CJUE, 5e ch., 11 juillet 2024, n° C-409/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
UA
Défendeur :
Eurobank Bulgaria - AD
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. E. Regan
Juges :
M. Z. Csehi, M. M. Ilešič, M. I. Jarukaitis, M. D. Gratsias
Avocat général :
M. M. Campos Sánchez-Bordona
Avocats :
Me V. B. Hambardzhiev, Me I. S. Velinova, Me K. S. Chuturkova
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, points 19 et 23, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE (JO 2007, L 319, p. 1), lu en combinaison avec l’article 59, paragraphe 1, de celle-ci.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant UA, un ressortissant italien, à « Eurobank Bulgaria » AD, une banque établie en Bulgarie (ci‑après « Eurobank »), au sujet du paiement de sommes d’argent correspondant à des opérations bancaires non autorisées sur les actifs du compte bancaire du requérant au principal, ainsi que d’une indemnisation des dommages matériels causés par ces opérations bancaires et des intérêts moratoires légaux applicables.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Aux termes du considérant 33, troisième phrase, de la directive 2007/64 :
« Les clauses et conditions contractuelles concernant la fourniture et l’utilisation d’un instrument de paiement qui auraient pour effet d’alourdir la charge de la preuve incombant au consommateur ou d’alléger la charge de la preuve imposée à l’émetteur devraient être considérées comme nulles et non avenues. »
4 L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », disposait, à son paragraphe 1 :
« La présente directive est applicable aux services de paiement fournis au sein de la Communauté [européenne]. [...] »
5 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Définitions », était libellé comme suit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
3) “services de paiement” : toute activité exercée à titre professionnel énumérée dans l’annexe ;
[...]
5) “opération de paiement” : une action, initiée par le payeur ou le bénéficiaire, consistant à verser, transférer ou retirer des fonds, indépendamment de toute obligation sous-jacente entre le payeur et le bénéficiaire ;
[...]
16) “ordre de paiement” : toute instruction d’un payeur ou d’un bénéficiaire à son prestataire de services de paiement demandant l’exécution d’une opération de paiement ;
[...]
19) “authentification” : la procédure permettant au prestataire de services de paiement de vérifier l’utilisation d’un instrument de paiement donné, y compris ses dispositifs de sécurité personnalisés ;
[...]
23) “instrument de paiement” : tout dispositif personnalisé et/ou ensemble de procédures convenu entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement et auquel l’utilisateur de services de paiement a recours pour initier un ordre de paiement ;
[...] »
6 L’article 54 de la même directive, intitulé « Consentement et retrait du consentement », prévoyait :
« 1. Les États membres veillent à ce qu’une opération de paiement ne soit réputée autorisée que si le payeur a donné son consentement à l’exécution de l’opération de paiement. Une opération de paiement peut être autorisée par le payeur avant ou, si le payeur et son prestataire de services de paiement en ont convenu ainsi, après son exécution.
2. Le consentement à l’exécution d’une opération de paiement ou d’une série d’opérations de paiement est donné sous la forme convenue entre le payeur et son prestataire de services de paiement.
En l’absence d’un tel consentement, l’opération de paiement est réputée non autorisée.
3. Le consentement peut être retiré par le payeur à tout moment, mais pas après le moment d’irrévocabilité prévue à l’article 66. Le consentement à l’exécution d’une série d’opérations de paiement peut aussi être retiré avec pour effet que toute opération de paiement postérieure doit être réputée non autorisée.
4. La procédure pour donner le consentement fait l’objet d’un accord entre le payeur et le prestataire de services de paiement. »
7 L’article 55 de la directive 2007/64, intitulé « Limitation de l’utilisation des instruments de paiement », disposait, à son paragraphe 1 :
« Lorsqu’un instrument de paiement spécifique est utilisé aux fins de donner le consentement, le payeur et son prestataire de services de paiement peuvent convenir de limites de dépenses pour les opérations de paiement exécutées au travers dudit instrument de paiement. »
8 Aux termes de l’article 58 de cette directive, intitulé « Notification des opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées » :
« L’utilisateur de services de paiement n’obtient du prestataire de services de paiement la correction d’une opération que s’il signale sans tarder à son prestataire de services de paiement qu’il a constaté une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée donnant lieu à une revendication, y compris au titre de l’article 75, et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit, à moins que, le cas échéant, le prestataire de services de paiement n’ait pas fourni ou mis à disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au titre III. »
9 L’article 59 de ladite directive, intitulé « Preuve d’authentification et d’exécution des opérations de paiement », était libellé comme suit :
« 1. Les États membres exigent que, lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.
2. Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, l’utilisation d’un instrument de paiement, telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement, ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération de paiement a été autorisée par le payeur ou que celui-ci a agi frauduleusement ou n’a pas satisfait, intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave, à une ou plusieurs des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56. »
10 L’article 60 de la même directive, intitulé « Responsabilité du prestataire de services de paiement en cas d’opérations de paiement non autorisées », énonçait :
« 1. Les États membres veillent, sans préjudice de l’article 58, à ce que, en cas d’opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de cette opération de paiement non autorisée et, le cas échéant, rétablisse le compte de paiement débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu.
2. Une indemnisation financière complémentaire peut être déterminée conformément à la loi applicable au contrat conclu entre le payeur et son prestataire de services de paiement. »
11 L’article 86 de la directive 2007/64, intitulé « Harmonisation totale », prévoyait :
« 1. Sans préjudice de l’article 30, paragraphe 2, de l’article 33, de l’article 34, paragraphe 2, de l’article 45, paragraphe 6, de l’article 47, paragraphe 3, de l’article 48, paragraphe 3, de l’article 51, paragraphe 2, de l’article 52, paragraphe 3, de l’article 53, paragraphe 2, de l’article 61, paragraphe 3, ainsi que des articles 72 et 88, dans la mesure où la présente directive contient des dispositions harmonisées, les États membres ne peuvent maintenir en vigueur ni introduire des dispositions différentes de celles contenues dans la présente directive.
