CA Grenoble, ch. com., 4 juillet 2024, n° 23/03134
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Terranota (Sté)
Défendeur :
Sasu de l'Hermitage (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
M. Bruno, Mme Faivre
Avocats :
Me Grimaud, Me Robillard, Me Liber-Magnan, Me Feschet
Faits et procédure
La société Terranota a pour activité la veille et l'analyse de l'ensemble des dispositions d'urbanisme et environnementales pouvant impacter le droit de propriété. Elle a créé un logiciel métier 'Instanote' pour la collecte et la production des documents d'urbanisme.
Le 12 octobre 2015, l'EIRL [J] [T] a signé avec la société Terranota un contrat de licence de marque portant sur les marques 'TERRANOTA' et 'InstaNote' et sur le droit d'usage du logiciel InstaNote pour exploiter le concept en exclusivité sur le département de l'Isère pour une durée de 7 ans se terminant le 12 octobre 2022.
Le 27 octobre 2016, Madame [N] [Z] au nom de la future société '[Z] [N]' en cours de constitution a signé avec la société Terranota un contrat de licence de marque portant sur les marques 'TERRANOTA' et 'InstaNote' et sur le droit d'usage du logiciel InstaNote pour exploiter le concept en exclusivité sur les départements de l'Ardèche et de la Drôme pour une durée de 7 ans.
Les parts sociales de la société '[Z] [N]' ont été rachetées par la société Liaisons Vercors, holding de Mme [J] [T]. Par courrier du 20 juin2022, la société Terranota, informée de ce changement, a confirmé maintenir le contrat de licence de marque TERRANOTA et de logiciel InstaNote. La société '[Z] [N]' a changé de dénomination sociale pour devenir la SASU De L'hermitage.
Par courrier du 9 décembre 2022, invoquant une exploitation de la marque sur les départements de la Drôme et de l'Ardèche qui n'est ni effective, ni sérieuse, la société Terranota a indiqué mettre en oeuvre la résiliation anticipée du contrat de licence de marque et de logiciel qui interviendra à l'issue du délai d'un mois de l'envoi du courrier.
Alléguant le non respect par Mme [T] de ses engagements contractuels et post contractuels et l'existence d'actes de concurrence déloyale, la société Terranota a saisi par requête la présidente du tribunal de commerce de Grenoble aux fins d'une mesure d'instruction.
Par ordonnance sur requête du 27 février 2023 rectifiée le 13 mars 2023, la présidente du tribunal de commerce de Grenoble a autorisé la société Terranota à faire procéder par commissaire de justice à des mesures d'instruction dans les locaux de l'EIRL [J] [T].
Les opérations autorisées se sont déroulées le 18 avril 2023.
Par acte du 20 avril 2023, l'EIRL [J] [T] et la société L'Hermitage ont assigné en référé la société Terranota devant la présidente du tribunal de commerce aux fins de rétractation des ordonnances des 2 février 2023 et 13mars 2023.
Par ordonnance du 26 juillet 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble a :
- écarté les demandes d'irrecevabilité présentées par la société Terranota pour défaut de qualité à agir de Mme [T] et d'irrecevabilité au titre de l'exception d'incompétence matérielle,
- dit que le tribunal judiciaire de Lyon est matériellement compétent,
- rétracté l'ordonnance du 27 février 2023 et l'ordonnance rectificative du 13 mars 2023 rendues par la présidente du tribunal de commerce de Grenoble,
- prononcé la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Terranota à supporter les dépens de l'instance tels que liquidés dans la décision.
Par déclaration du 21 août 2023, la société Terranota a interjeté appel de l'ordonnance du 26 juillet 2023 en toutes ses dispositions qu'elle a reprises dans son acte d'appel.
Par jugement du 20 décembre 2023, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire de la SASU De L'hermitage.
Par acte du 16 février 2024, la société Terranota a assigné en intervention forcée devant la cour d'appel de Grenoble Me [S] [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société De L'hermitage.
Les deux procédures ont été jointes.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 2 mai 2024.
