CA Versailles, ch. civ. 1-5, 4 juillet 2024, n° 23/07556
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Motorcar Paris Ouest by Autosphere (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vasseur
Conseillers :
Mme De Rocquigny du Fayel, Mme Igelman
Avocats :
Me Dupuis, Me Rolf-Pedersen, Me Primatesta, Me Martinez
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de son activité de taxi, M. [S] [R] a acquis le 23 janvier 2019 un véhicule hybride neuf de marque Ford immatriculé [Immatriculation 6], moyennant le prix de 34 439,56 euros TTC.
Le 6 octobre 2022, la SAS Motorcar Paris Ouest By Autosphere (la société Motorcar Paris Ouest) a remplacé la boîte automatique du véhicule moyennant la somme de 4 747,40 euros TTC, le véhicule présentant 230 778 kilomètres au compteur.
Le 9 novembre 2022, la société Motorcar Paris Ouest a procédé à la révision habituelle du véhicule. Le véhicule présentait un kilométrage égal à 248 494.
Peu de temps après l'intervention, le véhicule a présenté des dysfonctionnements importants, un voyant s'allumant fréquemment et entraînant l'arrêt du véhicule.
Le 5 janvier 2023, M. [R] a confié son véhicule à la société Motorcar Paris Ouest. La société a changé le capteur ABS ESP conformément à la facture pour un coût de 199,42 euros TTC. Le dysfonctionnement a persisté.
Le 12 janvier 2023, la société a établi un devis, que M. [R] a accepté, concernant le changement du module électrique de gestion du système hybride.
Le garage a effectué les travaux mais lors de la reprogrammation, le module a grillé.
Un nouveau module a été commandé et une nouvelle demande d'assistance a été faite auprès du service technique Ford.
Depuis le 4 janvier 2023, selon M. [R], le service technique a tenté de trouver une solution et le véhicule est resté immobilisé chez la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere.
Du 11 janvier 2023 au 26 mars 2023, M. [R] a loué un véhicule de remplacement. Pour se faire, il a souscrit des engagements de location auprès de la société HKH, pour la période du 11 janvier au 2 mars 2023, moyennant la somme de 1 494 euros TTC.
Pour la période du 2 mars 2023 au 26 mars 2023, il a loué un autre véhicule, moyennant la somme de 2 070 euros TTC.
M. [R] a acquis un nouveau véhicule de type Lexus, moyennant la somme de 59 569 euros TTC.
À la date du 2 août 2023, le véhicule de marque Ford était toujours immobilisé et en attente de réparation.
Par acte de commissaire de justice délivré le 25 août 2023, M. [R] a fait assigner en référé la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere et la SASU FMC Automobiles (Ford France) aux fins d'obtenir principalement la désignation d'un expert avec une mission générale d'investigation et la condamnation de la société au paiement des sommes de 8 122,58 euros au titre du préjudice financier.
Par ordonnance contradictoire rendue le 5 octobre 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre a :
- ordonné une mesure d'expertise judiciaire avant tout procès,
- nommé pour y procéder en qualité d'expert judiciaire M. [Z] [V] PSA Automobiles [Adresse 9] [Localité 3], tel : [XXXXXXXX01], courriel : [Courriel 5], avec pour mission de :
- convoquer les parties,
- entendre les parties,
- se faire communiquer toutes les pièces nécessaires, dont, en particulier, tous documents visant les interventions menées sur le véhicule en cause depuis sa première mise en circulation,
- dire s'il convient d'appeler en cause d'autres parties,
- examiner les désordres allégués dans l'assignation, ainsi que tout autre qui pourrait se révéler,
- dire si ces désordres proviennent, notamment, d'un défaut d'origine inhérent au véhicule, d'une utilisation inadaptée, d'un entretien non conforme aux prescriptions du constructeur, d'une mauvaise exécution ponctuelle ou généralisée lors d'interventions effectuées sur le véhicule, de la pose d'accessoires, d'une cause extérieure, ou de toutes autres causes,
- donner tout élément technique et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie de déterminer la responsabilité encourue,
- évaluer s'il y a lieu les préjudices subis par le requérant,
- donner son avis sur tout élément nécessaire à la bonne instruction de cette affaire,
- faire entendre ou entendre tout sachant,
- déposer un pré-rapport avant établissement du rapport définitif,
- dit que l'expert sera mis en oeuvre et accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 248, et 263 à 284 du code de procédure civile et que sauf conciliation des parties, l'expert déposera son rapport au greffe de la juridiction dans les trois mois de sa saisine,
- dit qu'il en sera référé en cas de difficultés,
- dit qu'en cas de refus et d'empêchement dudit expert, il sera pourvu d'office à son remplacement par ordonnance rendue par M. le président du tribunal de commerce de Nanterre sur minute et simple requête,
- fixé à 2 500 euros la consignation sur les frais d'expertise que M. [R] s'engage à verser dans le délai d'un mois suivant la délivrance de la décision,
- dit que le contrôle de l'expertise sera effectué par le juge chargé du contrôle des mesures d'instruction,
- condamné la société Motorcar Paris Ouest By Autosphère, à titre provisionnel, à payer à M. [R] une somme de 4 813,32 euros,
- condamné la société Motorcar Paris Ouest By Autosphère à payer à M. [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, avec distraction au profit de M. Xavier Martinez, avocat,
- réservé les dépens,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit,
- liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 77,71 euros, dont TVA 12,95 euros,
- dit que l'ordonnance est mise à disposition au greffe du tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées verbalement lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Par déclaration reçue au greffe le 7 novembre 2023, la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere a interjeté appel de cette ordonnance s'agissant des condamnations pécuniaires prononcées à son encontre, intimant M. [R].