[...]
3. Les États membres veillent à ce que les prestataires de services de paiement ne dérogent pas, au détriment des utilisateurs de services de paiement, aux dispositions de droit national qui mettent en œuvre les dispositions de la présente directive ou qui y correspondent, sauf dans le cas où une telle dérogation est expressément autorisée par celle-ci.
Les prestataires de services de paiement peuvent toutefois décider d’accorder des conditions plus favorables aux utilisateurs de services de paiement. »
Le droit bulgare
12 Aux termes de l’article 51 du Zakon za platezhnite uslugi i platezhnite sistemi ot 2009 g. (loi sur les services de paiement et les systèmes de paiement de 2009) (DV no 23, du 27 mars 2009), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après le « ZPUPS ») :
« (1) L’opération de paiement est autorisée, si le payeur l’a ordonnée ou s’il a donné son consentement à son exécution. En l’absence de consentement, l’opération de paiement est réputée non autorisée.
(2) L’autorisation du payeur est donnée avant l’exécution de l’opération de paiement ou, si le payeur et son prestataire de services de paiement en ont convenu ainsi, après l’exécution de l’opération. »
13 L’article 56 du ZPUPS était libellé comme suit :
« (1) Lorsque l’utilisateur d’un service de paiement affirme qu’il n’a pas autorisé l’exécution d’une opération de paiement ou qu’une opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, c’est au prestataire du service de paiement que revient la charge de la preuve que l’opération de paiement a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre vice.
(2) L’authentification est une procédure permettant au prestataire de services de paiement de vérifier la légalité de l’utilisation d’un instrument de paiement donné, y compris ses dispositifs de sécurité personnalisés [...] »
14 L’article 57, paragraphe 1, du ZPUPS disposait :
« En cas d’opération de paiement non autorisée, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement à ce dernier la valeur de cette opération de paiement non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte de paiement débité dans l’état où il se serait trouvé avant l’exécution de l’opération de paiement non autorisée. »
15 L’article 58, paragraphe 2, du ZPUPS prévoyait :
« Le payeur supporte toutes les pertes liées à des opérations de paiement non autorisées s’il les a causées par un agissement frauduleux ou par le fait qu’il n’a pas satisfait, intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave, à une ou plusieurs des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 53. Dans ces cas, le payeur supporte le préjudice quel que soit le montant. »
16 L’article 75 du Zakon za zadalzheniyata i dogovorite (loi relative aux obligations et aux contrats) (DV no 275, du 22 novembre 1950), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « ZZD »), dispose :
« (1) L’exécution de l’obligation doit être effectuée au créancier ou à quelqu’un habilité par lui, par une juridiction ou par la loi. Dans le cas contraire, elle n’est valable que si le créancier l’a confirmée ou en a fait usage.
(2) Le débiteur est libéré, s’il a exécuté de bonne foi son obligation à l’égard d’une personne qui, sur la base de circonstances univoques, apparaît habilitée à recevoir l’exécution. Le véritable créancier dispose d’un droit d’action contre celui qui a reçu l’exécution. L’exécution à l’égard d’un créancier frappé d’une incapacité d’exercice libère le débiteur si elle a profité au créancier.
[...]»
17 L’article 422 du Targovski zakon (loi sur le commerce) (DV no 48, du 18 juin 1991), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son paragraphe 3 :
« En cas de perte, de destruction ou de vol du document de dépôt délivré, le déposant est obligé d’en informer immédiatement la banque par écrit. La banque n’est pas responsable si, avant de recevoir la notification, elle a versé de bonne foi un montant à une personne qui, sur la base de circonstances non équivoques, apparaît habilitée à recevoir ledit montant ».
Le litige au principal et les questions préjudicielles
18 Le 22 novembre 2017, le requérant au principal et Eurobank ont conclu un contrat d’ouverture d’un compte courant, par lequel cette dernière s’est engagée à ouvrir et à administrer un compte au nom du titulaire pour une durée indéterminée et à lui fournir des services de paiement. Le requérant au principal soutient que, dans le cadre de ses projets d’investissement, il a effectué un total de douze virements sur son compte bancaire, lequel a été crédité d’un montant total de 999 860 euros.
19 Le requérant au principal allègue que, lorsque, le 6 février 2018, il s’est rendu à l’agence d’Eurobank, avec l’intention d’effectuer une opération bancaire avec ses actifs, un employé de la banque concernée l’a informé que le solde de son compte n’était plus que de 16 000 euros et lui a fourni à cet effet un relevé de son compte bancaire pour la période comprise entre l’ouverture de ce compte, à savoir le 22 novembre 2017, et le 6 février 2018. Selon le requérant au principal, il avait alors constaté qu’un certain « MK », lequel serait inconnu de lui, avait effectué des opérations bancaires sur le compte de ce dernier, au moyen de six ordres de virement distincts, pour un montant total de 982 000 euros, sur la présentation d’une copie d’une procuration datée du 1er décembre 2017, prétendument délivrée par un notaire italien inscrit à l’ordre des notaires de Milan (Italie) (ci-après la « procuration en cause au principal »).
20 Il ressort de la décision de renvoi que cette copie de la procuration en cause au principal n’a pas été signée par le requérant au principal.
21 Dans ces conditions, le requérant au principal a adressé, d’une part, un signalement à Eurobank, le 6 mars 2018, quant à la cession illégale de ses actifs à MK et a demandé à ce que le montant réclamé lui soit remboursé sur son compte bancaire. Il a adressé, d’autre part, une copie de ce signalement à la Balgarska narodna banka (BNB, Banque nationale de Bulgarie), le 8 mars 2018. Il a adressé, enfin, une demande écrite de renseignements au notaire italien concerné quant à la procuration en cause au principal. Ce notaire a répondu qu’il n’avait ni établi ni certifié une quelconque procuration au nom de MK, donnant mandat à ce dernier pour effectuer des opérations sur les comptes bancaires du requérant au principal, ajoutant que la procuration en cause au principal était « certainement un “faux” ». Ledit notaire a également informé le requérant au principal qu’il avait reçu, le 20 février 2018, par courrier électronique, une demande de confirmation de la validité de la procuration en cause au principal de la part d’un employé d’Eurobank. Dans sa réponse à ce courrier électronique, il avait souligné que cette procuration devait être considérée comme étant un « faux » et il avait informé, le lendemain, l’ordre des notaires de Milan de l’utilisation d’une « fausse procuration ».