Prétentions et moyens de la société Terranota
Dans ses conclusions remises le 14 février 2024, elle demande à la cour de:
- déclarer recevable et bien fondée la société Terranota en son appel de l'ordonnance rendue le 26 juillet 2023 par le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a :
* écarté les demandes d'irrecevabilité présentées par la société Terranota pour défaut de qualité à agir de Mme [T], et d'irrecevabilité au titre de l'exception d'incompétence matérielle,
* dit le tribunal judiciaire de Lyon matériellement compétent,
* rétracté l'ordonnance du 27 février 2023 et l'ordonnance rectificative du 13 mars 2023 rendues par la présidente du tribunal de commerce de Grenoble,
* prononcé la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
* dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamné la société Terranota à supporter les dépens de l'instance,
* liquidé les dépens à la somme indiquée dans l'ordonnance,
Statuant à nouveau,
- déclarer irrecevable l'action engagée par l'Eirl [J] [T] (cabinet [T] urbanisme) et la Sasu De L'hermitage pour défaut de qualité à agir de leur représentante légale,
- rejeter l'exception d'incompétence du tribunal de commerce de Grenoble soulevée par l'Eirl [J] [T] (cabinet [T] urbanisme) et la Sasu De L'hermitage comme étant irrecevable et/ou non fondée,
- juger n'y avoir lieu à rétractation des ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
- confirmer lesdites ordonnances,
A titre subsidiaire,
- confirmer lesdites ordonnances, sauf à modifier la mission confiée par les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023 comme suit :
* dit que les chefs de mission suivants :
« rechercher et prendre copie de tous les contrats, correspondances permettant de déterminer si l'activité commerciale du cabinet [T] urbanisme a débuté avant le 1er décembre 2022 et dans l'affirmative, préciser à quelle date l'activité a débuté »
« rechercher et prendre copie de l'intégralité des dossiers créés, en cours, facturés, payés et annulés depuis la date effective de début de l'activité du cabinet [T] urbanisme »
sont remplacés par les chefs de mission suivants :
« rechercher et prendre copie de tous les contrats, correspondances contenant les mots clés suivants :
- TERRANOTA,
- [V] [P],
- [P]
- [D] [L]
- [L]
permettant de déterminer si l'activité commerciale du cabinet [T] urbanisme a débuté avant le 1er décembre 2022 et dans l'affirmative, préciser à quelle date l'activité a débuté »
« rechercher et prendre copie de l'intégralité des dossiers créés, en cours, facturés, payés et annulés contenant les mots clés suivants :
- TERRANOTA,
- [V] [P],
- [P]
- [D] [L]
- [L]
depuis la date effective de début de l'activité du cabinet [T] urbanisme».
- juger que le surplus de la mission telle que définie par les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023 reste inchangé,
En toutes hypothèses,
- débouter l'Eirl [J] [T] (cabinet [T] urbanisme) et la Sasu De L'hermitage de toutes leurs demandes,
- condamner l'Eirl [J] [T] (cabinet [T] urbanisme) à payer la somme de 9.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- fixer au passif de la Sasu De L'hermitage la somme de 9.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- fixer au passif de la Sasu De L'hermitage les entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur l'irrecevabilité des demandes pour défaut de qualité à agir, elle fait observer que :
- l'Eirl [J] [T] est dans l'incapacité chronique à faire face à ses dépenses ce qui correspond à un état de cessation des paiements,
- la Sasu De L'hermitage reste volontairement floue sur sa comptabilité,
- il appartenait aux intimées de verser aux débats des éléments comptables justifiant qu'elles sont in bonis,
- elles ne peuvent agir en justice en raison de leur faute de gestion consistant à ne pas avoir effectué une déclaration de cessation des paiements et parce que Mme [T] n'a plus le pouvoir de représenter le cabinet [T] urbanisme et la Sasu De L'hermitage,
- la principe 'nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude' est violé,
- au demeurant, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation judiciaire de la Sasu De L'hermitage en fixant la date de cessation des paiements au 30 septembre 2023.
