Cass. crim., 13 septembre 2023, n° 21-81.177
COUR DE CASSATION
Arrêt
Déchéance
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. BONNAL
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une information ouverte le 17 février 2012 concernant les conditions dans lesquelles Mme [G] [U] avait obtenu des prêts de la Société générale lui permettant de financer des acquisitions immobilières, MM. [H] [F], [B] [R], Mmes [O] [W], [Y] [P], [S] [T], M. [K] [A], Mme [X] [Z], Mme [U] et M. [V] [C] ainsi que sept autres prévenus ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel.
3. Par jugement du 6 décembre 2018, le tribunal correctionnel a condamné le premier, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, à vingt-quatre mois d'emprisonnement dont douze mois avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 75 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive et l'interdiction définitive de gérer, le deuxième, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende, la troisième, pour escroquerie en bande organisée, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction professionnelle, la quatrième, pour escroquerie en bande organisée, à douze mois d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction professionnelle et cinq ans d'interdiction de gérer, la cinquième, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, à trente-six mois d'emprisonnement dont vingt-quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 40 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive et l'interdiction définitive de gérer, le sixième, pour blanchiment, à douze mois d'emprisonnement et 80 000 euros d'amende, la septième, pour escroquerie en bande organisée, faux, à douze mois d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction de gérer, la huitième, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, à quarante-huit mois d'emprisonnement dont trente mois avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 300 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive et l'interdiction définitive de gérer, le neuvième, pour escroquerie en bande organisée, blanchiment, à trente-six mois d'emprisonnement, dont vingt-quatre mois avec sursis et mise à l'épreuve, devenu sursis probatoire, 500 000 euros d'amende, une interdiction professionnelle définitive et l'interdiction définitive de gérer, a ordonné une confiscation et a prononcé sur les intérêts civils.
4. M. [F], Mmes [W], [P], [Z], [U] et M. [C] ont relevé appel de cette décision, l'appel de Mme [W] étant limité aux dispositions civiles du jugement, et le ministère public ainsi que certaines parties civiles ont formé appel incident.
Déchéance des pourvois formés par MM. [A], [C], [R] et Mme [Z]
5. MM. [A], [C], [R] et Mme [Z] n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leurs avocats, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leurs pourvois par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.
Examen des moyens
Sur les moyens proposés pour M. [F], Mmes [T] et [W], le premier moyen, le deuxième moyen, pris en ses première, troisième et quatrième branches, et le troisième moyen proposés pour Mme [U], le premier moyen, pris en sa quatrième branche, et le second moyen, pris en ses deux premières branches, proposés pour Mme [P]
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen proposé pour Mme [P], pris en ses trois premières branches
Enoncé du moyen
7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [P] coupable d'escroquerie en bande organisée, en répression l'a condamnée à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis, à l'interdiction d'exercer la profession de conseil en investissement financier et de conseil en négociation et en transaction immobilière pendant une durée de cinq ans, à l'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale, industrielle ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans, a ordonné la confiscation des scellés et s'est prononcée sur les intérêts civils, alors :
« 1°/ que l'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ; qu'en l'espèce, [Y] [P] était poursuivie pour avoir, par des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en participant au montage de dossiers de prêts par la fourniture de divers documents dont elle savait pour le moins qu'ils allaient être falsifiés avant d'être présentés à la Société Générale, dossiers dont elle savait qu'ils contenaient de faux documents, notamment de faux bulletins de salaire, faux avis d'imposition ou faux relevés de comptes, et en acceptant la gérance de paille des SCI MDB et 5/7 Etienne Michard, créées pour permettre la réalisation d'escroquerie par l'obtention frauduleuse de prêts bancaires, trompé la Société Générale pour la déterminer à remettre des fonds, valeurs ou biens quelconques, en l'espèce pour la déterminer à accorder aux demandeurs des prêts immobiliers ou pour des travaux et à débloquer les fonds correspondants, ce pour un préjudice global estimé aux termes de l'information d'au moins 21 045 975 € ;
