CA Bordeaux, 4e ch. com., 3 juillet 2024, n° 23/05641
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Haut Peyroutas (SARL)
Défendeur :
EVV (SAS), Selarl Ekip (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Goumilloux, Mme Masson
Avocats :
Me Durand, Me Monroux, Me Defos du Rau
La société par actions simplifiée EVV a pour activité le référencement, l'achat, la logistique, le transport, le stockage et la commercialisation de tous produits utilisés dans les activités viti-vinicoles, l'agriculture et le monde rural ainsi que la réalisation de prestations de service liées à l'achat et la vente de produits pour la nutrition des sols, des plantes et de produits oenologiques.
La société à responsabilité limitée Haut Peyroutas a pour objet l'acquisition, la prise à bail et l'exploitation de tous biens agricoles.
La société EVV, se déclarant créancière de la société Haut Peyroutas pour une somme principale de 55.793,20 euros irrécouvrable, a fait assigner celle-ci devant le tribunal de commerce de Libourne en ouverture d'une procédure collective.
Par jugement réputé contradictoire prononcé le 20 novembre 2023, le tribunal de commerce de Libourne a, pour l'essentiel :
- prononcé l'ouverture du redressement judiciaire de la société Haut Peyroutas ;
- fixé provisoirement au 14 septembre 2023 la date de cessation des paiements ;
- fixé à six mois la durée de la période d'observation ;
- nommé la société Ekip', prise en la personne de Maître [M], en qualité de mandataire judiciaire.
La société Haut Peyroutas a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 13 décembre 2023.
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Par dernières conclusions notifiées le 24 mai 2024, la société Haut Peyroutas demande à la cour de :
Vu les articles L. 631-1 et suivants du code de commerce,
Vu le rapport de la société Ekip', expert désigné par la juridiction,
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Haut Peyroutas ;
- infirmer la décision dont appel ;
- débouter la société EVV de sa demande tendant à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Haut Peyroutas ;
- déclarer la société Haut Peyroutas in bonis faute d'être en état de cessation des paiements.
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Par dernières écritures notifiées le 27 mai 2024, la société EVV, venant aux droits de la société Euralis Distribution, demande à la cour de :
Vu les articles L. 631-1, L. 631-5 et R. 631-2 du code de commerce,
- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
- constater l'état de cessation des paiements de la société Haut Peyroutas, a minima à la date du 14 septembre 2023 ;
- prononcer l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire au bénéfice de la société Haut Peyroutas ou subsidiairement d'une procédure de liquidation judiciaire si elle l'estime opportun ;
- ordonner l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
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Par courrier reçu le 21 mars 2024, la société Ekip', mandataire judiciaire de la société Haut Peyroutas, a fait connaître que, en l'absence de fonds disponibles, elle ne pouvait mandater un avocat pour la représenter.
Par avis notifié le 7 mai 2024 aux parties, le procureur général requiert la confirmation du jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a constaté la cessation de paiement de la société Haut Peyroutas et ordonné l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à son encontre, sauf production à l'audience de pièces comptables justifiant que la société est in bonis et
qu'elle est donc en capacité de payer à bref délai le solde dû de 55.793,72 euros dont elle est redevable auprès de la société EVV.
Par ordonnance du 7 mars 2024, l'affaire a été fixée à bref délai, conformément à l'article R. 661-6 3° du code de commerce.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. L'article L. 631-1 alinéa 1er du code de commerce dispose :
« Il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L. 631-2 ou L. 631-3 qui, dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible, est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.»
2. Au visa de ce texte, la société Haut Peyroutas fait grief au jugement déféré d'avoir inversé la charge de la preuve en motivant le prononcé du redressement judiciaire par le constat de ce que le jugement du 5 juillet 2022 n'avait pas été exécuté et ajoute qu'il n'appartient pas au débiteur de prouver qu'il n'est pas en été de cessation des paiements, la preuve de cette situation étant à la charge du demandeur à l'action, conformément au droit commun.
L'appelante fait valoir que les multiples saisies diligentées par l'intimée ont été fructueuses et qu'il ne peut être soutenu qu'elle aurait organisé son insolvabilité ; que, par ailleurs, un état de cessation des paiements ne peut-être caractérisé par la seule comparaison des éléments du bilan ou l'existence d'un résultat déficitaire ; que l'échec de recouvrement par l'huissier ne peut davantage constituer un motif d'ouverture d'une procédure collective.
La société Haut Peyroutas soutient que, au demeurant, les comptes sociaux démontrent une situation favorable avec un résultat net comptable positif à hauteur de 78.574,32 euros, ce qui doit être pris en considération par la cour, tenue de statuer sur la situation qui se présente à elle le jour de l'audience.
3. La société EVV répond que sa créance repose sur deux décisions de justice aujourd'hui définitives en vertu desquelles la société Haut Peyroutas est tenue de lui payer la somme principale totale de 55.286,83 euros, ainsi que celles de 1.120 euros au titre des accessoires et de 5.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'intimée mentionne qu'elle dispose d'un certificat d'irrécouvrabilité établi par son huissier, dont il est de principe qu'il est de nature à attester de l'absence d'actif disponible ; que, alors qu'elle fait ainsi la preuve de l'état de cessation des paiements de l'appelante, celle-ci est bien en peine de rapporter la preuve contraire, les dernier éléments produits à cet égard démontrant au contraire qu'elle n'est pas in bonis.
