Cass. crim., 13 septembre 2023, n° 23-80.347
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. BONNAL
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. La société [5] (la société [5]) a porté plainte et s'est constituée partie civile pour des faits de prise illégale d'intérêts imputés à Mme [N] [X] en raison de ses fonctions de membre du collège du Conseil de la concurrence, devenu Autorité de la concurrence, exercées de 1999 à 2012.
3. Mme [X] a été mise en examen le 14 janvier 2022 du chef de prise illégale d'intérêts, dans sa forme prévue à l'article 432-13 du code pénal, pour avoir, de juillet 2012 à juillet 2015, pris une participation par travail dans l'entreprise [3] (la société [3]) en lui prodiguant, dans le cadre de son activité professionnelle, des conseils et recommandations en matière de droit de la concurrence alors qu'elle avait assuré la surveillance ou le contrôle de cette même entreprise dans le cadre de ses fonctions au sein du Conseil de la concurrence et de l'Autorité de la concurrence.
4. Par requête reçue au greffe le 28 avril 2022, elle a sollicité l'annulation, notamment, de sa mise en examen.
5. L'annulation de la mise en examen fait grief à la partie civile.
6. Dès lors, le pourvoi est recevable.
Examen des moyens
Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche
7. Le grief n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses première et troisième branches
Enoncé des moyens
8. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la nullité de la convocation de la mise en examen et du placement sous statut de témoin assisté de Mme [X] et en conséquence, a ordonné la cancellation de : dans la convocation de Madame [X] du 25 novembre 2021 : des mots [2], [1], [4], [6] et [7], dans le procès-verbal d"interrogatoire de première comparution du 14 janvier 2022 : des mentions suivantes : D 205/9, les 11 et 12es lignes, D 205/9, les deux derniers paragraphes du procès-verbal commençant par « Réponse : Oui. Sur votre question » et se terminant par « Comment expliquez-vous ? », D 205/10, les 14 premières lignes du procès-verbal commençant par « Réponse : c'est un oubli de » et se terminant par « Réponse mais [H] probablement oui », D 205/10. dans la 4e réponse de Mme [X], la dernière phrase commençant par « L'avocat » et se terminant par il savait que c'était impératif », D 205/1, les deux derniers paragraphes du procès-verbal commençant par « Mention » et se terminant par « ...D 124/6-7 », l'intégralité de la cote D 205/11, à l'exception du dernier paragraphe intitulé « Dossiers en cours », D 205/14, au 9e paragraphe, la mention commençant par « Nous notifions à la personne que nous la plaçons sous le statut de témoin assisté pour les faits » et se terminant par « ...au début du présent interrogatoire », a dit que ces actes annulés seront retirés du dossier d'information et classés au greffe de la Cour et qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats, a dit que Mme [X] n'est désormais plus placée que sous le statut de témoin assisté du chef de prise illégale d'intérêts en lien avec la société [3], alors « d'une part qu'aux termes de l'article 432-13 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur du 27 avril 2007 au 13 octobre 2013, « est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 Euros d'amende le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu 'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions » ; qu'en jugeant que ce texte ne serait pas applicable à Madame [X] en sa qualité d'ancien membre de l'Autorité de la concurrence pour des actes commis en 2012 et qu'il « est indifférent qu'[N] [X] ait été nommée par décret du Président de la République en qualité de présidente de l'Autorité de la concurrence, dès lors qu'une telle nomination n'a pas pour conséquence de l'assimiler à un agent de l'administration au sens de l'article 432-13 du code pénal dans sa rédaction antérieure à la loi de 2017 » (décision attaquée, p. 12), et en ignorant ainsi que l'article 432-13 du code pénal, dans sa rédaction en vigueur du 27 avril 2007 au 13 octobre 2013, visait l'ensemble des fonctionnaires ou agents d'une administration publique, la chambre de l'instruction a violé cette disposition, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
9. Le second moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a prononcé la nullité de la convocation de la mise en examen et du placement sous statut de témoin assisté de Mme [X] et en conséquence, a ordonné la cancellation de : dans la convocation de Mme [X] du 25 novembre 2021 : des mots [2], [1], [4], [6] et [7], dans le procès-verbal d'interrogatoire de première comparution du 14 janvier 2022 : des mentions suivantes : D 205/9, les 11 et 12es lignes, D 205/9, les deux derniers paragraphes du procès-verbal commençant par « Réponse : Oui. Sur votre question » et se terminant par « Comment expliquez-vous ? », D 205/10, les 14 premières lignes du procès-verbal commençant par « Réponse : c'est un oubli de » et se terminant par « Réponse mais [H] probablement oui », D 205/10. dans la 4e réponse de Mme [X], la dernière phrase commençant par « L'avocat » et se terminant par il savait que c'était impératif », D 205/1, les deux derniers paragraphes du procès-verbal commençant par « Mention » et se terminant par «
D 124/6-7 », l'intégralité de la cote D 205/11, à l'exception du dernier paragraphe intitulé « Dossiers en cours », D 205/14, au 9e paragraphe, la mention commençant par « Nous notifions à la personne que nous la plaçons sous le statut de témoin assisté pour les faits » et se terminant par «
au début du présent interrogatoire », a dit que ces actes annulés seront retirés du dossier d'information et classés au greffe de la Cour et qu'il sera interdit d'y puiser aucun renseignement contre les parties aux débats, a dit que Mme [X] n'est désormais plus placée que sous le statut de témoin assisté du chef de prise illégale d'intérêts en lien avec la société [3], alors :
« 1°/ en premier lieu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en jugeant qu'il ne serait pas démontré que Madame [X] « aurait eu à connaître de la situation des sociétés [3] ou [5] en sa qualité de membre du Conseil de la concurrence ou de l'Autorité de la concurrence » (arrêt, p.13), et en méconnaissant ce faisant que la décision n° 02-D-64 du 23 octobre 2002 mentionne, page 8, qu'elle a été rendue « sur le rapport oral de M. Komiha, par Mme Pasturel, vice présidente, présidant la séance, Mme [X], MM. Gauron, Piot et Ripotot, membres », la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 432-13 du code pénal, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale ;
3°/ en troisième lieu que la constitution du délit de prise illégale d'intérêt ne suppose pas que le prévenu ait procédé par lui-même à des contrôles directs, mais qu'il suffit qu'il ait pu exercer une fonction générale de contrôle ou de surveillance ; qu'en jugeant que « la partie civile ne saurait arguer qu'[N] [X] aurait eu à connaître de la situation des sociétés [3] ou [5] en sa qualité de membre du Conseil de la concurrence ou de l'Autorité de la concurrence dès lors qu'il n'est pas démontré que le Collège ait eu à connaître de faits transmis par la DGCCRF au Rapporteur de l'Autorité de la concurrence en charge de l'instruction des dossiers » (arrêt, p. 13), sans vérifier, comme il lui était demandé, si sa qualité de vice-présidente ne permettait pas à Madame [X] d'exercer une fonction générale de contrôle et de surveillance des éléments transmis par la DGCCRF à l'Autorité de la concurrence, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 432-13 du code pénal, dans sa rédaction applicable à la cause, ensemble l'article 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
10. Les moyens sont réunis.
11. Pour faire droit aux conclusions de Mme [X] tendant à l'annulation de sa mise en examen, l'arrêt attaqué retient, en premier lieu, que les dispositions applicables aux faits de prise illégale d'intérêts qui lui sont reprochés sont celles de l'article 432-13 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007, en vigueur du 27 avril 2007 jusqu'au 13 octobre 2013.
12. Les juges énoncent ensuite que l'article 432-13 du code pénal, dans cette rédaction, réprime le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, soit d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, soit de conclure des contrats de toute nature avec une entreprise privée ou de formuler un avis sur de tels contrats, soit de proposer directement à l'autorité compétente des décisions relatives à des opérations réalisées par une entreprise privée ou de formuler un avis sur de telles décisions, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans l'une de ces entreprises avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
13. Ils ajoutent que ce n'est qu'à compter de la loi n° 2017-55 du 20 janvier 2017, qui ne présente pas un caractère interprétatif, que l'article 432-13 a été modifié pour inclure parmi les personnes susceptibles de se rendre coupables d'une telle prise illégale d'intérêts les membres d'une autorité administrative indépendante.