Dans ses dernières conclusions déposées le 20 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere demande à la cour, au visa de l'article 873 du code de procédure civile, de :
'- déclarer la sas Motorcar Paris Ouest By Autosphere recevable et bien fondée en son appel ;
y faisant droit,
- infirmer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal de commerce de Nanterre en date du jeudi 5 octobre 2023 en ce qu'elle :
- condamne la sas Motorcar Paris Ouest By Autosphere, à titre provisionnel, à payer à M. [S] [R] une somme de 4 813,32 euros,
- condamne la sas Motorcar Paris Ouest By Autosphere à payer à M. [S] [R] la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
statuant à nouveau,
- juger n'y avoir lieu à référé en raison d'une contestation sérieuse,
- renvoyer M. [S] [R] à mieux se pourvoir,
en tout état de cause,
- débouter M. [S] [R] de l'ensemble de ses demandes, en ce compris sa demande provisionnelle, de son appel incident formé à l'encontre la société sas Motorcar Paris Ouest By Autosphere et de toutes demandes contraires au présent dispositif,
- condamner M. [S] [R] à payer à la société sas Motorcar Paris Ouest By Autosphere la somme de 2 000,00 euros (deux mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.'
Dans ses dernières conclusions déposées le 6 mars 2024 auxquelles il convient de se rapporter pour un exposé détaillé de ses prétentions et moyens, M. [R] demande à la cour de :
'- recevoir l'appel incident de M. [S] [R] à l'encontre de l'ordonnance de référé du 5 octobre 2023 en ce qu'elle a seulement condamné la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere à lui régler les sommes suivantes :
- 4 813,32 euros à titre provisionnel sur le plan financier,
- 1 000 euros au titre de l'article 700,
statuant à nouveau,
- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a fait droit à la demande d'expertise et désigné M. [Z] [V] en qualité d'expert judiciaire avec la mission arbitrée par le tribunal de commerce de Nanterre,
- recevoir l'appel incident et le déclarer recevable et bien fondé,
- réformer la décision en ce qu'elle a accordé une somme insuffisante au bénéfice de M. [S] [R],
- condamner la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere à régler à M. [S] [R] les sommes suivantes :
- 8 122,58 euros au titre de son préjudice financier à titre provisionnel,
- 1 200 euros au titre de l'article 700 en cause de première instance ainsi que 1 200 euros au titre de l'article 700 en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction au profit de Maître Niels Rolf-Pedersen, avocat au barreau de Versailles,
- débouter la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere de son appel ainsi que de l'ensemble de ses demandes et moyens,
à titre subsidiaire,
- confirmer l'ordonnance de référé en toutes ses dispositions,
y ajouter,
- condamner la société Motorcar Paris Ouest By Autosphere à régler la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Niels Rolf-Pedersen, avocat au barreau de Versailles,
- débouter les autres parties de toutes demandes et moyens contraires.'
L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 avril 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Faisant observer qu'elle n'a pas interjeté appel des chefs de dispositions ayant fait droit à la demande d'expertise judiciaire, la société Motocar Paris Ouest demande l'infirmation de la condamnation provisionnelle prononcée à son encontre.
Elle considère que M. [R] entend faire peser sur elle les conséquences de la vétusté de son véhicule, qui résulte tant de son âge que de son usage professionnel (plus de 250 000 km en 4 ans), sans que sa responsabilité ne soit aucunement démontrée et encore moins une quelconque causalité de son intervention sur le choix de changer de véhicule et le financement du véhicule ancien.
Elle soutient que l'appelant ne démontre pas l'existence d'une obligation non sérieusement contestable qui pèserait sur elle.
Elle souligne que l'intimé lui a fait interdiction d'intervenir sur le véhicule litigieux le 26 mars 2023 ; que les opérations d'expertise judiciaire sont toujours en cours, au stade de la recherche de panne ; que l'expert a considéré que les désordres allégués n'ont pas encore pu être reproduits.
Dans ces conditions, elle fait valoir que toute condamnation provisionnelle est prématurée.
M. [R], intimé, soutient que le montant de la condamnations provisionnelle prononcée est insuffisant et forme appel incident.