Sur l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Grenoble, elle fait valoir que l'exception de procédure a été soulevée à titre subsidiaire et après avoir émis une contestation sur le fondement de l'article 495 alinéa 3 du code de procédure civile et qu'elle se trouve en conséquence irrecevable. Elle ajoute que même s'il s'agit d'une procédure orale, le juge des référés n'indique aucunement dans sa décision que l'exception d'incompétence a été soulevée à la barre avant toute référence aux prétentions formées au fond. Enfin, elle précise qu'il s'agit bien d'une exception d'incompétence et non d'une fin de non-recevoir et que les intimées n'ont pas indiqué la juridiction qu'elle estime compétente dès leur assignation.
Elle relève aussi que :
- les intimées prétendent à tort que la mesure demandée par la société Terranota serait en réalité une saisie contrefaçon visant à défendre son droit de propriété intellectuelle sur un logiciel,
- elle envisageait uniquement une action visant à sanctionner des actes de concurrence déloyale et sa requête se fonde sur la violation des clauses du contrat liant les parties et notamment l'engagement de non concurrence,
- le seul fait de rapprocher et comparer l'architecture et le fonctionnement du logiciel Terra Nota avec l'espace privé du cabinet [T] Urbanisme n'est pas en lui-même caractéristique d'une saisie-contrefaçon,
- si le titre III de la requête est intitulé 'la contrefaçon de marque et de logiciel', le développement qui suit tend à démontrer des actes de concurrence déloyale,
- la reprise des éléments graphiques d'un logiciel relève bien de la concurrence déloyale parasitaire et non de la contrefaçon,
- la procédure qu'elle a engagée sur requête n'a pas pour effet de contourner la procédure de saisie-contrefaçon,
- la présidente du tribunal de commerce de Grenoble avait donc bien compétence pour rendre les ordonnances des 27 février et 13 mars 2023.
Sur la nullité alléguée des ordonnances, elle indique que :
- aucune forme particulière n'est requise pour la remise de la copie de la requête et de l'ordonnance,
- la requête du 10 février 2023 a été signifiée en même temps que l'ordonnance,
- les termes de l'ordonnance du 13 mars 2023 sont clairs et permettent aux intimées de connaître le sens de la requête de la société Terra Nova,
- aucune nullité n'est encourue.
Sur la dérogation au principe du contradictoire, elle fait remarquer que :
- cette dérogation était justifiée au regard du contexte et de la nature de l'affaire, la requête faisant état d'actes précis de concurrence déloyale et de l'attitude de Mme [T] se soustrayant à tout dialogue et souhaitant dissimuler ses actes litigieux pour retarder leur découverte tout en lui laissant croire que des négociations pourraient se poursuivre,
- seul un constat d'huissier contradictoire peut permettre de réunir les pièces nécessaires et d'éviter leur disparition anticipée.
Sur les mesures ordonnées, elle fait observer que :
- ces mesures sont circonscrites dans le temps puisqu'il s'agit de déterminer si l'activité effective de l'intimée a débuté avant le 1er décembre 2022 et dans l'affirmative d'en fixer la date, l'huissier n'étant autorisé à saisir les dossiers que postérieurement au début d'activité,
- ces mesures sont circonscrites dans leur objet, les éléments à saisir étant en lien avec les faits dénoncés dans la requête,
- c'est à l'huissier instrumentaire de faire le tri matériel des documents examinés avec les faits litigieux,
- la mesure critiquée n'est donc pas disproportionnée,
- les pièces jointes à la requête étant de nature à faire supposer des actes de concurrence déloyale, elle dispose d'un droit légitime d'obtenir les preuves nécessaires à l'exercice de son action,
- subsidiairement, le juge peut modifier la mission en la complétant ou en l'amendant.