14. Ils relèvent enfin que Mme [X] aurait commis les faits pour lesquels elle est mise en examen en sa qualité de membre du collège du Conseil de la concurrence et de l'Autorité de la concurrence.
15. Ils en déduisent que, compte tenu de ce que seules des dispositions pénales plus douces sont susceptibles de s'appliquer rétroactivement, l'article 432-13 n'est pas applicable à ces faits.
16. Les juges énoncent, en deuxième lieu, que cet article doit s'interpréter comme posant une interdiction limitée dans le temps avec une période de neutralisation de trois ans.
17. Ils relèvent ensuite que Mme [X], qui a exercé ses fonctions de membre de l'Autorité de la concurrence jusqu'en 2012, a exercé une surveillance ou un contrôle sur la société [3] en participant en sa qualité de membre de cette autorité à une décision concernant cette société rendue le 23 octobre 2002.
18. Ils en déduisent que la personne mise en examen ne peut se voir reprocher une prise illégale d'intérêts en 2012 à raison de ce contrôle ou de cette surveillance dès lors que plus de trois ans se sont écoulés.
19. Les juges ajoutent qu'au sein du Conseil de la concurrence et de l'Autorité de la concurrence, le principe de séparation des autorités d'instruction et de sanction a pour conséquence que les affaires connues des premières ne sont pas nécessairement portées à la connaissance des secondes et nécessitent que les autorités de sanction soient formellement saisies par les autorités administratives.
20. Ils en concluent qu'il ne peut pas non plus être soutenu que Mme [X] aurait commis une prise illégale d'intérêts au motif qu'elle aurait eu à connaître de la situation des sociétés [3] ou [5] en sa qualité de membre de l'Autorité de la concurrence en raison d'éléments transmis en 2010 par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au rapporteur de cette autorité en charge de l'instruction des dossiers relatifs à ces sociétés dès lors qu'il n'est pas démontré que le collège de cette autorité ait eu connaissance de ces éléments.
21. C'est à tort que la cour d'appel a jugé que l'article 432-13 du code pénal dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-148 du 2 février 2007 n'est pas applicable aux faits commis par un membre d'une autorité administrative indépendante.
22. En effet, l'article 432-13, dans cette rédaction, réprime le fait, par une personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire ou agent d'une administration publique, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, entre autres, d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans cette entreprise avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
23. Le champ d'application de cet article a ensuite été modifié, notamment par la loi susmentionnée du 20 janvier 2017, pour prévoir son application aux membres d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante.
24. Cependant, ainsi que cela ressort des travaux préparatoires de cette dernière loi, celle-ci doit être regardée comme interprétative, la notion d'agent d'une administration publique au sens de l'article 432-13 englobant celle de membre d'une autorité administrative indépendante.
25. Toutefois, l'arrêt n'encourt pas la censure dès lors que, par les motifs critiqués par le second moyen, la cour d'appel a justifié sa décision.
26. En effet, en premier lieu, le délit de prise illégale d'intérêts dans une entreprise privée prévu par l'article 432-13 suppose que le fonctionnaire ou l'agent de l'administration publique auteur des faits a assuré la surveillance ou le contrôle de cette entreprise dans le cadre des fonctions qu'il a effectivement exercées. Dès lors, le délit n'est constitué que si cette personne prend ou reçoit une participation par travail, conseil ou capitaux dans cette entreprise avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de la surveillance ou du contrôle qu'elle a exercé lors de ces fonctions.
27. En second lieu, d'une part, il résulte des motifs précités que la chambre de l'instruction a souverainement apprécié que Mme [X] n'avait pas eu connaissance des éléments transmis par la DGCCRF en 2010. D'autre part, il résulte de ce que le délit prévu par l'article 432-13 suppose une surveillance ou un contrôle dans le cadre de fonctions effectivement exercées que le seul fait qu'elle ait eu vocation à connaître ces éléments en raison de son statut de vice-présidente de l'Autorité de la concurrence ne saurait caractériser une surveillance ou un contrôle sur la société [3].
28. Le second moyen, pour partie infondé et pour partie inopérant, ne peut donc qu'être écarté.
29. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme. PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 500 euros la somme que la société [5] devra payer à Mme [X] en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize septembre deux mille vingt-trois.