Il expose qu'il résulte de la note n° 9 de l'expert judiciaire, M. [V], que d'une part la société Motocar Paris Ouest est toujours dans l'incapacité de réparer le véhicule puisque le garagiste a changé le calculateur de module du moteur hybride (pour passer du moteur thermique au moteur hybride), lequel module est incompatible avec le véhicule et ne permet pas de le démarrer et que d'autre part, le véhicule lors d'un rendez-vous du 5 janvier 2024, a fonctionné avec l'ancien calculateur.
Selon lui, cela démontre qu'il a attendu son véhicule alors que l'appelante est dans la stricte incapacité de le réparer ; qu'à ce stade, un ingénieur de la société Motocar Paris Ouest et de la SAS Ford Motor Company intervient toujours afin de retrouver le code erreur initial et de connaître la cause racine du problème ; que l'appelante ne respecte donc pas son obligation de résultat de réparation.
Il conteste avoir demandé à la société Motocar Paris Ouest de ne plus intervenir sur le véhicule, précisant lui avoir sollicité la suspension des diligences le temps que l'expertise amiable se réalise (ce qui s'est produit le 13 juin 2023).
Il conclut à la pleine responsabilité de la société Motocar Paris Ouest qui a manqué à ses obligations de diagnostic et de réparation de résultat.
Il allègue avoir subi un préjudice important du fait de n'avoir pas pu utiliser son véhicule sur la période du 3 janvier 2023 au 26 mars 2023, ce qui lui a occasionné un surcoût total qu'il évalue à la somme de 8 122,58 euros. A tout le moins, il demande la confirmation de l'ordonnance s'agissant de la provision retenue.
Sur ce,
A titre liminaire il convient d'observer que l'appelante ne critique pas les dispositions de l'ordonnance dont appel ayant fait droit à la demande d'expertise judiciaire. La cour n'est donc pas saisie d'une demande de réformation concernant l'expertise ainsi ordonnée et qui est en cours.
Aux termes de l'article 873 alinéa 2 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce, statuant en référé, peut dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.
Il appartient au demandeur d'établir l'existence de l'obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu'en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Il découle de l'article 1231-1 du code civil que l'obligation de résultat, qui pèse sur le garagiste en ce qui concerne la réparation des véhicules de ses clients, emporte à la fois présomption de faute et présomption de causalité entre la faute et le dommage, si les dysfonctionnements allégués sont dus à une défectuosité déjà existante au jour de l'intervention du garagiste ou sont liés à cette intervention.
Toutefois, ces présomptions concernent les cas où il y a eu des réparations effectivement réalisées par le garagiste.
Or au cas présent, comme l'expose M. [R] lui-même, le véhicule Ford Mondeo Hybride ne lui a pas été restitué depuis qu'il l'a confié le 5 janvier 2023 à la société Motocar Paris Ouest, celle-ci indiquant être dans l'incapacité de procéder à sa réparation, faute de parvenir à identifier la défaillance.
Par ailleurs la jurisprudence considère qu'en application du même article 1231-1 du code civil (anciennement 1147 du même code, voir notamment 1re Civ., 17 octobre 2012, pourvoi n° 11-17.964), le garagiste est également tenu d'une obligation de résultat concernant le diagnostic et le démontage du véhicule, lorsqu'il a émis une appréciation erronée sur l'origine de la panne et procédé à des opérations inutiles.
Cette obligation ne saurait impliquer qu'il doive, en tout état de cause, fournir un diagnostic et il ne peut lui être, à ce stade, reproché d'être dans l'incapacité d'en élaborer un.
Il est acquis que les opérations d'expertise diligentées par M. [V] sont toujours en cours. Les notes aux parties n° 10 et 11 établies les 18 janvier et 4 février 2024 font apparaître que les investigations de l'expert avancent mais que la « cause racine de la problématique » rencontrée par le véhicule de M. [R] n'est toujours pas identifiée.
Dans ces conditions, en l'absence d'obligation de résultat pesant sur le garagiste trouvant à s'appliquer en l'espèce, il existe un doute sur la responsabilité de la société Motocar Paris Ouest, celle du constructeur, Ford France, partie à l'expertise, ne pouvant être exclue.
Par voie d'infirmation de l'ordonnance querellée il sera dit n'y avoir lieu à référé au titre de la provision sollicitée par M. [R].
Sur les demandes accessoires :
Aucune partie ne pouvant être considérée comme perdante à ce stade de la procédure, il convient que chacune d'elle conserve la charge des dépens qu'elle a exposés en première instance et devant la cour, étant rappelé qu'en application des dispositions de l'article 491 alinéa 2 du code de procédure civile, la juridiction statuant en référé, doit se prononcer sur la charge des dépens, sans pouvoir les réserver.
Par équité, les parties seront déboutées de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort,
Infirme l'ordonnance du 5 octobre 2023 en ce qu'elle a statué sur la provision allouée à M. [S] [R] ainsi qu'en ce qu'elle a statué sur les dépens et frais de justice de première instance,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de M. [S] [R],
Dit que chaque partie conservera la charge des dépens de première instance et d'appel qu'elle a exposés,
Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Thomas VASSEUR, président, et par Madame Élisabeth TODINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.