22 Le requérant au principal fait valoir que les employés d’Eurobank ont fait preuve d’une négligence grave en permettant à MK de disposer des actifs disponibles sur son compte bancaire sur la présentation d’une procuration irrégulière étant donné l’absence de signature du requérant au principal sur celle-ci.
23 Eurobank affirme que, le 22 novembre 2017, lors de l’ouverture par le requérant au principal de son compte courant dans l’une de ses agences, l’employé de l’agence a compris que celui-ci avait l’intention de faire gérer ce compte en recourant à un mandataire. En raison des transactions internationales attendues sur ledit compte et afin d’assurer l’accès à distance et le contrôle des mouvements de sommes d’argent sur le même compte, le requérant au principal s’est vu proposer des services bancaires en ligne, un système de notifications par messages textes (SMS) et une carte de débit, mais il a refusé d’avoir recours à ces services.
24 Eurobank ne conteste pas les éléments factuels dont le requérant au principal fait état. Néanmoins, elle indique que MK a présenté à l’employé de banque concerné, d’abord, le 15 décembre 2017, et, ensuite, lors de chaque ordre de paiement, la copie, certifiée conforme à l’original par un notaire italien en date du 5 décembre 2017, d’une procuration datée du 1er décembre 2017. Cette copie comportait une apostille émise par l’autorité compétente, à savoir le Sostituto Procuratore della Repubblica Italiana (substitut du procureur de la République italienne), et le tout avait été traduit de la langue italienne vers la langue bulgare par un traducteur assermenté.
25 Eurobank reconnaît que, le 20 février 2018, elle a demandé à ce notaire si la procuration en cause au principal avait été correctement établie et enregistrée dans son registre notarial, si la copie notariée de cette procuration avait la même valeur juridique que ladite procuration elle‑même et s’il était d’usage de délivrer de telles copies, en lui envoyant une copie scannée de la procuration en question. Sans fournir de réponse précise et claire aux questions qui lui ont été ainsi posées, ledit notaire avait répondu que le document présenté à Eurobank était un « faux ».
26 Le 27 février 2018, Eurobank a adressé une demande écrite par courrier électronique au Sostituto Procuratore della Repubblica Italiana (substitut du procureur de la République italienne), qui, par sa signature, avait authentifié la copie notariée de la procuration en cause au principal au moyen d’une apostille. En réponse à cette demande, Eurobank a reçu la confirmation officielle de la Procura di Monza (bureau du procureur de Monza, Italie) que l’apostille figurant sur la copie de cette procuration et émise le 12 décembre 2017 était valide.
27 Le Sofiyski gradski sad (tribunal de la ville de Sofia, Bulgarie) a accueilli les prétentions du requérant au principal en faisant application du ZPUPS. Cette juridiction a jugé qu’une banque est, en principe, responsable des opérations non autorisées, sauf lorsque leur exécution résulte du fait que le titulaire du compte n’a pas satisfait, intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave, à ses obligations, auquel cas ce dernier n’est pas remboursé pour la valeur de la transaction en cause, quel que soit le montant de cette transaction. Selon ladite juridiction, la défenderesse au principal n’ayant ni invoqué ni démontré l’existence d’un tel comportement de la part du requérant au principal, il n’était pas nécessaire d’examiner les allégations de la défenderesse au principal concernant son éventuelle bonne foi.
28 Eurobank a interjeté appel du jugement rendu en première instance devant l’Apelativen sad – Sofia (cour d’appel de Sofia, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi.
29 Eu égard à l’article 86 de la directive 2007/64, qui détermine la mesure dans laquelle cette directive procède à une harmonisation totale, la juridiction de renvoi s’interroge sur la possibilité, dans l’hypothèse où le prestataire de services de paiement a agi de bonne foi et l’instrument de paiement qui a été présenté à celui-ci était régulier d’un point de vue formel, d’appliquer l’article 75, paragraphe 2, du ZZD dans les circonstances de l’affaire au principal. Aux termes de cette dernière disposition, le débiteur est libéré s’il a exécuté de bonne foi son obligation à l’égard d’une personne qui, sur la base de circonstances univoques, se trouve habilitée à recevoir l’exécution.
30 En outre, la juridiction de renvoi relève que la procuration en cause au principal constitue une copie de l’original de la procuration concernée comportant une certification notariale de la signature du mandant, sur laquelle a été apposée une apostille. En vertu de l’article 2 de la convention supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers, conclue à La Haye le 5 octobre 1961 (ci-après la « convention de La Haye »), la légalisation du document au moyen d’une apostille recouvre la formalité par laquelle sont attestées la véracité de la signature et la qualité en laquelle le signataire de l’acte a agi, à savoir en l’occurrence le notaire.
31 Par ailleurs, la juridiction de renvoi estime que, dans la mesure où une telle procuration habilite le mandataire à exécuter des actes de disposition sur les actifs du compte bancaire concerné, elle pourrait être qualifiée d’« instrument de paiement », au sens de l’article 4, point 23, de la directive 2007/64, en ce que cette procuration ferait partie d’une procédure à laquelle l’utilisateur de services de paiement a recours en vue d’initier un ordre de paiement.
32 Cette juridiction souligne encore que, pour être autorisée, une opération de paiement doit avoir été exécutée sur la base du consentement du payeur conformément à l’article 54, paragraphe 1, de cette directive. Selon ladite juridiction, cette exigence de consentement suppose d’apporter la preuve de la qualité d’auteur de la déclaration de volonté attestée par l’ordre de paiement, cette preuve étant liée à l’authentification de l’opération de paiement, à savoir une procédure permettant au prestataire de services de paiement de vérifier l’utilisation d’un instrument de paiement donné, y compris ses dispositifs de sécurité personnalisés.
