Décisions
CA Angers, ch. prud'homale, 4 juillet 2024, n° 21/00586
ANGERS
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00586 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E47F.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 24 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F19/00335
ARRÊT DU 04 Juillet 2024
APPELANT :
Monsieur [H] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Pascal LAURENT de la SELAS AVOCONSEIL, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître Anne-Eugénie FAURE avocat plaidant au barreau de PARIS - N° du dossier 210343
INTIMEE :
S.A.S. M&A PREVENTION
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître Olivier HAINAUT, avocat plaidant au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
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FAITS ET PROCÉDURE
La Sas M&A Prévention dispense des formations aux risques routiers aux personnels des entreprises et collectivités locales, et aux sociétaires des compagnies d'assurance. Elle est détenue à 51% par l'Automobile Club de l'Ouest (ACO) et à 49% par la Matmut. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des services de l'automobile.
M. [H] [T] a été engagé par la société M&A Prévention dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 mai 2011, en qualité de directeur commercial. Il percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 6 998,62 euros selon lui, et de 6 591,16 euros selon l'employeur.
Par courrier du 4 février 2019, la société M&A Prévention a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 18 février 2019. Cette convocation était assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mars 2019, la société M&A Prévention a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave lui reprochant en substance une perte d'exploitation de l'ordre de 200 000 euros, et d'avoir exigé le paiement de commissions de la part d'un prestataire sous peine de ne plus travailler avec la société, lesquelles lui ont été versées d'une part en espèces et d'autre part via l'entreprise de son fils pour des prestations fictives.
Parallèlement, M. [R] [C], président de la société M&A Prévention, a déposé une plainte pénale à l'encontre de M. [T] pour ces derniers agissements. M. [T] a été reconnu coupable d'escroquerie à l'égard de la société M&A Prévention par jugement du tribunal correctionnel du 9 octobre 2020 et condamné à lui verser des dommages et intérêts. Cette décision est définitive.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans par requête du 15 juillet 2019 pour obtenir la condamnation de la société M&A Prévention au paiement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire, et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 23 décembre 2020, il a sollicité en outre que soit prononcée la nullité de la convention de forfait en jours et la condamnation de son employeur à lui verser un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, les congés payés afférents et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
La société M&A Prévention s'est opposée aux prétentions de M. [T] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- déclaré M. [T] recevable en toutes ses demandes ;
- dit que la convention de forfait en jours conclue entre M. [T] et la société M&A Prévention est licite ;
- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes relatives à la convention de forfait en jours ;
- dit que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave ;
- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes relatives à son licenciement ;
- condamné M. [T] à verser la somme de 1500 euros à la société M&A Prévention en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [T] aux entiers dépens.
M. [T] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 27 octobre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans l'annexe jointe à sa déclaration.
La société M&A Prévention a constitué avocat en qualité d'intimée le 16 février 2022.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 avril 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 7 mai 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [T], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- constater l'effet dévolutif de l'appel interjeté et en conséquence, dire que la cour est valablement saisie de son appel ;
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du Mans du 24 septembre 2021 en ce qu'il :
- dit que la convention de forfait jours est licite ;
- dit que son licenciement repose sur une faute grave ;
- l'a débouté de ses demandes ;
- l'a condamné à verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société M&A Prévention ;
- le confirmer en ce qu'il a dit que la demande de nullité du forfait jours est recevable ;
Et statuant à nouveau :
- fixer la moyenne de ses 12 derniers mois de salaire à 6 998,62 euros ;
- constater la nullité de la convention de forfait en jours ;
- condamner la société M&A Prévention au paiement de la somme de 110 633,05 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre celle de 11 063,30 euros au titre des congés payés afférents ;
- condamner la société M&A Prévention à lui payer la somme de 41 989,20 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;
- juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société M&A Prévention à lui payer les sommes suivantes :
- salaire pendant la mise à pied du 05/02/2019 au 08/03/2019 : 7 804,90 euros ;
- indemnité de congés payés sur mise à pied : 780,49 euros ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 10 964,51 euros ;
- préavis (2 mois) : 13 997,24 euros ;
- indemnité de congés payés sur préavis :1 399,72 euros ;
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 126 000 euros ;
- article 700 du code de procédure civile en appel : 3 000 euros ;
- ordonner la remise de l'attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
M. [T] fait d'abord valoir que sa déclaration d'appel emporte effet dévolutif en ce qu'elle mentionne l'existence d'une annexe, laquelle vise les chefs du jugement critiqués conformément au décret du 25 février 2022 applicable aux instances en cours. Sur le fond, s'agissant du licenciement, il soutient que la perte d'exploitation qui lui est reprochée relève de l'insuffisance professionnelle et ne constitue pas un grief disciplinaire outre le fait qu'elle ne lui est pas imputable. Il affirme ensuite que le reproche tenant à la perception de commissions est prescrit. Enfin, il considère que ses demandes relatives à l'exécution du contrat de travail sont recevables, que la convention de forfait en jours n'est pas conforme aux dispositions en vigueur et que l'employeur n'a pas assuré le suivi de sa charge de travail.
* La société M&A Prévention, dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
A titre principal :
- constater l'absence d'effet dévolutif attaché à l'appel interjeté par M. [T], et en conséquence constater n'être saisie d'aucune demande de M. [T] ;
A titre subsidiaire :
- la recevoir en son appel incident, le dire bien fondé et y faire droit ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que M. [T] est recevable en toutes ses demandes ;
Et statuant à nouveau sur ce dernier chef :
- in limine litis, juger irrecevables les nouvelles demandes formulées par M. [T] aux termes de ses écritures en date du 23 décembre 2020 et reprises par ce dernier en cause d'appel, demandes portant sur l'exécution de son contrat de travail ;
- à titre principal sur le fond :
- dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave ;
- en conséquence, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur ce chef de demande ;
- à titre subsidiaire sur le fond :
- dire et juger que la convention individuelle de forfait en jours appliquée à M. [T] est parfaitement licite ;
- en conséquence, dire et juger qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de M. [T] ;
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur ces chefs de demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire sur le fond :
- constater que M. [T] n'a accompli aucune heure supplémentaire ;
- en conséquence, débouter M. [T] de ses demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires et au titre du travail dissimulé ;
- à titre reconventionnel sur le fond : condamner M. [T] à lui rembourser la somme de 8 213,94 euros au titre du remboursement des jours de repos octroyés ;
En tout état de cause, et en rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse infondée :
- fixer à 6 591,16 euros brut la rémunération brute mensuelle de référence de M. [T];
- condamner M. [T] à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner M. [T] aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
In limine litis, la société M&A Prévention fait valoir que la déclaration d'appel de M. [T] n'a aucun effet dévolutif en ce qu'elle ne vise pas les chefs de jugement critiqués. Elle soutient ensuite qu'en sa qualité de directeur commercial, il était chargé d'élaborer le budget, d'en assurer le suivi et de contrôler les dépenses, et que le résultat négatif de l'année 2018 lui est directement imputable. Elle affirme en outre que le grief tenant à la perception de commissions occultes par un prestataire externe n'est pas prescrit, et souligne que M. [T] a pénalement été condamné pour ces faits. Elle considère enfin que les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail sont irrecevables, et subsidiairement sur le fond, avoir valablement appliqué la convention de forfait et assuré le suivi de la charge de travail du salarié.
