 1 soit exigible sans qu’un rappel soit nécessaire et vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus.

[...] »

9   L’article 7 de la même directive, intitulé « Clauses contractuelles et pratiques abusives », énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1. Les États membres prévoient qu’une clause contractuelle ou une pratique relative à la date ou au délai de paiement, au taux d’intérêt pour retard de paiement ou à l’indemnisation pour les frais de recouvrement, ne soit pas applicable, ou donne lieu à une action en réparation du dommage lorsqu’elle constitue un abus manifeste à l’égard du créancier.

Pour déterminer si une clause contractuelle ou une pratique constitue un abus manifeste à l’égard du créancier, au sens du premier alinéa, tous les éléments de l’espèce sont pris en considération, y compris :

a) tout écart manifeste par rapport aux bonnes pratiques et usages commerciaux, contraire à la bonne foi et à un usage loyal ;

b) la nature du produit ou du service ; et

c) si le débiteur a une quelconque raison objective de déroger au taux d’intérêt légal pour retard de paiement, aux délais de paiement visés à l’article 3, paragraphe 5, à l’article 4, paragraphe 3, point a), à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 4, paragraphe 6, ou au montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1.

2. Aux fins de l’application du paragraphe 1, toute clause contractuelle ou pratique excluant le versement d’intérêts pour retard de paiement est considérée comme manifestement abusive.

3. Aux fins de l’application du paragraphe 1, une clause contractuelle ou une pratique excluant l’indemnisation pour les frais de recouvrement prévue à l’article 6 est présumée être manifestement abusive. »

Le droit polonais

La loi visant à lutter contre les retards excessifs dans les transactions commerciales

10 Aux termes de l’article 10 de l’ustawa o przeciwdziałaniu nadmiernym opóźnieniom w transakcjach handlowych (loi visant à lutter contre les retards excessifs dans les transactions commerciales), du 8 mars 2013 (Dz. U. de 2022, position 893), qui a transposé la directive 2011/7 dans l’ordre juridique polonais et est entrée en vigueur le 28 avril 2013 :

« 1. À dater du jour où il acquiert le droit aux intérêts visés à l’article 7, paragraphe 1, ou à l’article 8, paragraphe 1, le créancier est en droit d’obtenir du débiteur, sans mise en demeure, une indemnisation pour les frais de recouvrement, constituant l’équivalent d’un montant de :

1) 40 euros, lorsque le montant de la prestation en espèces est inférieur à 5 000 zlotys polonais (PLN) [(environ 1 155 euros)] ;

[...]

2. Outre le montant visé au paragraphe 1, le créancier a également droit au remboursement, dans une limite raisonnable, des frais de recouvrement exposés qui dépassent ce montant. »

Le code civil

11 L’article 5 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi portant code civil), du 23 avril 1964 (Dz. U. de 2022, position 1360) (ci‑après le « code civil polonais »), dispose :

« Un droit ne peut être exercé en violation de sa finalité socio‑économique ou des principes de la vie en société. Une telle action ou omission dans le chef du titulaire du droit n’est pas considérée comme une mise en œuvre de ce droit et ne bénéficie pas d’une protection. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

12 L’office des mesures fournit des services de référencement d’instruments de mesure, régulièrement utilisés par la société Z. Celle-ci a payé de tels services avec retard à deux reprises. Le premier paiement tardif, de vingt jours, portait sur une somme de 246 PLN (environ 55 euros) et le second, de cinq jours, portait sur une somme de 369 PLN (environ 80 euros).

13 L’office des mesures a alors introduit, devant le Sąd Rejonowy Katowice – Zachód w Katowicach (tribunal d’arrondissement de Katowice‑ouest à Katowice, Pologne), la juridiction de renvoi, une demande en paiement d’une somme de 80 euros, majorée des intérêts prévus par le droit polonais, soit la somme correspondant à deux fois l’indemnisation pour frais de recouvrement visée à l’article 10, paragraphe 1, point 1, de la loi visant à lutter contre les retards excessifs dans les transactions commerciales.

14 La juridiction de renvoi relève que, selon une jurisprudence constante des juridictions polonaises, les recours tendant au paiement du montant forfaitaire pour les frais de recouvrement sont rejetés quand le retard de paiement du débiteur est négligeable ou quand le montant de la créance due est faible. Elle souligne que l’affaire dont elle est saisie illustre une telle pratique, Z n’ayant jamais été condamnée alors même qu’elle s’est trouvée en situation de retard de paiement au moins à 39 reprises.

15 Selon la juridiction de renvoi, le rejet de ces recours est fondé sur l’article 5 du code civil polonais, interprété en ce sens que, lorsque le montant d’une créance dont le paiement est retardé n’excède pas l’équivalent en zlotys polonais de 100 à 300 euros, ou lorsque le retard de paiement d’une créance ne dépasse pas deux à six semaines, une indemnisation du créancier est considérée comme étant « contraire aux principes de la vie en société », expression que cette juridiction assimile à celle de « contraire aux bonnes mœurs ».

