CJUE, 3e ch., 11 juillet 2024, n° C-598/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Società Italiana Imprese Balneari Srl
Défendeur :
Comune di Rosignano Marittimo, Ministero dell’Economia e delle Finanze, Agenzia del demanio – Direzione regionale Toscana e Umbria, Regione Toscana
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
Mme K. Jürimäe
Juges :
M. K. Lenaerts, M. N. Piçarra, M. N. Jääskinen, M. M. Gavalec
Avocat général :
Mme T. Ćapeta
Avocats :
Me E. Nesi, Me R. Righi, Me R. Grassi
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Società Italiana Imprese Balneari Srl (ci-après « SIIB ») au Comune Rosignano Marittimo (commune de Rosignano Marittimo, Italie, ci-après la « commune »), au sujet de décisions par lesquelles la commune a constaté que, à l’expiration d’une concession d’occupation du domaine public maritime attribuée à SIIB, les ouvrages construits par cette dernière sur ce domaine avaient été acquis, à titre gratuit, par l’État italien et a, en conséquence, imposé le paiement de redevances domaniales majorées.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36), prévoit, à son article 44, paragraphe 1, premier alinéa :
« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive avant le 28 décembre 2009 au plus tard. »
Le droit italien
4 Le Codice della Navigazione (code de la navigation), approuvé par le décret royal no 327, du 30 mars 1942 (GURI no 93, du 18 avril 1942), dispose, à son article 49, paragraphe 1, intitulé « Dévolution des ouvrages inamovibles » :
« Sauf convention contraire dans l’acte de concession, lorsque la concession prend fin, les ouvrages inamovibles construits sur le domaine public restent acquis à l’État, sans aucune indemnité ni remboursement, sans préjudice du droit de l’autorité concédante d’en ordonner la démolition, avec remise du domaine public dans son état initial. »
5 Conformément à l’article 1er, paragraphe 251, de la legge n. 296 – Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2007) [loi no 296, portant disposition en vue de la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 2007)], du 27 décembre 2006 (supplément ordinaire no 244 à la GURI no 299, du 27 décembre 2006), l’incorporation au domaine public de biens construits par le concessionnaire conduit à leur appliquer la redevance majorée, ces constructions étant considérées comme des biens accessoires du domaine public.
6 L’article 1er du décret du président du gouvernement régional de Toscane no 52/R, du 24 septembre 2013, a modifié le décret du président du gouvernement régional de Toscane no 18/R de 2001, en ajoutant, dans ce dernier, l’article 44 bis, qui prévoit :
« Sont considérées comme faciles à supprimer et susceptibles de faire l’objet d’une expulsion, les constructions et les structures utilisées pour l’exercice d’activités touristiques et récréatives, édifiées aussi bien sur que sous le sol du domaine public maritime faisant l’objet d’une concession, qui [...] peuvent être complètement supprimées au moyen des méthodes normales offertes par la technologie, avec remise subséquente des lieux dans leur état d’origine, dans un délai maximum de 90 jours. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
7 Depuis l’année 1928, SIIB gère sans discontinuer, sur le territoire de la commune, un établissement balnéaire situé en majeure partie sur le domaine public maritime. SIIB prétend avoir légalement bâti sur cette parcelle une série de constructions, dont une partie a fait l’objet d’un inventaire d’incorporation au cours de l’année 1958. D’autres constructions ont été réalisées ultérieurement, entre l’année 1964 et l’année 1995.
8 Par une décision du 20 novembre 2007, la commune a classé parmi les biens accessoires du domaine public maritime divers ouvrages empiétant sur ce domaine et considérés comme étant difficiles à supprimer. Ceux-ci auraient été légalement acquis par la commune à l’expiration de la concession no 36/2002, qui couvrait la période allant du 1er janvier 1999 au 31 décembre 2002 et qui a été renouvelée, jusqu’au 31 décembre 2008, par la concession no 27/2003.
9 Le 23 septembre 2008, la commune a notifié à SIIB l’ouverture de la procédure d’incorporation des biens accessoires du domaine public non encore acquis, sans toutefois la mener à son terme.
10 Elle a ensuite délivré à cette société la concession sur le domaine public maritime no 181/2009, valable pour une durée de six ans, du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2014 (ci-après la « concession de 2009 »).
11 Se prévalant de l’article 1er du décret du président du gouvernement régional de Toscane no 52/R, du 24 septembre 2013, SIIB a présenté une déclaration selon laquelle tous les ouvrages empiétant sur le domaine public pouvaient être supprimés en 90 jours, de sorte qu’ils devaient être considérés comme étant faciles à supprimer.
12 La commune a reconnu cette qualification aux ouvrages en cause dans une décision du 3 février 2014, avant de la retirer, par une décision du 26 novembre 2014, au motif que des biens empiétant sur le domaine public concédé avaient déjà été acquis par l’État en vertu de l’article 49 du code de la navigation.
13 SIIB a contesté cette dernière décision devant le Tribunale amministrativo regionale per la Toscana (tribunal administratif régional de Toscane, Italie).
14 Par décision du 16 avril 2015, la commune a réaffirmé que les bâtiments construits sur la zone concédée étaient des biens accessoires du domaine public. Elle leur a, par conséquent, appliqué une redevance majorée pour la période courant de l’année 2009 à l’année 2015, conformément à l’article 1er, paragraphe 251, de la loi no 296, du 27 décembre 2006. Par d’autres actes, la commune a fixé les montants dus pour les années suivantes.
15 SIIB a également attaqué les décisions mentionnées au point précédent devant la même juridiction. Cette dernière a rejeté l’ensemble des recours par un jugement du 10 mars 2021 contre lequel SIIB a interjeté appel devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui est la juridiction de renvoi.
16 Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) indique que l’article 49 du code de la navigation est interprété en ce sens que l’acquisition des biens par l’État se produit automatiquement à l’expiration de la concession, même en cas de renouvellement de celle-ci, dès lors que son renouvellement entraîne une rupture de la continuité entre les titres d’occupation du domaine public. En revanche, en cas de prolongation de la concession avant son échéance normale, les ouvrages réalisés par les concessionnaires sur le domaine public demeureraient la propriété privée exclusive du concessionnaire jusqu’à l’expiration effective ou la révocation anticipée de la concession et aucune redevance ne serait due en ce qui concerne ces ouvrages.
17 Il ressort de la décision de renvoi que, en première instance, le Tribunale amministrativo regionale per la Toscana (tribunal administratif régional de Toscane) a jugé que tant l’inventaire d’incorporation de 1958 que la concession de 2009 ont produit des effets qui sont devenus définitifs, faute pour SIIB de les avoir contestés en temps utile. Cette juridiction a ajouté que la qualification des ouvrages construits par SIIB sur le domaine public maritime comme ouvrages difficiles à supprimer et comme biens accessoires de ce domaine résultait non pas d’une décision unilatérale de la commune, mais d’un commun accord matérialisé par le titre de concession signé par les deux parties.
18 Ladite juridiction a notamment exclu que l’application de l’article 49 du code de la navigation entraîne une expropriation de fait du concessionnaire sans indemnisation. En effet, l’acquisition gratuite par l’État des ouvrages inamovibles construits sur le domaine public n’interviendrait, aux termes de cette disposition, qu’en l’absence de stipulation contraire dans l’acte de concession. Dès lors, la règle de l’acquisition à titre gratuit ne s’appliquerait qu’avec le consentement des parties.
19 SIIB fait cependant valoir que, en cas de renouvellement d’une concession, l’incorporation au domaine public maritime de l’État sans indemnisation des ouvrages construits par le concessionnaire sur ce domaine et qui sont difficiles à supprimer est contraire au droit de l’Union, notamment aux articles 49 et 56 TFUE, tel qu’interprétés dans l’arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60). Selon la jurisprudence du Consiglio di Stato (Conseil d’État), l’incorporation à titre gratuit audit domaine se justifierait par la nécessité d’assurer que les ouvrages inamovibles destinés à rester sur celui-ci soient à l’entière disposition du concédant. Or, lorsque la concession, au lieu de prendre fin, est renouvelée sans interruption, l’effet d’accession prévu à l’article 49 du code de la navigation serait injustifié. En outre, cet effet rendrait moins attrayant l’établissement d’opérateurs économiques d’autres États membres intéressés par le même bien et imposerait au concessionnaire un sacrifice disproportionné sur ses droits, puisqu’il devrait céder ses biens à l’État sans contrepartie.