MOTIVATION
Sur l'effet dévolutif de la déclaration d'appel
In limine litis, la société M&A Prévention fait valoir que la déclaration d'appel du 27 octobre 2021 de M. [T] est dépourvue d'effet dévolutif dès lors qu'aucun chef de jugement n'y est mentionné, et qu'elle ne pouvait être complétée par une annexe que dans l'hypothèse où la limite de 4 080 caractères imposée par le système RPVA aurait rendu l'envoi de la totalité des chefs de jugement critiqués matériellement impossible.
M. [T] conteste l'absence d'effet dévolutif de sa déclaration d'appel dans la mesure où celle-ci vise expressément l'existence d'une annexe contenant les chefs du jugement critiqués conformément au décret du 25 février 2022 qui a été déclaré applicable aux instances en cours.
L'article 901 du code de procédure civile dans sa version en vigueur au 27 février 2022 prévoyant que 'la déclaration d'appel est faite par acte comportant le cas échéant une annexe' est applicable aux instances en cours quand bien même la déclaration d'appel a été faite antérieurement. (2ème Civ, 26 octobre 2023, n°22-16185)
Il s'ensuit que la cour d'appel qui rend son arrêt postérieurement au 27 février 2022, doit appliquer, au besoin d'office, l'article 901 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 qui prévoit que la déclaration d'appel peut comporter une annexe.
En l'espèce, la déclaration d'appel de M. [T] est libellée ainsi : 'appel limité aux chefs de jugement critiqués : voir annexe jointe'. Elle est complétée par une annexe qui vise un par un les chefs de jugement critiqués, c'est-à-dire tous à l'exception de celui l'ayant déclaré recevable en toutes ses demandes.
Il s'ensuit que la déclaration d'appel de M. [T] emporte effet dévolutif et que la cour est saisie des chefs de jugement critiqués visés par l'annexe qui y est jointe.
Il sera toutefois précisé que dans ses dernières écritures, M. [T] ne reprend pas sa demande de dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire dont il a été débouté par le conseil de prud'hommes. Cette disposition est donc considérée comme définitive.
Sur la recevabilité des demandes additionnelles relatives à la nullité de la convention de forfait en jours, au rappel de salaire pour heures supplémentaires, aux congés payés afférents et au travail dissimulé
La société M&A Prévention conclut à l'irrecevabilité de la demande de nullité de la convention de forfait en jours et des demandes subséquentes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents, et d'indemnité pour travail dissimulé dès lors que celles-ci ont été présentées pour la première fois dans le cadre de conclusions communiquées le 23 décembre 2020, et ne figuraient pas dans l'acte introductif d'instance devant le conseil de prud'hommes, lequel portait uniquement sur la contestation de la rupture du contrat de travail.
M. [T] soutient que ses demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par suite de la nullité de la convention de forfait en jours sont liées à sa demande initiale dès lors qu'elles sont de nature identique à celles formulées dans sa demande initiale.
Selon les articles R.1452-1 et R.1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.
La réforme de la procédure prud'homale, introduite par le décret précité applicable aux demandes introduites devant le conseil des prud'hommes à compter du 1er août 2016, a abrogé la règle de l'unicité de l'instance prud'homale.
Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Cette appréciation relève du pouvoir souverain du juge du fond.
Il s'en suit que la suppression de la règle de l'unicité de l'instance prud'homale n'emporte pas interdiction pour un demandeur de former au cours d'une même instance des demandes additionnelles dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, dans sa requête initiale, M. [T] formulait les demandes suivantes:
'- fixation de la moyenne des douze derniers mois : 6 998,62 euros ;
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 126 000 euros ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 9 709,13 euros ;
- préavis (2 mois) : 13 997,24 euros ;
- indemnité de congés payés sur préavis :1 399,72 euros ;
- dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire : 10 000 euros ;
- salaire pendant la mise à pied du 05/02/2019 au 08/03/2019 : 7 804,90 euros ;
- indemnité de congés payés sur mise à pied : 780,49 euros ;
- remise de l'attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
- article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;
- exécution provisoire.'
Dans l'exposé sommaire des motifs de sa requête, M. [T] faisait valoir que le licenciement motivé par une baisse de résultats n'est pas fondé, et contestait les accusations portées à son encontre relatives à la perception de commissions.
Dans ses conclusions communiquées le 23 décembre 2020, M. [T] a sollicité en outre la nullité de la convention de forfait en jours, un rappel de salaire pour heures supplémentaires, les congés payés afférents et une indemnité pour travail dissimulé.
Les demandes initiales se rapportent exclusivement à la rupture du contrat de travail y compris la demande de rappel de salaire correspondant à la mise à pied dans la mesure où celle-ci découle de la qualification de faute grave ou non du licenciement, ce qui se déduit également de l'exposé sommaire des motifs qui n'évoque que la contestation de celui-ci.
Les demandes additionnelles se rapportent quant à elles exclusivement à l'exécution du contrat de travail.
Par conséquent, la cour considère que les demandes additionnelles relatives à la nullité de la convention de forfait en jours, au rappel de salaire pour heures supplémentaires, aux congés payés afférents et à l'indemnité pour travail dissimulé formulées pour la première fois par conclusions du 23 décembre 2020 ne se rattachent pas aux prétentions originaires par un lien suffisant et doivent être déclarées irrecevables.
Le jugement est infirmé de ce chef, ainsi qu'en ce qu'il a statué sur le fond en déclarant licite la convention de forfait en jours, et en déboutant M. [T] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 7 mars 2019 qui fixe les limites du litige est libellée ainsi :
' Suite à notre entretien qui s'est tenu le 18 février 2019, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour faute grave, à raison des manquements qui, pris isolément comme ensemble motivent notre décision.
D'une part, alors que les objectifs 2018 ont été fixés d'un commun accord avec vous, pour tenir compte d'une diminution du chiffre d'affaires, vous avez laissé dériver le coût des prestataires sans prendre aucune mesure corrective.
Dans le même temps vos actions commerciales ont été très insuffisantes.
Cela s'est traduit par une perte d'exploitation de l'ordre de 200 000 euros.
Par ailleurs, nous avons été alertés en février 2019 des accusations portées à votre encontre par un certain M. [Z] qui vous reproche d'avoir exigé de lui le versement de commissions, sous peine de ne plus pouvoir travailler avec la société.
Ces commissions vous ont été versées pour partie en espèces et pour partie par l'intermédiaire de l'entreprise de votre fils qui a facturé des prestations fictives.
Ces commissions représentant environ 17% du montant des prestations du sous-traitant.
Vos explications au cours de notre entretien du 18 février 2019 n'ont fait que renforcer nos soupçons sur cette affaire et nous a conduit à déposer une plainte entre les mains du procureur de la République.
Pour l'ensemble des faits rapportés ci-dessus qui, ensemble comme isolément, justifient la rupture de votre contrat de travail, nous avons donc pris la décision d'y mettre fin pour faute grave.'