Prétentions et moyens de l'Eirl [J] [T] et de la société Sasu de L'hermitage représentée par Me [S] [K] en qualité de liquidateur judiciaire
Dans leurs conclusions remises le 21 mars 2024, elles demandent à la cour de :
In limine litis,
- juger que madame [J] [T] avait qualité pour représenter l'Eirl [J] [T] (cabinet [T] urbanisme) au jour de la demande de rétractation,
-- juger que madame [J] [T] avait qualité pour représenter la Sasu De L'hermitage au jour de la demande de rétractation,
- juger les actions de l'Eirl [J] [T] et de la Sasu De L'hermitage recevables,
- rejeter toutes demandes fins et conclusions de la société Terranota,
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance rendue le 26 juillet 2023 ayant dit :
'Ecartons les demandes d'irrecevabilité présentées par la société Terranota pour défaut de qualité à agir de Mme [T], et d'irrecevabilité au titre de l'exception d'incompétence matérielle.',
In limine litis,
- juger la demande de l'Eirl [J] [T] au titre de l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Grenoble au profit du tribunal judiciaire de Lyon recevable,
- juger la demande de la Sasu De L'hermitage au titre de l'incompétence matérielle du tribunal de commerce de Grenoble au profit du tribunal judiciaire de Lyon recevable,
- juger que la société Terranota a cherché à effectuer une saisie-contrefaçon et à procéder à un détournement de procédure,
- juger que le tribunal de commerce de Grenoble est matériellement incompétent pour ordonner une quelconque mesure dans le présent litige au profit du tribunal judiciaire de Lyon,
- rejeter toutes demandes fins et conclusions de la société Terranota,
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance rendue le 26 juillet 2023 ayant dit :
' Disons le tribunal judiciaire de Lyon matériellement compétent.
Rétractons l'ordonnance du 27 février 2023 et l'ordonnance rectificative du 13 mars 2023 de la présidente du tribunal de commerce de Grenoble.
Prononçons la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances du 27 février 2023 et 13 mars 2023.'
Ce faisant :
- rétracter les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
- prononcer la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances du 27 février 2023 et 13 mars 2023,
A titre subsidiaire,
- juger l'action de l'Eirl [J] [T] et de la Sasu De L'hermitage recevable,
- juger que la requête ayant conduit à l'ordonnance du 13 mars 2023 n'a pas été communiquée aux intimées,
- juger nulles les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023 au titre de la violation des dispositions de l'article 495 du code de procédure civile,
- rejeter toutes demandes fins et conclusions de la société Terranota,
En conséquence
- rétracter les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
- prononcer la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances du 27 février 2023 et 13 mars 2023,
A titre très subsidiaire,
- juger l'action de l'Eirl [J] [T] et la Sasu De L'hermitage recevable,
- juger que les conditions posées par les articles 145 et 875 du code de procédure civile ne sont pas réunies,
- juger que le recours à une procédure non-contradictoire n'est pas justifié,
- juger que la mesure sollicitée n'est pas légalement admissible car ni circonscrite, ni nécessaire,
- juger que la mesure sollicitée n'est pas légalement admissible car non proportionnée,
- rejeter toutes demandes fins et conclusions de la société Terranota,
En conséquence
- rétracter les ordonnances des 27 février 2023 et 13 mars 2023,
- prononcer la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution des ordonnances du 27 février 2023 et 13 mars 2023,
A titre très très subsidiaire,
- renvoyer devant tel magistrat qu'il plaira pour juger de la communication de chaque pièce au titre de la protection du secret des affaires,
En toutes hypothèses,
- juger l'action de l'Eirl [J] [T] et la Sasu De L'hermitage recevable,
- rejeter toutes les demandes fins et conclusions de la société Terranota,
- condamner la société Terranota à payer à l'Eirl [J] [T] et à la Sasu De L'hermitage, à chacune, la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Sur l'irrecevabilité alléguée, elles font remarquer qu'au jour de la demande de rétractation, aucune procédure en redressement judiciaire ou liquidation judiciaire n'était prononcée de sorte que Mme [T] avait la capacité de représenter les intimées, que le report de la date de cessation des paiements ne rend pas irrecevable les actions diligentées par le représentant légal dans l'intervalle, que la demande en rétractation était donc recevable. Elles ajoutent qu'il n'appartient pas aux juridictions saisies dans le cadre de la rétractation d'apprécier l'état de cessation des paiements d'une partie et partant sa capacité à agir, que l'éventuelle commission d'une faute au titre de la non déclaration d'un état de cessation des paiements dans le délai de 45 jours ne remet pas en cause la recevabilité des assignations en rétractation.