33 En outre, la même juridiction relève que, en vertu de l’article 59 de ladite directive, la charge de la preuve de l’authentification d’une opération de paiement incombe au prestataire de services de paiement concerné. En l’occurrence, si Eurobank prouve qu’elle a authentifié l’instrument de paiement en question, en établissant la régularité de la procuration en cause au principal, le consentement du payeur serait établi et les opérations de paiement effectuées avec cet instrument seraient considérées comme ayant été « autorisées », au sens de l’article 54 de la même directive.
34 C’est dans ces conditions que l’Apelativen sad – Sofia (cour d’appel de Sofia, Bulgarie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La procuration avec laquelle le mandataire effectue un acte de disposition patrimoniale pour [le ] compte du payeur au moyen d’un ordre de paiement constitue‑t‑elle un instrument de paiement, au sens de l’article 4, point 23, de la directive [2007/64] ?
2) L’apostille apposée par une autorité étrangère compétente au titre de la [convention de La Haye] fait‑elle partie de la procédure [d’]authentification à la fois de l’instrument de paiement et de l’opération de paiement, au sens de l’article 4, point 19, de la directive 2007/64, lu en combinaison avec l’article 59, [paragraphe] 1, de celle-ci ?
3) Lorsque l’instrument de paiement (y compris un instrument de paiement qui habilite un tiers à exécuter des actes de disposition pour compte du payeur) est régulier d’un point de vue formel (externe), la juridiction nationale peut-elle considérer que l’opération de paiement est autorisée, à savoir que le payeur a donné son consentement pour que celle‑ci soit exécutée ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
35 Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 4, point 23, de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens qu’une procuration, par laquelle le titulaire d’un compte bancaire habilite un mandataire à effectuer un acte de disposition patrimoniale, sur ce compte, au moyen d’un ordre de paiement, constitue un « instrument de paiement », au sens de cette disposition.
36 En vue de répondre à cette question, il y a lieu, d’abord, de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, pour déterminer la portée d’une disposition du droit de l’Union, il convient de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 13 juillet 2023, G GmbH, C‑134/22, EU:C:2023:567, point 25 et jurisprudence citée).
37 L’article 4, point 23, de la directive 2007/64 définit la notion d’« instrument de paiement », au sens de cette directive, comme étant « tout dispositif personnalisé et/ou ensemble de procédures convenu entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement et auquel l’utilisateur de services de paiement a recours pour initier un ordre de paiement ».
38 Il découle de son libellé que cette disposition distingue deux catégories d’instruments de paiement. Il s’agit, d’une part, des dispositifs personnalisés. Selon la jurisprudence, pour être qualifié de personnalisé, un instrument de paiement doit permettre au prestataire de services de paiement de vérifier que l’ordre de paiement a été initié par un utilisateur habilité à ce faire (arrêts du 9 avril 2014, T-Mobile Austria, C‑616/11, EU:C:2014:242, point 33, et du 11 novembre 2020, DenizBank, C‑287/19, EU:C:2020:897, point 70).
39 D’autre part, la notion d’« instrument de paiement » englobe également tout ensemble de procédures convenu entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement.
40 En outre, il importe de souligner que la mise en œuvre de ce dispositif personnalisé et/ou de cet ensemble de procédures doit permettre, en soi, d’initier un ordre de paiement. À cet égard, il ressort du libellé des articles 55 à 57 de la directive 2007/64 qu’un « instrument de paiement » est délivré et mis à disposition de l’utilisateur de services de paiement par son prestataire de services de paiement. Par ailleurs, conformément à l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 4, point 3, ainsi qu’avec le point 5 de l’annexe de celle-ci, ladite directive est applicable aux services de paiement qui englobent toute activité exercée à titre professionnel énumérée à cette annexe, en particulier, à l’émission et/ou à l’acquisition d’instruments de paiement.
41 En l’occurrence, une procuration spéciale et expresse du titulaire d’un compte bancaire établi en faveur d’un mandataire, habilitant ce dernier à effectuer des opérations sur ce compte et, partant, instaurant exclusivement un lien juridique entre le titulaire de ce compte et son mandataire, telle que la procuration en cause au principal, ne saurait, en soi, être considérée comme pouvant initier, de façon isolée, un ordre de paiement, au sens de l’article 4, point 23, de la directive 2007/64.
42 Par conséquent, une procuration, telle que la procuration en cause au principal, par laquelle le titulaire d’un compte bancaire habilite unilatéralement son mandataire à effectuer un acte de disposition patrimoniale pour son compte, ne constitue pas, prise isolément, un « instrument de paiement », au sens de l’article 4, point 23, de la directive 2007/64.
43 Cela étant, il ressort des précisions apportées par la juridiction de renvoi que, dans les circonstances du litige au principal, les conditions générales du contrat d’ouverture d’un compte courant, conclu le 22 novembre 2017 entre Eurobank et le requérant au principal, prévoyaient expressément la possibilité de disposer de ce compte par l’intermédiaire d’un mandataire habilité par une procuration certifiée par voie notariale comportant une déclaration de volonté explicite d’effectuer des actes de disposition avec les fonds dudit compte.
44 Sous réserve des vérifications qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer, il apparaît donc que, dans des circonstances telles que celles du litige au principal, l’utilisation conjointe d’une telle procuration et d’un ordre de paiement émis par le mandataire désigné dans cette procuration est susceptible de faire partie d’un « ensemble de procédures » convenu entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de services de paiement, auquel cet utilisateur peut avoir recours pour initier un ordre de paiement, au sens de l’article 4, point 23, de la directive 2007/64.
45 Par conséquent, il y a lieu de constater, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général aux points 49 à 51 de ses conclusions, qu’une procuration émise par le titulaire d’un compte bancaire, associée à un ordre de paiement émis par le mandataire désigné dans cette procuration, est susceptible de constituer un élément de l’ensemble des procédures convenu entre le prestataire de services de paiement et l’utilisateur de ces services pour initier un ordre de paiement, au sens de la disposition précitée.
46 Il y a lieu encore de souligner, à cet égard, qu’une clause contractuelle qui permet l’utilisation d’une procuration dans le cadre d’un ensemble de procédures constituant un instrument de paiement ne saurait diminuer le niveau élevé du contrôle de l’autorisation de l’opération de paiement incombant au prestataire de services de paiement. Dans le cadre de ce contrôle, ce prestataire pourrait, notamment, être appelé à vérifier, au regard des règles nationales applicables, la valeur probante de la procuration ainsi que l’identité de la personne qui se présente comme le mandataire en se prévalant de cette procuration pour initier un ordre de paiement.
47 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question préjudicielle que l’article 4, point 23, de la directive 2007/64 doit être interprété en ce sens qu’une procuration, par laquelle le titulaire d’un compte bancaire habilite un mandataire à effectuer un acte de disposition patrimoniale, sur ce compte, au moyen d’un ordre de paiement ne constitue pas, en soi, un « instrument de paiement », au sens de cette disposition. Toutefois, peut être qualifié d’« instrument de paiement » un ensemble de procédures, convenu entre le titulaire de ce compte et le prestataire de services de paiement, permettant au mandataire désigné dans une telle procuration d’initier un ordre de paiement à partir dudit compte.
Sur les deuxième et troisième questions
48 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 25 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova e.a., C‑58/22, EU:C:2024:70, point 44 ainsi que jurisprudence citée). En outre, la Cour peut être amenée à interpréter des dispositions du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question, en extrayant notamment de la motivation de la décision de renvoi les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2023, Nordic Info, C‑128/22, EU:C:2023:951, point 99 et jurisprudence citée).
49 En l’occurrence, il y a lieu d’observer que le libellé de la deuxième question mentionne, notamment, la convention de La Haye, à laquelle l’Union européenne n’est pas partie et qui ne contient pas de clause attribuant une compétence à la Cour.
50 Or, selon une jurisprudence constante, le pouvoir de donner des interprétations à titre préjudiciel, tel qu’il découle de l’article 267 TFUE, ne s’étend qu’aux normes qui font partie du droit de l’Union. En particulier, s’agissant d’accords internationaux, il est constant que ceux conclus par l’Union font partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union et peuvent donc faire l’objet d’une demande de décision préjudicielle. En revanche, la Cour n’est, en principe, pas compétente pour interpréter, dans le cadre d’une procédure préjudicielle, des accords internationaux conclus entre des États membres et des États tiers (arrêt du 17 juillet 2014, Qurbani, C‑481/13, EU:C:2014:2101, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée).
51 C’est seulement lorsque et dans la mesure où l’Union a assumé les compétences précédemment exercées par les États membres dans le domaine d’application d’une convention internationale non conclue par l’Union et que, par conséquent, les dispositions de cette convention ont pour effet de lier l’Union que la Cour est compétente pour interpréter une telle convention (arrêt du 17 juillet 2014, Qurbani, C‑481/13, EU:C:2014:2101, point 23 et jurisprudence citée).
52 En l’occurrence, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 72 de ses conclusions, le droit de l’Union ne contient aucune disposition spécifique applicable à la légalisation d’une procuration aux fins de disposer d’un compte de paiement. Partant, la Cour ne saurait être compétente pour interpréter directement les règles relatives à l’apostille apposée à une telle procuration par une autorité étrangère compétente en application de la convention de La Haye. Toutefois, rien ne s’oppose à ce que la Cour, lorsqu’elle interprète les dispositions de la directive 2007/64, précise si une opération de paiement exécutée par le prestataire de services de paiement sur la base d’une procuration notariée revêtue de l’apostille prévue par la convention de La Haye doit être regardée comme étant autorisée ou non.
53 À cet égard, ainsi qu’il ressort du point 44 du présent arrêt, une procuration, telle que celle en cause au principal, ne constitue qu’un élément de l’ensemble de procédures convenu entre l’utilisateur de services de paiement et le prestataire de ces services et auquel cet utilisateur de services de paiement a recours pour initier un ordre de paiement. Toutefois, il ressort des explications fournies par la juridiction de renvoi que celle-ci se demande, par ses deuxième et troisième questions, à quelles conditions l’utilisation conjointe d’une telle procuration et d’un ordre de paiement émis par le mandataire pourrait attester du « consentement » du titulaire du compte bancaire concerné.
54 Par conséquent, il y a lieu d’étendre la portée de ces questions à l’interprétation de l’article 54, paragraphes 1 et 2, de la directive 2007/64, dont les dispositions régissent la question du consentement à une opération de paiement. En outre, dès lors que, dans le cadre de la troisième question, la juridiction de renvoi se demande si la régularité, du point de vue formel, de l’instrument de paiement suffit à établir le consentement du payeur à l’opération de paiement, l’interprétation de l’article 59, paragraphe 2, de cette directive, qui énonce une règle relative au niveau de preuve exigé pour établir un tel consentement, est également requise. Enfin, dès lors que, ainsi qu’il est exposé aux points 57 à 59 du présent arrêt, les dispositions de ladite directive concernées par ces questions font l’objet, en vertu de l’article 86, paragraphe 1, de celle-ci, d’une harmonisation totale, il y a lieu de considérer que les questions posées visent aussi cette dernière disposition.
55 Il convient, par conséquent, de considérer que, par ses deuxième et troisième questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si l’article 54, paragraphes 1 et 2, l’article 59, paragraphes 1 et 2, et l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une opération de paiement a été exécutée sur la base d’une procuration du titulaire du compte bancaire reçue par acte notarié et revêtue d’une apostille et que le titulaire du compte conteste la validité de cette procuration et, partant, avoir consenti à cette opération de paiement, le fait que ladite procuration apparaît régulière d’un point de vue formel suffit pour considérer que ladite opération de paiement a été autorisée.