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
1. Sur la perte d'exploitation
La société M&A Prévention fait valoir que le résultat négatif constaté à la fin de l'année 2018 est directement imputable à M. [T] compte tenu de sa qualité de cadre dirigeant de l'entreprise et de son rôle dans la construction et le suivi des budgets de la société.
M. [T] considère que ce grief relève de l'insuffisance professionnelle et ne constitue pas un motif disciplinaire. En tout état de cause, il observe que la perte d'exploitation sur l'année 2018 ne lui est pas imputable en ce qu'elle résulte de décisions de gestion qui lui étaient imposées, du désengagement de la Matmut, du dépassement du budget prévisionnel à hauteur de 148 000 euros et du départ de salariés non prévu au budget. Il ajoute qu'aucune insuffisance professionnelle ne peut lui être reprochée dès lors qu'il a développé le chiffre d'affaires sur d'autres clients que la Matmut, ce dans un contexte de suspicion de cette dernière. Il note avoir toujours fait l'objet d'entretiens d'évaluation positifs et avoir perçu chaque année une prime de performance.
La société M&A Prévention communique un tableau récapitulatif du chiffre d'affaires hors Matmut 2018, le tableau de 'l'atterrissage' 2018 présenté par M. [T] au comité de surveillance en fin d'année 2018, et le compte rendu d'entretien annuel 2017 de M. [T] mentionnant que les résultats ne sont pas totalement satisfaisants. Le commentaire de son responsable est le suivant : 'le contexte est difficile avec le retrait progressif de la Matmut de l'activité de M&A. Il faut intensifier la dynamique commerciale pour compenser la perte d'activité et innover au niveau de l'offre. (...) Les objectifs sont ambitieux mais incontournables'.
Il ressort de ces éléments que la société M&A Prévention affichait un résultat net de - 176 145 euros fin 2018, lequel n'est au demeurant pas contesté par M. [T]. Pour autant, ce résultat s'inscrit dans un contexte de désengagement de la Matmut amorcé dès l'exercice précédent, avec des objectifs 2018 qualifiés d'ambitieux par l'employeur lui-même. Il n'est donc pas établi qu'il lui soit imputable. Enfin, ce grief n'entre pas dans le champ disciplinaire et relève davantage de l'insuffisance professionnelle, laquelle n'est pas invoquée par la société M&A Prévention.
Par conséquent, ce grief ne sera pas retenu.
2. Sur la perception de commissions occultes
- Sur la prescription
M. [T] considère que ce grief est prescrit dans la mesure où la procédure de licenciement a été mise en oeuvre le 4 février 2019, soit plus de deux mois après que l'employeur en a eu connaissance. Il affirme avoir demandé un entretien à M. [E], président de l'ACO, à ce sujet, qui s'est tenu le 30 octobre 2018, lors duquel la dénonciation de M. [Z] a été discutée et à l'issue duquel aucune sanction n'a été prise. Il ajoute que son supérieur hiérarchique, M. [N], directeur administratif et financier de l'ACO et de toutes les filiales du groupe dont M&A Prévention, a également eu connaissance des faits à la fin du mois de novembre 2018, et qu'en conséquence, le délai de prescription de deux mois expirait au plus tard fin janvier 2019.
La société M&A Prévention assure avoir été informée des malversations de M. [T] le 23 janvier 2019 par le courrier de M. [N] qui n'est ni salarié en son sein ni a fortiori son supérieur hiérarchique, de sorte qu'aucune prescription ne peut lui être opposée. Elle précise que M. [T] était soumis à l'autorité directe du président, M. [C].
Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail 'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'
En l'espèce, la société M&A Prévention verse aux débats un courrier du 23 janvier 2019 (pièce 5) adressé sur papier à en-tête de l'ACO par M. [N], directeur administratif, juridique et financier de l'ACO, à M. [C], président de la société M&A Prévention, portant à sa connaissance les accusations de M. [Z] à l'encontre de M. [T].
Il précise :
' A l'origine, celui-ci voulait réclamer des droits de propriété intellectuelle sur le travail qu'il a livré à M&A Prévention.
Mais à ce premier litige s'est ajouté l'accusation de versements de commissions à M. [T], accusation qui n'était appuyée par aucun élément de preuve.
Jusque là, il s'agit d'une manifestation de mécontentement d'un prestataire évincé.
Mais plus récemment, il m'a été rapporté verbalement que les commissions étaient versées en liquide à M. [T] pour un montant de l'ordre de 17 000 euros, mais également entre les mains du fils de votre directeur commercial, dénommé [W] [T], en règlement de fausses factures que celui-ci aurait adressées à M. [Z] pour des travaux jamais effectués, mais qui servaient de support juridique aux rétrocommissions. (...)'.
M. [T] communique pour sa part, une invitation Outlook pour un rendez-vous avec M. [E] le 30 octobre 2018 de 18h15 à 18h30 (pièce 30)
Il verse également le procès-verbal d'audition de M. [N] dans le cadre de l'enquête pénale (pièce 41). M. [N] se présente comme 'le directeur administratif et financier de l'ACO et de toutes les filiales du groupe et notamment de M&A Prévention'.
Il détaille ensuite les circonstances dans lesquelles il a été prévenu des agissements de M. [T] :
'Après l'été 2018, M. [Z], fournisseur de M&A a cherché à entrer en contact avec M. [J] [E] le président de l'ACO, pour un problème de droit à l'image sur ses créations.
M. [E] a rencontré [H] [T] à ce sujet et l'affaire a été classée.
M. [Z] est revenu à la charge, et M. [E] m'a demandé de le recevoir. J'ai donc pris rendez-vous avec lui pour aborder ces problèmes de droit à l'image qu'il disait ne pas être respecté.
Je l'ai rencontré au siège de l'ACO à la fin du mois de novembre 2018. Dans un premier temps, nous avons abordé tous les deux les problèmes de droit à l'image sur ses créations. Je lui ai expliqué que les produits qu'il fabriquait pour M&A n'étaient pas soumis au droit à l'image.
La confiance passant entre nous, il m'a alors dit qu'il avait d'autres faits plus graves à me révéler.
Il m'a expliqué qu'il était dans une situation financière très difficile et qu'il n'avait plus beaucoup de clients. Il a ajouté que [H] [T] avait profité de sa situation pour lui demander de l'argent afin qu'il continue à lui donner des marchés.
D'ailleurs, il a ajouté que ses contrats avec M&A s'étaient terminés dès qu'il avait refusé de continuer à payer [H] [T].
J'ai essayé d'en savoir plus sur le mode opératoire de [H] [T] et sur le montant des sommes en jeu.
M. [Z] ne m'a pas donné beaucoup de détails et encore moins de preuve. Il m'a toutefois indiqué que [H] [T] l'avait accompagné à plusieurs reprises au distributeur de billets afin de percevoir des espèces.
M. [Z] a également évoqué le fait que [H] [T] lui faisait parvenir des factures d'une entreprise tenue par son fils, factures sans aucune justification économique. (...)