20 La commune rappelle, quant à elle, qu’elle avait octroyé la concession de 2009 lors du renouvellement de la concession no 27/2003 non pas de manière automatique, mais à la suite d’une instruction spécifique dans le cadre de laquelle elle a fait usage de son pouvoir discrétionnaire. Il avait alors été prévu que la nouvelle concession serait considérée comme une concession entièrement différente de la précédente. En outre, l’absence de stipulation contraire dans l’acte de concession attesterait que le concessionnaire a considéré que la perte de la propriété des ouvrages réalisés était compatible avec l’équilibre économique général de la concession.
21 En réponse à une demande d’informations de la Cour, la juridiction de renvoi a indiqué, le 8 septembre 2023, que SIIB conservait un intérêt à agir contre l’incorporation au domaine public maritime de l’État des biens inamovibles qu’elle a construits sur celui-ci, dont elle peut notamment se prévaloir à l’occasion d’un recours contre la décision du concédant lui imposant de payer des redevances majorées. Cette juridiction a également précisé que le transfert dans le patrimoine de l’État de la propriété de tels ouvrages intervient de plein droit à l’expiration de la concession d’occupation domaniale. L’éventuelle constatation, par voie administrative ou juridictionnelle, du droit de propriété de l’État sur ces ouvrages n’a qu’un caractère déclaratif et autorise le concédant à majorer le montant de la redevance.
22 Ladite juridiction a indiqué que, en l’occurrence, l’incorporation dans le domaine public maritime des ouvrages inamovibles réalisés par SIIB est intervenue le 31 décembre 2008, lors de l’expiration de la concession no 27/2003. Cette incorporation aurait conduit la commune à appliquer à SIIB une redevance majorée depuis l’année 2009.
23 Enfin, la juridiction de renvoi a précisé, en substance, que le code de la navigation s’applique indifféremment aux opérateurs économiques italiens et à ceux d’autres États membres.
24 Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Les articles 49 et 56 TFUE et les principes qui peuvent être tirés de l’arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60), dans la mesure où ils sont jugés applicables, s’opposent-ils à l’interprétation d’une disposition nationale telle que l’article 49 [du code de la navigation] en ce sens qu’elle prévoit, à l’expiration de la concession, lorsque celle-ci est renouvelée, sans interruption, fût-ce en vertu d’une nouvelle décision, la cession par le concessionnaire, à titre gratuit et sans indemnisation, des ouvrages immobiliers réalisés sur la zone du domaine public qui font partie de l’ensemble des biens organisés en vue de l’exploitation de l’établissement balnéaire, cet effet d’incorporation immédiate pouvant constituer une restriction qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif effectivement poursuivi par le législateur national et qui est donc disproportionnée par rapport à cet objectif ? »
Sur la demande de réouverture de la procédure orale
25 Par acte déposé au greffe de la Cour le 17 avril 2024, SIIB a demandé la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour.
26 À l’appui de sa demande, SIIB fait valoir que, au point 103 de ses conclusions, Mme l’avocate générale a outrepassé l’objet de la question préjudicielle, en concluant, implicitement mais nécessairement, à l’absence de violation de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») par la réglementation nationale en cause au principal.
27 Dans ces conditions, SIIB demande la tenue d’une audience afin que la question de la pertinence de l’article 17 de la Charte dans le cadre de la présente affaire puisse faire l’objet d’un débat contradictoire.
28 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que le statut de la Cour de justice de l’Union européenne et le règlement de procédure ne prévoient pas la possibilité, pour les intéressés visés à l’article 23 de ce statut, de présenter des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C‑17/98, EU:C:2000:69, point 2, et arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 40 ainsi que jurisprudence citée).
29 D’autre part, en vertu de l’article 252, second alinéa, TFUE, l’avocat général présente publiquement, en toute impartialité et en toute indépendance, des conclusions motivées sur les affaires qui, conformément au statut de la Cour de justice de l’Union européenne, requièrent son intervention. Il s’agit donc non pas d’un avis destiné aux juges ou aux parties qui émanerait d’une autorité extérieure à la Cour, mais de l’opinion individuelle, motivée et exprimée publiquement, d’un membre de l’institution elle-même. Dans ces conditions, les conclusions de l’avocat général ne peuvent être débattues par les parties. Par ailleurs, la Cour n’est liée ni par ces conclusions ni par la motivation au terme de laquelle l’avocat général parvient à celles‑ci. Par conséquent, le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions que ce dernier examine dans ses conclusions, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale (arrêt du 9 juin 2022, Préfet du Gers et Institut national de la statistique et des études économiques, C‑673/20, EU:C:2022:449, point 41 ainsi que jurisprudence citée).
30 Cela étant, conformément à l’article 83 du règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
31 Tel n’est pas le cas en l’occurrence.
32 Premièrement, il convient de noter que la question posée par la juridiction de renvoi porte sur l’interprétation des articles 49 et 56 TFUE, qui consacrent, respectivement, les libertés d’établissement et de prestation de services. Cette juridiction n’a pas spécifiquement interrogé la Cour sur l’interprétation de l’article 17 de la Charte, relatif au droit de propriété.
33 Deuxièmement, au point 103 de ses conclusions, Mme l’avocate générale s’est limitée à mentionner une jurisprudence existante de la Cour selon laquelle l’examen d’une restriction instaurée par une réglementation nationale au titre de l’article 49 TFUE couvre également les éventuelles restrictions de l’exercice des droits et des libertés prévus aux articles 15 à 17 de la Charte, de telle sorte qu’un examen séparé du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Global Starnet, C‑322/16, EU:C:2017:985, point 50, et du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 56).
34 Pour autant que, par sa demande de réouverture de la procédure orale, SIIB chercherait, en réalité, à réfuter cette dernière appréciation, il suffit de rappeler qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 29 du présent arrêt que le désaccord d’une partie intéressée avec les conclusions de l’avocat général, quelles que soient les questions que ce dernier examine dans ses conclusions, ne peut constituer en soi un motif justifiant la réouverture de la procédure orale.
35 Troisièmement, en l’occurrence, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre à la question qui lui est posée.
36 Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
37 Dans ses observations écrites, le gouvernement italien excipe de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, au motif que la question posée à la Cour ne serait pas pertinente en vue de trancher le litige au principal.
38 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige au principal et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence de la question qu’il pose à la Cour. Il s’ensuit qu’une question préjudicielle portant sur le droit de l’Union bénéficie d’une présomption de pertinence qui peut être renversée, notamment, s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, points 15 et 18 ; du 7 septembre 1999, Beck et Bergdorf, C‑355/97, EU:C:1999:391, point 22, ainsi que du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 42).
39 En l’occurrence, en réponse à une demande d’informations de la Cour, la juridiction de renvoi a indiqué que SIIB conservait un intérêt à agir contre l’incorporation au domaine public maritime des biens inamovibles qu’elle a construits sur celui-ci, dans la mesure où cette incorporation s’est traduite par une majoration de la redevance d’occupation domaniale dont elle devait s’acquitter. D’après cette juridiction, SIIB peut contester ladite incorporation à l’occasion d’un recours contre la décision par laquelle le concédant lui impose, conformément à l’article 1er, paragraphe 251, de la loi no 296, du 27 décembre 2006, de s’acquitter d’une redevance majorée.
40 Il s’ensuit qu’une réponse de la Cour à la question posée est utile pour trancher le litige au principal.
41 En outre, bien que ce litige présente un caractère purement interne, il suffit de relever, à l’instar de la Commission européenne, que le code de la navigation s’applique indistinctement aux opérateurs économiques italiens et à ceux provenant d’autres États membres. Aussi ne peut-il, selon la juridiction de renvoi, être exclu que des opérateurs établis dans d’autres États membres aient été ou soient intéressés à faire usage des libertés d’établissement et de prestations de services pour exercer des activités sur le territoire italien et, partant, que cette réglementation soit susceptible de produire des effets qui ne sont pas cantonnés audit territoire.
42 Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle est recevable en ce qu’elle porte sur l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten, C‑268/15, EU:C:2016:874, point 50).
43 Partant, il y a lieu de statuer sur la demande de décision préjudicielle.
Sur la question préjudicielle
44 Dans la mesure où la juridiction de renvoi se réfère, dans sa question, aux articles 49 et 56 TFUE, qui consacrent respectivement la liberté d’établissement et la liberté de prestation de services, il convient de préciser que l’octroi d’une concession d’occupation du domaine public maritime implique nécessairement l’accès du concessionnaire au territoire de l’État membre d’accueil en vue d’une participation stable et continue, pour une durée relativement longue, à la vie économique de cet État. Il s’ensuit que l’attribution d’une telle concession relève du droit d’établissement prévu à l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêts 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, EU:C:1995:411, point 25 ; du 11 mars 2010, Attanasio Group, C‑384/08, EU:C:2010:133, point 39, et du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 50).
45 En outre, en vertu de l’article 57, premier alinéa, TFUE, les dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ne trouvent application que si, notamment, celles relatives au droit d’établissement ne s’appliquent pas. Il y a donc lieu d’écarter l’article 56 TFUE.
46 Par ailleurs, dès lors qu’il découle de l’article 44, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2006/123 que celle-ci est inapplicable ratione temporis au litige au principal, la question préjudicielle doit être examinée au regard du seul article 49 TFUE.
47 Dans ces conditions, il convient de considérer que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle nationale qui prévoit que, à l’expiration d’une concession d’occupation du domaine public et sauf stipulation contraire dans l’acte de concession, le concessionnaire est tenu de céder, immédiatement, gratuitement et sans indemnisation, les ouvrages inamovibles qu’il a réalisés sur la dépendance concédée, même en cas de renouvellement de la concession.
48 L’article 49, premier alinéa, TFUE interdit les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre dans le territoire d’un autre État membre. Ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante, doivent être considérées comme restreignant cette liberté, toutes les mesures qui, même applicables sans discrimination tenant à la nationalité, interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la liberté garantie à l’article 49 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 2004, CaixaBank France, C‑442/02, EU:C:2004:586, point 11 ; du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, point 48, ainsi que du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 61).
49 Cela étant, ne méconnaît pas l’interdiction ainsi posée par l’article 49 TFUE une législation nationale opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire national, qui n’a pas pour objet de régler les conditions relatives à l’établissement des opérateurs économiques concernés et dont les éventuels effets restrictifs sur la liberté d’établissement sont trop aléatoires et trop indirects pour que l’obligation qu’elle édicte puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté (voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 1996, Semeraro Casa Uno e.a., C‑418/93 à C‑421/93, C‑460/93 à C‑462/93, C‑464/93, C‑9/94 à C‑11/94, C‑14/94, C‑15/94, C‑23/94, C‑24/94 et C‑332/94, EU:C:1996:242, point 32, ainsi que du 6 octobre 2022, Contship Italia, C‑433/21 et C‑434/21, EU:C:2022:760, point 45).
50 En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du point 23 du présent arrêt, il est constant que l’article 49, paragraphe 1, du code de la navigation est opposable à tous les opérateurs exerçant des activités sur le territoire italien. Par conséquent, ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 51 de ses conclusions, tous les opérateurs économiques sont confrontés à la même préoccupation, qui est de savoir s’il est économiquement viable de candidater et de soumissionner en vue de l’attribution d’une concession en sachant que, à son expiration, les ouvrages inamovibles construits seront incorporés au domaine public.
51 En outre, cette disposition ne porte pas, en tant que telle, sur les conditions de l’établissement des concessionnaires autorisés à exploiter une activité touristico-récréative sur le domaine public maritime italien. En effet, ladite disposition prévoit seulement que, à l’expiration de la concession et à défaut de stipulation contraire dans l’acte de concession, les ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire seront incorporés immédiatement et sans compensation financière dans le domaine public maritime.
52 Si l’article 49, paragraphe 1, du code de la navigation n’a donc pas pour objet de régler les conditions relatives à l’établissement des entreprises concernées, il y a lieu également de vérifier qu’il ne produit pas tout de même des effets restrictifs au sens de la jurisprudence citée au point 49 du présent arrêt.
53 À cet égard, il convient de relever que l’article 49 du code de la navigation se borne à tirer les conséquences des principes fondamentaux de la domanialité publique. En effet, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné au point 47 de ses conclusions, l’appropriation gratuite et sans indemnisation par la personne publique concédante des ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire sur le domaine public constitue l’essence même de l’inaliénabilité du domaine public.
54 Le principe d’inaliénabilité implique notamment que le domaine public reste la propriété de personnes publiques et que les autorisations d’occupation domaniales sont précaires, en ce sens qu’elles ont une durée déterminée et qu’elles sont, de surcroît, révocables.
55 Conformément à ce principe, le cadre normatif applicable, en l’occurrence, à une concession d’occupation du domaine public fixe, sans la moindre équivoque, le terme de l’autorisation d’occupation qui est consentie. Il s’ensuit que SIIB ne pouvait ignorer, dès la conclusion du contrat de concession, que l’autorisation d’occupation domaniale qui lui avait été attribuée était précaire et révocable.