56 En premier lieu, il convient de relever que la juridiction de renvoi semble considérer que, en fonction des réponses apportées par la Cour aux questions posées, elle pourra en tirer des conclusions, aux fins de l’appréciation de la responsabilité du prestataire de services de paiement, quant à l’application de l’article 75, paragraphe 2, du ZZD instaurant le régime général de responsabilité pour l’exécution, fondé sur le principe de bonne foi du débiteur, selon lequel ce dernier est libéré, s’il a exécuté de bonne foi son obligation à l’égard d’une personne qui, sur la base de circonstances univoques, apparaît habilitée à recevoir l’exécution concernée.
57 Or, il importe de rappeler que le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement pour les opérations non autorisées ou mal exécutées, prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu’aux articles 58 et 59 de celle-ci, a fait l’objet, en vertu de l’article 86, paragraphe 1 de cette directive, d’une harmonisation totale. Cela a pour conséquence que sont incompatibles avec cette directive tant un régime de responsabilité parallèle au titre d’un même fait générateur qu’un régime de responsabilité concurrent qui permettrait à l’utilisateur de services de paiement d’engager cette responsabilité sur le fondement d’autres faits générateurs. Ainsi, le régime de responsabilité des prestataires de services de paiement pour les opérations non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 ne saurait être concurrencé par un régime de responsabilité alternatif prévu dans le droit national, reposant sur les mêmes faits et le même fondement, qu’à la condition que ce régime de responsabilité alternatif ne porte pas préjudice au régime ainsi harmonisé et ne porte pas atteinte aux objectifs et à l’effet utile de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, Beobank, C‑351/21, EU:C:2023:215, points 37 et 38).
58 Partant, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 99 de ses conclusions, il n’est pas possible, pour un État membre, d’assouplir le régime harmonisé de responsabilité des prestataires de services de paiement pour les opérations de paiement non autorisées ou mal exécutées établi dans la directive 2007/64 en recourant à des règles nationales qui prévoient une responsabilité atténuée de ces prestataires.
59 La même conclusion s’impose s’agissant des dispositions relatives au consentement et au retrait du consentement du payeur à l’opération de paiement, prévues à l’article 54 de la directive 2007/64. En effet, à l’instar des articles 58 à 60 de cette directive, l’article 54 de celle-ci ne figure pas parmi les dispositions pour lesquelles l’article 86, paragraphe 1, de ladite directive accorde une marge de manœuvre aux États membres pour leur mise en œuvre (voir, par analogie, arrêt du 2 septembre 2021, CRCAM, C‑337/20, EU:C:2021:671, point 41).
60 En second lieu, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du paragraphe 1 de l’article 59 de la directive 2007/64, intitulé « Preuve d’authentification et d’exécution des opérations de paiement », que, lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée ou affirme que cette opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que ladite opération de paiement a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée.
61 Il résulte, en outre, de l’article 59, paragraphe 2, de la directive 2007/64 que, lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, l’utilisation d’un instrument de paiement, telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement, ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que cette opération de paiement a été autorisée par le payeur.
62 Il ressort, enfin, de l’article 54, paragraphes 1 et 2, de la directive 2007/64 que, en l’absence de consentement du payeur à l’exécution de l’opération de paiement, lequel doit être donné sous la forme convenue entre lui et son prestataire de services de paiement, l’opération de paiement est réputée non autorisée.
63 Il se déduit de ces dispositions qu’il appartient au prestataire de services de paiement d’apporter la preuve que l’utilisateur des services de paiement a autorisé l’opération de paiement en donnant son consentement à cette opération sous la forme convenue entre les parties.
64 Cette attribution de la charge de la preuve au prestataire de services de paiement est corroborée par l’obligation d’authentification de l’opération de paiement qui pèse sur ce prestataire. En effet, la notion d’« authentification » est définie à l’article 4, point 19, de la directive 2007/64 comme visant la procédure qui permet au prestataire de services de paiement de vérifier l’« utilisation d’un instrument de paiement donné, y compris ses dispositifs de sécurité personnalisés ».
65 S’agissant de la notion d’« utilisation d’un instrument de paiement donné », il y a lieu de constater qu’il résulte de l’article 55, paragraphe 1, de la directive 2007/64 qu’un instrument de paiement peut être utilisé aux fins de donner le consentement à l’exécution d’une opération de paiement par l’utilisateur de services de paiement.
66 Dans ces conditions, ainsi que le relève la Commission européenne, il ressort d’une lecture combinée de l’ensemble de ces dispositions que l’obligation d’authentification d’une opération de paiement pesant sur un prestataire de services de paiement a pour objet de vérifier l’utilisation de l’instrument de paiement en vue d’établir que l’utilisateur de ces services a donné son consentement à l’exécution de cette opération de paiement qui, partant, peut être réputée autorisée.
67 En l’occurrence, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si la présentation d’une copie de la procuration en cause au principal, revêtue d’une apostille apposée par l’autorité compétente d’un autre État partie à la convention de La Haye et qu’elle considère dès lors, régulière, d’un point de vue formel, est en elle‑même suffisante pour considérer que le prestataire de services de paiement a démontré, afin que sa responsabilité ne soit pas engagée, que l’opération de paiement en question avait été autorisée, à savoir que l’utilisateur de ces services de paiement avait donné son consentement pour que celle-ci fût exécutée.
68 À cet égard, il importe d’observer, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 87 de ses conclusions, que le régime harmonisé de responsabilité des prestataires de services de paiement pour les opérations non autorisées ou mal exécutées, prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la directive 2007/64 ainsi qu’aux articles 58 et 59 de cette directive, repose sur trois éléments essentiels et liés entre eux, à savoir une obligation de notification pesant sur l’utilisateur de services de paiement, l’attribution de la charge de la preuve au prestataire de ces services et, enfin, en cas d’absence de preuve, la responsabilité de ce prestataire selon que l’opération en question a été non autorisée ou mal exécutée.
