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Décisions

Cass. crim., 28 juin 2023, n° 21-85.940

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. BONNAL

Nîmes, du 16 sept. 2021

16 septembre 2021

Reprise d'instance

1. Il résulte de la copie d'un acte de décès dressé par le service de l'état civil de la commune [Localité 4] que [R] [S] est décédé le [Date décès 1] 2022.

2. Par mémoire de reprise d'instance déposé le 11 mai 2023, Mme [P] [S] est intervenue en sa qualité d'héritière.

3. Il lui est donné acte de cette reprise d'instance.

Faits et procédure

4. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

5. La plainte qu'il avait adressée le 19 octobre 2017 au procureur de la République ayant été classée sans suite, [R] [S] a porté plainte et s'est constitué partie civile le 27 mai 2019 contre personne non dénommée des chefs d'abus de biens sociaux et escroquerie, en dénonçant des détournements commis entre 2010 et 2012 au préjudice de la société [5] ([5]).

6. La société [5] a été constituée par son actionnaire unique, M. [Z] [T], sous forme de société par actions simplifiée. Sa présidente en était la société de droit allemand [2] ([2]).

7. La société [5] avait pour activité l'achat de métaux précieux auprès de particuliers et leur revente à sa seule cliente, la société de droit allemand [3] ([3]), également dirigée et contrôlée par M. [T].

8. [R] [S] a occupé les fonctions de directeur général de la société [5] depuis le [Date décès 1] 2004, d'abord cumulées avec un contrat de travail, puis uniquement dans le cadre d'un mandat social à compter du 6 juin 2011.

9. La société ayant rencontré des difficultés financières à partir de 2011, elle a été placée en redressement judiciaire le 20 juillet 2012 puis en liquidation judiciaire le 17 août 2012.

10. Dans un rapport déposé le 8 janvier 2016, l'expert-comptable désigné en qualité de technicien par le juge-commissaire a révélé des faits de détournement de métaux livrés mais non réglés à la société [5] par la société [3], privant la première d'un chiffre d'affaires évalué à 4 202 247 euros qui aurait permis d'éviter le dépôt de bilan.

11. [R] [S] a allégué que les abus de biens sociaux lui ont occasionné un préjudice financier, lié à la cessation de ses fonctions du fait de la liquidation judiciaire, et un préjudice moral, lié à sa mise en cause dans le cadre d'une action en responsabilité pour insuffisance d'actif.

12. Par ordonnance en date du 26 avril 2021, le juge d'instruction a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de [R] [S].

13. Celui-ci a relevé appel de cette décision.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches et le second moyen, pris en sa troisième branche

14. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le premier moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

Enoncé du moyen

15. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, alors :

« 2°/ qu'en se bornant, pour juger que le délit d'abus de biens sociaux n'avait pas été dissimulé, à faire état des conclusions de l'expert selon lesquelles « la société [5] pouvait grâce au livre de police informatique (à partir de 2010) infalsifiable, contrôler au gramme près les quantités de métaux précieux achetés », sans répondre au moyen tiré de ce que le contrôle des opérations litigieuses au sein de la société [5] n'appartenait qu'à M. [T] et à la société [3] qui, en tant qu'auteurs supposés des faits, n'avaient aucun intérêt à dénoncer les opérations et que le plaignant n'avait eu aucun moyen d'effectuer un tel contrôle avant le dépôt du rapport définitif de l'expert désigné en justice, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles préliminaire, 7, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble de l'article L. 242-6 du code de commerce ;

3°/ que constitue une dissimulation susceptible d'entraîner le report du point de départ de la prescription non seulement un acte positif mais également une omission montrant sans ambiguïté la volonté de l'auteur de cacher les faits ; qu'en jugeant que les faits susceptibles de revêtir la qualification d'abus de biens sociaux n'avaient pas été dissimulés, après avoir pourtant fait état des conclusions de l'expert qui s'étonnait de ce qu'aucune procédure de vérification n'avait été mise en place par les sociétés [2] et [3] et qui relevait les liens étroits entre ces deux sociétés, ce dont elle aurait dû déduire une dissimulation manifestant la volonté de ces sociétés de cacher les faits, la chambre de l'instruction n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles préliminaire, 7, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale, ensemble de l'article L. 242-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

16. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile en raison de la prescription du délit d'abus de biens sociaux et confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt attaqué énonce que la prescription peut se trouver suspendue, en cas de dissimulation, jusqu'au jour où le délit est apparu, et que selon la jurisprudence de la Cour de cassation, il appartient au juge d'apprécier si la victime était antérieurement en mesure de découvrir les détournements.