J'ai avisé de ces faits M. [C] le 23 janvier 2019. Je ne me suis plus occupé de cette affaire par la suite.'
Il ressort d'abord de ces éléments que rien ne vient établir que le 30 octobre 2018, M. [E] aurait été informé des dénonciations de M. [Z] et les aurait évoquées avec M. [T] alors même que, selon M. [N], les deux hommes ne se sont entretenus que du droit à l'image de M. [Z]. En tout état de cause, M. [E] est président de l'ACO. Or, l'ACO n'est pas l'employeur quand bien même il est l'associé majoritaire et M. [T] ne démontre pas être dans un rapport hiérarchique à l'égard de M. [E].
Il en va de même de M. [N] dont il n'est pas justifié qu'il soit salarié de la société M&A Prévention quand bien même celui-ci se présente dans le cadre de l'enquête pénale comme le directeur administratif et financier de toutes les sociétés du groupe, étant
précisé qu'il a porté les révélations de M. [Z] à la connaissance du président de la société M&A Prévention en sa qualité de directeur administratif, juridique et financier de l'ACO, sur papier à en-tête de l'ACO.
Il apparaît ensuite qu'à la supposer exacte, la qualification de directeur administratif et financier de la société M&A Prévention ne confère pas à M. [N] la qualité de supérieur hiérarchique de M. [T], celui-ci étant à la tête d'une direction différente en sa qualité de directeur commercial et aucun élément ne venant établir la réalité d'un tel rapport hiérarchique.
Bien plus, l'organigramme de la société M&A Prévention intégré dans le corps des conclusions de M. [T] le présente comme directement subordonné au président, à l'instar de M. [B], directeur opérationnel (conclusions page 5), et l'appelant écrit lui-même 'par ailleurs, deux salariés dirigeaient l'entreprise : le directeur commercial, M. [T], et le directeur opérationnel, M. [B]' (conclusions page 12). Il ne fait état ni d'une troisième direction ni d'un directeur administratif et financier.
Par conséquent, il doit être considéré que la société M&A Prévention a eu connaissance de la perception par M. [T] de commissions occultes à réception du courrier du 23 janvier 2019, et qu'à la date d'engagement de la procédure de licenciement le 4 février 2019, ce grief n'était pas prescrit.
Ce moyen est rejeté.
- Sur le fond
La société M&A Prévention soutient que M. [T] a usé de son pouvoir de dirigeant de la société M&A Prévention pour percevoir indûment des sommes d'argent d'un prestataire externe. Elle observe qu'il a été lourdement condamné pour ces faits par le tribunal correctionnel, notamment à lui verser des dommages et intérêts de l'ordre de 30 000 euros dont il ne s'est au demeurant pas acquitté. Elle souligne le fait que M. [T] avait de gros besoins financiers, et qu'il ne payait ni le loyer de son logement de fonctions, ni ses factures d'énergie, ni ses impôts pour lesquels elle a été destinataire de plusieurs avis à tiers détenteur.
M. [T] ne conclut ni ne s'explique sur le fond de ce grief.
Il a été vu que lors de son audition, M. [N] a indiqué que M. [Z] s'était plaint de ce que M. [T] conditionnait la poursuite de ses relations contractuelles avec la société M&A Prévention au versement de sommes d'argent à son seul profit, en espèces et par le biais de fausses factures émises par la société de son fils.
Par jugement du tribunal correctionnel du Mans du 9 octobre 2020, M. [T] a été déclaré coupable d'escroquerie et condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis outre 5 ans de privation de son droit d'éligibilité. Il a par ailleurs été condamné à payer à la société M&A Prévention qui s'est constituée partie civile, la somme de 24 810 euros en réparation du préjudice financier, la somme de 500 euros en réparation du préjudice matériel pour trouble de gestion occasionné, ainsi que celle de 1 200 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Il s'ensuit que ce grief dont M. [T] ne conteste au demeurant pas la matérialité est établi.
Ces faits sont constitutifs d'une infraction pénale pour laquelle M. [T] a été déclaré coupable, et ont causé un préjudice conséquent à la société M&A Prévention. Ils sont d'autant plus inadmissibles venant de la part d'un cadre dirigeant, directeur commercial, dont la probité se doit d'être exemplaire notamment vis-à-vis de ses subordonnés, et constituent à eux seuls, un manquement à l'obligation de loyauté tel qu'il ne permettait pas le maintien de M. [T] dans l'entreprise.
Par conséquent, ce seul grief justifie le licenciement pour faute grave de M. [T].
Le jugement est confirmé de ce chef ainsi qu'en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes subséquentes de salaire pendant la mise à pied, d'indemnité de congés payés sur mise à pied, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de préavis, de congés payés sur préavis, et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'attestation Pôle emploi
L'attestation Pôle emploi remise à M. [T] mentionne la prime de performance de 14 000 euros perçue en mars 2018. Elle est conforme aux salaires et primes mentionnées sur ses bulletins de salaire. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi rectifiée.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société M&A Prévention pour ses frais irrépétibles d'appel. Il lui est alloué la somme de 1 500 euros à ce titre.
M. [T] qui succombe à l'instance est condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de sa saisine, contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,
CONSTATE l'effet dévolutif de l'appel interjeté par M. [T] ;
CONFIRME le jugement rendu le 24 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes du Mans sauf en ce qu'il a :
- déclaré recevables les demandes de M. [T] de nullité de la convention de forfait en jours, de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
- déclaré licite la convention de forfait en jours ;
- débouté M. [T] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
DECLARE irrecevables les demandes de M. [T] de nullité de la convention de forfait en jours, de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
CONDAMNE M. [H] [T] à payer à la société M&A Prévention la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;
DEBOUTE M. [H] [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE M. [H] [T] aux dépens d'appel avec distraction au profit de la Selarl Lexavoue Rennes-Angers représentée par Me Inès Rubinel, avocat aux offres de droit.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN
d'ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00586 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E47F.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire du MANS, décision attaquée en date du 24 Septembre 2021, enregistrée sous le n° F19/00335
ARRÊT DU 04 Juillet 2024
APPELANT :
Monsieur [H] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Pascal LAURENT de la SELAS AVOCONSEIL, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître Anne-Eugénie FAURE avocat plaidant au barreau de PARIS - N° du dossier 210343
INTIMEE :
S.A.S. M&A PREVENTION
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Maître Inès RUBINEL de la SELARL LX RENNES-ANGERS, avocat postulant au barreau d'ANGERS et par Maître Olivier HAINAUT, avocat plaidant au barreau du MANS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 Mai 2024 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Clarisse PORTMANN
Conseiller : Madame Rose CHAMBEAUD
Conseiller : Mme Claire TRIQUIGNEAUX-MAUGARS
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 04 Juillet 2024, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Clarisse PORTMANN, président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
La Sas M&A Prévention dispense des formations aux risques routiers aux personnels des entreprises et collectivités locales, et aux sociétaires des compagnies d'assurance. Elle est détenue à 51% par l'Automobile Club de l'Ouest (ACO) et à 49% par la Matmut. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des services de l'automobile.