69 L’article 59 de la directive 2007/64 inscrit, dans ce régime harmonisé de responsabilité en raison d’opérations non autorisées ou mal exécutées, un mécanisme de charge de la preuve favorable à l’utilisateur de services de paiement. En substance, la charge de la preuve incombe au prestataire de services de paiement, qui doit prouver que l’opération de paiement a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée. En pratique, le régime de preuve fixé à cet article 59 conduit, à la condition que la notification prévue à l’article 58 de cette directive a été effectuée dans le délai qui y est prévu, à soumettre ce prestataire à une obligation de remboursement immédiate, conformément à l’article 60, paragraphe 1, de ladite directive (arrêt du 2 septembre 2021, CRCAM, C‑337/20, EU:C:2021:671, point 40).
70 Ainsi qu’il est rappelé au point 63 du présent arrêt, il se déduit de l’article 54, paragraphes 1 et 2, et de l’article 59, paragraphe 1, de la directive 2007/64, qu’il appartient audit prestataire d’apporter la preuve qu’il a procédé à l’authentification effective de l’opération de paiement en question et que l’utilisateur des services de paiement a consenti à cette opération de paiement sous la forme convenue entre les parties. La charge de la preuve qui en découle pour le même prestataire est donc, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 98 de ses conclusions, élevée.
71 Au demeurant, force est de constater, à l’instar de M. l’avocat général au point 63 de ses conclusions, qu’une procuration est l’un des actes juridiques par lesquels un utilisateur de services de paiement peut exprimer son consentement à l’exécution d’opérations de paiement à partir de son compte, effectuées par son mandataire dans les limites du mandat octroyé. Ainsi, la vérification de la régularité formelle d’une telle procuration peut, le cas échéant, faire partie de la procédure d’authentification d’un instrument de paiement dont cette procuration constitue un élément et, partant, constituer l’un des éléments permettant à un prestataire de services de prouver que l’utilisateur a effectivement consenti à une opération de paiement que celui‑ci aurait contestée.
72 Certes, comme l’ont fait valoir à juste titre le gouvernement bulgare et la Commission, les modalités de preuve permettant d’établir que l’opération de paiement en question a été « autorisée » par l’utilisateur de services de paiement, au sens des articles 54 et 59 de la directive 2007/64 et, plus particulièrement, la procédure permettant de vérifier l’authenticité d’une procuration, ne sont pas harmonisées par cette directive et, dès lors, relèvent du droit national.
73 Premièrement, ainsi qu’il est rappelé au point 61 du présent arrêt, en vertu de l’article 59, paragraphe 2, de la directive 2007/64, lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, comme c’est le cas dans l’affaire au principal, l’utilisation d’un instrument de paiement, telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement, ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que cette opération de paiement a été autorisée par le payeur.
74 Deuxièmement, la directive 2007/64 poursuivant, ainsi qu’il est rappelé aux points 57 à 59 du présent arrêt, une harmonisation totale sur les points qu’elle réglemente, il y a lieu de considérer que la condition selon laquelle le consentement à l’exécution d’une opération de paiement doit être donné sous la forme convenue entre l’utilisateur de services de paiement et son prestataire de services de paiement, prévue à l’article 54, paragraphe 2, de cette directive constitue nécessairement une exigence que les États membres doivent mettre en œuvre sans pouvoir y déroger. Rien dans l’économie de cet article 54 ne permet d’ailleurs de considérer que, en prévoyant de manière précise cette exigence selon laquelle, en l’absence d’un tel consentement, l’opération de paiement en question est réputée non autorisée, le législateur de l’Union visait uniquement à ce que l’établissement de l’autorisation de paiement se limite à la vérification de la régularité formelle des actes juridiques utilisés pour donner ce consentement.
75 Troisièmement, en vertu de l’article 86, paragraphe 3, de la directive 2007/64, les États membres veillent à ce que les prestataires de services de paiement ne dérogent pas, au détriment des utilisateurs de services de paiement, aux dispositions de droit national qui mettent en œuvre les dispositions de cette directive ou qui y correspondent.
76 Il importe par ailleurs de souligner que, selon le considérant 33, troisième phrase, de la directive 2007/64, toutes clauses et conditions contractuelles concernant la fourniture et l’utilisation d’un instrument de paiement qui auraient pour effet d’alléger la charge de la preuve imposée à l’émetteur devraient être considérées comme étant nulles et non avenues.
77 Au vu des considérations qui précèdent, la circonstance selon laquelle les opérations de paiement en question ont été initiées par un mandataire disposant d’une procuration, apostillée par l’autorité compétente d’un État étranger ne saurait être utilement invoquée par le prestataire de ces services afin d’alléger son obligation de prouver que l’opération de paiement a été autorisée.
78 Il s’ensuit que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, l’utilisateur du service de paiement conteste l’authenticité de la procuration qui lui est opposée et nie avoir autorisé les opérations de paiement qui ont été exécutées, la simple vérification de la régularité formelle de la procuration n’est pas suffisante pour démontrer que ces opérations ont été autorisées et, partant, pour exonérer ce prestataire de services de paiement de sa responsabilité accrue, sans que ledit prestataire de services de paiement démontre que cet utilisateur de services de paiement a dûment consenti, selon la procédure pour donner le consentement convenue avec celui-ci, au moyen de cette procuration, auxdites opérations.
79 Ce constat est conforté par les objectifs poursuivis par la directive 2007/64. Ainsi, il ressort notamment des considérants 1 et 4 de cette directive que le législateur de l’Union a cherché à créer un marché unique des services de paiement en remplaçant des systèmes nationaux existants, dont la coexistence était source de confusion et pâtissait d’un manque de sécurité juridique, par un cadre juridique harmonisé qui définit les droits et obligations des utilisateurs ainsi que des prestataires de services de paiement (arrêt du 2 septembre 2021, CRCAM, C‑337/20, EU:C:2021:671, point 44). En outre, cette interprétation correspond aux objectifs énoncés aux considérants 21 et 22 de ladite directive, à savoir la protection des utilisateurs de services de paiement et, en particulier, des consommateurs (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2017, BAWAG, C‑375/15, EU:C:2017:38, point 45).