Sur l'incompétence, elles relèvent que :
- les actions civiles et demandes relatives à la propriété littéraire et artistique doivent exclusivement être portées devant les tribunaux judiciaires,
- en l'espèce, un paragraphe de la requête est dénommé 'La contrefaçon de marque et de logiciel', il est allégué que Mme [T] a purement et simplement reproduit le logiciel Instanote et sa base de données en contravention aux dispositions contractuelles et qu'elle a mis en place un logiciel contrefaisant le logiciel Instanote, les mesures demandées visent à rechercher avec quel logiciel ou progiciel la cabinet [T] Urbanisme exerce son activité, l'ordonnance autorise le commissaire de justice à rapprocher et comparer l'architecture et le fonctionnement du logiciel ou progiciel avec l'espace privé du cabinet [T],
- dans le cadre des assignations délivrées au fond, la société Terranota demande des dommages et intérêts au titre de la contrefaçon de la marque 'Terranota' et du logiciel 'Instanote',
- les mesures d'instruction fondées sur l'article 145 du code de procédure civile qui constitueraient des opérations de 'saisie-contrefaçon déguisée' sont nulles dès lors qu'elles opèrent un détournement de la procédure spécifique applicable à la saisie-contrefaçon,
- en l'espèce, seul le tribunal judiciaire de Lyon est matériellement compétent.
En réponse à l'irrecevabilité de l'exception d'incompétence soulevée, elles soulignent que :
- en procédure orale, l'incompétence peut être soulevée lors des débats même si des conclusions ont été formulées par écrit préalablement,
- le tribunal a relevé expressément que l'exception d'incompétence a été présentée à la barre et reprise dans les conclusions n°3 en faisant connaître au tribunal la juridiction que l'Eirl [J] [T] et la Sasu De L'hermitage estime compétente,
- cette incompétence peut être prononcée d'office en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public ce qui est le cas en l'espèce,
- en tout état de cause, la demande d'incompétence est lié au pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce qui n'a pas le pouvoir de trancher une problématique de propriété intellectuelle,
- les règles de compétence concernant le droit des marques et le code de la propriété intellectuelle ne répartissent pas les compétences entre les tribunaux consulaires mais instituent un bloc de compétence au profit de juridictions d'un autre ordre,
- l'arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 18 octobre 2023 a été rendu au titre de l'article L. 442-6 du code de commerce et n'est pas applicable à un litige antérieur.
Sur la nullité des ordonnances, elles relèvent que :
- la copie de la requête et de l'ordonnance est laissée à la personne à laquelle elle est opposée à peine de nullité sans qu'il soit nécessaire de prouver un grief,
- en l'espèce, il n'a été laissé aucune copie de la seconde requête ayant conduit à l'ordonnance rectificative du 13 mars 2023,
- les opérations s'étant déroulées sur la base de cette ordonnance rectificative sont donc nulles et non avenues.
Sur la dérogation au principe du contradictoire, elles exposent que :
- seule compte la motivation des ordonnances et de la requête,
- une simple affirmation générale ou abstraite ne suffit pas,
- l'affirmation que la nature des faits nécessite de préserver un effet de surprise est insuffisante,
- en l'espèce, aucune mention justifiant le recours à une procédure non contradictoire n'est développée dans la requête et l'ordonnance procède par voie de renvoi à la requête,
- les circonstances évoquées dans les conclusions ne sont pas de nature à justifier une dérogation au principe du contradictoire.
Elles soulignent aussi que les mesures sollicitées sont très générales et ne sont pas limitées par des mots clés, que la mission de l'huissier vise à tout connaître de l'activité commerciale des sociétés intimées, que la recherche n'a pas été limitée à la date de modification de l'inscription Sirene de la dénomination, qu'il n'appartient pas à la cour de modifier la décision querellée après son exécution car les conditions s'apprécient au jour où le juge statue sur les mérites de l'ordonnance.