qu'en la déclarant coupable par des motifs propres dont il ne résulte pas qu'elle savait que les dossiers allaient être falsifiés avant d'être présentés à la Société Générale ou qu'ils contenaient de faux documents, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 313-1, 313-2 et 132-71 du code pénal et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
2°/ qu'à supposer que les motifs des premiers juges aient été adoptés, ceux-ci sont inopérants à caractériser la connaissance par [Y] [P] des manoeuvres frauduleuses effectuées par [V] [C], en ce qu'ils se bornent à relever que l'imprimé SOGECAP relatif à la SCI MDB, portait la mention manuscrite de la profession de l'intéressée « directrice com », qui est un simple mensonge écrit, ou encore qu'elle n'avait pas la capacité de remboursement et/ou une surface financière suffisante pour garantir la banque en cas d'impayé, ce qui ne prouve nullement sa connaissance de la production de faux documents à l'appui des demandes de prêts ; qu'en l'état de tels motifs inopérants et insuffisants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 313-1, 313-2 et 132-71 du code pénal et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale ;
3°/ qu'[Y] [P] faisait valoir dans ses conclusions d'appel que la mention « directrice com », qu'elle n'avait pas écrite, avait été apposée sur l'imprimé SOGECAP relatif à la SCI MDB après sa signature ; qu'en la déclarant néanmoins coupable du chef d'escroquerie, en se bornant à relever que les documents de l'offre de prêt - qu'elle reconnaît avoir signés - la présentent comme « directrice commerciale » ce qu'elle n'est pas, mais sans se prononcer sur la date à laquelle cette mention avait été ajoutée, la cour d'appel, qui n'a pas répondu à un argument péremptoire, a privé sa décision de base légale au regard des articles 313-1, 313-2 et 132-71 du code pénal et violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
8. Pour déclarer la prévenue coupable d'escroquerie en bande organisée, l'arrêt attaqué rappelle qu'il est reproché à Mme [P] d'avoir monté et présenté, directement ou par des intermédiaires, alors qu'elle était gérante et associée de la SCI Mdb et de la SCI 5/7 Etienne Michard, des dossiers de prêt qui contenaient des faux, afin de gonfler artificiellement les revenus pour déterminer la banque à lui accorder le prêt, et ce, au sein d'un système particulièrement organisé et structuré constitutif d'une bande organisée, ainsi que d'avoir accepté sciemment d'être gérante de paille et associée de ces deux SCI et de participer à une opération immobilière frauduleuse dans laquelle les sociétés dont elle était gérante ont obtenu un prêt au moyen de documents falsifiés.
9. Les juges relèvent qu'elle connaissait la responsabilité liée au statut de gérant de société, sachant qu'elle détenait par ailleurs des parts sociales à titre personnel, ainsi que les enjeux d'un emprunt immobilier pour en avoir souscrit dans sa vie personnelle, qu'il ressort de ses déclarations qu'elle a accepté à la demande de M. [C], contre une rémunération de 10 000 euros, d'être gérante de paille de deux SCI afin d'acquérir au moyen de deux prêts des biens vendus par une autre société, qu'elle a signé sans qu'il y ait eu d'assemblée générale les offres de prêt pour des montants très importants que ni elle ni la société n'avaient aucune chance de rembourser, alors que les documents de l'offre de prêt - qu'elle reconnaît avoir signés - la présentent comme « directrice commerciale », ce qu'elle n'est pas.
10. Par motifs adoptés, ils retiennent qu'elle était parfaitement informée des tenants et aboutissants de cette opération immobilière et que les documents retrouvés à son domicile ainsi que la rémunération de ses services de prête-nom démontrent la connaissance qu'elle avait du montage frauduleux mis en place par M. [C] auquel elle a apporté en pleine connaissance de cause son concours actif en acceptant d'entrer dans les statuts de deux SCI pour obtenir deux prêts de 706 000 euros chacun.
11. Ils ajoutent que la connaissance qu'elle pouvait avoir de l'existence de faux documents se déduit des éléments de l'espèce, car l'imprimé Sogecap relatif à la SCI Mdb portait la mention manuscrite de la profession de directrice commerciale qu'elle n'avait alors jamais exercée, que si elle contestait avoir rédigé cette mention, elle avait reconnu avoir signé l'imprimé, sans s'en rendre compte selon elle, ce qui, compte tenu de l'importance du prêt souscrit semble peu crédible, et que les deux prêts souscrits par les SCI Mdb et 5/7 Etienne Michard totalisaient plus de 1 400 000 euros, ce qui impliquait une capacité de remboursement et/ou une surface financière suffisante pour garantir la banque en cas d'impayé, ce qui était loin d'être le cas de Mme [P], et que celle-ci, dont le projet était de se lancer dans l'activité d'intermédiaire dans le domaine immobilier, ne pouvait l'ignorer.