M. [H] [T] a été engagé par la société M&A Prévention dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 mai 2011, en qualité de directeur commercial. Il percevait en dernier lieu une rémunération mensuelle brute de 6 998,62 euros selon lui, et de 6 591,16 euros selon l'employeur.
Par courrier du 4 février 2019, la société M&A Prévention a convoqué M. [T] à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui s'est tenu le 18 février 2019. Cette convocation était assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 mars 2019, la société M&A Prévention a notifié à M. [T] son licenciement pour faute grave lui reprochant en substance une perte d'exploitation de l'ordre de 200 000 euros, et d'avoir exigé le paiement de commissions de la part d'un prestataire sous peine de ne plus travailler avec la société, lesquelles lui ont été versées d'une part en espèces et d'autre part via l'entreprise de son fils pour des prestations fictives.
Parallèlement, M. [R] [C], président de la société M&A Prévention, a déposé une plainte pénale à l'encontre de M. [T] pour ces derniers agissements. M. [T] a été reconnu coupable d'escroquerie à l'égard de la société M&A Prévention par jugement du tribunal correctionnel du 9 octobre 2020 et condamné à lui verser des dommages et intérêts. Cette décision est définitive.
Contestant le bien fondé de son licenciement, M. [T] a saisi le conseil de prud'hommes du Mans par requête du 15 juillet 2019 pour obtenir la condamnation de la société M&A Prévention au paiement, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, d'un rappel de salaire au titre de la mise à pied conservatoire et des congés payés afférents, d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire, et d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 23 décembre 2020, il a sollicité en outre que soit prononcée la nullité de la convention de forfait en jours et la condamnation de son employeur à lui verser un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, les congés payés afférents et une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
La société M&A Prévention s'est opposée aux prétentions de M. [T] et a sollicité sa condamnation au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement du 24 septembre 2021, le conseil de prud'hommes a :
- déclaré M. [T] recevable en toutes ses demandes ;
- dit que la convention de forfait en jours conclue entre M. [T] et la société M&A Prévention est licite ;
- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes relatives à la convention de forfait en jours ;
- dit que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave ;
- débouté M. [T] de l'intégralité de ses demandes relatives à son licenciement ;
- condamné M. [T] à verser la somme de 1500 euros à la société M&A Prévention en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné M. [T] aux entiers dépens.
M. [T] a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d'appel le 27 octobre 2021, son appel portant sur tous les chefs lui faisant grief ainsi que ceux qui en dépendent et qu'il énonce dans l'annexe jointe à sa déclaration.
La société M&A Prévention a constitué avocat en qualité d'intimée le 16 février 2022.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 avril 2024 et le dossier a été fixé à l'audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale de la cour d'appel d'Angers du 7 mai 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
M. [T], dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
- constater l'effet dévolutif de l'appel interjeté et en conséquence, dire que la cour est valablement saisie de son appel ;
- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes du Mans du 24 septembre 2021 en ce qu'il :
- dit que la convention de forfait jours est licite ;
- dit que son licenciement repose sur une faute grave ;
- l'a débouté de ses demandes ;
- l'a condamné à verser 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à la société M&A Prévention ;
- le confirmer en ce qu'il a dit que la demande de nullité du forfait jours est recevable ;
Et statuant à nouveau :
- fixer la moyenne de ses 12 derniers mois de salaire à 6 998,62 euros ;
- constater la nullité de la convention de forfait en jours ;
- condamner la société M&A Prévention au paiement de la somme de 110 633,05 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires outre celle de 11 063,30 euros au titre des congés payés afférents ;
- condamner la société M&A Prévention à lui payer la somme de 41 989,20 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé ;
- juger que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société M&A Prévention à lui payer les sommes suivantes :
- salaire pendant la mise à pied du 05/02/2019 au 08/03/2019 : 7 804,90 euros ;
- indemnité de congés payés sur mise à pied : 780,49 euros ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 10 964,51 euros ;
- préavis (2 mois) : 13 997,24 euros ;
- indemnité de congés payés sur préavis :1 399,72 euros ;
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 126 000 euros ;
- article 700 du code de procédure civile en appel : 3 000 euros ;
- ordonner la remise de l'attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
M. [T] fait d'abord valoir que sa déclaration d'appel emporte effet dévolutif en ce qu'elle mentionne l'existence d'une annexe, laquelle vise les chefs du jugement critiqués conformément au décret du 25 février 2022 applicable aux instances en cours. Sur le fond, s'agissant du licenciement, il soutient que la perte d'exploitation qui lui est reprochée relève de l'insuffisance professionnelle et ne constitue pas un grief disciplinaire outre le fait qu'elle ne lui est pas imputable. Il affirme ensuite que le reproche tenant à la perception de commissions est prescrit. Enfin, il considère que ses demandes relatives à l'exécution du contrat de travail sont recevables, que la convention de forfait en jours n'est pas conforme aux dispositions en vigueur et que l'employeur n'a pas assuré le suivi de sa charge de travail.
* La société M&A Prévention, dans ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 6 mai 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, demande à la cour de :
A titre principal :
- constater l'absence d'effet dévolutif attaché à l'appel interjeté par M. [T], et en conséquence constater n'être saisie d'aucune demande de M. [T] ;
A titre subsidiaire :
- la recevoir en son appel incident, le dire bien fondé et y faire droit ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que M. [T] est recevable en toutes ses demandes ;
Et statuant à nouveau sur ce dernier chef :
- in limine litis, juger irrecevables les nouvelles demandes formulées par M. [T] aux termes de ses écritures en date du 23 décembre 2020 et reprises par ce dernier en cause d'appel, demandes portant sur l'exécution de son contrat de travail ;
- à titre principal sur le fond :
- dire et juger que le licenciement de M. [T] repose sur une faute grave ;
- en conséquence, débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur ce chef de demande ;
- à titre subsidiaire sur le fond :
- dire et juger que la convention individuelle de forfait en jours appliquée à M. [T] est parfaitement licite ;
- en conséquence, dire et juger qu'il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes de M. [T] ;
- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions sur ces chefs de demandes ;
- à titre infiniment subsidiaire sur le fond :
- constater que M. [T] n'a accompli aucune heure supplémentaire ;
- en conséquence, débouter M. [T] de ses demandes de rappel de salaire sur heures supplémentaires et au titre du travail dissimulé ;
- à titre reconventionnel sur le fond : condamner M. [T] à lui rembourser la somme de 8 213,94 euros au titre du remboursement des jours de repos octroyés ;
En tout état de cause, et en rejetant toute demande contraire comme irrecevable et en toute hypothèse infondée :
- fixer à 6 591,16 euros brut la rémunération brute mensuelle de référence de M. [T];
- condamner M. [T] à lui verser la somme de 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;
- condamner M. [T] aux entiers dépens avec distraction au profit de l'avocat soussigné aux offres de droit.