Enfin, elles font observer qu'il n'appartient pas à l'huissier de faire le tri et il est donc demandé à la cour de renvoyer devant un magistrat pour juger de la communication de chaque pièce au titre de la protection du secret des affaires.
Pour le surplus des demandes et des moyens développés, il convient de se reporter aux dernières écritures des parties en application de l'article 455 du code de procédure civile.
Motifs de la décision
1/ Sur l'irrecevabilité pour défaut de qualité à agir
Lors de la délivrance de l'assignation le 20 avril 2023, ni Mme [J] [T], ni la Sasu De L'hermitage ne faisaient l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire qui emporte aux termes de l'article L 641-9 du code de commerce le dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens et l'exercice des droits et actions du débiteur par le liquidateur pendant la durée de la liquidation judiciaire.
En effet, la liquidation judiciaire de la Sasu De L'hermitage avec fixation de la date de cessation des paiements au 30 septembre 2023 n'a été prononcée que par jugement du 20 décembre 2023 au cours de l'instance d'appel régularisée par l'intervention de Me [S] [K] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Sasu de L'hermitage et concernant Mme [J] [T] - Eirl [J] [T], aucune procédure collective n'a été ouverte à son égard au jour des débats.
A défaut d'être dessaisies de leurs droits lors de la délivrance de l'assignation en rétractation, tant la Sasu De L'hermitage que Mme [J] [T] - Eirl [J] [T] avaient qualité à agir.
Comme le relèvent les intimés, le report de la date de cessation des paiements ne rend pas irrecevable les actions engagées par le représentant légal de la société dans l'intervalle, étant en outre observé que la cessation des
paiements de la Sasu De L'hermitage a été fixée au 30 septembre 2023, soit postérieurement à la délivrance de l'assignation en rétractation le 20 avril 2023.
Il n'appartient pas à la présente juridiction de déterminer une date de cessation des paiements autre ou d'en fixer une s'agissant de Mme [J] [T], seule l'ouverture de la procédure collective entraînant le dessaisissement.
Les développements de la société Terranota sur les difficultés financières et l'état de cessation de paiements des intimées sont donc inopérants.
Il en est de même des développements sur l'existence d'une faute de gestion des gérants qui si elle est susceptible d'entraîner une sanction appréciée par le tribunal de la procédure collective ne remet pas en cause la recevabilité de l'assignation en rétractation en l'absence de l'ouverture d'une procédure collective à cette date.
Dès lors, l'ordonnance du 26 juillet 2023 sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la fin de non recevoir soulevée par la société Terranota pour défaut de qualité à agir.
2/ Sur la compétence et la rétractation
Devant le président du tribunal de commerce, la procédure étant orale, les prétentions peuvent être formulées au cours de l'audience et il en est notamment ainsi des exceptions de procédure.
En l'espèce, lors de l'audience s'étant déroulée devant le président du tribunal de commerce, la Sasu De L'hermitage et Mme [J] [T] - Eirl [J] [T] ont repris leurs conclusions n'3 lesquelles soulevaient en premier lieu l'incompétence du président du tribunal de commerce de Grenoble pour ordonner une quelconque mesure dans le présent litige au profit du tribunal judiciaire de Lyon.
En conséquence, la procédure étant orale devant le tribunal de commerce, il importe peu que les demanderesses à la rétractation n'aient pas soulevé ce point en premier lieu dans leurs précédentes écritures.
Elles étaient donc recevables à faire état de cette incompétence. L'ordonnance sera aussi confirmée sur ce point.
En application de l'article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.
Aux termes de l'article L.331-1 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant les tribunaux judiciaires déterminés par voie réglementaire.
L'article L.112-2 du même code inclut les logiciels au nombre des oeuvres de l'esprit bénéficiant de la protection conférée par les dispositions dudit code.