17. Les juges ajoutent que si [R] [S] fait valoir que les faits n'auraient été révélés qu'à l'occasion du rapport du technicien désigné par le tribunal de commerce de Nîmes déposé le 8 janvier 2016, ce même rapport fait état de ce que la société [5] pouvait, grâce au livre de police informatique (à partir de 2010) infalsifiable, contrôler au gramme près les quantités de métaux précieux achetés, et qu'il paraît alors totalement aberrant que la société [2], présidente de [5] (qui semble en lien étroit avec [T]), ainsi que la société [3] (actionnaire unique de [5]) n'aient pas avec [R] [S] (directeur général de [5]) mis en place une procédure de vérification.

18. Ils en concluent que, sauf à admettre de la part de l'ensemble des intervenants une absence totale de contrôle, l'existence d'une dissimulation ayant reporté la date du début de prescription de l'infraction d'abus de biens sociaux ne peut être retenue.

19. En l'état de ces énonciations, dont il résulte l'absence d'une dissimulation des faits de nature à reporter le point de départ de la prescription, la chambre de l'instruction a, par des motifs relevant de son appréciation souveraine, exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux articulations essentielles des mémoires des parties, justifié sa décision.

20. Ainsi, le moyen doit être écarté.

Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

21. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance d'irrecevabilité de sa constitution de partie civile, alors :

« 1°/ que la constitution de partie civile est recevable, devant la juridiction d'instruction, dès lors que son auteur établit la possibilité d'un préjudice en rapport avec les faits poursuivis ; qu'est recevable en sa constitution de partie civile formée devant les juridictions d'instruction, le dirigeant invoquant un préjudice résultant de faits d'abus de biens sociaux commis par un autre dirigeant de la société ; qu'en l'espèce, en se bornant à indiquer que la personne morale était la seule victime directe des détournements dénoncés et qu'il ne pouvait être établi que la perte de revenus du plaignant, qu'elle constatait, résultait de la commission des infractions, sans répondre au moyen faisant précisément valoir que la liquidation judiciaire de [5], dont le plaignant était dirigeant, avait été volontairement précipitée par les manoeuvres de M. [T], la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision et a violé les articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1240 du code civil ;

2°/ qu'en se bornant, pour rejeter le moyen invoquant l'existence d'un préjudice moral résultant des accusations formées par M. [T] et le liquidateur de la société [5], à retenir que le plaignant a été mis hors de cause dans le rapport du 8 janvier 2016 puis par le jugement du 26 février 2019, de tels motifs étant impropres à écarter l'existence d'un préjudice moral, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision au regard des articles 2, 3, 591 et 593 du code de procédure pénale, 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

22. Pour dire irrecevable la constitution de partie civile de [R] [S] du chef d'abus de biens sociaux et confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt énonce que les éléments de la plainte ne répondent pas à l'exigence selon laquelle les circonstances sur lesquelles la plainte s'appuie doivent permettre au juge d'admettre comme possibles l'existence du préjudice allégué et la relation directe de celui-ci avec une infraction à la loi pénale.

23. Les juges relèvent, s'agissant du préjudice matériel invoqué, consistant en une perte d'activité et de revenus subséquente, qu'il ne peut être considéré comme étant directement lié aux infractions mentionnées dans la plainte, la société [5] étant la seule victime directe des détournements dénoncés.

24. Ils retiennent, s'agissant du préjudice moral allégué par [R] [S], que celui-ci résulte pour l'essentiel de deux agressions à main armée subies en 2011 et 2012, qui apparaissent sans lien avec les faits de détournements visés dans la plainte.

25. Ils ajoutent, s'agissant du préjudice moral qui résulterait des accusations publiques formulées par M. [T], que les infractions dénoncées dans la plainte n'en sont pas à l'origine et que [R] [S] a été mis hors de cause dans le cadre de la procédure commerciale.

26. En statuant ainsi, et dès lors que le délit d'abus de biens sociaux n'occasionne un dommage personnel et direct qu'à la société elle-même et non à son dirigeant, la chambre de l'instruction n'a méconnu aucun des textes visés au moyen.

27. Ainsi, le moyen doit être écarté.

28. Par ailleurs, l'arrêt est régulier en la forme.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.