In limine litis, la société M&A Prévention fait valoir que la déclaration d'appel de M. [T] n'a aucun effet dévolutif en ce qu'elle ne vise pas les chefs de jugement critiqués. Elle soutient ensuite qu'en sa qualité de directeur commercial, il était chargé d'élaborer le budget, d'en assurer le suivi et de contrôler les dépenses, et que le résultat négatif de l'année 2018 lui est directement imputable. Elle affirme en outre que le grief tenant à la perception de commissions occultes par un prestataire externe n'est pas prescrit, et souligne que M. [T] a pénalement été condamné pour ces faits. Elle considère enfin que les demandes relatives à l'exécution du contrat de travail sont irrecevables, et subsidiairement sur le fond, avoir valablement appliqué la convention de forfait et assuré le suivi de la charge de travail du salarié.
MOTIVATION
Sur l'effet dévolutif de la déclaration d'appel
In limine litis, la société M&A Prévention fait valoir que la déclaration d'appel du 27 octobre 2021 de M. [T] est dépourvue d'effet dévolutif dès lors qu'aucun chef de jugement n'y est mentionné, et qu'elle ne pouvait être complétée par une annexe que dans l'hypothèse où la limite de 4 080 caractères imposée par le système RPVA aurait rendu l'envoi de la totalité des chefs de jugement critiqués matériellement impossible.
M. [T] conteste l'absence d'effet dévolutif de sa déclaration d'appel dans la mesure où celle-ci vise expressément l'existence d'une annexe contenant les chefs du jugement critiqués conformément au décret du 25 février 2022 qui a été déclaré applicable aux instances en cours.
L'article 901 du code de procédure civile dans sa version en vigueur au 27 février 2022 prévoyant que 'la déclaration d'appel est faite par acte comportant le cas échéant une annexe' est applicable aux instances en cours quand bien même la déclaration d'appel a été faite antérieurement. (2ème Civ, 26 octobre 2023, n°22-16185)
Il s'ensuit que la cour d'appel qui rend son arrêt postérieurement au 27 février 2022, doit appliquer, au besoin d'office, l'article 901 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2022-245 du 25 février 2022 qui prévoit que la déclaration d'appel peut comporter une annexe.
En l'espèce, la déclaration d'appel de M. [T] est libellée ainsi : 'appel limité aux chefs de jugement critiqués : voir annexe jointe'. Elle est complétée par une annexe qui vise un par un les chefs de jugement critiqués, c'est-à-dire tous à l'exception de celui l'ayant déclaré recevable en toutes ses demandes.
Il s'ensuit que la déclaration d'appel de M. [T] emporte effet dévolutif et que la cour est saisie des chefs de jugement critiqués visés par l'annexe qui y est jointe.
Il sera toutefois précisé que dans ses dernières écritures, M. [T] ne reprend pas sa demande de dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire dont il a été débouté par le conseil de prud'hommes. Cette disposition est donc considérée comme définitive.
Sur la recevabilité des demandes additionnelles relatives à la nullité de la convention de forfait en jours, au rappel de salaire pour heures supplémentaires, aux congés payés afférents et au travail dissimulé
La société M&A Prévention conclut à l'irrecevabilité de la demande de nullité de la convention de forfait en jours et des demandes subséquentes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents, et d'indemnité pour travail dissimulé dès lors que celles-ci ont été présentées pour la première fois dans le cadre de conclusions communiquées le 23 décembre 2020, et ne figuraient pas dans l'acte introductif d'instance devant le conseil de prud'hommes, lequel portait uniquement sur la contestation de la rupture du contrat de travail.
M. [T] soutient que ses demandes de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé par suite de la nullité de la convention de forfait en jours sont liées à sa demande initiale dès lors qu'elles sont de nature identique à celles formulées dans sa demande initiale.
Selon les articles R.1452-1 et R.1452-2 du code du travail, dans leur rédaction issue du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016, la demande en justice est formée par requête qui contient un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci.
La réforme de la procédure prud'homale, introduite par le décret précité applicable aux demandes introduites devant le conseil des prud'hommes à compter du 1er août 2016, a abrogé la règle de l'unicité de l'instance prud'homale.
Selon l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles sont recevables si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Cette appréciation relève du pouvoir souverain du juge du fond.
Il s'en suit que la suppression de la règle de l'unicité de l'instance prud'homale n'emporte pas interdiction pour un demandeur de former au cours d'une même instance des demandes additionnelles dès lors qu'elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, dans sa requête initiale, M. [T] formulait les demandes suivantes:
'- fixation de la moyenne des douze derniers mois : 6 998,62 euros ;
- indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 126 000 euros ;
- indemnité conventionnelle de licenciement : 9 709,13 euros ;
- préavis (2 mois) : 13 997,24 euros ;
- indemnité de congés payés sur préavis :1 399,72 euros ;
- dommages et intérêts pour licenciement humiliant et vexatoire : 10 000 euros ;
- salaire pendant la mise à pied du 05/02/2019 au 08/03/2019 : 7 804,90 euros ;
- indemnité de congés payés sur mise à pied : 780,49 euros ;
- remise de l'attestation Pôle emploi conforme sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
- article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros ;
- exécution provisoire.'
Dans l'exposé sommaire des motifs de sa requête, M. [T] faisait valoir que le licenciement motivé par une baisse de résultats n'est pas fondé, et contestait les accusations portées à son encontre relatives à la perception de commissions.
Dans ses conclusions communiquées le 23 décembre 2020, M. [T] a sollicité en outre la nullité de la convention de forfait en jours, un rappel de salaire pour heures supplémentaires, les congés payés afférents et une indemnité pour travail dissimulé.
Les demandes initiales se rapportent exclusivement à la rupture du contrat de travail y compris la demande de rappel de salaire correspondant à la mise à pied dans la mesure où celle-ci découle de la qualification de faute grave ou non du licenciement, ce qui se déduit également de l'exposé sommaire des motifs qui n'évoque que la contestation de celui-ci.
Les demandes additionnelles se rapportent quant à elles exclusivement à l'exécution du contrat de travail.
Par conséquent, la cour considère que les demandes additionnelles relatives à la nullité de la convention de forfait en jours, au rappel de salaire pour heures supplémentaires, aux congés payés afférents et à l'indemnité pour travail dissimulé formulées pour la première fois par conclusions du 23 décembre 2020 ne se rattachent pas aux prétentions originaires par un lien suffisant et doivent être déclarées irrecevables.
Le jugement est infirmé de ce chef, ainsi qu'en ce qu'il a statué sur le fond en déclarant licite la convention de forfait en jours, et en déboutant M. [T] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé.
Sur le licenciement
La lettre de licenciement du 7 mars 2019 qui fixe les limites du litige est libellée ainsi :
' Suite à notre entretien qui s'est tenu le 18 février 2019, nous vous informons de notre décision de vous licencier pour faute grave, à raison des manquements qui, pris isolément comme ensemble motivent notre décision.
D'une part, alors que les objectifs 2018 ont été fixés d'un commun accord avec vous, pour tenir compte d'une diminution du chiffre d'affaires, vous avez laissé dériver le coût des prestataires sans prendre aucune mesure corrective.
Dans le même temps vos actions commerciales ont été très insuffisantes.
Cela s'est traduit par une perte d'exploitation de l'ordre de 200 000 euros.
Par ailleurs, nous avons été alertés en février 2019 des accusations portées à votre encontre par un certain M. [Z] qui vous reproche d'avoir exigé de lui le versement de commissions, sous peine de ne plus pouvoir travailler avec la société.
Ces commissions vous ont été versées pour partie en espèces et pour partie par l'intermédiaire de l'entreprise de votre fils qui a facturé des prestations fictives.
Ces commissions représentant environ 17% du montant des prestations du sous-traitant.
Vos explications au cours de notre entretien du 18 février 2019 n'ont fait que renforcer nos soupçons sur cette affaire et nous a conduit à déposer une plainte entre les mains du procureur de la République.
Pour l'ensemble des faits rapportés ci-dessus qui, ensemble comme isolément, justifient la rupture de votre contrat de travail, nous avons donc pris la décision d'y mettre fin pour faute grave.'
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
1. Sur la perte d'exploitation
La société M&A Prévention fait valoir que le résultat négatif constaté à la fin de l'année 2018 est directement imputable à M. [T] compte tenu de sa qualité de cadre dirigeant de l'entreprise et de son rôle dans la construction et le suivi des budgets de la société.
M. [T] considère que ce grief relève de l'insuffisance professionnelle et ne constitue pas un motif disciplinaire. En tout état de cause, il observe que la perte d'exploitation sur l'année 2018 ne lui est pas imputable en ce qu'elle résulte de décisions de gestion qui lui étaient imposées, du désengagement de la Matmut, du dépassement du budget prévisionnel à hauteur de 148 000 euros et du départ de salariés non prévu au budget. Il ajoute qu'aucune insuffisance professionnelle ne peut lui être reprochée dès lors qu'il a développé le chiffre d'affaires sur d'autres clients que la Matmut, ce dans un contexte de suspicion de cette dernière. Il note avoir toujours fait l'objet d'entretiens d'évaluation positifs et avoir perçu chaque année une prime de performance.
La société M&A Prévention communique un tableau récapitulatif du chiffre d'affaires hors Matmut 2018, le tableau de 'l'atterrissage' 2018 présenté par M. [T] au comité de surveillance en fin d'année 2018, et le compte rendu d'entretien annuel 2017 de M. [T] mentionnant que les résultats ne sont pas totalement satisfaisants. Le commentaire de son responsable est le suivant : 'le contexte est difficile avec le retrait progressif de la Matmut de l'activité de M&A. Il faut intensifier la dynamique commerciale pour compenser la perte d'activité et innover au niveau de l'offre. (...) Les objectifs sont ambitieux mais incontournables'.
Il ressort de ces éléments que la société M&A Prévention affichait un résultat net de - 176 145 euros fin 2018, lequel n'est au demeurant pas contesté par M. [T]. Pour autant, ce résultat s'inscrit dans un contexte de désengagement de la Matmut amorcé dès l'exercice précédent, avec des objectifs 2018 qualifiés d'ambitieux par l'employeur lui-même. Il n'est donc pas établi qu'il lui soit imputable. Enfin, ce grief n'entre pas dans le champ disciplinaire et relève davantage de l'insuffisance professionnelle, laquelle n'est pas invoquée par la société M&A Prévention.
Par conséquent, ce grief ne sera pas retenu.
2. Sur la perception de commissions occultes
- Sur la prescription
M. [T] considère que ce grief est prescrit dans la mesure où la procédure de licenciement a été mise en oeuvre le 4 février 2019, soit plus de deux mois après que l'employeur en a eu connaissance. Il affirme avoir demandé un entretien à M. [E], président de l'ACO, à ce sujet, qui s'est tenu le 30 octobre 2018, lors duquel la dénonciation de M. [Z] a été discutée et à l'issue duquel aucune sanction n'a été prise. Il ajoute que son supérieur hiérarchique, M. [N], directeur administratif et financier de l'ACO et de toutes les filiales du groupe dont M&A Prévention, a également eu connaissance des faits à la fin du mois de novembre 2018, et qu'en conséquence, le délai de prescription de deux mois expirait au plus tard fin janvier 2019.
La société M&A Prévention assure avoir été informée des malversations de M. [T] le 23 janvier 2019 par le courrier de M. [N] qui n'est ni salarié en son sein ni a fortiori son supérieur hiérarchique, de sorte qu'aucune prescription ne peut lui être opposée. Elle précise que M. [T] était soumis à l'autorité directe du président, M. [C].
Aux termes de l'article L.1332-4 du code du travail 'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.'
En l'espèce, la société M&A Prévention verse aux débats un courrier du 23 janvier 2019 (pièce 5) adressé sur papier à en-tête de l'ACO par M. [N], directeur administratif, juridique et financier de l'ACO, à M. [C], président de la société M&A Prévention, portant à sa connaissance les accusations de M. [Z] à l'encontre de M. [T].
Il précise :
' A l'origine, celui-ci voulait réclamer des droits de propriété intellectuelle sur le travail qu'il a livré à M&A Prévention.
Mais à ce premier litige s'est ajouté l'accusation de versements de commissions à M. [T], accusation qui n'était appuyée par aucun élément de preuve.
Jusque là, il s'agit d'une manifestation de mécontentement d'un prestataire évincé.
Mais plus récemment, il m'a été rapporté verbalement que les commissions étaient versées en liquide à M. [T] pour un montant de l'ordre de 17 000 euros, mais également entre les mains du fils de votre directeur commercial, dénommé [W] [T], en règlement de fausses factures que celui-ci aurait adressées à M. [Z] pour des travaux jamais effectués, mais qui servaient de support juridique aux rétrocommissions. (...)'.
M. [T] communique pour sa part, une invitation Outlook pour un rendez-vous avec M. [E] le 30 octobre 2018 de 18h15 à 18h30 (pièce 30)
Il verse également le procès-verbal d'audition de M. [N] dans le cadre de l'enquête pénale (pièce 41). M. [N] se présente comme 'le directeur administratif et financier de l'ACO et de toutes les filiales du groupe et notamment de M&A Prévention'.
Il détaille ensuite les circonstances dans lesquelles il a été prévenu des agissements de M. [T] :
'Après l'été 2018, M. [Z], fournisseur de M&A a cherché à entrer en contact avec M. [J] [E] le président de l'ACO, pour un problème de droit à l'image sur ses créations.
M. [E] a rencontré [H] [T] à ce sujet et l'affaire a été classée.
M. [Z] est revenu à la charge, et M. [E] m'a demandé de le recevoir. J'ai donc pris rendez-vous avec lui pour aborder ces problèmes de droit à l'image qu'il disait ne pas être respecté.
Je l'ai rencontré au siège de l'ACO à la fin du mois de novembre 2018. Dans un premier temps, nous avons abordé tous les deux les problèmes de droit à l'image sur ses créations. Je lui ai expliqué que les produits qu'il fabriquait pour M&A n'étaient pas soumis au droit à l'image.
La confiance passant entre nous, il m'a alors dit qu'il avait d'autres faits plus graves à me révéler.
Il m'a expliqué qu'il était dans une situation financière très difficile et qu'il n'avait plus beaucoup de clients. Il a ajouté que [H] [T] avait profité de sa situation pour lui demander de l'argent afin qu'il continue à lui donner des marchés.
