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Décisions

Cass. crim., 14 juin 2023, n° 22-85.609

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BONNAL

Versailles, du 15 sept. 2022

15 septembre 2022

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 4 février 2014, M. [C] [K] et Mme [I] [K] ont porté plainte avec constitution de partie civile dénonçant notamment des faits d'escroquerie commis par M. [W] [B].

3. A l'issue de l'information judiciaire, M. [B] a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour avoir, entre le 16 octobre 2008 et le 31 mai 2013, en employant des manoeuvres frauduleuses, obtenu, d'une part, de M. et Mme [K], la remise de fonds aux fins de prétendues acquisitions mobilières et immobilières et, d'autre part, de M. [K], la remise de fonds aux fins d'une prétendue acquisition de parts sociales.

4. Les juges du premier degré ont relaxé le prévenu pour les faits d'escroquerie portant sur la prétendue acquisition de parts sociales commis après le 1er décembre 2012 et l'ont condamné pour le surplus.

5. Le prévenu et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Sur la recevabilité du mémoire personnel produit en défense

6. Le mémoire produit par les défendeurs au pourvoi n'est pas signé par un avocat à la Cour de cassation. Il est irrecevable, en application de l'article 585 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'acquisition de la prescription de l'action publique mais seulement concernant le délit d'escroquerie par manoeuvres frauduleuses, en l'espèce la cession de parts sociales des sociétés [2] et [3] commis par M. [B], à compter du 2 décembre 2012, et a déclaré M. [B] coupable d'escroquerie pour avoir, à [Localité 1], du 16 octobre 2008 au 31 mai 2013, par usage de la fausse qualité d'intermédiaire de notaire et en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en ayant produit de fausses attestations détaillant « la consistance des biens acquis » et autre « protocole de cession » sur les biens mobiliers et immobiliers acquis, ainsi que sur certains loyers déjà perçus et à percevoir, d'un montant de 3 944,48 euros, trompé M. et Mme [K] pour les déterminer à lui remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, en l'espèce des chèques et de l'argent liquide pour un montant de 660 631,49 euros qui lui avait été remis et qu'il avait accepté à charge de les rendre ou les représenter ou d'en faire un usage déterminé et ce au préjudice de M. et Mme [K], en l'espèce l'achat de biens mobiliers et immobiliers, alors :

« 1°/ que le point de départ de la prescription du délit d'escroquerie, infraction instantanée, court à compter de la remise des fonds ; qu'en l'espèce, après avoir relevé que le premier acte d'interruption de la prescription était le 4 février 2014, date du dépôt de la plainte avec constitution de partie civile des époux [K], M. [B] concluait à la prescription de l'action publique en observant qu'il ressortait du procès-verbal de synthèse de remise des chèques qu'il n'avait pas perçu de fonds en 2011 (D 271) ; qu'en faisant courir le délai de prescription de l'action publique à compter du 29 mai 2013 au motif « qu'il existe bien en l'espèce des manoeuvres frauduleuses ayant dissimulé la commission des faits et que le point de départ de la prescription doit être fixé au 29 mai 2013, date de l'avis de rejet du chèque à partir de laquelle les époux [K] ne pouvaient plus ignorer avoir été victimes d'une escroquerie », quand seule la date de remise des fonds pouvait faire courir la prescription, la cour d'appel a violé les articles 6, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 313-1 du code pénal, 8 (dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017), 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 8 du code de procédure pénale, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2017-242 du 27 février 2017, et l'article 313-1 du code pénal :

8. Il résulte de ces textes qu'en matière d'escroquerie, le point de départ du délai de prescription est le jour de la dernière remise des fonds frauduleusement obtenus et ne peut être retardé au moment de la découverte de l'infraction.

9. Pour écarter le moyen de nullité, tiré de la prescription de l'action publique des faits d'escroquerie portant sur les prétendues acquisitions mobilières et immobilières, l'arrêt attaqué énonce que, à l'époque de la prévention, l'article 8 du code de procédure pénale prévoyait une prescription triennale des faits, et que la jurisprudence admet que le point de départ du délai de prescription de l'escroquerie peut être repoussé au jour à compter duquel l'infraction a été découverte dans des conditions permettant la mise en mouvement de l'action publique à condition de caractériser l'existence de manoeuvres frauduleuses ayant pour but ou pour effet de dissimuler sa commission.

10. Les juges ajoutent qu'en l'espèce le prévenu s'est livré à différentes manoeuvres afin de dissimuler la commission de l'escroquerie, de sorte que ce n'est qu'en mai 2013 que les époux [K] ont découvert avoir été escroqués s'agissant des sommes remises aux fins de prétendues acquisitions mobilières et immobilières.

11. Ils en déduisent que le point de départ du délai de prescription de l'action publique doit être fixé, s'agissant de ces faits, au 29 mai 2013 et que, à la date où cette prescription a été interrompue par la réception de la plainte avec constitution de partie civile des époux [K] par le doyen des juges d'instruction, soit le 4 février 2014, la prescription n'était pas acquise.

12. En se déterminant ainsi, et sans fixer la date du dernier acte de remise, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

13. La cassation est par conséquent encourue, sans qu'il y ait lieu d'examiner l'autre grief.

Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

14. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a constaté l'acquisition de la prescription de l'action publique mais seulement concernant le délit d'escroquerie par manoeuvres frauduleuses, en l'espèce la cession de parts sociales des sociétés [2] et [3] commis par M. [B], à compter du 2 décembre 2012, et a déclaré M. [B] coupable d'escroquerie pour avoir, à [Localité 1], du 16 octobre 2008 au 1er décembre 2012, en usant de la fausse qualité d'inventeur et en employant des manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en ayant fourni des documents relatifs à des cessions de parts de la société [3] des 2 mai 2009, 14 septembre 2009, 16 décembre 2008 et l'attestation de cession de 306 parts actions de la société [2] au profit de M. [K] établi à l'été 2012 pour la somme de 306 euros alors même qu'aucune démarche d'enregistrement ou de dépôt de ces actes au registre du commerce et des sociétés n'était effectuée, trompé M. et Mme [K] pour les déterminer à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, alors « que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ; qu'en déclarant M. [B] coupable d'escroquerie au titre de faits, commis sur la période du 16 octobre 2008 au 1er décembre 2012, après avoir pourtant constaté que « la prescription est acquise le 1er décembre 2012, soit trois ans après la dernière remise de document en lien avec les cessions de parts sociales » la cour d'appel qui s'est contredite a violé l'article 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour 

Vu l'article 593 du code de procédure pénale :

15. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

16. Pour écarter le moyen de nullité, tiré de la prescription de l'action publique des faits d'escroquerie portant sur la prétendue acquisition de parts sociales, commis entre le 16 octobre 2008 et le 1er décembre 2012, l'arrêt attaqué énonce, s'agissant de ces faits, d'une part, que la prescription est acquise le 1er décembre 2012, et, d'autre part, que le premier acte interruptif de la prescription intervient le 4 février 2014.

17. En se déterminant ainsi, la cour d'appel s'est contredite et n'a pas justifié sa décision.

18. La cassation est par conséquent à nouveau encourue.

Portée et conséquences de la cassation

19. La cassation concerne toutes les dispositions de l'arrêt sauf celles relatives à la relaxe de M. [B] du chef d'escroquerie portant sur la cession de parts sociales pour la période du 2 décembre 2012 au 31 mai 2013.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Versailles, en date du 15 septembre 2022, sauf en ses dispositions relatives à la relaxe de M. [B] du chef d'escroquerie portant sur la cession de parts sociales pour la période du 2 décembre 2012 au 31 mai 2013 ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Versailles et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé.