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Décisions

CA Poitiers, 1re ch., 4 juillet 2024, n° 23/02595

POITIERS

Ordonnance

Autre

PARTIES

Demandeur :

Association APC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monge

Avocats :

Me Rahi, Me Caillabous-Rouquet, Me Gavalda

CA Poitiers n° 23/02595

3 juillet 2024

EXPOSÉ :

Soutenant avoir décidé de faire valoir ses droits à la retraite anticipée à compter du 1er septembre 2021 après avoir demandé une évaluation de ses droits au titre du régime temporaire de retraite des enseignants du privé (RETREP) qui était erronée, et avoir été ainsi privée de la chance de continuer son activité jusqu'à un âge où elle aurait pu bénéficier d'une retraite à taux plein, Madame [R] [K] épouse [W] a fait assigner l'association pour la prévoyance collective (APC), qui gère le dispositif RETREP, devant le tribunal judiciaire de La-Roche-sur-Yon selon acte délivré le 18 novembre 2022 pour l'entendre condamner à lui verser 84.000 euros en indemnisation de son préjudice de perte de chance, outre 4.800 euros au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

L'APC n'a pas comparu.

Par jugement réputé contradictoire du 25 juillet 2023, le tribunal judiciaire de La-Roche-sur-Yon a :

* rejeté l'ensemble des demandes de Mme [K]

* condamné Mme [K] aux entiers dépens de l'instance.

Madame [K] épouse [W] a relevé appel le 27 novembre 2023.

L'intimée n'ayant pas constitué avocat dans le mois de la lettre de notification que lui avait adressée la cour, le greffe a adressé le 8 janvier 2024 au conseil de l'appelante l'avis prévu à l'article 902 du code de procédure civile d'avoir à procéder par voie de signification.

L'APC s'est en définitive constituée, et a saisi le conseiller de la mise en état par conclusions transmises par la voie électronique le 8 avril 2024 d'un incident tendant à voir constater la caducité de la déclaration d'appel, au double motif :

- d'une part, tiré des articles 908, 910-1 et 954 du code de procédure civile, qu'elle ne formule aucune demande dans le dispositif des conclusions d'appelante qu'elle lui a signifiées

- d'autre part, tiré des articles 902 et 908 du code de procédure civile, qu'elle n'a pas signifié à l'intimée non constituée la déclaration d'appel émise par le greffe récapitulant l'ensemble des mentions par l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 et mentionnant aussi le numéro de la déclaration d'appel, la chambre devant laquelle l'affaire est distribuée et le numéro sous lequel elle est inscrite au répertoire général, mais un simple récapitulatif de la déclaration d'appel apparaissant via l'interface e-barreau lors de l'établissement de la déclaration dématérialisée.

Elle sollicite la condamnation de Mme [W] aux dépens d'incident et aux entiers dépens d'appel, ainsi qu'à lui payer 1.200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [K] épouse [W] a répliqué par trois jeux de conclusions d'incident, le dernier notifié le 10 juin 2024, que l'intimée monte en épingle des détails formels en arguant d'un formalisme qui confine à l'absurde, aboutit à une mauvaise administration de la justice et à une atteinte au droit d'accès à la justice garanti par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Elle conclut au rejet de l'incident et réclame 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Indiquant que lors de la transmission au commissaire de justice des conclusions à signifier, les écritures portées au bout des tabulations du 'PAR CES MOTIFS' ont disparu dans l'opération de traduction du fichier en format pdf, ce qui explique que les sommes demandées ne figurent pas dans le dispositif des conclusions signifiées à l'intimée non encore constituée, elle fait valoir qu'elles figuraient bien quelques lignes au-dessus, très explicitement, dans les motifs, et qu'elles figurent aussi dans le dispositif des conclusions qu'elle a transmises au greffe de la cour par le RPVA, de sorte que la cour, bannissant tout formalisme excessif, peut retenir qu'elle est saisie de ces demandes. Elle invoque subsidiairement l'article 910-3 du code de procédure civile en soutenant que la disparition lors de la transmission par internet d'un fichier word d'éléments portés au bout d'une tabulation procède d'un bug informatique constitue un cas de force majeure, attesté de façon probante et pièce d'identité à l'appui par la directrice commerciale de l'entreprise gérant l'informatique qui équipe le cabinet d'avocat.

Elle récuse le second motif de caducité en affirmant que la déclaration d'appel qu'elle a fait signifier à l'intimée non constituée est la déclaration d'appel établie par le greffe, qui contenait les quatre item requis par l'arrêté du 20 mai 2020, que l'intimée a reçu toutes les informations prescrites par la loi, et que toute interprétation extensive des règles de la procédure d'appel aboutirait à refuser au justiciable l'accès même à la justice.

Elle demande au conseiller de la mise en état de déclarer les conclusions de l'intimée irrecevables faute de constitution, en faisant valoir que l'APC ne s'est pas constituée comme requis par l'article 903 du code de procédure civile qui impose à l'avocat de l'intimé d'informer celui de l'appelant dès qu'il est constitué et de remettre une copie de son acte de constitution au greffe, et en soutenant que des conclusions prises sans constitution sont irrecevables.

L'APC a transmis le 6 juin 2024 des conclusions d'incident responsives dans lesquelles, maintenant et reprenant ses prétentions, elle y ajoute pour demander au conseiller de la mise en état de débouter Mme [W] de ses demandes fins et conclusions et de juger recevables ses propres conclusions.

Elle conteste que le passage du format word à un format pdf puisse avoir pour effet de comprimer des caractères, et tient pour non probante l'attestation de l'informaticien. Elle récuse en tout état de cause toute force majeure.

Elle rejette le moyen tiré par l'appelante de l'entrave à l'accès au juge en faisant valoir que Mme [W] a eu accès à la juridiction d'appel.

Elle fait valoir qu'elle s'est régulièrement constituée le 24 février 2024, que cette constitution est bel et bien enregistrée au RPVA, et que l'appelante ne justifie d'aucun grief à l'appui de son affirmation que la constitution n'aurait pas été notifiée à son avocat, l'existence de significations de conclusions intervenues entre les avocats des parties démontrant que l'avocat de Mme [K] épouse [W] a bien eu connaissance de cette constitution, qui est opposable à l'appelante, et les conclusions transmises par l'intimée, qui indiquent l'avocat constitué pour elle, valant constitution régulière.

L'incident a été évoqué à l'audience du 11 juin 2024 et mis en délibéré à ce jour.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

L'examen du moyen d'irrecevabilité des conclusions de l'intimée invoqué par l'appelante est préalable, puisque s'il y était fait droit, les conclusions demandant de prononcer la caducité de sa déclaration d'appel seraient irrecevables.

* sur la régularité de la constitution de l'intimée et son incidence sur la recevabilité de ses conclusions

Selon l'article 903 du code de procédure civile, dès qu'il est constitué, l'avocat de l'intimé en informe celui de l'appelant et remet une copie de son acte de constitution au greffe.

Selon l'article 960, alinéa 1er, de ce même code, la constitution d'avocat par l'intimé est dénoncée aux autres parties par notification entre avocats.

L'avocat de l'APC a remis au greffe de la cour son acte de constitution par la voie électronique le 28 février 2024 à 13h10, et s'est ainsi conformé à ce que prescrivent les articles 903 et 930-1.

L'APC ne prouve ni ne prétend que son avocat a notifié sa constitution à celui de l'appelante, comme requis par l'article 960 du code de procédure civile.

Son avocat l'a fait en notifiant à l'avocat de l'appelante le 8 avril 2024 des conclusions d'intimée -au fond et, distinctement, d'incident- énonçant, de façon claire et explicite, qu'il était constitué pour elle dans l'instance les opposant devant la cour.

Ainsi que le fait valoir l'intimée sans être contredite, l'irrégularité de cette notification n'a causé aucun grief avéré à madame [K] épouse [W], qui a ensuite transmis au conseil d'APC le 14 mai, le 15 mai, le 22 mai puis le 10 juin 2024 des conclusions d'appelante, tant au fond que sur incident, mentionnant cette constitution de l'avocat de l'intimée, et répondant aux conclusions adverses dans des conditions de recevabilité, de régularité et de respect du contradictoire qui n'ont pas été contestées.

Il n'y a pas lieu dans ces conditions de déclarer les conclusions de l'intimée irrecevables faute de notification de sa constitution à l'avocat de l'appelante.

* sur la caducité de la déclaration d'appel de Mme [W]

¿ au titre de l'absence de formulation d'une demande dans le dispositif des conclusions d'appelante signifiées à l'intimée non encore constituée

Selon l'article 908 du code de procédure civile, à peine de caducité de la déclaration d'appel relevée d'office, l'appelante dispose d'un délai de trois mois à compter de la déclaration d'appel pour remettre ses conclusions au greffe.

Selon l'article 911, sous les sanctions prévues aux articles 905-2 et 908 à 910, les conclusions sont notifiées aux avocats des parties dans le délai de leur remise au greffe de la cour. Sous les mêmes sanctions, elles sont signifiées au plus tard dans le mois suivant l'expiration des délais prévus à ces articles aux parties qui n'ont pas constitué avocat.

Selon l'article 954, les conclusions d'appelant doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication, pour chaque prétention, des pièces invoquées et de leur numérotation.

Elles sont récapitulées sous forme de dispositif.

La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.

Les conclusions d'appelant exigées par l'article 908 sont toutes celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ce texte qui déterminent l'objet du litige porté devant la cour.

L'étendue des prétentions dont est saisie la cour d'appel étant déterminée dans les conditions fixées par l'article 954, le respect de la diligence impartie par l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de cet article 954.

Il résulte de l'article 954 que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter, en vue de l'infirmation ou de l'annulation du jugement frappé d'appel, des prétentions sur le litige, sans lesquelles la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement frappé d'appel.