12. Ils concluent qu'il ressort de l'ensemble de ces éléments qu'elle connaissait le caractère frauduleux de l'opération à laquelle elle a sciemment accepté de participer, puisqu'elle connaissait l'incapacité de M. [C] à s'endetter davantage, qu'elle savait qu'elle ne serait qu'une gérante de paille, qu'elle n'avait pas l'assise financière suffisante pour souscrire ces prêts, qu'elle n'a pas cherché à s'assurer de la régularité de l'opération, qu'elle savait que les offres de prêt mentionnaient une indication qui était fausse et qu'elle a agi contre rémunération.
13. En se déterminant ainsi, par des motifs qui caractérisent la participation personnelle, volontaire et directe de la prévenue aux manoeuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie, et sa connaissance du fait que les offres de prêt mentionnaient la fausse qualité de directrice commerciale, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître aucun des textes visés au moyen.
14. Dès lors, les griefs doivent être écartés.
Mais sur le deuxième moyen proposé pour Mme [U], pris en sa deuxième branche, et le second moyen proposé pour Mme [P], pris en sa troisième branche
Enoncé des moyens
15. Le moyen proposé pour Mme [U] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a ordonné la confiscation des immeubles ayant fait l'objet de saisies pénales, à l'exception du bien immobilier situé à [Adresse 1], et des biens meubles placés sous scellés, à l'exception de la montre de marque Cartier, alors :
« 2°/ qu'en ordonnant la confiscation des scellés, à l'exception de la montre Cartier, sans préciser sur quels biens portait cette mesure, ni à quel titre ils étaient confisqués, la cour d'appel a méconnu les articles 1er du protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne des droits de l'homme, 131-21 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale. »
16. Le moyen proposé pour Mme [P] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il l'a condamnée à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis, à l'interdiction d'exercer la profession de conseil en investissement financier et de conseil en négociation et en transaction immobilière pendant une durée de cinq ans, à l'interdiction de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une entreprise commerciale, industrielle ou une société commerciale pendant une durée de cinq ans et a ordonné la confiscation des scellés, alors :
« 3°/ que la cour d'appel doit énumérer les objets dont elle ordonne la confiscation et indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, afin de mettre la Cour de cassation en mesure de s'assurer de la légalité de sa décision, et d'apprécier, le cas échéant, son caractère proportionné ; qu'en ordonnant la confiscation des scellés, sans énumérer les objets concernés et sans indiquer, pour chacun d'eux, s'ils constituent l'instrument, le produit ou l'objet de l'infraction, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 6 § 1er de la Convention européenne des droits de l'homme, 1er du premier Protocole additionnel à cette Convention, 131-21 et 132-1 du code pénal et a violé les articles 591 à 593 du code de procédure pénale. »
Réponse de la Cour
17. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 131-21 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
18. Selon le premier de ces textes, la peine complémentaire de la confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. La confiscation porte alors sur les biens qui ont servi à commettre l'infraction, ou qui étaient destinés à la commettre, et sur ceux qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction. Si la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné.
19. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
20. La cour d'appel a ordonné la confiscation des scellés, à l'exception de la montre de marque Cartier appartenant à Mme [U], sans préciser sur quels biens portait cette mesure ni à quel titre ils ont été confisqués.
21. En prononçant ainsi, sans indiquer la nature et l'origine des objets placés sous scellés dont elle a ordonné la confiscation, ni le fondement de cette peine, dont elle n'a pas davantage précisé la nécessité, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ni mis la Cour de cassation en mesure d'en contrôler la légalité.
22. D'où il suit que la cassation est encourue.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation sera limitée aux peines prononcées à l'encontre de Mme [U] et de Mme [P], dès lors que les autres dispositions n'encourent pas la censure.
Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale
24. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. Le troisième moyen de cassation de Mme [U] relatif aux intérêts civils ayant été déclaré non-admis, et la déclaration de culpabilité de Mme [P] étant devenue définitive par suite du rejet de son moyen sur ce point, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande de la Société générale.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
Sur les pourvois formés par MM. [A], [C], [R] et Mme [Z] :
CONSTATE la déchéance des pourvois ;
Sur les pourvois formés par M. [F], Mmes [T] et [W] :
Les DECLARE NON-ADMIS ;
Sur les pourvois formés par Mmes [U] et [P] :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 5 février 2021, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de Mme [U] et de Mme [P], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil;
FIXE à 1 500 euros la somme que M. [F] devra payer à la Société générale en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme [T] devra payer à la Société générale en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme [W] devra payer à la Société générale en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme [U] devra payer à la Société générale en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
FIXE à 1 500 euros la somme que Mme [P] devra payer à la Société générale en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.