D'ailleurs, il a ajouté que ses contrats avec M&A s'étaient terminés dès qu'il avait refusé de continuer à payer [H] [T].
J'ai essayé d'en savoir plus sur le mode opératoire de [H] [T] et sur le montant des sommes en jeu.
M. [Z] ne m'a pas donné beaucoup de détails et encore moins de preuve. Il m'a toutefois indiqué que [H] [T] l'avait accompagné à plusieurs reprises au distributeur de billets afin de percevoir des espèces.
M. [Z] a également évoqué le fait que [H] [T] lui faisait parvenir des factures d'une entreprise tenue par son fils, factures sans aucune justification économique. (...)
J'ai avisé de ces faits M. [C] le 23 janvier 2019. Je ne me suis plus occupé de cette affaire par la suite.'
Il ressort d'abord de ces éléments que rien ne vient établir que le 30 octobre 2018, M. [E] aurait été informé des dénonciations de M. [Z] et les aurait évoquées avec M. [T] alors même que, selon M. [N], les deux hommes ne se sont entretenus que du droit à l'image de M. [Z]. En tout état de cause, M. [E] est président de l'ACO. Or, l'ACO n'est pas l'employeur quand bien même il est l'associé majoritaire et M. [T] ne démontre pas être dans un rapport hiérarchique à l'égard de M. [E].
Il en va de même de M. [N] dont il n'est pas justifié qu'il soit salarié de la société M&A Prévention quand bien même celui-ci se présente dans le cadre de l'enquête pénale comme le directeur administratif et financier de toutes les sociétés du groupe, étant
précisé qu'il a porté les révélations de M. [Z] à la connaissance du président de la société M&A Prévention en sa qualité de directeur administratif, juridique et financier de l'ACO, sur papier à en-tête de l'ACO.
Il apparaît ensuite qu'à la supposer exacte, la qualification de directeur administratif et financier de la société M&A Prévention ne confère pas à M. [N] la qualité de supérieur hiérarchique de M. [T], celui-ci étant à la tête d'une direction différente en sa qualité de directeur commercial et aucun élément ne venant établir la réalité d'un tel rapport hiérarchique.
Bien plus, l'organigramme de la société M&A Prévention intégré dans le corps des conclusions de M. [T] le présente comme directement subordonné au président, à l'instar de M. [B], directeur opérationnel (conclusions page 5), et l'appelant écrit lui-même 'par ailleurs, deux salariés dirigeaient l'entreprise : le directeur commercial, M. [T], et le directeur opérationnel, M. [B]' (conclusions page 12). Il ne fait état ni d'une troisième direction ni d'un directeur administratif et financier.
Par conséquent, il doit être considéré que la société M&A Prévention a eu connaissance de la perception par M. [T] de commissions occultes à réception du courrier du 23 janvier 2019, et qu'à la date d'engagement de la procédure de licenciement le 4 février 2019, ce grief n'était pas prescrit.
Ce moyen est rejeté.
- Sur le fond
La société M&A Prévention soutient que M. [T] a usé de son pouvoir de dirigeant de la société M&A Prévention pour percevoir indûment des sommes d'argent d'un prestataire externe. Elle observe qu'il a été lourdement condamné pour ces faits par le tribunal correctionnel, notamment à lui verser des dommages et intérêts de l'ordre de 30 000 euros dont il ne s'est au demeurant pas acquitté. Elle souligne le fait que M. [T] avait de gros besoins financiers, et qu'il ne payait ni le loyer de son logement de fonctions, ni ses factures d'énergie, ni ses impôts pour lesquels elle a été destinataire de plusieurs avis à tiers détenteur.
M. [T] ne conclut ni ne s'explique sur le fond de ce grief.
Il a été vu que lors de son audition, M. [N] a indiqué que M. [Z] s'était plaint de ce que M. [T] conditionnait la poursuite de ses relations contractuelles avec la société M&A Prévention au versement de sommes d'argent à son seul profit, en espèces et par le biais de fausses factures émises par la société de son fils.
Par jugement du tribunal correctionnel du Mans du 9 octobre 2020, M. [T] a été déclaré coupable d'escroquerie et condamné à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis outre 5 ans de privation de son droit d'éligibilité. Il a par ailleurs été condamné à payer à la société M&A Prévention qui s'est constituée partie civile, la somme de 24 810 euros en réparation du préjudice financier, la somme de 500 euros en réparation du préjudice matériel pour trouble de gestion occasionné, ainsi que celle de 1 200 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
Il s'ensuit que ce grief dont M. [T] ne conteste au demeurant pas la matérialité est établi.
Ces faits sont constitutifs d'une infraction pénale pour laquelle M. [T] a été déclaré coupable, et ont causé un préjudice conséquent à la société M&A Prévention. Ils sont d'autant plus inadmissibles venant de la part d'un cadre dirigeant, directeur commercial, dont la probité se doit d'être exemplaire notamment vis-à-vis de ses subordonnés, et constituent à eux seuls, un manquement à l'obligation de loyauté tel qu'il ne permettait pas le maintien de M. [T] dans l'entreprise.
Par conséquent, ce seul grief justifie le licenciement pour faute grave de M. [T].
Le jugement est confirmé de ce chef ainsi qu'en ce qu'il a débouté M. [T] de ses demandes subséquentes de salaire pendant la mise à pied, d'indemnité de congés payés sur mise à pied, d'indemnité conventionnelle de licenciement, de préavis, de congés payés sur préavis, et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l'attestation Pôle emploi
L'attestation Pôle emploi remise à M. [T] mentionne la prime de performance de 14 000 euros perçue en mars 2018. Elle est conforme aux salaires et primes mentionnées sur ses bulletins de salaire. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner la remise d'une attestation Pôle emploi rectifiée.
Le jugement est confirmé de ce chef.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement est confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société M&A Prévention pour ses frais irrépétibles d'appel. Il lui est alloué la somme de 1 500 euros à ce titre.
M. [T] qui succombe à l'instance est condamné aux dépens d'appel et débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant dans les limites de sa saisine, contradictoirement, publiquement par mise à disposition au greffe,
CONSTATE l'effet dévolutif de l'appel interjeté par M. [T] ;
CONFIRME le jugement rendu le 24 septembre 2021 par le conseil de prud'hommes du Mans sauf en ce qu'il a :
- déclaré recevables les demandes de M. [T] de nullité de la convention de forfait en jours, de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
- déclaré licite la convention de forfait en jours ;
- débouté M. [T] de ses demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
DECLARE irrecevables les demandes de M. [T] de nullité de la convention de forfait en jours, de rappel de salaire pour heures supplémentaires, de congés payés afférents et d'indemnité pour travail dissimulé ;
CONDAMNE M. [H] [T] à payer à la société M&A Prévention la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles d'appel ;
DEBOUTE M. [H] [T] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile présentée en appel ;
CONDAMNE M. [H] [T] aux dépens d'appel avec distraction au profit de la Selarl Lexavoue Rennes-Angers représentée par Me Inès Rubinel, avocat aux offres de droit.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
Viviane BODIN Clarisse PORTMANN