56 Par ailleurs, il apparaît que les éventuels effets restrictifs de cet article 49, paragraphe 1, sur la liberté d’établissement sont trop aléatoires et trop indirects, au sens de la jurisprudence citée au point 49 du présent arrêt, pour que cette disposition puisse être regardée comme étant de nature à entraver cette liberté.
57 En effet, dès lors que ledit article 49, paragraphe 1, prévoit expressément la possibilité de déroger par contrat au principe de l’incorporation immédiate sans aucune indemnité ni remboursement des ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire sur le domaine public maritime, cette disposition met en exergue la dimension contractuelle, et donc consensuelle, d’une concession d’occupation du domaine public. Il s’ensuit que l’incorporation immédiate, gratuite et sans indemnisation des ouvrages inamovibles construits par le concessionnaire sur ce domaine ne saurait être appréhendée comme un mode de cession forcée de ces ouvrages.
58 Enfin, le point de savoir s’il s’agit d’un renouvellement ou de la première attribution d’une concession ne saurait avoir aucune incidence sur l’appréciation de l’article 49, paragraphe 1, du code de la navigation. À cet égard, il suffit de constater que le renouvellement d’une concession d’occupation du domaine public se traduit par la succession de deux titres d’occupation du domaine public et non par la perpétuation ou la prorogation du premier. Au demeurant, une telle interprétation est de nature à garantir que l’attribution d’une concession ne puisse intervenir qu’à l’issue d’une procédure de mise en concurrence plaçant l’ensemble des candidats et des soumissionnaires sur un pied d’égalité.
59 Il importe encore de préciser que l’interprétation de l’article 49 TFUE fournie aux points 50 à 58 du présent arrêt n’est pas infirmée par « les principes qui peuvent être tirés de l’arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60) » que la juridiction de renvoi vise dans sa question.
60 Dans cette affaire, qui concernait le secteur des jeux de hasard, les concessionnaires utilisaient, pour exercer leur activité économique, des biens dont ils étaient véritablement propriétaires. En revanche, dans la présente affaire et ainsi que l’a fait valoir le gouvernement italien dans ses observations écrites, l’autorisation d’occupation du domaine public maritime dont bénéficiait SIIB ne lui conférait qu’un simple droit de superficie à caractère transitoire sur les ouvrages inamovibles qu’elle avait construits sur ce domaine.
61 En outre, il découle du point 43 de l’arrêt du 28 janvier 2016, Laezza (C‑375/14, EU:C:2016:60) qu’une mesure ordonnant la cession à titre gratuit de l’usage des biens nécessaires à l’exploitation des jeux de hasard relevait du registre de la sanction, en ce qu’elle s’imposait au concessionnaire et qu’il ne pouvait pas la négocier. En revanche, dans la présente affaire, la question de savoir si les biens construits par le concessionnaire sur le domaine public au cours de la concession doivent intégrer le domaine public gratuitement relève d’une négociation contractuelle entre la personne publique concédante et son concessionnaire. En effet, aux termes de l’article 49, paragraphe 1, du code de la navigation, ce n’est qu’à titre supplétif (« Sauf convention contraire dans l’acte de concession ») que, « lorsque la concession prend fin, les ouvrages inamovibles construits sur le domaine public restent acquis à l’État, sans aucune indemnité ni remboursement, sans préjudice du droit de l’autorité concédante d’en ordonner la démolition, avec remise du domaine public dans son état initial ».
62 Par conséquent, il convient de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une règle nationale qui prévoit que, à l’expiration d’une concession d’occupation du domaine public et sauf stipulation contraire dans l’acte de concession, le concessionnaire est tenu de céder, immédiatement, gratuitement et sans indemnisation, les ouvrages inamovibles qu’il a réalisés sur la dépendance concédée, même en cas de renouvellement de la concession.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :
L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une règle nationale qui prévoit que, à l’expiration d’une concession d’occupation du domaine public et sauf stipulation contraire dans l’acte de concession, le concessionnaire est tenu de céder, immédiatement, gratuitement et sans indemnisation, les ouvrages inamovibles qu’il a réalisés sur la dépendance concédée, même en cas de renouvellement de la concession.