16 La juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité d’une telle interprétation avec l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, lu à la lumière du considérant 12 de celle-ci. Selon cette juridiction, l’acceptation, par les juridictions polonaises, d’une coutume consistant à ce que les débiteurs effectuent des paiements de faible montant en retard, qui a pour conséquence qu’un créancier qui ne respecte pas cette coutume et exige une indemnisation est censé enfreindre ces « principes de la vie en société », ne saurait justifier l’introduction, par le droit national, d’une exception à la règle claire, précise et inconditionnelle prévue à cet article 6, paragraphe 1.

17 Dans ce contexte, le Sąd Rejonowy Katowice – Zachód w Katowicach (tribunal d’arrondissement de Katowice-ouest à Katowice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 [...] s’oppose‑t‑il à une réglementation nationale qui permet à une juridiction nationale de rejeter un recours tendant à l’obtention de l’indemnisation pour les frais de recouvrement visée à cette disposition au motif que le retard de paiement du débiteur était négligeable ou en raison du faible montant de la dette concernée par le retard de paiement du débiteur ? »

Sur la question préjudicielle

18 À titre liminaire, il convient de rappeler que, lorsque, comme en l’occurrence, un pouvoir public, au sens de l’article 2, point 2, de la directive 2011/7, est créancier d’une somme d’argent à l’égard d’une entreprise, les rapports entre ces deux entités ne relèvent pas de la notion de « transaction commerciale », au sens de l’article 2, point 1, de cette directive et, par suite, sont exclus du champ d’application de celle-ci (arrêt du 13 janvier 2022, New Media Development & Hotel Services, C‑327/20, EU:C:2022:23, point 44).

19 Toutefois, la Cour est compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situent en dehors du champ d’application du droit de l’Union, mais ces dispositions ont été rendues applicables par le droit national en raison d’un renvoi opéré par ce dernier au contenu de celles-ci (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 53, et du 30 janvier 2020, I.G.I., C‑394/18, EU:C:2020:56, point 45).

20 En l’occurrence, la juridiction de renvoi relève que le droit polonais étend le droit à indemnisation pour les frais de recouvrement à des situations qui ne sont pas couvertes par la directive 2011/7, dans lesquelles le créancier d’une somme dont le paiement est retardé est un pouvoir public et le débiteur est une entreprise, afin que l’indemnisation soit versée exactement selon les mêmes modalités, que le créancier soit une entreprise ou un pouvoir public. Dans ces conditions, l’interprétation préjudicielle sollicitée apparaît nécessaire afin que les dispositions du droit de l’Union applicables reçoivent une interprétation uniforme. Il y a donc lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi.

21 Par son unique question, cette juridiction demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique des juridictions nationales consistant à rejeter les recours tendant à l’obtention du montant forfaitaire minimal à titre d’indemnisation des frais de recouvrement prévu à cette disposition, au motif que le retard de paiement du débiteur est négligeable ou que le montant de la créance concernée par le retard de paiement du débiteur est faible.

22 En premier lieu, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 impose aux États membres de veiller à ce que, lorsque des intérêts pour retard de paiement sont exigibles dans des transactions commerciales, le créancier soit en droit d’obtenir du débiteur, comme minimum, le paiement d’un montant forfaitaire de 40 euros, à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement. En outre, le paragraphe 2 de cet article 6 impose aux États membres de veiller à ce qu’un tel montant forfaitaire minimal soit dû automatiquement, même en l’absence d’un rappel adressé au débiteur, et à ce que ledit montant vise à indemniser le créancier pour les frais de recouvrement encourus.

23 La notion de « retard de paiement », qui est à l’origine du droit du créancier à obtenir du débiteur non seulement des intérêts, mais aussi un montant forfaitaire minimal de 40 euros, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, est définie à l’article 2, point 4, de celle-ci comme étant tout paiement non effectué dans le délai de paiement contractuel ou légal. Dès lors que cette directive couvre, conformément à son article 1er, paragraphe 2, « tous les paiements effectués en rémunération de transactions commerciales », cette notion de « retard de paiement » est applicable à chaque transaction commerciale considérée individuellement [arrêts du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 28, et du 1er décembre 2022, X (Fournitures de matériel médical), C‑419/21, EU:C:2022:948, point 30].

24 En deuxième lieu, conformément aux dispositions combinées de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7, pour ce qui est des transactions commerciales entre entreprises, et aux dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, pour ce qui est des transactions entre entreprises et pouvoirs publics, les intérêts pour retard de paiement, tout comme le montant forfaitaire de 40 euros, deviennent exigibles automatiquement à l’expiration du délai de paiement prévu respectivement à l’article 3 et à l’article 4 de ladite directive. Le considérant 17 de celle‑ci précise, à cet égard, que « [l]e paiement d’un débiteur devrait être considéré comme en retard, aux fins de l’exigibilité d’intérêts pour retard de paiement, si le créancier ne dispose pas de la somme due à la date convenue, alors qu’il a rempli ses obligations contractuelles et légales ».