80 En effet, l’exigence d’authentification des instruments de paiement, qui tient compte de la procédure convenue entre l’utilisateur de services de paiement et son prestataire de services de paiement pour donner le consentement de cet utilisateur et, partant, ne saurait être limitée à l’examen de la régularité purement formelle des actes juridiques utilisés pour donner ce consentement, est impérative pour assurer le bon fonctionnement du marché unique des services de paiement, cette exigence assurant un niveau adéquat de sécurité juridique et de protection des utilisateurs de services de paiement.
81 Dans ces conditions, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si le prestataire de services de paiement concerné a démontré, compte tenu de la charge de la preuve incombant à ce dernier en vertu de l’article 59, paragraphe 1, de la directive 2007/64, que l’utilisateur de services de paiement avait donné, sous la forme convenue avec celui-ci, son consentement à l’exécution des opérations de paiement en cause au principal.
82 À cet égard, sous réserve des vérifications qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi d’effectuer, les clauses V.22 et V.25 du contrat‑cadre conclu entre l’utilisateur de services de paiement concerné et son prestataire de services de paiement semblent imposer, lorsqu’un acte de disposition est effectué par l’intermédiaire d’un mandataire, que ce dernier présente l’original de la procuration qui lui a été délivrée et que celle-ci soit signée, puisque ce prestataire de services de paiement est tenu de procéder à une vérification, d’un point de vue formel, des procurations qui lui sont présentées, ainsi que des signatures dont celles‑ci sont revêtues.
83 Or, en l’occurrence, la procuration en cause au principal ne semble pas répondre à ces exigences contractuelles, puisqu’il paraît ressortir de la décision de renvoi qu’elle ne constituait qu’une copie et qu’elle ne comportait pas la signature du mandant, à savoir l’utilisateur des services de paiement en question, ce qu’il appartiendra toutefois à la juridiction de renvoi de déterminer.
84 Par ailleurs, et en toute hypothèse, ainsi qu’il découle du point 78 du présent arrêt, la production d’une procuration spéciale du titulaire d’un compte de paiement en faveur d’un mandataire habilitant ce dernier à effectuer des opérations sur un compte bancaire, dont l’utilisation a été convenue dans un contrat-cadre, ne libère pas le prestataire des services de paiement de son obligation de vérifier l’utilisation d’un instrument de paiement et l’authentification d’une opération de paiement selon la procédure pour donner le consentement convenue entre le payeur concerné et ce prestataire de services de paiement. Ainsi, et comme il est indiqué au point 46 du présent arrêt, une clause contractuelle qui permet l’utilisation d’une procuration dans le cadre d’un ensemble de procédures constituant un instrument de paiement personnalisé ne saurait diminuer le niveau élevé du contrôle de l’autorisation de l’opération de paiement incombant audit prestataire de services de paiement.
85 Enfin, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 61, paragraphe 2, de la directive 2007/64, le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou du fait que le payeur n’a pas satisfait, intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave, à une ou plusieurs des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 de cette directive.
86 Il résulte de cette disposition que le prestataire de services de paiement peut s’exonérer de sa responsabilité en cas d’opération de paiement non autorisée s’il apporte la preuve que le payeur a agi frauduleusement ou n’a pas satisfait, intentionnellement ou à la suite d’une négligence grave, à une ou plusieurs des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 de ladite directive.
87 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions que l’article 54, paragraphes 1 et 2, l’article 59, paragraphes 1 et 2, et l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu’une opération de paiement a été exécutée sur la base d’une procuration du titulaire du compte bancaire reçue par acte notarié et revêtue d’une apostille et que le titulaire du compte conteste la validité de cette procuration et, partant, avoir consenti à cette opération de paiement, le fait que cette procuration est régulière d’un point de vue formel ne suffit pas pour considérer que cette opération a été autorisée, le prestataire de services de paiement devant démontrer que l’utilisateur de services de paiement a dûment exprimé son accord, selon la procédure pour donner le consentement convenue avec celui-ci, au moyen de ladite procuration, à l’opération de paiement en question.
Sur les dépens
88 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
1) L’article 4, point 23, de la directive 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 novembre 2007, concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 97/7/CE, 2002/65/CE, 2005/60/CE ainsi que 2006/48/CE et abrogeant la directive 97/5/CE,
doit être interprété en ce sens que :
une procuration, par laquelle le titulaire d’un compte bancaire habilite un mandataire à effectuer un acte de disposition patrimoniale, sur ce compte, au moyen d’un ordre de paiement, ne constitue pas, en soi, un « instrument de paiement », au sens de cette disposition. Toutefois, peut être qualifié d’« instrument de paiement » un ensemble de procédures, convenu entre le titulaire de ce compte et le prestataire de services de paiement, permettant au mandataire désigné dans une telle procuration d’initier un ordre de paiement à partir dudit compte.
2) L’article 54, paragraphes 1 et 2, l’article 59, paragraphes 1 et 2, et l’article 86, paragraphe 1, de la directive 2007/64,
doivent être interprétés en ce sens que :
lorsqu’une opération de paiement a été exécutée sur la base d’une procuration du titulaire d’un compte bancaire reçue par acte notarié et revêtue d’une apostille et que le titulaire du compte conteste la validité de cette procuration et, partant, avoir consenti à cette opération de paiement, le fait que cette procuration est régulière d’un point de vue formel ne suffit pas pour considérer que cette opération a été autorisée, le prestataire de services de paiement devant démontrer que l’utilisateur de services de paiement a dûment exprimé son accord, selon la procédure pour donner le consentement convenue avec celui-ci, au moyen de ladite procuration, à l’opération de paiement en question.