L'article L 332-4 énonce que la contrefaçon de logiciels et de bases de données peut être prouvée par tout moyen et qu'à cet cet effet, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en tout lieu et par tous huissiers, le cas échéant assistés d'experts désignés par le demandeur, en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, soit à la description détaillée, avec ou sans prélèvement d'échantillons, soit à la saisie réelle du logiciel ou de la base de données prétendument contrefaisants ainsi que de tout document s'y rapportant.
En application de l'article L.716-5 du code de la propriété intellectuelle, les actions civiles et les demandes relatives aux marques autres que celles devant être formées devant l'Institut national de la propriété industrielle sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale.
En l'espèce, la requête présentée par la société Terranota devant le président du tribunal de commerce de Grenoble contient un paragraphe III intitulé 'La contrefaçon de marque et de logiciel, le dénigrement et le parasitisme'. La société Terranota y évoque la possibilité que Mme [T] ait purement et simplement reproduit le logiciel InstaNote et sa base de données en contravention aux dispositions contractuelles.
En page 11 de sa requête, elle justifie les mesures demandées par la situation de concurrence déloyale existant entre elle-même et Mme [T], les agissements parasitaires de cette dernière opérant une confusion dans l'esprit du public, la mise en ligne d'un site internet proposant des prestations identiques à celles proposées par la société Terranota et la mise en place d'un logiciel contrefaisant le logiciel InstaNote.
Au titre des mesures demandées, la société Terranota sollicite notamment:
- qu'il soit recherché avec quel logiciel ou progiciel le cabinet [T] Urbanisme et la Sasu De L'hermitage exercent leur activité et depuis quand, se faire remettre une copie du contrat de licence de logiciel,
- à défaut de logiciel ou progiciel, qu'il soit procédé aux constatations utiles afin de déterminer le process de création des dossiers en partant de la demande du client (notaires), qu'elle soit faite par mail ou directement dans un espace privé, jusqu'à l'envoi de la réponse (la restitution) des documents demandés par ce dernier soit par mail, soit potentiellement depuis un progiciel, le tout en comprenant le mode de fabrication,
- qu'il soit comparé l'architecture et le fonctionnement du logiciel ou progiciel Terranota (côté client et côté interne) avec l'espace privé du cabinet [T] Urbanisme.
Ces mesures ont été effectivement ordonnées par le président du tribunal de commerce de Grenoble statuant par ordonnance sur requête du 27 février 2023.
La société Terranota qui évoque dans sa requête la contrefaçon de logiciel et sollicite des mesures visant à voir comparer le logiciel Instanote avec le logiciel ou les intruments utilisés par le cabinet [T] Urbanisme et la Sasu De L'hermitage ne peut sérieusement soutenir que ces mesures visaient uniquement à agir au titre de la concurrence déloyale d'autant qu'elle a formé ultérieurement une demande de dommages et intérêts au titre de la contrefaçon de la marque 'Terranota' et de la contrefaçon du logiciel 'InstaNote'.
Dès lors que les mesures sollicitées sur requête s'inscrivent dans un contexte de contrefaçon de logiciel, seuls les tribunaux judiciaires sont compétents et en l'espèce celui de [Localité 9].
En conséquence, le président du tribunal de commerce de Grenoble, lié par la compétence de son tribunal, ne pouvait ordonner les mesures sollicitées en application de l'article 875 du code de procédure civile.
C'est donc à bon droit que le président du tribunal de commerce de Grenoble, statuant en référé, a rétracté l'ordonnance du 27 février 2023 et l'ordonnance rectificative du 13 mars 2023 et prononcé la nullité de tout procès-verbal dressé en exécution de ces ordonnances.
3/ Sur les mesures accessoires
La société Terranota sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à chacune de Mme [J] [T] - Eirl [J] [T] et de la Sasu De L'hermitage, représentée par Me [K], liquidateur judiciaire, la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue le 26 juillet 2023.
Ajoutant,
Condamne la société Terranota aux dépens d'appel.
Condamne la société Terranota à payer à chacune de Mme [J] [T] - Eirl [J] [T] et de la Sasu De L'hermitage, représentée par Me [K], liquidateur judiciaire, la somme de 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Déboute la société Terranota de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.