25 Rien dans le libellé de l’article 3, paragraphe 1, de l’article 4, paragraphe 1, ou de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 n’indique que le montant forfaitaire minimal prévu par cette dernière disposition ne serait pas dû en cas de retard de paiement négligeable ou du fait du montant peu élevé de la créance concernée, retard dont le débiteur est le seul responsable.

26 Partant, il ressort d’une interprétation littérale et contextuelle de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 que le montant forfaitaire minimal de 40 euros, prévu à titre d’indemnisation pour les frais de recouvrement, est dû au créancier, qui a rempli ses obligations, pour chaque paiement non effectué à l’échéance en rémunération d’une transaction commerciale, quel que soit le montant de la créance concernée par le retard de paiement ou la durée de ce retard.

27 En troisième lieu, cette interprétation de l’article 6 de la directive 2011/7 est confirmée par la finalité de celle-ci. Il résulte en effet de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive, lu à la lumière des considérants 12 et 19 de ladite directive, que celle-ci vise non seulement à décourager les retards de paiement, en évitant qu’ils soient financièrement intéressants pour le débiteur, en raison du faible niveau ou de l’absence d’intérêts facturés dans une telle situation, mais aussi à protéger efficacement le créancier contre de tels retards. Ce considérant 19 précise, d’une part, que les frais de recouvrement devraient également inclure la récupération des coûts administratifs et l’indemnisation pour les coûts internes encourus du fait de retards de paiement et, d’autre part, que l’indemnisation par un montant forfaitaire devrait tendre à limiter les coûts administratifs et internes liés au recouvrement [voir, en ce sens, arrêts du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, points 35 et 36, ainsi que du 1er décembre 2022, X (Fournitures de matériel médical), C‑419/21, EU:C:2022:948, point 36].

28 Dans cette perspective, ni le montant peu élevé de la créance due ni le caractère négligeable du retard de paiement ne sauraient justifier d’exonérer le débiteur du paiement du montant forfaitaire minimal dû à titre d’indemnisation des frais de recouvrement pour chaque retard de paiement dont il est le seul responsable. Cette exonération reviendrait à priver de tout effet utile l’article 6 de la directive 2011/7, dont l’objectif est, ainsi qu’il a été souligné au point précédent, non seulement de décourager ces retards de paiement mais aussi d’indemniser, par ces montants, « le créancier pour les frais de recouvrement qu’il a encourus », ces frais tendant à augmenter à proportion du nombre de paiements et des montants dont le débiteur ne s’acquitte pas à échéance. Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que ce débiteur a une « quelconque raison objective », au sens de l’article 7, paragraphe 1, second alinéa, sous c), de cette directive, pour déroger au paiement du montant forfaitaire visé à l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, le paragraphe 3 de cet article 7 précisant que, aux fins du paragraphe 1 de celui-ci, « une clause contractuelle ou une pratique excluant l’indemnisation pour les frais de recouvrement prévue à l’article 6 est présumée être manifestement abusive » [voir, en ce sens, arrêts du 20 octobre 2022, BFF Finance Iberia, C‑585/20, EU:C:2022:806, point 37, et du 1er décembre 2022, X (Fournitures de matériel médical), C‑419/21, EU:C:2022:948, point 37].

29 Enfin, quant à l’article 5 du code civil polonais, mentionné par la juridiction de renvoi, aux termes duquel un droit exercé en violation de sa finalité socio-économique ou des principes de la vie en société ne bénéficie pas d’une protection, il importe de rappeler que le principe d’interprétation conforme du droit national au droit de l’Union requiert que les juridictions nationales, dans le respect, notamment, de l’interdiction d’interprétation contra legem du droit national, fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (arrêts du 24 janvier 2012, Dominguez, C‑282/10, EU:C:2012:33, point 27, et du 4 mai 2023, ALD Automotive, C‑78/22, EU:C:2023:379, point 40).

30 L’exigence d’interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C‑684/16, EU:C:2018:874, point 60).

31 Dans la mesure où l’article 5 du code civil polonais ne pourrait être interprété de manière conforme à l’article 6 de la directive 2011/7, tel qu’interprété aux points 26 à 28 du présent arrêt, et eu égard aux exigences rappelées au point précédent, le juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit de l’Union a l’obligation d’assurer le plein effet de celles-ci en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, une disposition de la législation nationale comme celle en cause au principal, même postérieure, sans qu’il ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 58 et jurisprudence citée).

32 Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une pratique des juridictions nationales consistant à rejeter les recours tendant à l’obtention du montant forfaitaire minimal à titre d’indemnisation des frais de recouvrement prévu à cette disposition, au motif que le retard de paiement du débiteur est négligeable ou que le montant de la dette concernée par le retard de paiement du débiteur est faible.

Sur les dépens

33 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une pratique des juridictions nationales consistant à rejeter les recours tendant à l’obtention du montant forfaitaire minimal à titre d’indemnisation des frais de recouvrement prévu à cette disposition, au motif que le retard de paiement du débiteur est négligeable ou que le montant de la dette concernée par le retard de paiement du débiteur est faible.