La société EVV conclut en indiquant que son huissier a recueilli les propos du gérant de la société EVV selon lesquels l'insolvabilité de la société Haut Peyroutas avait été organisée.
Sur ce,
4. La société EVV, en charge de la preuve de l'état de cessation des paiements de la société Haut Peyroutas, produit tout d'abord l'ordonnance du 28 septembre 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal de commerce de Libourne condamne la société Haut Peyroutas à payer à l'intimée la somme provisionnelle de 27.261,23 euros avec intérêts au taux conventionnel de 12 % à compter de la date d'échéance de chaque facture, outre anatocisme.
L'intimée verse également un jugement prononcé le 5 juillet 2022 par le tribunal de commerce de Libourne en vertu duquel l'appelante est condamnée à payer à la société EVV la somme principale de 28.025,60 euros avec intérêts au taux de 12 % à compter de la date d'échéance de chaque facture, outre anatocisme.
Ces deux décisions sont aujourd'hui irrévocables, de sorte que les créances déclarées au titre de l'ordonnance du 28 septembre 2021 et du jugement du 5 juillet 2022 ont le caractère de créances certaines, liquides et exigibles, dont le quantum a évolué en raison de l'imputation, avec anatocisme, des intérêts courant à compter de la date d'échéance des 28 factures émises par la société Euralis, aux droits de laquelle vient la société EVV.
Il faut de plus souligner que les deux décisions du tribunal de commerce de Libourne ont expressément disposé que tout règlement devait s'imputer d'abord sur les intérêts.
5. La société EVV produit aux débats la totalité des procédures de saisie des différents actifs de la société Haut Peyroutas, soit les liquidités bancaires, les marques, le matériel d'exploitation et les véhicules, procédures diligentées entre le 20 octobre 2021, date de la signification du premier commandement de payer, et le 4 juillet 2023.
L'intimée produit également un certificat d'irrecouvrabilité établi le 14 septembre 2023 par Maître [D], commissaire de justice, ainsi rédigé :
« Je (...) certifie et atteste que toutes poursuites à la demande de la société EVV ont été vouées à l'échec pour les motifs suivants :
- débiteur insolvable ;
- des saisies bancaires ont permis de recouvrer la dette partiellement, les dernières saisies bancaires se sont toutes avérées infructueuses ;
- la saisie mobilière s'est avérée infructueuse, les biens saisis appartenant à une société ayant son siège également [Adresse 1] et ayant le même gérant ;
- après recherches il n'a été trouvé aucun tiers détenteur de fonds (autre qu'établissement bancaire) en faveur de la société débitrice.
En conséquence je délivre le présent certificat d'irrecouvrabilité (...)»
6. Dès lors, il est établi que les actifs disponibles de la société Haut Peyroutas ne sont pas suffisants à permettre le paiement de son passif exigible.
7. L'appelante ne rapporte pas la preuve contraire, bien qu'elle soutienne être in bonis et en situation de régler le solde de sa dette.
8. En effet, ainsi que le souligne l'appelante elle-même, il est constant en droit qu'il ne peut être tiré de conséquence de la seule comparaison des éléments du bilan, de sorte que la production des bilans des exercices 2021 et 2022, qui n'est pas soutenue par des pièces bancaires, n'est pas suffisante à mettre en évidence la situation in bonis alléguée par la société Haut Peyroutas, étant de surcroît rappelé que la situation de la société doit être examinée au jour où la cour statue.
9. Par ailleurs, l'examen de la liste des créances déclarées au mandataire de justice met en évidence le fait que plusieurs dettes de la société Haut Peyroutas étaient exigibles avant l'ouverture de la procédure collective le 20 novembre 2023 et la date provisoire de cessation des paiements fixée au 14 septembre 2023 :
-14.554,17 euros pour Aquitaine Viti-Services, exigible le 30 octobre 2022,
- 20.031,77 euros au titre des cotisations 2018 dues à la Mutualité sociale agricole de la Gironde,
- 22.036,20 euros au titre des cotisations 2021, 2022 et de janvier à septembre 2023 dues à la Mutualité sociale agricole de la Gironde,
- 3.357,26 euros pour M. [Y], exigible en juillet 2023,
- 5.738,15 euros pour Mash, exigible en mars 2023,
soit une somme totale de 65.717,55 euros exigible antérieurement, pour une partie depuis plusieurs mois, à l'ouverture de la procédure collective.
10. Enfin, le courrier adressé le 21 mai 2024 au Conseil de la société Haut Peyroutas par l'expert comptable de la société n'est pas déterminant puisque celui-ci indique qu'il n'a pu suffisamment avancer sur la comptabilité de l'exercice 2023, de sorte qu'il n'est pas en mesure de se prononcer sur la situation actuelle -qui doit seule être étudiée dans le cadre de l'article L. 631-1 alinéa 1er du code de commerce - de la société Haut Peyroutas.
11. Dès lors, puisqu'il a été retenu supra qu'il était établi que les actifs disponibles de la société Haut Peyroutas n'étaient pas suffisants à permettre le paiement de son passif exigible, il convient de confirmer le jugement déféré qui en a tiré les conséquences et a prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société appelante.
Les dépens de l'appel seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par mise à disposition au greffe,
Confirme le jugement prononcé le 20 novembre 2023 par le tribunal de commerce de Libourne.
Y ajoutant,
Ordonne l'emploi des dépens de l'appel en frais privilégiés de la procédure collective.