Il résulte de la combinaison de ces règles que, dans le cas où l'appelant n'a pas pris, dans le délai de l'article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, de telles prétentions, la caducité de la déclaration d'appel est encourue.

L'intimée ne s'étant pas constituée, Mme [W] lui a fait signifier le jugement, sa déclaration d'appel et ses conclusions par acte de commissaire de justice du 6 février 2024 contenant assignation devant la cour d'appel.

Le dispositif des conclusions qu'elle a fait signifier à l'APC est ainsi libellé :

'PAR CES MOTIFS

réformant le jugement entrepris

Condamner l'APC à payer à Madame [K] épouse [W] :

* au titre de la perte de chance subie une indemnité de ........

* l'intégralité des dépens d'instance et d'appel.........

* sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile........'.

Ce dispositif ne contient pas de prétentions sur le litige.

L'appelante -qui n'a pas notifié dans le délai de l'article 911 d'autres conclusions- n'ayant ainsi pas pris, dans le délai de l'article 908, de conclusions comportant, en leur dispositif, des prétentions déterminant l'objet du litige, la caducité de la déclaration d'appel est encourue.

Elle ne peut échapper à cette sanction en arguant d'une circonstance de force majeure tenant à un 'bug' informatique ayant fait disparaître les éléments -en l'occurrence le montant des condamnations sollicitées- portés au bout des points de suite des tabulations lors de la traduction en pdf du ficher envoyé par l'avocat de l'appelante au commissaire de justice chargé de procéder à la signification des conclusions, ainsi que l'avance -en termes au demeurant peu argumentés et sans justification probante- l'informaticien oeuvrant dans le cabinet de l'avocat de l'appelante, dès lors qu'une simple lecture de vérification par l'instrumentaire de l'acte qu'il était chargé de signifier eût suffi à déceler les lacunes du dispositif des conclusions et à y remédier à temps, de sorte que si dysfonctionnement informatique il y a eu, il n'était nullement irrésistible.

Mme [W] ne peut prétendre que la caducité encourue comme sanction aurait pour effet de la priver de son droit d'accès au juge, alors qu'après avoir eu accès au juge de première instance, elle a eu accès au juge d'appel, devant lequel elle ne s'est pas conformée aux règles procédurales applicables à l'instance.

Elle ne peut arguer de formalisme excessif les règles appliquées , alors qu'elles ont pour objet d'assurer l'information de la partie adverse, et que la sanction de la caducité mise en oeuvre par le conseiller de la mise en état, qui permet d'éviter de mener à son terme un appel irrémédiablement dénué de toute portée pour son auteur, poursuit un but légitime de célérité de la procédure et de bonne administration de la justice.

¿ au titre de l'irrégularité de la signification de la déclaration d'appel à l'intimée non encore constituée

Il résulte d'une part, des articles 900 et 901 du code de procédure civile que l'appel est formé par une déclaration unilatérale remise au greffe de la cour d'appel, et d'autre part de l'article 748-3 du même code que, lorsqu'elle est accomplie par la voie électronique, la remise de cette déclaration d'appel est attestée par un avis électronique de réception adressé au destinataire.

En outre, l'article 8 de l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication électronique dans les procédures avec représentation obligatoire devant la cour d'appel en matière civile édicte que le message de données relatif à une déclaration d'appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message, et que ce récapitulatif tient lieu de déclaration d'appel, de même que leur édition par l'avocat tient lieu d'exemplaire de cette déclaration d'appel lorsqu'elle doit être produite en format papier.

Il est de jurisprudence assurée que c'est cet acte qu'il convient de joindre à l'acte de signification de la déclaration d'appel accomplis en application de l'article 902 du code de procédure civile.

Il ressort des productions, et il n'est pas discuté par l'appelante, que la déclaration d'appel qu'elle a fait signifier par commissaire de justice selon acte du 6 février 2024 à l'association APC, intimée non alors constituée, n'est pas le récapitulatif qui tient seul lieu de déclaration d'appel, mais une édition en tirage papier de la déclaration d'appel apparaissant via l'interface e-barreau lors de l'établissement de la déclaration dématérialisée, ne confirmant pas la réception par le greffe de l'acte d'appel.

La déclaration d'appel doit être regardée dans ces conditions comme n'ayant pas été signifiée à l'intimée, ce qui justifie aussi de constater sa caducité.

* sur les dépens et l'application de l'article 70à du code de procédure civile

La déclaration d'appel étant caduque, Mme [K] supportera les dépens d'incident et les dépens d'appel.

L'équité justifie de ne pas mettre d'indemnité de procédure à sa charge.

PAR CES MOTIFS

Nous, conseiller de la mise en état

REJETONS la demande tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions de l'intimée

PRONONÇONS la caducité de la déclaration d'appel formée par Mme [R] [K] épouse [W] contre le jugement rendu le 25 juillet 2023 par le tribunal judiciaire de La-Roche-sur-Yon

CONDAMNONS Mme [K] épouse [W] aux dépens de l'incident et aux dépens d'appel

DISONS n'y avoir lieu à indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.