Cass. crim., 14 juin 2023, n° 14-20.232
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. BONNAL
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. A l'issue d'une enquête portant sur les activités de diverses sociétés gérées par M. [N] [W] et par Mme [G] [T], son épouse, à la suite de multiples plaintes émanant d'investisseurs ayant indiqué n'avoir pu récupérer les fonds qu'ils leur avaient apportés, les intéressés ont été poursuivis devant le tribunal correctionnel qui, par jugement du 14 février 2019, les a condamnés, le premier, pour escroqueries, complicité d'abus de confiance, à trente mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve, la seconde, pour escroqueries et complicité, abus de confiance, à trente mois d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis et mise à l'épreuve, dix ans d'interdiction de gérer, et a prononcé sur les intérêts civils.
3. Ils ont relevé appel de cette décision. Le ministère public ainsi que certaines parties civiles ont formé appel incident.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première, cinquième, sixième et septième branches, le deuxième moyen, pris en ses première, troisième, quatrième et cinquième branches, le troisième moyen, pris en ses première et troisième branches, et les quatrième, cinquième et sixième moyens
4. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission des pourvois au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Sur le premier moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche et le troisième moyen, pris en ses deuxième et quatrième branches
Enoncé des moyens
5. Le premier moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W], en sa qualité de gérant de la société [3] [M], coupable d'abus de confiance au préjudice des plaignants, alors :
« 2°/ que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; que l'arrêt ayant constaté que les sommes versées par les plaignants avaient été portées à leur crédit en comptes courants d'associés de la SARL [3] [M], et cette société étant devenue ainsi propriétaire des sommes mises à sa disposition, à charge pour elle de les rembourser, la cour d'appel, en déclarant le prévenu coupable d'abus de confiance, cependant que la remise n'avait pas été effectuée à titre précaire, a méconnu l'article 314-1 du code pénal ;
3°/ que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que [U] [Y], en son nom personnel, a signé le 12 décembre 2013 une déclaration de contrat de prêt, d'un montant en principal de 10 000 euros, d'une durée indéterminée au profit de l'emprunteur [N] [W] ; qu'en déclarant le prévenu coupable d'abus de confiance, cependant qu'il était devenu propriétaire des fonds prêtés, la cour d'appel a méconnu l'article 314-1 du code pénal ;
4°/ que le prévenu faisait valoir dans ses conclusions régulièrement déposées, preuves à l'appui, que [R] [E] avait versé 10 000 euros le 31 octobre 2011 en paiement de prestations de conseils réalisées pour son compte par la SARL [3] [M] ; qu'en déclarant le prévenu coupable d'abus de confiance et en le condamnant à payer à la partie civile la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice financier, sans répondre à ce moyen qui était de nature à démontrer que l'infraction n'était pas constituée, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 593 du code de procédure pénale. »
6. Le deuxième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [W] et Mme [T], épouse [W], en leur qualité de cogérants de la société [1], coupables d'abus de confiance au préjudice des plaignants, alors :
« 2°/ que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; que l'arrêt ayant constaté que les sommes versées par les plaignants avaient été portées à leur crédit en comptes courants d'associés de la SARL [1], et cette société étant devenue ainsi propriétaire des sommes mises à sa disposition, à charge pour elle de les rembourser, la cour d'appel, en déclarant les prévenus coupables d'abus de confiance, cependant que la remise n'avait pas été effectuée à titre précaire, a méconnu l'article 314-1 du code pénal . »
7. Le troisième moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [T], épouse [W], en sa qualité de gérante de la société [1], coupable d'abus de confiance au préjudice des plaignants, et M. [W] coupable de complicité de ce chef, alors :
« 2°/ que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire ; que l'arrêt ayant constaté que la somme de 130 000 euros versée par [I] [M] avait été portée à son crédit en compte courant d'associé de la SARL [1], et cette société étant devenue ainsi propriétaire de la somme mise à sa disposition, à charge pour elle de la rembourser, la cour d'appel, en déclarant la prévenue coupable d'abus de confiance, cependant que la remise n'avait pas été effectuée à titre précaire, a méconnu l'article 314-1 du code pénal ;
4°/ que la complicité suppose un fait principal punissable ; que la cassation à intervenir sur le fondement de l'une ou l'autre des trois premières branches du moyen s'étendra par voie de conséquence à la déclaration de culpabilité de M. [W] du chef de complicité d'abus de confiance. »
Réponse de la Cour
8. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 314-1 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :
9. Selon le premier de ces textes, l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire.
10. Selon le second, tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
11. Pour requalifier les faits d'escroquerie reprochés à M. [W] en sa qualité de gérant de la société [3] [M] et le déclarer coupable d'abus de confiance, l'arrêt attaqué, après avoir rappelé qu'entre le mois d'octobre 2011 et le mois de décembre 2015, le prévenu avait cédé des parts de cette société à sept personnes en leur remettant des bordereaux de dépôts de fonds en comptes courants d'associés, énonce que les éléments de la procédure permettent de constater que les fonds ont été remis à M. [W] à titre de mandat, l'intéressé ayant, pour chacun, mandat d'investir au nom du plaignant dans le compte courant d'associé de la société [3] [M], ces sommes non remises à titre d'honoraires ou de provisions n'ayant subi aucun transfert de propriété, la volonté des cocontractants ayant été d'affecter ces remises de fonds à un compte courant d'associé en vue d'un placement rémunérateur ou, pour le cas de M. [U] [Y] à titre de prêt d'une durée non déterminée, donc remboursable à tout moment.
12. Les juges ajoutent qu'aucune convention de blocage n'avait été signée pour ces remises de fonds en comptes courants d'associés, ainsi que cela résulte notamment du rapport d'expertise déposé dans une instance commerciale parallèle, et qu'en l'absence d'une telle convention, qui n'a pas été démentie par le prévenu, lequel argue seulement de difficultés de gestion le mettant dans l'impossibilité de restitution de ces sommes, les dispositions légales du droit des sociétés rendaient les sommes investies exigibles à tout moment.
13. Pour requalifier les faits d'escroquerie reprochés aux prévenus en leurs qualités de cogérants de la société [1] et les déclarer coupables d'abus de confiance, l'arrêt relève que ces derniers ont proposé à quatre particuliers et six sociétés d'entrer au capital social de la société [1], en apportant en qualité d'associés des fonds devant être rémunérés à hauteur de 6,5 % l'an, des bordereaux de dépôts de fonds en comptes courants d'associés leur étant délivrés.
14. Les juges retiennent que les divers plaignants ont remis des sommes à M. [W], en sa qualité de cogérant de la société [1], sur des comptes courants d'associés de cette société, avec mandat donné et accepté de les faire fructifier, sans conventions de blocage, et que par le biais de la notion de gestion centralisée de trésorerie, ces fonds ont ensuite été transférés, sans respect de la notion d'équilibre financier entre les sociétés liées par ces conventions, au profit d'autres sociétés du groupe, la trésorerie finale ne permettant plus la restitution des sommes à l'ensemble de ces plaignants.
15. Ils précisent que Mme [T] ayant géré avec son mari les fonds remis par les plaignants, dans les conditions déjà exposées, puis les ayant transférés au profit des diverses sociétés du groupe et étant dans l'impossibilité de les restituer a, pour les mêmes raisons, commis le délit d'abus de confiance.
16. Pour déclarer Mme [T], en sa qualité de cogérante de la société [1], coupable d'abus de confiance et M. [W] coupable de complicité, l'arrêt indique que les éléments de la procédure démontrent que M. [M] ayant apporté le 25 mai 2010 en compte courant d'associé dans la société [1] la somme de 130 000 euros afin d'acquérir les murs des locaux commerciaux utilisés par la société [2], Mme [T] n'a aucunement acquis ces murs, a immédiatement transféré une grande partie de la somme, à hauteur de 42 000 euros en juin 2010 au profit de la société [1] et de 67 000 euros en juillet 2010 au profit de la trésorerie de la société [2], l'immédiateté de ces transferts démontrant l'absence totale d'une quelconque intention de concrétiser un projet immobilier, et n'a pu restituer ces fonds à ce plaignant.
17. Les juges ajoutent que l'infraction de complicité est établie dans la mesure où M. [W] a assisté son épouse dans la commission de cette infraction, en remettant un bordereau de dépôt de fonds de la somme de 130 000 euros à M. [M] et en s'accordant sur les transferts des fonds par débits du compte de la société [1] alors que la majorité du capital de cette société appartenait à la société [1] dont il était avec son épouse le cogérant.
18. En se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer sur la nature de la remise des fonds auprès des sociétés [3] [M], [1] et [1], sur des comptes courants d'associés, ou de celle effectuée par M. [Y] ou Mme [E], alors que l'abus de confiance ne peut porter que sur des fonds, valeurs ou biens remis à titre précaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
19. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.
Portée et conséquences de la cassation
20. Il apparaît d'une bonne administration de la justice, en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, d'ordonner que l'annulation aura effet à l'égard de la société [1], condamnée du chef d'abus de confiance, et de la SCI [3], condamnée du chef de recel d'abus de confiance, qui ne se sont pas pourvues.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Bordeaux, en date du 17 mars 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT qu'en application de l'article 612-1 du code de procédure pénale, et dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, la cassation aura effet à l'égard des sociétés [1] et SCI [3], qui ne se sont pas pourvues ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Bordeaux, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé.